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L'Église orthodoxe est l'une des trois expressions majeures du christianisme. Elle reste pourtant mal connue en Occident. Si son destin est d'une grande continuité spirituelle marquée par la fidélité aux Pères, il présente en effet d'étranges ruptures historiques, des phases d'occultation, des moments de « mort-résurrection »...

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ISBN : 9782341012430

© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.

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Église orthodoxe

Introduction

L’Église orthodoxe est l’une des trois expressions majeures du christianisme. Elle reste pourtant mal connue en Occident. Si son destin est d’une grande continuité spirituelle marquée par la fidélité aux Pères, il présente en effet d’étranges ruptures historiques, des phases d’occultation, des moments de « mort-résurrection ». À quatre reprises au moins, des forces hostiles venues d’Orient ou d’Occident ont détruit les formes culturelles dans lesquelles l’orthodoxie s’exprimait : au VIIe siècle, l’islam arabe ; au XIIIe siècle, l’Occident latin et l’invasion mongole ; au XVe siècle, l’islam turc ; au XXe siècle, le communisme.

À travers ces drames, l’orthodoxie eut – et garde souvent – une tendance à se constituer, non sans analogies avec le judaïsme, en une tradition-transmission rituelle et populaire, capable d’adoucir et d’embellir la vie quotidienne, mais sacralisant sans discernement le détail liturgique, la lettre des Pères et des canons (dans lesquels beaucoup de prescriptions du Lévitique ont été reprises après la grande crise du VIIe siècle). À la limite, limite que seuls les schismatiques ont franchie, c’est la tentation du messianisme national (ainsi quand on fait de Moscou la troisième Rome) et de la « vieille croyance » (le Raskol russe du XVIIe siècle, les paléostylites de l’Europe du Sud-Est au XXe siècle).

Pourtant l’orthodoxie a manifesté périodiquement une tout autre dimension, pneumatologique, personnelle et prophétique, et l’on ne saurait, sinon pour le moyen âge orthodoxe qui va du XVe au XVIIIe siècle, l’identifier à un « Orient ». Byzance, jusqu’en 1453, a connu maintes résurgences de l’hellénisme antique, et la renaissance des Paléologues fut un humanisme transfiguré, qui fait penser au Trecento franciscain. De même, la pensée religieuse russe des XIXe et XXe siècles a voulu répondre à la révolte de l’Occident moderne : « Dostoïevski, disait Berdiaeff, a su tout ce que Nietzsche a su, et quelque chose en plus. »

Si ces deux tentatives ont tourné court à cause des fatalités de l’histoire, celles-ci mêmes ont engagé à l’époque actuelle l’orthodoxie dans une aventure planétaire. Des millions d’orthodoxes se sont dispersés à travers l’Occident. L’élan prophétique de la pensée religieuse russe a porté ses fruits dans l’école de Paris. En 1970, une Église orthodoxe purement occidentale a commencé à se constituer en Amérique, tandis qu’une Église autonome, fruit de la mission russe à travers la haute Asie, se formait au Japon. Enfin de petites communautés d’orthodoxes noirs se sont implantées en Ouganda, au Kenya et en République démocratique du Congo.

Aujourd’hui l’Église orthodoxe est donc présente dans toutes les civilisations. Durant la période communiste, elle a accepté loyalement, parfois avec une apparente servilité, le régime, mais n’a jamais transigé sur la foi. En Russie même, après d’effroyables persécutions, elle s’est vu reconnaître un rôle réduit à la seule vie liturgique. Elle n’a recouvré une pleine influence qu’avec la chute du régime. Un certain nombre d’intellectuels ont été attirés par son témoignage : parmi eux, les plus grands écrivains russes de ce temps, Anna Akhmatova, Boris Pasternak, Alexandre Soljenitsyne, Andreï Siniavsky, Vladimir Maximov. Dans le Tiers Monde, l’orthodoxie arabe du patriarcat d’Antioche, animée par de grands évêques comme Georges Khodre et Ignace Hazim, formés à l’institut Saint-Serge de Paris, cherche une spiritualité créatrice, et engage le dialogue avec l’islam. À la limite de l’Orient et de l’Occident, l’Église de Grèce, où se renforce un courant intégriste, n’arrive pas à faire face à la modernité, mais l’Église de Crète, autonome, donne un très bel exemple d’ouverture œcuménique, d’action sociale, d’étroite coopération entre le peuple et ses évêques. En Occident, les communautés d’émigrés ont fait souche et jouent un rôle fécond dans le renouveau de la pensée orthodoxe. La théologie néopatristique (V. Lossky, G. Florovsky, J. Meyendorff) a réagi contre la modernité exubérante de la philosophie religieuse russe, mais une synthèse se cherche maintenant entre les exigences de la culture contemporaine et l’inspiration (plutôt que la lettre) des Pères : aux théologiens de la Dispersion russe (P. Evdokimov, A. Schmemann) se joignent la haute réflexion spirituelle de l’Église roumaine (D. Staniloae) et les recherches de théologiens grecs (C. Yannaras).

Presque toutes les Églises orthodoxes font aujourd’hui partie du Conseil œcuménique des Églises. Dans ce cadre, elles ont engagé des conversations sur le fond avec les non-chalcédoniens (arméniens, jacobites, coptes, éthiopiens, Indiens du Sud) et abouti à un accord complet sur la foi : prélude à une union qui consacrerait la présence de l’orthodoxie en Afrique et en Asie. Toutefois, depuis la rencontre à Jérusalem, en 1964, du pape Paul VI et du patriarche de Constantinople Athénagoras Ier, depuis la levée, l’année suivante, des anathèmes de 1054 et l’ouverture par l’Église russe, en 1969, de la communion eucharistique aux catholiques, c’est entre catholicisme et orthodoxie que le dialogue le plus fécond semble actuellement engagé. Une commission formée de théologiens des deux Églises s’est mise au travail en 1980. L’orthodoxie, qui n’a pas connu le drame du XVIe siècle, peut aider le catholicisme à accéder aux requêtes positives de la Réforme sans perdre la réalité sacramentelle de l’Église. Tandis que le christianisme occidental subit une crise spirituelle qui met en cause le contenu même de la foi, l’orthodoxie souffre d’une crise historique qui met en cause l’incarnation créatrice de l’Église, mais renvoie plus que jamais celle-ci à l’expérience du mystère. Une relation complémentaire riche de promesses peut donc s’établir.

Depuis Dostoïevski enfin, l’esprit de l’orthodoxie joue un rôle important dans le dialogue avec l’athéisme : selon l’espérance, si intensément vécue par la philosophie religieuse russe, avec laquelle, après le temps où Dieu fut pensé contre l’homme, puis l’homme contre Dieu, s’ouvrira, dans l’union de l’Esprit saint et de la liberté créatrice de l’homme, la plénitude eschatologique de la « divino-humanité ».

Olivier CLÉMENT

1. Histoire de l’orthodoxie

On peut dater les origines chrétiennes et il en est de même pour l’apparition de la Réforme. Mais qu’en est-il pour la naissance des Églises orthodoxe et catholique, en tant que séparées et en tant que constituant les deux variantes maîtresses du christianisme institutionnel au Moyen Âge ? Une chronologie paresseuse a longtemps imposé l’année 1054, date à laquelle légats romains et patriarches byzantins firent assaut d’anathèmes apparemment sans appel. En Occident, des historiens de l’Église sacrifient encore à la convention : passé l’année fatidique, ils prennent congé des chrétientés d’Orient.

Dans la réalité, les jeux étaient faits depuis fort longtemps. Une « orthodoxie » et un « catholicisme » se dessinent au cœur du christianisme du jour où il est reconnu et assimilé par l’Empire romain, et où il se lie, en retour, à celui-ci. À la constellation ecclésiastique, assez lâche, des siècles préconstantiniens succède une confédération de grandes provinces religieuses, dotées chacune d’un président, avec un avantage d’honneur pour celui de la capitale politique. Les normes de la foi commune, quand il y a lieu, sont définies à l’ombre du pouvoir civil, souvent au prix de flottements prolongés, auxquels aucune province ne peut se vanter d’avoir échappé. Plusieurs font défection en bloc et passent au nestorianisme ou au monophysisme. Constantinople et Rome finissent toujours par trouver un accord. Elles méritent de pair la qualité d’orthodoxes, à la lettre : de détentrices du « droit penser ». Jusqu’au IXe siècle, elles se reconnaissent mutuellement ce caractère, quand la controverse est passée.

Cette façade avenante cache mal une lutte sourde entre deux universalismes. L’Église de Constantinople, foncièrement hostile à toute prétention d’hégémonie dogmatique ou simplement juridictionnelle (en quoi elle reste très proche des nestoriens et des monophysites), s’achemine, par la force des choses, vers une prépondérance morale sur l’ensemble du territoire présent ou futur de l’Empire, sur l’« œcoumène ». Le haut niveau de culture et d’organisation qui est le sien la confirme dans la conviction d’être le modèle des institutions et usages. Elle se sent une vocation œcuménique. L’Église de Rome, elle, stimulée par la promotion insolente du siège de Constantinople, revendique une autorité de dernière instance sur l’ensemble de l’Église. À l’œcuménisme elle oppose le catholicisme. Les deux Églises peuvent demeurer unies dans la même foi ; leurs institutions respectives se distinguent néanmoins de plus en plus, et le divorce devait venir tôt ou tard ; il est venu, et chacune des Églises a conservé, dans l’usage, le nom qui lui allait le mieux : orthodoxie pour celle qui montre encore, à peu de choses près, sa physionomie d’avant la séparation ; catholicisme pour celle à qui son idéal universaliste ouvrait des perspectives d’invention illimitées.

• De l’Église byzantine à l’Église orthodoxe

Aux premiers siècles, l’unité chrétienne réside dans une adhésion commune à quelques points en matière de foi, de culte, de conduite, et dans la solidarité spontanée face à l’ennemi, gnosticisme ou marcionisme. L’Église catholique est la somme des Églises locales, autonomes, groupées autour de leur évêque. Une hiérarchisation des sièges s’ébauche cependant, fondée sur l’ancienneté de l’évêché, le prestige du fondateur ou d’un titulaire, et, dans une certaine mesure, sur l’importance séculière de la cité. À partir de Constantin, le christianisme, promis à devenir bientôt la religion d’État, prend la place du monothéisme solaire dans le mythe impérial. Il est l’expression de l’unité spirituelle de l’Empire. L’empereur en assume, d’office, la tutelle. Non qu’il revendique le privilège de dire la foi, mais il entend promouvoir l’unanimité religieuse et consolider les structures temporelles de la communauté chrétienne qui la conditionnent.

Le centre de gravité politique de l’Église : Constantinople

L’Église, dans les limites de l’Empire, sera quadrillée à l’image de la carte administrative. La métropole du diocèse civil aura un « supermétropolite » ; la métropole de chaque province du diocèse, un métropolite dont dépendent les évêques des cités afférentes. Il y a six « supermétropoles » : Rome, Alexandrie, Antioche, Césarée de Cappadoce, Éphèse et Héraclée de Thrace. La nouvelle capitale, Constantinople, n’est encore qu’un petit évêché. Le IIe concile œcuménique (381) la met à égalité d’honneur avec Rome, promotion qui sera consacrée au concile de Chalcédoine (451). Césarée, Éphèse et Héraclée, ravalées au rang de métropoles, passent sous sa coupe. La cooptation de Jérusalem porte à cinq le nombre des sièges qu’on dénommera un jour patriarcats. En principe, la place que prend parmi eux la capitale est simplement honorifique ; l’élection des patriarches est, sans distinction, à la discrétion de l’empereur ; tous jouissant de droits égaux, l’orthodoxie de l’Église est censée s’exprimer par leur consensus : c’est la pentarchie ou gouvernement à cinq têtes, formule dont la théorie s’élabore peu à peu. Dans la pratique, la faveur octroyée à la Nouvelle Rome est lourde de conséquences : elle consacre la servitude politique des structures ecclésiastiques et humilie dangereusement les Églises apostoliques d’Orient, Antioche et Alexandrie, superficiellement hellénisées.

Le caractère officiel que revêt le christianisme rend possible ce qui semblait inconcevable : la réunion d’assises générales des évêques de l’Empire. Mais quel précédent constituera le premier concile tenu à Nicée (325) ! Des six assemblées œcuméniques à venir, toutes sont convoquées, prises en charge, inspirées et sanctionnées par l’empereur. Toutes siégeront sur le territoire du patriarcat grec, dont la représentation sera généralement majoritaire, celle des autres patriarcats étant parfois dérisoire.

L’empereur n’entérine pas seulement, au civil, les décisions du concile. Il dicte volontiers la discipline de l’Église, sans se soucier de ménager les particularismes du monde latin ou oriental. Bref, toutes les nouvelles institutions (patriarcat, synode œcuménique, législation) conspirent à fixer à Constantinople le centre de gravité de l’Église.

Le cours de l’histoire n’arrêtera pas de cimenter la solidarité nouée entre l’empereur et son patriarche. La conquête arabe, au VIe siècle, consomme, dans l’ordre politique, la sécession de la Syrie et de l’Égypte, perdues pour l’orthodoxie centrale depuis deux cents ans. Une minorité hellénisée de «  melkites" (« impériaux », le qualificatif est parlant) y assure la survie des patriarcats orientaux orthodoxes au milieu d’une population monophysite qui relève d’une hiérarchie rivale. Le progrès des Barbares en Occident, à peine contrarié par la reconquête de Justinien, rend de plus en plus étranger à Byzance le monde latin, hormis quelques positions clés détenues par celle-ci en Italie. Peu à peu une coïncidence territoriale s’établit entre les juridictions impériale et ecclésiastique, qui sera chose faite dès 733, lorsque Léon III l’Isaurien arrachera au pape l’Illyricum pour en faire présent à l’évêque de sa capitale. Ainsi, le patriarcat byzantin satisfait enfin son ambition œcuménique. Comment, muni de telles cautions, ne serait-il pas tenté d’imposer à Rome sa propre discipline et de l’inviter à se réformer à son image ? C’est ce qu’il fait au concile in Trullo (692), en s’attaquant à certaines « singularités » romaines : pratiques de pénitence, statut des clercs, iconographie, etc. Le fameux concile iconoclaste de 754 lui-même, renié unanimement par la tradition orthodoxe, outrait à peine une tendance irréversible. Composé uniquement de prélats du territoire impérial, il n’en prétendait pas moins au titre de VIIe concile œcuménique. Un empire et un patriarcat : ainsi peut-on résumer cette volonté de puissance dont l’échec définitif viendra un millénaire plus tard.