1992-2012 : 20 ans de marché intérieur: le marché intérieur entre réalité et utopie -  - E-Book

1992-2012 : 20 ans de marché intérieur: le marché intérieur entre réalité et utopie E-Book

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Beschreibung

Le Livre blanc sur le marché intérieur puis l’Acte unique européen ont fixé l’achèvement
du marché intérieur au 31 décembre 1992. Vingt ans après l’échéance de ce terme,
le contentieux demeure dense, révélant ainsi la persistance d’obstacles aux libertés de
circulation.

Le rapport Monti en atteste et la Commission expose cinquante propositions dans
la communication « Vers un Acte pour le Marché unique - Pour une économie sociale de marché
hautement compétitive ». Ces ambitions, rapportées à celles des années 80, laissent entrevoir
que le marché intérieur peut paraître tant une réalité qu’une utopie. Une réalité car à l’évidence, nombre d’obstacles aux libertés de circulation ont été levés. Une
utopie, peut-être, si l’on s’attache aux taux effectifs d’utilisation des droits de circulation,
au constat d’entraves persistantes mais aussi à l’apparition de nouvelles formes d’entraves. La nécessité de parachever le marché intérieur conduit alors à réaffirmer l’interdiction des
entraves ainsi qu’à expérimenter de nouvelles méthodes afin de parachever le marché intérieur. Cet ouvrage intéressera les praticiens, professeurs et chercheurs en droit de l’Union
européenne.

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© Groupe Larcier s.a., 2014

Éditions Bruylant

Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 9782802744481

Collection de droit de l’Union européenne – série colloques

Directeur de la collection: Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux communautaire, dirige le master professionnel « Contentieux européens », président de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE)

La collection droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la même série

1. Le mandat d’arrêt européen, sous la direction de Marie-Elisabeth Cartier, 2005.

2. L’autorité de l’Union européenne, sous la direction de Loïc Azoulai et Laurence Burgorgue-Larsen, 2006.

3. Les entreprises face au nouveau droit des pratiques anticoncurrentielles : le règlement n°1/2003 modifie-t-il les stratégies contentieuses ?, sous la direction de Laurence Idot et Catherine Prieto, 2006.

4. Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire. Une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit, sous la direction de Sophie Robin-Olivier et Daniel Fasquelle, 2008.

5. Le commun dans l’Union européenne, sous la direction de Pierre-Yves Monjal et Eleftheria Neframi, 2008.

6. Doctrine et droit de l’Union européenne, sous la direction de Fabrice Picod, 2008.

7. L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, sous la direction de Jacqueline Dutheil de la Rochère, 2009.

8. Les droits fondamentaux dans l’Union européenne. Dans le sillage de la Constitution européenne, sous la direction de Joël Rideau, 2009.

9. Dans la fabrique du droit européen. Scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des communautés européennes, sous la direction de Pascal Mbongo et Antoine Vauchez, 2009.

10. Vers la reconnaissance des droits fondamentaux aux États membres de l’Union européenne ? Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, sous la direction de Jean-Christophe Barbato et Jean-Denis Mouton, 2010.

11. L’Union européenne et les crises, sous la direction de Claude Blumann et Fabrice Picod, 2010.

12. La prise de décision dans le système de l’Union européenne, sous la direction de Marc Blanquet, 2011.

13. L’entrave dans le droit du marché intérieur, sous la direction de Loïc Azoulai, 2011.

14. Aux marges du traité. Déclarations, protocoles et annexes aux traités européens, sous la direction de Ségolène Barbou des Places, 2011.

15. Les agences de l’Union européenne, sous la direction de Joël Molinier, 2011.

16. Pédagogie judiciaire et application des droits communautaire et européen, sous la direction de Laurent Coutron, 2011.

17. La légistique dans le système de l’Union européenne. Quelle nouvelle approche ?, sous la direction de Fabienne Peraldi-Leneuf, 2012.

18. Vers une politique européenne de l’énergie, sous la direction de Claude Blumann, 2012.

19. Turquie et Union européenne. État des lieux, sous la direction de Baptiste Bonnet, 2012.

20. Objectifs et compétences dans l’Union européenne, sous la direction de Eleftheria Neframi, 2012.

21. Droit pénal, langue et Union européenne. Réflexions autour du procès pénal, sous la direction de Cristina Mauro et Francesca Ruggieri, 2012.

22. La responsabilité du producteur du fait des déchets, sous la direction de Patrick Thieffry, 2012.

23. Sécurité alimentaire. Nouveaux enjeux et perspectives, sous la direction de Stéphanie Mahieu et Katia Merten-Lentz, 2013.

24. La société européenne. Droit et limites aux stratégies internationales de développement des entreprises, sous la direction de François Keuwer-Defossez et Andra Cotiga, 2013.

25. Le droit des relations extérieures de l’Union européenne après le Traité de Lisbonne, sous la direction de Anne-Sophie Lamblin-Gourdin et Eric Mondielli, 2013.

26. Les frontières de l’Union européenne, sous la direction de Claude Blumann, 2013.

27. L’unité des libertés de circulation. In varietate concordia ? Sous la direction de Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, 2013.

Remerciements

Valérie MICHEL

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

Chaire Jean Monnet UMR 7318 – DPCDIDE CERIC

Le présent ouvrage porte publication du colloque tenu à l’Université d’Aix-Marseille les 10 et 11 mai 2012. Cette manifestation n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Université d’Aix-Marseille, de la Faculté de Droit et de Science Politique, du Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires et de l’Institut national des sciences humaines et sociales. Que Messieurs Yvon BERLAND, Président de l’Université, Gilbert ORSONI, Doyen de la Faculté et Rostane MEHDI, Directeur du CERIC, trouvent en ces quelques mots le plus chaleureux remerciement pour leur soutien financier.

Cette manifestation doit également beaucoup au personnel administratif de la Faculté de Droit et de Science Politique et du CERIC, ainsi qu’aux doctorants du CERIC, auxquels nous exprimons notre plus vive reconnaissance.

« Cette publication n’engage que son auteur, et la Commission n’est pas responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations ».

Ont contribué à cet ouvrage

Vlad Constantinesco, Professeur émérite de l’Université de Strasbourg ;

Louis Dubouis, Professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille ;

Marc Fallon, Université Catholique de Louvain, Professeur ;

Matthieu Laurent, Heike Otterbein, Secrétariat Général des Affaires Européennes ;

Philippe Maddalon, Université Paris 1, Ecole de droit de la Sorbonne, Professeur ;

Jean Magnan De Bornier, Aix-Marseille Université, Professeur ;

Francesco Martucci, Université Panthéon-Assas Paris 2, Collège Européen de Paris, Professeur ;

Valérie Michel, Aix-Marseille Université, Professeur, Chaire Jean Monnet ;

Fabrice Picod, Université Panthéon-Assas Paris 2, Professeur, Chaire Jean Monnet.

Avant-propos

Valérie MICHEL

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

Chaire Jean Monnet UMR 7318 CERIC

Le livre blanc sur le marché intérieur puis l’Acte unique ont fixé l’achèvement du marché intérieur au 31 décembre 1992. Qu’en est-il vingt ans après l’échéance de ce terme ? L’achèvement du marché intérieur est-il une réalité ou encore un objectif vers lequel tendre ? N’est-il qu’une utopie mobilisatrice ?

À la lecture de divers actes des institutions de l’Union, il semble bien qu’il reste du chemin à parcourir : le 9 mai 2010, Monsieur Barroso préconise « Une nouvelle stratégie pour le marché unique » (1) et la Commission s’en fait immédiatement l’agent de réalisation en adoptant, dès juillet 2010, « l’Acte pour le marché unique I » contenant « 50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger ensemble » (2), dispositif complété par « l’Acte pour le marché unique II » d’octobre 2012 (3). Et la tâche est d’ampleur. Pour en cerner la mesure, il suffit de parcourir les « bilans programmes » dressés par la Commission : il faut « lever les obstacles à l’exercice des droits des citoyens de l’Union » (4), « lever les obstacles fiscaux transfrontaliers pour les citoyens de l’Union européenne » (5). La tâche est également délicate car il faudra aborder des réformes ou des actions qui n’emportent pas nécessairement la conviction de tous les États membres. Que l’on songe à l’interrogation de Mario Monti – « la question est de savoir si la directive sur le détachement des travailleurs continue de fournir une base adéquate pour gérer le flux croissant de travailleurs transfrontaliers bénéficiant d’un détachement temporaire, tout en protégeant les droits des travailleurs » (6) – à laquelle fait écho la proposition 30 de la Commission portant l’engagement d’adopter « une proposition législative en 2011 visant à améliorer la mise en œuvre de la directive sur le détachement des travailleurs, qui sera susceptible d’inclure ou d’être complétée par une clarification de l’exercice des droits sociaux fondamentaux dans le contexte des libertés économiques du marché unique » (7). Vaste programme à conduire dans un contexte tendu par la multiplication des signes de mécontentement des opérateurs économiques (8). Que dire de la nécessité de « lutter contre les distorsions du marché du travail induites par la concurrence fiscale dans l’UE » (9) ? À n’en pas douter, il s’agit là de questions épineuses dont la résolution nécessite une étude minutieuse de cette concurrence fiscale ou sociale tant stigmatisée (10). Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples pour mesurer l’ampleur des défis liés à la relance du marché intérieur.

Au-delà de ces aspects techniques, l’on est enclin à penser que l’achèvement du marché intérieur dépendra très largement de son appropriation par les citoyens européens. Il y a là, probablement, un des pas les plus importants à franchir. C’est du moins ce que laisse penser la lecture des résultats du sondage commandé par la Direction générale Marché intérieur et services (11). Ils font incontestablement réfléchir : pour 35 % des sondés le terme « marché intérieur » n’évoque rien ; le nombre d’associations négatives à l’évocation du marché intérieur augmente (la France est le pays dans lequel ce taux d’associations négatives est le plus élevé) ; 53 % des sondés ne voient aucun intérêt à travailler dans un autre État membre et de manière générale les citoyens de l’Union n’ont qu’une connaissance limitée de l’endroit où se renseigner sur leurs droits dans le marché intérieur.

Pour 44 % des sondés les normes nationales de protection des consommateurs sont abaissées (cette perception est plus importante qu’en en 2009 – 42 %) ; pour 41 % le marché intérieur est une menace pour l’identité et la culture nationales (36 % en 2009). Ce sondage révèle également que certaines règlementations pourraient être mal perçues par les citoyens européens dès lors que l’on constate que 44 % des sondés pensent que le piratage est acceptable lorsque le prix du produit original est trop élevé.

Mais, naturellement et heureusement, le marché intérieur ne suscite pas que des critiques : 52 % des sondés estiment que le marché intérieur est créateur d’emploi (ce pourcentage est néanmoins en baisse par rapport à celui de 2009 – 64 %) ; pour 47 % il garantit une concurrence loyale entre les entreprises dans l’UE (56 % en 2009), et 46 % pensent qu’il conduit à une baisse des prix des produits et services dans l’UE (51 % en 2009).

Relever le défi de la communication sur le marché intérieur semble donc primordial mais pour le moins difficile : une population de plus de 5 millions de personnes engendre nécessairement des situations contrastées, des perceptions différentes de la chose européenne et du marché intérieur. Les résultats sociodémographiques du sondage le prouvent : « si le marché intérieur n’évoque rien pour 28 % des femmes, c’est le cas de seulement 19 % des hommes. Le niveau d’étude des répondants a également un impact sur la propension des uns et des autres à répondre « ne sait pas » : si 16 % des personnes qui ont étudié jusqu’à 20 ans ou plus donnent cette réponse, ce chiffre s’élève à 23 % de celles qui ont arrêté leurs études entre 16 et 19 ans et s’élève même à 35 % de celles qui les ont terminées à 15 ans ou moins. La catégorie socioprofessionnelle des répondants a une incidence tout aussi importante. Si pour 37 % des personnes au foyer et 32 % des chômeurs le marché intérieur n’évoque rien, c’est le cas de seulement 15 % des directeurs et des indépendants. » (12) Il ne sera pas aisé d’éclairer adéquatement chacun des effets du marché intérieur.

(1) « Une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l’économie et de la société européenne », Rapport au Président de la Commission européenne.

(2) « Vers un Acte pour le marché unique – Pour une économie sociale de marché hautement compétitive – 50 propositions pour mieux travailler, entreprendre et échanger ensemble », Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 27 oct. 2010, COM(2010) 608 final.

(3) « L’Acte pour le marché unique II – Ensemble pour une nouvelle croissance », Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 3 oct. 2012, COM(2012) 573 final.

(4) Rapport 2010 sur la citoyenneté de l’Union, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, du 27 oct. 2010, COM(2010) 603 final.

(5) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, du 20 déc. 2010, COM(2010) 769 final.

(6) Rapport préc., p. 78.

(7) Voy. la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’exécution de la Directive 96/71 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, Doc COM 2012 (131) final, du 21 mars 2012.

(8) Voy. not. Y. Jorens, « Travail indépendant et faux travail indépendant dans le secteur de la construction au sein de l’Union européenne. Une étude comparative de 11 États membres », Rapport rédigé à la demande de partenaires sociaux européens du secteur de la construction, disponible sur le site de la Fédération Européenne des travailleurs du Bâtiment et du Bois, www.efbww.org.

(9) Rapport Monti, pré., p. 88.

(10) K. Maslauskaitė, Concurrence sociale dans l’UE : mythes et réalités, Notre europe, Études et Rapports, Juin 2013.

(11) Eurobaromètre spécial, n° 363, « Marché intérieur : Notoriété, perception et impact », Nov. 2011.

(12)Ibid., p. 16.

Sommaire

Remerciements,par Valérie Michel

Ont contribué à cet ouvrage

Avant-propos, par Valérie Michel

Ière Partie Le marché intérieur en 2012 : état des lieux

1992-2012 : état des lieux et enjeux du droit du marché intérieur, par Marc Fallon

IIème Partie Le marché intérieur : quelle réalité ?

Réalité sociale : quelle appropriation citoyenne ? *, par Vlad Constantinesco

Réalité politique : qui organise l’accès au marché ?, par Philippe Maddalon

Réalité économique : marché(s) et libertés de circulation, par Jean Magnan de Bornier

IIIème Partie Le marché intérieur : quelle entrave ?

Des entraves publiques aux entraves privées, par Fabrice Picod

L’entrave imputable à l’Union, par FrancescoMartucci

L’entrave résorbée : le développement d’une nouvelle méthode pour l’application du droit de l’Union européenne – l’exemple du réseau solvit, par Matthieu Laurent et Heike Julia Otterbein

IVème Partie Conclusions générales

Vingt ans de marché intérieur : le marché intérieur entre réalité et utopie, par Louis Dubouis

IèrePartie Le marché intérieur en 2012 : état des lieux

1992-2012 : état des lieux et enjeux du droit du marché intérieur

Marc FALLON

Professeur à l’Université catholique de Louvain (1)

En guise de célébration du 20e anniversaire du marché unique, la Commission offrait à l’Union un « Acte pour le marché unique », contenant « Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance » (2). Les thèmes choisis identifient la stimulation des activités des petites et moyennes entreprises – notamment par le développement de l’entreprenariat social, la simplification des normes comptables, l’ouverture des marchés publics –, des services – par des incitants en faveur du commerce électronique, du détachement de travailleurs, de la satisfaction de besoins collectifs par les services d’intérêt économique général – ou des transactions transfrontières de consommation, la mobilité des citoyens par la reconnaissance des qualifications, la protection unitaire des brevets, l’amélioration de l’infrastructure de réseaux de l’énergie et des transports. Entre-temps, la réalité a rattrapé l’agenda, y insérant d’autres pare-feu à la crise financière de la zone euro, appelant à une forme d’intégration financière, budgétaire, voire fiscale, accompagnée d’une intégration des niveaux de protection sociale.

Cette liste de mesures ponctuelles contraste avec l’ambition tranquille de l’Acte unique européen qui, en 1986, entendait canaliser les énergies en vue de l’adoption d’un paquet de mesures « destinées à établir progressivement le marché intérieur […] au 31 décembre 1992 » (art. 7A TCE). Cet élan fédérateur reposait sur la conception d’un « marché intérieur », désormais défini dans le droit primaire comme un « espace sans frontières intérieures » (art. 26 TFUE). L’échéance de 1992 devait ainsi marquer la naissance de ce marché unique.

Si la période historique du marché européen semble débuter ainsi en 1992, sa préhistoire remonte à 1972. Quatre ans après l’expiration de la période de transition, le sommet européen de Paris réunissant les chefs d’État ou de gouvernement, embryon de Conseil européen, marquait une manière de passage de flambeaux entre la génération des pères fondateurs et celle des constructeurs. Significativement, ses conclusions taisent l’effet direct des libertés et entendent réagir à diverses tensions du moment, liées à l’impact du premier élargissement, à la naissance de la préoccupation environnementale ou, déjà, à la nécessité de penser une union monétaire après une première grande crise monétaire.

L’axe 1972-1992-2012 semble avoir pour constante la préoccupation monétaro-financière. En quelque sorte, 2012 doit parachever l’esquisse d’une union monétaire dessinée en 1992 mais évoquée dès 1972.

De tels soubresauts, aux effets globalement néfastes sur l’opinion publique, affectent-ils ce qui reste le noyau dur du projet européen, le marché intérieur ? Au vrai, celui-ci semble resté à l’abri des vents de l’action politique. En marge des agendas, programmes et échéanciers, il évolue au gré d’un processus jurisprudentiel continu. Le slogan de son achèvement en 1992 exprimait autant une utopie qu’il masquait une réalité. D’une part, il niait la préexistence d’un espace normatif, né de la consécration de l’effet direct des libertés de circulation : une forme d’intégration négative a ainsi précédé la prise de conscience politique du marché européen. D’autre part, il donnait à croire à un achèvement de ce qui relève de l’inachevé (3) : il s’adressait aux institutions pour construire une intégration positive, alors que celle-ci est impuissante à créer un espace de circulation parfait et que l’intégration négative révèle plutôt un processus lent et continu, doté de sa dynamique propre, fait de réajustements constants.

Assurément, la Cour de justice s’est efforcée d’élaborer, au gré de la soumission de questions d’interprétation par les juridictions nationales, un véritable « droit du marché intérieur », ensemble normatif connaissant concepts, objectifs, principes généraux, et doté d’une structure systémique. Au lendemain de l’arrêt Van Gend en Loos (4), l’effet direct de dispositions relatives aux droits de douane s’est étendu aux autres libertés de circulation, à l’exception de la circulation des capitaux (5). L’année 1974, où sont prononcés les arrêts Van Binsbergen (6), Van Duyn (7) et Reyners (8), est une étape décisive (9) vers la perception d’un ensemble cohérent de normes applicables à toute situation entrant dans le domaine du droit du marché intérieur, identifiable comme une discipline à part entière dont les contours correspondent à l’ensemble constitué de la plupart des dispositions du traité qui, insérées dans une partie intitulée primitivement « Les fondements » (10), bénéficient d’un effet direct (11) : s’y ajoutent uniquement la disposition relative à l’égalité des sexes en matière de rémunérations et les règles de concurrence, cette cinquième liberté jugée complémentaire des précédentes (12). Petit à petit a émergé la prise de conscience d’un espace intérieur, notion au vrai empruntée à l’acquis prétorien (13) par la révision de 1986.

Au fil des ans, le dispositif normatif du droit du marché intérieur s’est construit autour d’un axe ayant pour composantes, d’une part la notion d’entrave, d’autre part la notion de justification d’une entrave. La première notion relève du concept d’applicabilité de la norme, ou hypothèse du dispositif normatif : elle fait partie de l’ensemble des critères servant à définir le domaine d’une liberté de circulation. La seconde est au cœur du régime des entraves : au principe d’interdiction fait face un dispositif de dérogation par une raison d’intérêt général. Appartient à ce dispositif, l’examen de proportionnalité de l’entrave à l’objectif poursuivi.

Signaler ces éléments comme des axes de ce que l’on peut appeler désormais un droit européen des entraves revient à montrer que, au fil de la jurisprudence, ils jouent un rôle essentiel pour la réalisation du marché intérieur et ce, pour l’ensemble des libertés de circulation – marchandises, services, capitaux, personnes, incluant le citoyen. La réalité n’est pourtant pas aussi simple. La notion d’entrave et le régime des justifications trahissent des incertitudes, générées par la nature évolutive d’un processus jurisprudentiel. L’un des enjeux majeurs semble concerner la place qui revient dans le processus normatif au concept de discrimination en raison de la nationalité, un élément qui n’est indifférent ni pour appréhender la notion d’entrave ni pour évaluer la compatibilité d’une réglementation avec le droit du marché intérieur.

I. – L’entrave, un concept unitaire émergent

Un concept unitaire d’entrave est apparu au fil d’une jurisprudence dont l’évolution a connu deux étapes. La première phase voit, dans le domaine des marchandises qui servira en quelque sorte de laboratoire aux autres libertés de circulation, un dépassement des seules mesures affectant spécifiquement les marchandises importées à l’exclusion du commerce national, mesures apparaissant d’emblée comme créant une différenciation arbitraire qualifiable de discrimination au sens du principe général inscrit désormais dans l’article 18 TFUE : cette phase voit un élargissement non maîtrisé, voire erratique, de l’entrave. La seconde phase voit la tentative d’un recentrage de l’entrave affectant les libertés économiques, autour du concept commun d’accès au marché.

A. – De la mesure protectionniste à la diversité normative

Au départ de la lettre du traité focalisée sur les mesures propres aux opérations transfrontières, la Cour de justice a conçu très tôt une notion couvrant toute mesure susceptible d’« entraver » le commerce entre États membres, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, par ce que l’on a pu appeler la « formule » Dassonville (14). Cette ouverture offrait la perspective de viser toute mesure de nature à gêner le commerce indépendamment d’un but protectionniste. L’arrêt Cassis de Dijon montrera aussitôt la couverture de toute norme technique portant sur la composition, la dimension, le poids, la dénomination, le conditionnement, l’étiquetage de produits, voire de « tout obstacle à la circulation intracommunautaire résultant des disparités des législations nationales » (15). C’est dire si l’entrave est désormais moins le fruit d’une politique unilatérale de l’État que d’un état objectif de diversité normative : la gêne est, pour le produit ou le service conforme à une norme du pays d’origine, de devoir s’adapter à une norme différente prévalant dans le pays de commercialisation. Par sa nature, cette norme est d’application territoriale, comme toute norme de marché : elle est « applicable indistinctement » aux produits nationaux comme aux produits étrangers (16).

Ce processus d’élargissement s’est étendu progressivement aux autres libertés de circulation (17), à la prestation de services d’abord (18), à la liberté d’établissement et à la circulation des travailleurs comme des capitaux ensuite (19), voire enfin à la citoyenneté (20). L’entrave est vue ainsi, dans les secteurs de l’établissement et des services, typiquement comme toute disposition qui rend la prestation entre États « plus difficile » que la prestation purement interne, ou qui autrement « interdit, gêne ou rend moins attrayant » l’exercice de la liberté (21), une formule qui permet nettement de couvrir, au-delà d’une mesure discriminatoire, une mesure indistinctement applicable (22).

La prise de conscience d’un élargissement du domaine d’application du droit du marché intérieur à cette nouvelle catégorie de mesures semble moins due à l’arrêt Cassis de Dijon, qui n’utilise pas les termes « applicables indistinctement » (23), qu’à des arrêts ultérieurs. L’arrêt Gilli du 26 juin 1980 marque une étape de formalisation (24), en énonçant qu’un État ne peut « déroger » à l’interdiction de mesures d’effet équivalent en justifiant sa réglementation par une exigence impérative « que lorsque [celle-ci] est indistinctement applicable ». L’arrêt Commission c. Irlande du 17 juin 1981 dissocie formellement mesure applicable indistinctement et mesure discriminatoire, en cause en l’espèce (25). Par la suite, seront visées toutes mesures, discriminatoires ou non. Ce mouvement jurisprudentiel affirme, à la fois, une forme d’unité de la notion d’entrave autour de toute mesure qui interdit, gêne ou rend moins attrayante / plus difficile la commercialisation de produits ou services étrangers que de produits ou services nationaux, et une forme de démantèlement au moment d’en examiner la compatibilité avec le traité, lors du contrôle de la justification, seules les mesures applicables indistinctement pouvant invoquer une raison impérieuse d’intérêt général (26). Sans doute ce phénomène est-il à la source d’une ambiguïté autour de l’appréhension originelle de la notion d’entrave, occultant une unité conceptuelle derrière une dissociation entre mesure discriminatoire et mesure indistinctement applicable.

Un premier signe du malaise apparaît d’emblée autour de la notion même de discrimination. De manière significative, les arrêts Dassonville et Cassis de Dijon ne se départissent pas réellement d’une évaluation en termes de discrimination, alors même que leur démarche entend élargir le domaine du régime des entraves au-delà des mesures discriminatoires (27). Le premier prend soin de vérifier que la mesure belge crée une « discrimination arbitraire » au sens de l’ex-article 36 TCE, que même une dérogation expresse d’intérêt général ne saurait justifier selon les termes du traité. Le second fait observer que la réglementation allemande « avantage » certaines boissons et « écarte » du marché national les produits d’autres États membres (28).

Un second signe s’exprime, en 1993, à l’occasion d’un « réexamen » de la jurisprudence par l’arrêt Keck & Mithouard, face à la mise en cause de « toute espèce de réglementations » (29). L’apport de l’arrêt Cassis de Dijon y est confiné aux normes concernant les conditions auxquelles doivent répondre les produits, par exemple en termes de composition ou de conditionnement. D’autres normes portant sur les « modalités de vente » d’un produit y échappent désormais (30), pourvu toutefois qu’elles s’appliquent de manière égale et affectent de manière égale produits nationaux et étrangers. En revanche, si l’une de ces deux conditions n’est pas remplie, la mesure est réputée entrer dans le domaine du traité (31). Cette jurisprudence semble marquer une différence entre mesures discriminatoires et celles qui ne le sont pas. En effet, l’arrêt prend soin de préciser préalablement que la soumission d’un produit à des normes différentes d’un État à l’autre en matière de revente à perte n’est pas constitutive d’une « discrimination », comme ne l’est pas non plus une norme applicable à toute opération localisée sur le territoire national. Pour autant, il se garde d’utiliser autrement le vocable de mesures « indistinctement applicables » qu’à propos des catégories d’entraves visées par l’arrêt Cassis de Dijon, non pour qualifier les termes des deux conditions que doit respecter une réglementation de méthodes de vente pour échapper à la notion d’entrave.

Cette jurisprudence participe d’un mouvement descendant au cours de cette première phase, visant à contracter la notion d’entrave. Un autre indice peut en être trouvé dans l’utilisation, dès cette époque, de la notion d’entrave « aléatoire » ou « hypothétique », pour exclure certaines réglementations du domaine du traité dont l’effet sur le commerce ne serait pas suffisamment sensible (32). Par ailleurs, sans toutefois que ce lien ait été exprimé clairement, l’enseignement de l’arrêt Keck & Mithouard rejoignait pratiquement celui de l’arrêt Groenveld, appliqué dès 1979 aux entraves à l’exportation (33), de même que le régime applicable aux monopoles nationaux à caractère commercial de l’article 37 TFUE. Il présentera aussi une analogie surprenante avec la position ultérieure de la Cour à l’égard des entraves affectant des situations purement internes (34). De fait, le contrôle de ces catégories spécifiques d’entraves se réduit pratiquement aux cas de mesures discriminatoires. En même temps, la présence de ce régime spécifique affectant plusieurs catégories d’entraves peut être vue comme une forme de recadrage ou de recentrage autour du concept de discrimination et comme un confinement corrélatif de l’approche Cassis de Dijon aux seules réglementations relatives aux conditions que doivent remplir les produits : cela signifierait un changement de perspective, où cette approche se présenterait comme l’exception plutôt que comme le principe.

Le malaise est lié pour une large part à l’absence de définition formelle, et d’une discrimination, et d’une mesure applicable indistinctement, phénomène probablement en relation avec la tendance de la jurisprudence des deux dernières décennies à chercher à vérifier l’existence d’une « restriction » sans se soucier de la qualifier de discriminatoire (35).

Certes, la jurisprudence européenne connaît la définition générale du principe d’égalité, comme le traitement différent de situations comparables – ou inversement, le traitement identique de situations différentes – à moins que la différenciation soit objectivement justifiée (36), et elle l’applique à l’interdiction de discriminations en droit agricole (37) ou en raison du sexe en matière de rémunérations (38), ainsi que, dans le domaine des libertés de circulation, en matière de fiscalité, directe ou indirecte (39). Pour autant, l’utilisation du critère de comparabilité des situations reste marginale dans le régime général des entraves (40), où la double utilisation des concepts de discrimination indirecte et de mesure indistinctement applicable conduira peu à peu à brouiller la distinction entre mesure discriminatoire et celle qui ne l’est pas (41), jusqu’à ce que la relation entre ces concepts se clarifie à la lumière des arrêts Radlberger et Commission c. Allemagne du 14 décembre 2004, rendus en grande chambre (42). À propos du système allemand de consignes obligatoires de boissons, l’arrêt en manquement rétorque à l’argument d’absence d’une « quelconque discrimination directe ou indirecte » que la mesure est bien constitutive d’une « entrave » et que « l’absence de discrimination » n’est pas démontrée mais bien que les dispositions en cause « n’affectent pas de la même manière » les boissons produites en Allemagne et celles en provenance d’un autre État (43). De son côté, l’arrêt en interprétation constate que la même réglementation, à la fois, est « indistinctement applicable » et n’affecte pas de manière égale produits nationaux et étrangers (44). La mention du critère d’affectation permet au demeurant à la Cour de rejeter l’application de la jurisprudence Keck & Mithouard, puisque la mesure ne respecterait pas la seconde condition posée par celle-ci (45).

L’enseignement de ces arrêts jumelés est précieux. Une mesure peut être en même temps discriminatoire et applicable indistinctement : c’est le cas lorsqu’elle est d’affectation inégale (46). De plus, cette condition-ci est empruntée directement à l’arrêt Keck & Mithouard, de sorte qu’un lien peut être fait entre la formulation des deux conditions posées par celui-ci et la définition d’une discrimination : celle-ci recourt au critère d’affectation, critère ne suffisant pas pour autant à distinguer une mesure indistinctement applicable. Bien au contraire, il y aurait corrélation entre cette notion-ci et celle de discrimination indirecte, ce que confirme la jurisprudence, antérieure ou ultérieure (47). Pour autant, toute mesure indistinctement applicable ne serait pas nécessairement discriminatoire : elle s’en dissocierait logiquement lorsqu’elle est d’affectation égale. L’arrêt Keck & Mithouard offrirait aussi, par le fait même, les éléments de définition d’une discrimination directe, visant une mesure d’application inégale aux produits nationaux et étrangers.

B. – En quête d’un critère unique : le critère de l’accès au marché

Assurément, l’importance des arrêts Remorques italiennes et Jetski prononcés en 2009 n’est plus à démontrer (48), où l’on voit la tentative d’une nouvelle typologie des entraves, faisant émerger le critère de l’accès au marché (49). Il y a tout lieu de croire que cette approche ait vocation à dépasser le secteur des marchandises, comme en atteste son extension au secteur des services (50) et à la liberté d’établissement (51). La solennité en est marquée par une formulation concise dont la portée précise reste pourtant à déterminer. L’une des difficultés tient à la relation entre discrimination et mesure applicable indistinctement, et une autre, à la place que reçoit le critère de l’accès au marché.

L’approche repose à vrai dire sur une double typologie. Celle des entraves est précédée dans l’arrêt « Remorques » d’une liste de « principes », à connotation normative, à savoir, dans l’ordre, ceux de non-discrimination et de reconnaissance mutuelle ainsi que l’obligation d’assurer « un libre accès aux marchés nationaux » – les deux derniers (52) mis en relation avec, respectivement, les jurisprudences Cassis de Dijon et Keck & Mithouard – (53). Ensuite sont distinguées – plus clairement dans l’arrêt « Jetski » – trois catégories de mesures, dans l’ordre, les règles qui ont pour objet ou pour effet de traiter « moins favorablement » les produits étrangers, les règles « indistinctement applicables » relatives aux conditions des produits, de même que, finalement, « toute autre mesure qui entrave l’accès au marché ». Cette seconde typologie, tout en évitant le terme « discrimination », se réfère implicitement au principe de non-discrimination préalablement rappelé, en épinglant les mesures « moins favorables », par l’objet ou par l’effet : la première hypothèse serait celle d’une mesure d’application inégale, ou discrimination directe, et la seconde, celle d’une mesure d’affectation inégale, ou discrimination indirecte. Par ailleurs, elle distingue formellement le cas de mesures « indistinctement applicables », mais à propos d’une catégorie précise de réglementations, celles concernant les conditions que doivent remplir les produits, avec renvoi à l’arrêt Cassis de Dijon. Enfin, le critère de « l’accès au marché » procède directement de l’arrêt Keck & Mithouard, lui aussi préalablement rappelé, qui l’utilise pour démontrer qu’une réglementation de méthodes de vente d’affectation égale sort du domaine du traité – et de la notion d’entrave – car elle « n’empêche pas » l’accès au marché ou « ne le gêne pas davantage » que pour les produits étrangers (54).

Faut-il voir ici une approche visant à faire du critère de l’accès au marché un critère commun de définition de l’entrave, ou plutôt un critère visant une catégorie résiduelle d’entraves, celles qui ne sont discriminatoires ni directement ni indirectement – quoique applicables indistinctement ? À tout le moins, l’usage fait de ce critère par les arrêts Remorques et Jetski montre qu’une réglementation portant l’interdiction d’utilisation d’un produit constitue une entrave « par l’effet », non par l’objet, et ce non parce qu’elle serait « moins favorable » mais du seul fait qu’elle influence le comportement des consommateurs, ce comportement même affectant par ricochet l’accès du produit au marché (55) : l’approche ne cherche pas à déceler, dans la mesure en cause, une quelconque affectation inégale des produits étrangers (56).

À la réflexion, la notion d’entrave paraît ici de nature à viser non seulement toute réglementation d’application inégale ou d’affectation inégale, mais encore toute réglementation d’affectation égale du moment qu’elle affecte l’accès au marché en fonction de son impact sur le comportement du consommateur. Certains arrêts, pourtant, semblent réticents à étendre la notion d’entrave à une mesure d’affectation égale (57), ne voyant pas dans ce cas que l’entreprise étrangère soit privée d’un avantage comparatif dans les conditions de concurrence avec les entreprises locales (58).

Cette typologie pourrait être présentée autrement encore, en fonction de la nature des réglementations en cause : dans le secteur des marchandises, il convient de distinguer la mesure applicable différemment aux produits étrangers et nationaux, la réglementation relative aux conditions que doivent remplir les produits, et toute autre réglementation. La deuxième, normalement, est applicable indistinctement, dès lors qu’elle est, par essence, d’application territoriale, mais elle est également d’affectation inégale : c’est parce qu’elle porte sur les conditions d’un produit que, par nature, cette réglementation affecte différemment les produits étrangers (59). Il en irait autrement, normalement, de toute autre réglementation, portant sur les méthodes de vente, voire sur l’utilisation de produits : celle-ci serait le plus souvent d’affectation égale, sauf exception (60) : l’arrêt Keck & Mithouard pourrait se comprendre en ce sens. Dans cette grille de lecture cependant, les jurisprudences « Remorques » et « Jetski » présentent une anomalie puisque entre encore dans la notion d’entrave une interdiction d’utilisation même d’affectation égale, voire une réglementation des modes d’utilisation, dès lors qu’elle affecte le comportement du consommateur et, partant, l’accès au marché. On pourrait alors constater que le critère de l’accès au marché est bien devenu l’élément déterminant, alors que le critère d’affectation servirait d’élément de preuve que l’accès au marché est concerné, sous forme d’une présomption positive si l’affectation est inégale et négative si l’affectation est égale.

Un autre critère fédérateur de la notion d’entrave pourrait encore être cherché à l’analyse du corpus jurisprudentiel. À cet égard, la prise en compte de la gravité relative d’une entrave pourrait fournir une piste intéressante.

C. – L’enjeu : vers l’explicitation d’une échelle de gravité relative des entraves ?

La jurisprudence Remorques italiennes et Jetski semble marquer un retour vers une acception large de la notion d’entrave, rompant avec une forme de contraction observée au lendemain de l’échéance de 1992. Elle n’est pas étrangère (61) à l’émergence d’une approche fonctionnelle de la notion englobant toute mesure ayant un effet « dissuasif », suffisamment sensible, sur le commerce entre États membres (62).

Au vrai, cette nouvelle approche est de nature à mieux rendre compte de la place de la notion d’entrave dans le processus d’appréciation de la compatibilité d’une réglementation avec le droit du marché intérieur. En effet, la notion figure seulement comme l’un des éléments servant à délimiter le domaine d’application de ce droit, aux côtés d’autres éléments, tels la notion de marchandise pour l’article 34 TFUE – ou la notion de service pour l’article 56 TFUE, de même que la notion de capitaux, de travailleur ou de citoyen pour les autres libertés de circulation –, ou d’autres éléments de nature spatiale ou temporelle (63).

Or, la délimitation du domaine d’application du droit du marché intérieur est sans incidence sur le contenu normatif de ce droit. Une chose est de fixer l’applicabilité d’une norme, autre chose d’en déterminer le dispositif. En d’autres termes, il est acceptable de penser largement la notion d’entrave séparément de sa sanction. Au cours de cette phase d’examen de l’applicabilité de la norme, la vérification de l’existence d’une discrimination, directe ou indirecte, peut être indifférente : en soi, une mesure peut affecter l’accès au marché, d’une manière ou d’une autre, et tomber dans un domaine d’application de la norme largement défini, tout en pouvant encore échapper à la sanction.

Ceci ne revient pas à poser l’inutilité de toute typologie des entraves au moment de déterminer l’applicabilité de la norme. En effet, un examen du degré de restriction peut servir ultérieurement, lors de la phase d’examen de la justification (64). Ce serait le cas si une corrélation peut être établie, par hypothèse, entre le degré de gravité d’une entrave et son incompatibilité. Autrement dit, il serait probable qu’une mesure d’application inégale soit jugée incompatible, alors qu’une mesure d’affectation égale, concernant l’utilisation d’un produit, ne le soit pas (65).

Ainsi, une échelle graduée de gravité relative des entraves pourrait être établie (66). Une telle graduation ne semble pas absente de la typologie de la jurisprudence Jetski, où la présentation des mesures en trois catégories peut se voir selon un ordre décroissant. La gravité maximale toucherait les mesures d’application inégale, qualifiables d’entraves « par l’objet », précédant d’autres entraves « par l’effet » (67), à savoir, dans un ordre décroissant, les mesures d’interdiction générale de commercialiser un produit – ou d’offrir un service –, puis les mesures imposant une condition que doit remplir un produit – celles-ci étant le plus souvent d’affectation inégale. Une gravité réduite caractériserait toute mesure d’affectation égale – ce serait normalement le cas d’une réglementation de méthodes de commercialisation ou de l’interdiction d’utilisation d’un produit –, suivies d’autres mesures encore, celles actuellement qualifiées d’entraves hypothétiques ou celles portant sur les modalités d’utilisation d’un produit sans en faire l’interdiction (68), voire encore toute réglementation ne privant pas l’opérateur étranger d’un avantage comparatif sur le marché national (69).

Une telle échelle graduée pourrait, à la limite, engendrer, au terme de la phase d’examen de l’existence d’une entrave, une forme de présomption d’incompatibilité ou de compatibilité, que la seconde phase d’examen portant sur la justification pourrait infirmer ou confirmer (70). À cet égard, une analyse de la jurisprudence reste à faire, visant à vérifier l’hypothèse selon laquelle au plus haut dans l’échelle de gravité, au plus grande la probabilité que la mesure soit déclarée incompatible au terme de l’examen de la justification et de la proportionnalité, et inversement : une mesure d’affectation égale pourrait se révéler le plus souvent compatible avec le traité (71). En ce sens pourrait aussi se comprendre, a posteriori, l’esprit de la formulation utilisée déjà en 1982 selon laquelle « les obstacles […] résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle réglementation, indistinctement applicable […], peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire les exigences impératives […] » (72). Ainsi pourrait s’expliquer encore que, dans le domaine de la circulation des marchandises, la Cour de justice ait admis inversement l’applicabilité du régime des entraves aux situations purement internes lorsque la réglementation constitue une discrimination directe, entrave atteignant le plus haut degré de gravité (73).

II. – La justification de l’entrave, un régime unitaire en quête d’identité

Il est peu de dire que l’inventivité du juge européen a pu s’exprimer dans l’édification d’un véritable système de justification des entraves à partir de textes embryonnaires, largement inspirés de la réglementation des échanges internationaux – les accords du GATT – ou, pour les personnes physiques, de la pratique convergente des États, textes jamais révisés. La liberté d’action laissée à la construction prétorienne (A) a permis un rapprochement substantiel des régimes des différentes libertés de circulation, exprimant une visée systémique (B). Dans l’ensemble, ce constat de réalité globalement satisfaisant laisse pourtant des brèches à colmater par une évolution, tantôt du droit primaire, tantôt du droit dérivé.

A. – Un système prétorien de justification des entraves

Ce droit prétorien a pour axes le concept d’intérêt général (1) et le contrôle du respect du principe de proportionnalité (2).

1. L’intérêt général, ferment d’une finalité sociale de l’Union

L’on sait qu’à côté des « dérogations expresses » formulées par le traité pour chacune des libertés de circulation, la Cour de justice a créé progressivement la notion d’« exigence impérative » d’intérêt général, due à l’arrêt Cassis de Dijon en 1979 pour le secteur des marchandises, ainsi que celle de « raison impérieuse » pour les autres libertés, implicite dès l’arrêt Van Binsbergen en 1974 (74), explicite depuis les arrêts « Assurance » de 1986 (75) et plusieurs arrêts de 1991 dont l’arrêt Gouda (76) pour les services, l’arrêt Vlassopoulou en 1991 (77) et l’arrêt Bosman en 1995 (78) pour les personnes, l’arrêt Trummer en 1999 pour les capitaux (79) ou encore l’arrêt D’Hoop en 2002 pour la citoyenneté (80). Pour l’ensemble de ces secteurs, ce type de justification est distingué formellement des dérogations expresses d’intérêt général. Cette dissociation est marquée par l’impossibilité pour une « discrimination directe » d’invoquer une justification autre qu’une dérogation expresse (81), alors qu’une raison impérieuse peut servir à justifier autant une mesure « indistinctement applicable » qu’une « discrimination indirecte ».

Il est peu risqué d’affirmer l’embarras du juge européen cherchant à insérer cette création prétorienne dans l’interprétation d’un texte auparavant compris comme ne permettant d’autre dérogation au principe d’interdiction des entraves que celles énumérées strictement par le texte du traité (82). En réalité, le juge européen a ajusté, avec bonheur, le droit du marché intérieur à l’évolution des valeurs de société, de nature à primer les intérêts économiques. Ce faisant, il n’a parfois fait qu’anticiper une adaptation du droit primaire réalisée au hasard de révisions successives, en particulier par l’intermédiaire de clauses d’intégration (aujourd’hui, les articles 9 à 13 TFUE). Par définition, la clause d’intégration tend à insérer une valeur dans l’ensemble des politiques de l’Union ou, en droit du marché intérieur, à transformer une raison impérieuse en raison expresse valable pour l’ensemble des libertés de circulation. Non sans une certaine solennité, le juge européen en est venu, dans ce contexte, à reconnaître à l’Union une véritable « finalité sociale » (83) et à développer globalement un réel acquis social (84)