Véhicules autonomes - Simon Vigny - E-Book

Véhicules autonomes E-Book

Simon Vigny

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Beschreibung

Savez-vous que des voitures autonomes circulent dans Paris ? des voitures sans conducteur sont vendues en Suède ? des taxis autonomes parcourent les rues de San Francisco, Singapour ou Pittsburgh ? En avion vaut-il mieux confier sa vie à un pilote dépressif ou à un pilote automatique qui peut être piraté ? Que se passe-t-il quand un ordinateur de bord n'en fait qu'à sa tête ? Aimez-vous votre voiture ? Un accident peut-il cacher un meurtre ? Comment les assurances géreront-elles les accidents de voitures autonomes ? Treize nouvelles, autant d'auteurs répondent à leur manière.

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Concours de Nouvelles d’anticipation 2017 Véhicules autonomes

Premier prix

Simon Vigny pour Bulles

Prix spécial du jury

Valery Bonneau pour une Question de priorité

Prix de l'éditeur

Agnès Berger pour Le passager

Prix de la jeunesse

Eléonore Tergoresse pour Objet trouvé,

Textes sélectionnés

La Taupe de Yves Cohen Loro,

IVO de Jean-Marc Bouly,

Jugement autonome de Christophe Künzi,

Toute mauvaise conduite sera sanctionnée de Claude Bégin,

Selon ton désir de Kaddour Naïmi,

Statistiquement de Séverine Jaspard,

Mission V. A-2021n°a de Tatiana Nochelski,

A toute allure de Kim Gervais,

Sortie de route de Mathieu Baudry.

Table des matières

Bulles

Une question de priorité

Le Passager

Objet trouvé

La taupe

IVO

Jugement autonome

Toute mauvaise conduite sera sanctionnée

Selon ton désir

Statistiquement

Mission V. A-2021n°a

A toute allure

Sortie de route

Ouvrages de la Collection Anticipation

Ouvrages de la collection Littérature

Premier Prix

Simon Vigny

Bulles

Alex est dans sa bulle, sur le trajet du retour. Semelles desserrées, un peu de musique et quelques pensées futiles l'apaisent. Quitter le travail est un moment important de la journée, déconnecter.

Ne recevant que peu de coup de fil, elle oublie souvent de couper l'écran de contact et s'en mord rapidement les doigts. Au moment où se matérialise dans son esprit le pain frais et le risotto que son laboratoire culinaire lui prépare en ce moment, un visage s'affiche accompagné d'un énergique :

— Salut !

— Salut... surprise Alex. Assurée de connaître ce visage, le souvenir d'un nom ou d'un lien se dérobe désespérément.

— Heyyy, Salut Alex, c'est Basile ! ... qui se voit obligé de préciser :

— De Radio Bulle. Vous êtes en direct sur Bulles d'Air !

— C'est donc ça ! Cette superbe émission qui surgit dans votre vie pour l'exposer en un joli produit marketing. Ce n'est pas son truc mais vus les deux cents millions de bulleurs addicts, impossible de de ne pas connaître.

— Bonjour Basile,

— Enchanté de vous rencontrer Alex.

Cette dernière avait préféré occulter l'idée de l'écran devant son interlocuteur, et par là même, en direct sur tous les écrans bulles allumés. Elle réagit néanmoins avec, lui semble-t-il, un appoint honorable :

— Merci, enchantée également.

— Comme vous le savez, tous les lundis, nous appelons quelqu'un au hasard dans le réseau bulle et lui proposons une Rouge pendant une semaine. Le programme est diffusé sur l'ensemble des écrans bulles. Comme le veut la règle, vous avez quatre heures pour réfléchir. A tout à l'heure !

— Non, non, merci, c'est sûr, inutile de rappeler ! Trop tard, écran éteint, rendez-vous dans quatre heures.

Enfin, le risotto, encore fumant et embaumant l'air se déguste sans avoir le temps de refroidir. Il ne chasse pour autant pas une petite pensée parasite. De celle toute petite mais permanente, persistante, qui s'installe tranquillement et dont les incessantes répétitions enflent jusqu'à devenir incontournables.

Une rouge, une Bulle Rouge. Les plus confortables et les plus rapides. Rein à voir avec la raisonnable et amplement suffisante bleue d'Alex. Au-delà de toutes les options, la principale différence est le crédit temps illimité. Les perspectives de trajets rendus possibles par la Rouge titillent nécessairement la curiosité.

Avec ses six heures hebdomadaires, Alex couvre les trajets pour le boulot, les courses et quelques visites. Quelques économies permettent normalement un aller-retour un peu plus conséquent pour les vacances annuelles autour du lac.

Quand on voit toutes les Grises, Noires ou les Chenilles de transports en commun d'un blanc usé, Alex a bien conscience de n'être pas si mal lotie.

— Alex ??

L'écran de l'appartement étant négligemment resté connecté, un doux visage s'ajoute au nasillement bien connu :

— C'est formidable que tu fasses l'émission ! Tu vas devenir célèbre !

— Bonjour Maman... pour commencer. Et je n'ai aucune envie de devenir célèbre.

— N'importe quoi, tu n'y as même pas vraiment réfléchi. Et quand bien même, tu peux voyager à l’œil pendant une semaine. Ils veulent vendre de belles histoires, il ne peut arriver que des belles choses.

— Je serai filmée quasi 24/24 !

— Et alors, ça t'empêche de plonger au milieu des requins ?

De skier dans l'Himalaya ? De monter à la Tour Eiffel IV ?

— Tu m'agaces, tu ne peux pas comprendre qu'être filmée peut, ne serait-ce qu'un tout petit poil, déranger ?

— Choisir de renoncer à cette opportunité est peut-être une preuve de caractère mais il faut bien réfléchir ma fille.

— Oui maman d'accord, conclut Alex passée de l'agacement à la vexation.

Sous ses airs de fausse bonne copine, sa mère savait toucher juste. Alex n'arrivait pas y croire mais le doute était là. Une bonne sieste portera conseil.

En découvrant l'heure à son réveil, Alex est à la fois soulagée d'avoir le temps pour un coup de brosse à cheveux mais trouve également cela bien court avant de retrouver Basile.

— Hellooo Alex, alors bien réfléchi ?

— Bonsoir Basile. Euh, si on peut dire...

La sieste n'avait pas été aussi bonne que souhaitée.

— Un simple oui et une Rouge est dans votre parc à bulles d'ici 10 min.

— Oui

— Géniaaaal ! Et n'oubliez pas, Alex... Souriez, vous êtes filmée !

— Merci.

Alex ne se reconnaît pas, « oui », « merci » ; passive, voire béate ! Les bonnes réponses auraient dû être non et au revoir. Un merci pouvait bien sûr se justifier mais pas celui-ci, pas comme cela. Comment avait-elle pu accepter ? Elle qui est toujours à compatir avec les victimes de ce programme, la première à dénoncer les mensonges, les montages subjectifs. Elle qui a tant de mal avec cette réalité détournée.

Pas bien réveillée ou bien l'humeur née de la sieste ou encore les mots de sa mère. Imaginer un cumul de ces différents éléments la déculpabilise un peu. Cette réflexion lui permet d'éluder un peu le fait qu'elle a tout humainement cédé à la tentation.

Bon, quoiqu'il en soit, c'est fait alors autant aller voir la bête. Sur le vélo antigravité, 15 minutes suffisent à parcourir la distance jusqu'au parc à bulles.

Elle est là, en lieu et place de la bleue habituelle. Une sphère arrimée à un anneau qui enserre un tube. En tout point similaire aux autres bulles par ses mensurations, elle s'en distingue cependant par tout le reste. Il n'y a rien à dire devant autant de soin porté dans les moindres détails. Ces cercles d'un rouge éclatant repris sur les petites têtes rondes mouchetant l'arrimage constituent la seule coquetterie.

Elle est éblouissante de simplicité et d'une redoutable harmonie. Pour tout équipement, un simple écran et ce qui doit être une banquette automate transformable.

La bulle et la production de l'émission lui souhaite le bonsoir et lui demande sa première destination.

— Euh... lac de Vyrta, s'il vous plaît. Lâche-t-elle parce que c'est la première chose qui lui vient à l'esprit. La destination des vacances annuelles, si naturel d'y penser mais un peu dommage de l'avoir dit si vite !

L'écran affiche vingt minutes de trajet et Alex percute qu'en plus de la vitesse de la Rouge, elle va circuler sur la voie prioritaire. Cela fait beaucoup et provoque même une petite pointe de culpabilité. Alex aspire en effet simplement à finir sa vie avec une bulle jaune, 10 heures par semaines. Elles sont d'ailleurs réputées adaptées au confort des personnes d'un certain âge.

Après dix bonnes minutes à essayer de dompter l'écran infini, extensible et multidivisible, Alex s'adonne à plusieurs recherches. Elle trouve les deux ou trois premières étapes. Elle aura ensuite le temps de compléter.

Avant même l'arrivée au lac, elle demande un changement de destination pour l'Eau Cristal. Inaccessible en bleue, si proche en rouge.

Ce bassin de 10 hectares avec 3 îles simule les conditions tropicales. Une eau transparente jusqu'à plusieurs mètres permet d'admirer coraux, coquillages et poissons multicolores. Alex y ressent un petit air de zoo mais les milieux naturels sensibles sont devenus inaccessibles, ou interdits. La reproduction y est par ailleurs aussi fidèle, à ce qui se dit, que celle de Lascaux 48.

La dégustation d'une langouste sur une terrasse vitrée au-dessus du lagon emplit Alex d'une délicieuse zénitude.

— Alex ? C'est toi ?

— … Mathilde ! s'étonne Alex.

De tous ses amis, et même ses connaissances, seule Mathilde a une bulle verte, douze heures de crédit. Chacun a sa petite explication sur une telle réussite à son âge. Alex s'adapte en général à son interlocuteur pour couper court car elle s'en moque royalement. Délurée, Mathilde est une fausse candide à l'esprit brut mais terriblement fin. Alex l'aime principalement pour son énergie et sa joie de vivre.

— Comment va ? Je t'en prie, dis-moi que tu as pris la langouste ?

— Bien. Oui, une tuerie confient les papilles d'Alex encore toutes émoustillées. Tu ne m'avais jamais parlé de cet endroit.

— C'est la première fois que je viens. Je ne pouvais pas refuser l'invitation, sourit Mathilde en indiquant du regard un homme qui ajuste son masque de plongée au bout de la jetée.

— Lui non plus, jamais entendu parler...

— J'ai mes petits secrets, minaude Mathilde avec un sourire complice. Et toi, t'as braqué une bulle pour arriver jusqu'ici ? Invitée également ? Il est où ?

— J'ai été tirée au sort par Bulle d'Air. Tu n'as pas vu l'émission ?

— Non, j'avais un peu mieux à faire, murmure Mathilde avec un clin d’œil. Je verrai les redifs. Mais du coup, ça veut dire qu'on passe sur les écrans bulle là ?

— Non, y'a pas beaucoup de direct, trop aléatoire pour la production. Mais tu seras retenue au montage, t'inquiète pas.

Alex montre alors à son amie les trois voltigeuses filmant en silence. Ces trois petites sphères autoportées sont recouvertes de caméras et de réflecteurs. Se filmant les unes les autres et leurs reflets, elles multiplient les angles de vue. Même si elles sont petites et silencieuses, il est difficile de les oublier. Seule l'envie de ne pas y penser peut aider à les occulter par moment. Heureusement, il n'y a pas de micro. Inutile, tout est sous-titré, scénarisé.

Retrouver son amie ici est vraiment une aubaine pour Alex. Elle est en effet seule pour affronter ce nouveau milieu. Si beau est-il, il n'en est pas moins inconnu. Elle ne pensait pas être contrariée par cette solitude, tellement habituée. Seule chez soi, c'est cependant si différent, si anesthésiant.

La boîte de nuit porte un nom original : La Plage. Son cadre, cependant, à trois mètres de profondeur avec un immense plafond vitré, vaut le détour. Pieds nus ou en tongues dans le sable de synthèse, les touristes faisant mine de s’encanailler forment le gros de la mêlée. A les voir, Alex jaugeait qu'il y avait pas mal de bleues, presque autant de jaunes et quelques vertes. Elle avait en effet ce don d'observation et d'empathie pour jauger les gens, leur stature, leurs valeurs. Il lui arrivait bien sûr de se tromper, mais c'était assez rare.

Après ce tour d'observation, Alex se sent plus à l'aise et s'installe avec Mathilde qui a déjà commandé.

Aïe, la tête... les yeux... Ce bruit sourd, répété...

On est dans la bulle, Mathilde ronfle encore.

Se redresser lentement, aérer rapidement... Un peu, pas trop, attention la lumière.

Mathilde se réveille aussi doucement, préférant quant à elle conserver les paupières closes.

— Salut Alex, ça va ? rauque-t-elle.

— Si l'on excepte les punching-balls qui s'entrechoquent dans mon crâne, et une légère mais honteuse amnésie, ça va nickel.

— T'inquiète, je te raconterai, ricane Mathilde. En attendant, tu dois bien avoir l'option grignotage dans ton palace. Je commencerai bien par un grand café, avant même de commencer à ouvrir les yeux.

Après la mise sous tension de la bulle, Alex lutte pour trouver la commande mais un automate sorti d'un pied du lit prépare bientôt les boissons. L'odeur engageante qui en émane finit d'éveiller la curiosité d'Alex. Rassurée par la tasse bien chaude au creux de ses mains, elle sort.

Elles se trouvent à une extrémité de réseau. Pas de tube à droite, pas de tube à gauche. Un U. Le fameux bout du réseau où les tubes se recourbent pour former deux U symétriques. C'est aussi la première fois qu'elle voit un réseau si fin, seulement huit tubes, un seul niveau suffit.

De l'autre côté, un immense pré avec... non, elles existent vraiment... pas seulement dans les comptes pour enfant ou quelques vieux livres au musée... des vaches !

De ci de là, des caisses de fourrages et des bacs d'eau concentrent un attroupement, comme à l'ombre des arbres, à la lisière de la forêt en contrebas. La Forêt des Grands. L'éblouissement difficile à supporter ne laisse qu’apercevoir ces immenses panaches verts. Eloignés de la lisière mais si proches par leur taille, si attirants.

Malgré l'odeur du café, Mathilde s'est rendormie et Alex se réjouit avec la deuxième tasse. Les vaches étant toujours présentées comme des animaux bienveillants et doux, Alex n'éprouve aucune crainte à traverser le pré mais marque une petite pause à l'orée du bois. Rien à voir avec les reconstitutions truffant le réseau, même si tout y est présent. Ici, il y a des nuances de couleurs infinies, un désordre hasardeux, une ombre enveloppante qui procure des frissons. Il y a surtout une odeur, une odeur de fraîche moisissure. Tout est beaucoup plus intense.

Alex se dit qu'elle n'est quand même pas là pour faire demi-tour et s'aventure sous le couvert des premiers chênes. Très vite, elle se sent un peu désorientée, décide de laisser son foulard sur place et repart vers la faible lumière émanant encore du pré en cassant quelques branches. Retrouvant son foulard à son retour, elle est rassurée par la fiabilité de son astuce.

L'impression d'être observée flâne dans son esprit mais la hauteur des arbres et leur ramage si altier sont sûrement la cause de ce sentiment. L'émerveillement et la curiosité poussent néanmoins Alex à aller toujours plus loin, jusqu'à entendre un léger sifflement, sentir une ombre au-dessus d'elle et se souvenir de sa chute.

Le mal de crâne calmé par les cafés et la petite balade reprend de plus belle avec une sacrée bosse en épicentre. Elle se trouve au même endroit. Son sac est juste à quelques mètres, il ne manque rien. Sa carte de trajets, son écran de poche, sa bombe anti agression, ... tout est là. Reprenant ses traces, elle préfère retrouver sa rouge, retrouver Mathilde.

Cette dernière l'attend étendue dans l'herbe, profitant du soleil.

— Alors, c'était chouette ?

— Jusqu'au coup sur la tête, c'était sympa.

— Quoi ?

— On m'a assommé dans le bois.

— Et on t'a pris quoi ?

— Ben, c'est ça qui cloche, rien.

— Hé hé, Tu te dis pas que c'est parce que tu n'as rien d'intéressant qu'on ne t'a rien pris

— Ah ah ah, très drôle. Tu ne m'en veux pas d'être un peu plus dans l’inquiétude que dans la rigolade. C'est super bizarre.

— Aller, réjouis-toi de t'en tirer avec une simple bosse et suis-moi, c'est à moi de choisir où on va cette fois.

— Comment ?

— Eh oui, c'était convenu comme ça. Je t'accompagnais ici et en contrepartie je choisissais la destination suivante. ! Tu ne t'en souviens pas ? On l'a convenu la nuit dernière...

— Non... Même si Alex a du mal à réfléchir, elle se demande si son black-out n'est pas un peu sur utilisé par son amie.

— Fais-moi confiance, installe-toi, j'ai déjà programmé. Il ne manque que toi pour pouvoir démarrer.

— Et ton bellâtre au fait ?

— Une belle bulle mauve mais toi tu as une rouge !

Le trajet permet à Alex de décompresser un peu et, se laissant conter ses quelques heures de folies, elle se détend et se réjouis de retrouver quelques bribes de souvenirs. Il n'y a pas lieu de s'étendre sur les frasques nocturnes mais elles avaient assurément procuré bien des joies. Avec tout autant de certitude, les bulleurs doivent se régaler en visionnant certaines séquences.

Elles s'arrêtent en milieu de matinée dans une petite ville, entourée de vertigineuses montagnes. Mathilde entraîne Alex dans une boutique de vêtements thermorégulés. Durant les essayages, cette dernière se rend compte qu'elle admire les choix et le goût de son amie mais n'imagine pas une seconde opter pour les mêmes choses. Elles trouvent toutes deux leur bonheur. La tenue de Mathilde prouve, aussi étrange que cela est, combien exubérance peut rimer avec élégance. Alex a choisi une dominante sombre avec des tâches de couleurs très vives. Le magasin étant rempli de ce type de modèle, ce devait être à la mode.

La bulle les amène rapidement au parc à vélos. Mathilde partage les provisions et tend un sac à dos à Alex. Autant répartir le poids !

Malgré une pente des plus raides, l'antigravité fait des miracles et une heure plus tard, on arrive à la file d'attente. L'avancée est lente mais plutôt régulière et permet de monter en pression avant le pic d'adrénaline attendu.

Arrivées en haut, les deux amies chaussent des sur-semelles. On leur donne une paire de spatules, les explications sur l'auto fixation et un numéro de couloir. Elles ne sont pas à côté, dommage. Ceci étant, les couloirs font environ trois mètres de large et sont séparés par des murs de coussin d'air assez hauts. Au milieu, la pente.

Alex chausse les spatules et s'élance. Effectivement, c'est une sensation des plus grisante. La vitesse augmentant, les stabilisateurs des spatules ne suffisent plus et les muscles sont sollicités. C'est assez naturel en fait. Alex est comme portée mais la vitesse entraîne une forme d'angoisse. La peur amène la crispation et l'équilibre se précarise. Finalement, Alex préfère céder, mettre fin à cette fuite en avant. Tomber avant que la vitesse n'augmente encore et avec elle la douleur de la chute.

Un peu sonnée Alex se relève en bas de la piste assez réjouie par sa dégringolade style flipper entre les coussins. Un peu mal aux fesses et un peu vexée mais c'était surtout sacrément intense et drôle ! Mathilde n'arrive que deux bonnes minutes après, un peu bougonne.

— Dis-donc, tu as dû pas mal tomber pour avoir mis aussi longtemps ?

— Je peux en effet confirmer l'utilité et la fiabilité des coussins. Tu peux ricaner, mais moi, j'ai pas perdu mon sac à dos...

— Ah M.… je ne m'en étais même pas aperçu.

En rendant spatules et sur-semelles pour chercher plus tranquillement, on leur rend le sac. Manifestement, cette mésaventure était habituelle et le ramassage des objets trouvés efficace.

Le chocolat chaud et la pâtisserie au vrai beurre de vrai lait de vache accompagnent gaiement les retours d'expériences des deux amies.

Elles décident de déterminer la destination suivante ensemble. « C'était le deal à la soirée... et patati et patata... «. Même si Alex doute sérieusement de plus en plus de la bonne foi de Mathilde et lui fait remarquer, cette décision lui convient très bien. Elle ne ronchonne donc pas longtemps, juste pour la forme, et se lance dans les projections d'aventures.

De retour dans la bulle, elles programment une étape pour arriver dans la soirée. Le temps de digérer non seulement les émotions, mais aussi le beurre.

Alex ne trouve cependant pas le sommeil et commence machinalement à visionner ses aventures. Finalement, la scénarisation transforme conséquemment la réalité et, bonne surprise, l'intimité s'en voit toute préservée. Les séquences sont courtes mais il y en a des centaines ! A priori, les images de la chute en spatules sont déjà en tête des vues, suivi de près par plusieurs séquences de la première soirée. Loin derrière, la Forêt des Grands, c'est par là qu'Alex veut commencer.

Elle comprend vite que la qualité des images explique le faible nombre de vues. Tout est affreusement sombre et Alex se résume à une silhouette. Une séquence est néanmoins à peine plus choisie par les bulleurs.

Au moment d'être assommée, on aperçoit une ombre qui tombe sur son crâne. Impossible d'identifier vraiment quoi. On distingue ensuite une forme qui se déplace rapidement, à quatre pattes semble-t-il.

Toute à sa déception, Alex renonce à visionner la soirée et préfère déconnecter. La fatigue était déjà là, il ne manquait que cela pour s'endormir. C'est d'habitude si facile.

Au réveil, elle retrouve Mathilde au pied de la bulle, en robe de soirée.

— Waouh, ça pique les yeux au réveil. J'imagine qu'on est arrivée ?

— Bravo Sherlock. J'ai même eu le temps d'aller choisir ta tenue. T'as un quart d'heure !

— Ok, c'est parti ! Cette précipitation permet d'enfiler la robe choisie par Mathilde sans avoir le temps de se poser trop de question, ce qui n'est pas plus mal.

D'immenses buffets regorgent de myriades de petits fours aussi riches en goût qu'en couleurs. Quelle excellente idée que d'avoir choisi un bal public. Et pas n'importe lequel, le plus couru de tout le réseau et pittoresquement appelé : La Guinguette. La chaleur est encore bien présente en ce début de soirée. La rivière en contrebas de l'immense terrasse apporte quelques brins de fraîcheur salvateurs. Juste ce qu'il faut pour nourrir l'envie d'une petite hydratation.

Attablée, sur la piste, devant les bars ou les buffets, partout une foule joyeuse rivalisant de tenues flamboyantes et toutes plus élégantes les unes que les autres. Bien sûr, Mathilde avait pris un contre-pied et choisi des robes de couleurs sombres, mais très intenses. Selon la lumière, de discrets reflets fixent les regards préalablement attirés par des échancrures savamment dessinées.

A l'occasion d'un petit crochet par les toilettes, Mathilde profite d'un tête à tête sans caméra :

— Alex, écoute-moi attentivement. On a juste le temps d'un pipi alors ne m'interromps pas.

Bluffée par le ton et un sérieux méconnaissable chez son amie, Alex se fige, suspendue.

— Depuis le début de ton trajet, nous t'utilisons pour passer des messages. A chaque étape nous avons provoqué les situations permettant de subtiliser ton écran de poche le temps nécessaire. Tout est planifié jusqu'à notre retour. Ce n'est que là que tu seras contrôlée, pas de risque tant qu'il y a les caméras. Elles prouvent également que tu n'y es pour rien. Tu retrouveras ta petite bulle bleue... Mais tu peux aussi rejoindre le contre réseau. Tu seras recontactée. Oublie pas de te laver les mains et viens enflammer la piste !

Alex a quand même besoin de quelques minutes et surtout de quelques mignardises pour encaisser. Il ne faut cependant pas trop laisser paraître. Et puis, la musique, un peu d'un autre temps mais si entraînante, si rythmiquement basique et si gaie compose une attirante invitation. Les harmonieuses gesticulations tout en décalage de Mathilde la montre revenue à son personnage habituel. Pour l'instant, profiter du voyage, voilà ce que veut Alex.

L'aube qui se lève dans la trouée de la rivière présente des couleurs pures, fauves. Leur intensité qui monte vient à bout des derniers irréductibles et des deux acolytes qui regagnent leur bulle.