2025, la dernière fête du Têt - Pierre Sautai - E-Book

2025, la dernière fête du Têt E-Book

Pierre Sautai

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Beschreibung

Début 2020. Le monde vacille sous l’assaut d’un virus mystérieux émanant d’un Empire rouge, à la propagation aussi implacable qu’inattendue. Passée la stupeur, viennent les soupçons. Et si cette pandémie n’était qu’une arme de domination massive ? "2025, la dernière fête du Têt" vous entraîne dans les sombres méandres de la politique internationale et des luttes de pouvoir omniprésentes en tissant ensemble des faits réels et des intrigues fictives. Ce récit offre une vision pragmatique d’un futur redouté et d’un passé récent trop rapidement oublié. À son terme, une seule question s’impose : fermerons-nous encore longtemps les yeux alors que le monde risque l’embrasement ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Sautai puise son désir d’écrire dans le souvenir de sa fille disparue. Citoyen du monde et observateur attentif, il scrute les bouleversements globaux, notamment la montée en puissance de la Chine, qui sert de toile de fond à cette œuvre.

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Seitenzahl: 217

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Pierre Sautai

2025, la dernière fête du Têt

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pierre Sautai

ISBN : 979-10-422-4780-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma fille, Ambre

Du même auteur

Aux Editions Amalthée :

– Élégies pour une jeune défunte, poésie, 2015 ;
– Îles, errances, océanes, poésie, 2016 ;
– L’insu de l’aube, poésie, 2017 ;
– Arborescences du crépuscule, poésie, 2017.

Aux Editions Vérone :

– Opium-opéra ou les tribulations d’un lyricomane, 2018.

Avertissement

Le présent roman est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes ayant existé ou existant ne serait que pure coïncidence. Les événements racontés dans ce récit – qui se déroulent dans une ville devenue célèbre dans le monde entier – correspondent à la réalité de la pandémie que le monde a connue durant les années 2020-2022. Il est bien évident que les conséquences politiques et militaires que l’auteur en tire pour les années suivantes ne sont que pure invention même si les dangers encourus, eu égard aux divers conflits actuels, doivent être constamment présents à notre esprit. En ces temps troublés, que ce soit en Europe centrale, au Moyen-Orient ou en Asie, les risques de guerre, y compris nucléaire, ne sont pas de simples spéculations. Il semble que les leçons de l’histoire n’aient guère été retenues.

Ainsi va l’histoire : l’obsession d’un instant est reléguée à la casse de l’oubli l’instant suivant.

Salman Rushdie, La cité de la victoire

Une ville bien tranquille

C’était une ville tentaculaire qui ne cessait de croître au point que l’on n’en comptait plus les millions d’habitants, dix, onze, douze, peut-être bien plus. Une ville à l’architecture moderne, faite d’acier, de verre et de béton, avec des gratte-ciels parmi les plus impressionnants au monde, et des parcs si immenses qu’on en oubliait que l’on se trouvait en ville. Elle était sillonnée par des autoroutes à six ou huit voies, des lignes de métro et de tramway dernier modèle souvent construites grâce à diverses technologies importées. Le voyageur qui y débarquait était d’abord subjugué par le gigantisme de l’aéroport international, l’un des plus grands du pays. Les avions qui y atterrissaient venaient de toutes les grandes capitales du monde ; la compagnie nationale française, Air France, y assurait trois vols par semaine à destination. Mais la gare, que l’on pouvait considérer comme une ville dans la ville, était tout aussi déroutante que l’aéroport avec ses quarante voies, ses trains à grande vitesse au profil futuriste imité des Shinkansen japonais et sa foule compacte de voyageurs et de badauds aux costumes bigarrés. Tant dans la gare que dans les parcs, les grandes surfaces et les rues, la sécurité était parfaitement assurée grâce à des milliers de caméras, souvent visibles, mais généralement bien dissimulées. La reconnaissance faciale, couplée à une armada de policiers très stricts sur le respect des règles de vie communautaire et des consignes du Parti, garantissait une surveillance redoutablement efficace des citadins.

La ville s'étendait au confluent de l'un des plus grands fleuves du pays et d'une rivière aux méandres très tortueux, à environ cinq cents kilomètres de la mer. Ce positionnement en faisait un grand port fluvial autour duquel s'étaient concentrées de nombreuses entreprises, notamment européennes et françaises, tirant parti de l'importance de son combinat sidérurgique. L’ensemble de ces atouts permettait que ces entreprises étrangères, en « joint-venture » avec des sociétés locales pour la forme, puissent y réaliser de substantiels profits grâce aux bas salaires par rapport à l’Occident, à l’absence de syndicats libres et donc à l’absence de grève. On y retrouvait Renault et son partenaire Nissan, Peugeot-Citroën, SEB, ainsi que les grandes chaînes de magasins et les marques de luxe dans la parfumerie, l’habillement et l’alimentation, comme Dior, Vuitton, Fauchon, ou encore les grands crus de champagne, que les riches habitants achetaient avec ostentation, fiers d’afficher leur niveau de vie. Les étrangers, Français ou autres, dits expatriés, y vivaient dans des conditions qu’ils n’auraient jamais connues dans leurs pays d’origine. Cadres d’entreprise, ingénieurs, directeurs ou enseignants, tous vivaient dans de beaux quartiers résidentiels à l’abri des miasmes des turpitudes urbaines, mais qui en réalité n’étaient que des ghettos luxueux que la police pouvait discrètement contrôler. Appartements modernes, bien chauffés et bien décorés, voitures de fonction ou de service, ces expatriés vivaient en marge de la ville dont ils ne fréquentaient guère les habitants en dehors du cadre professionnel ou de quelques manifestations culturelles ou consuméristes. D’ailleurs, il était vivement recommandé de ne pas trop s’intéresser à la vie politique du pays et d’exprimer ses opinions tant sur l’Empire et encore moins sur le Guide Suprême. Le risque en était une discrète rupture de contrat et un rapatriement immédiat. Seuls les étudiants en stage dans quelques universités désignées par les autorités politiques connaissaient des conditions de vie plus modestes.

L’université centrale de sciences et technologie de la ville avait initié une coopération avec des établissements d’enseignement supérieur français comme ceux de Belfort-Montbéliard et Lille II, notamment en ingénierie informatique. Mais la circulation des informations était à sens unique et le transfert de technologie sans contrepartie. D’ailleurs, la plupart des entreprises françaises ou occidentales dans l’automobile, l’aéronautique, l’informatique ou la biologie se faisaient régulièrement piéger dans ces prétendus accords de coopération. Les entreprises étrangères bien qu’ayant des cadres et même des directeurs étrangers restaient sous le contrôle d’un « patron » autochtone. Mais comme tout ce petit monde expatrié vivait dans des conditions princières, il fermait les yeux sur toutes ces anomalies et sur les agissements du « patron » ou du commissaire politique de l’entreprise.

En ce mois de novembre 2019, l’hiver s’était déjà bien installé sur la ville et la température oscillait entre 1 et 5 degrés. La neige avait fait sporadiquement son apparition, mais n’avait guère tenu dans les rues en raison de l’intervention rapide des services de voirie et aussi de la chaleur dégagée par les pots d’échappement des voitures. Les passants avaient sorti leurs épaisses doudounes de toutes les couleurs, leurs manteaux et leurs chapkas. Comme dans toutes les villes de l’Empire, les embouteillages étaient permanents malgré la gestion informatisée des feux tricolores tant la circulation automobile était dense.

Les illuminations de toutes sortes donnaient à la ville un perpétuel air de fête qu’accentuaient les haut-parleurs qui diffusaient en permanence de la musique entrecoupée de quelques slogans et consignes à respecter. Les centres commerciaux ne désemplissaient pas à la veille de la fin de l’année et à l’approche du Nouvel An, du moins de la date internationale du Nouvel An, car l’Empire fêtait officiellement avec moult manifestations la nouvelle année, le Têt, en février. Les restaurants refusaient chaque soir du monde, tant les citadins compensaient le manque de liberté par le shopping et la fréquentation des bonnes et moins bonnes tables. La population affichait son insouciance et sa bonhomie sous la très discrète surveillance des caméras bien à l’abri des regards. Des bandes de jeunes chahutant sur les trottoirs, la bouteille de bière à la main, étaient rapidement rappelées à plus de retenue par la police municipale qui patrouillait sans interruption dans les rues. Une fin de journée ordinaire dans cette ville gigantesque qui succédait à toutes les soirées ordinaires précédentes, après des journées de travail dans des usines géantes ou des administrations tout aussi gigantesques.

L’institut de virologie et de microbiologie, dénommé laboratoire P4, construit en plein cœur de la ville avec l’aide des étrangers, était magnifique avec son bloc de béton blanc et ses deux ailes qui se déployaient dans un joli parc arboré. Un mur d’enceinte de quatre mètres de hauteur le protégeait des regards indiscrets et l’accès en était doublement blindé. Impossible d’y accéder sans passe numérique à reconnaissance faciale et empreintes digitales. Les Français avaient largement contribué à la création et à l’édification de l’Institut. Il avait été inauguré en grande pompe par le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, qui s’était déplacé pour la circonstance. À peine un mois plus tard, virologues et microbiologistes français avaient été poliment remerciés pour leur collaboration et raccompagnés à l’aéroport pour un retour définitif en France. Récupérer les technologies et les connaissances scientifiques des étrangers sans leur permettre de travailler dans les laboratoires qu’ils avaient aidé à construire puis les éconduire avec quelques cadeaux de compensation était une activité couramment pratiquée dans le monde politico-scientifique de l’Empire rouge. Tout contrôle devenait impossible dans le fonctionnement et l’usage de ces laboratoires hautement dangereux. Les chercheurs français éconduits étaient partis en ignorant quelles recherches seraient effectuées dans cet institut et dans quel but. Les nouveaux maîtres de l’Institut s’étaient abstenus de tout commentaire à ce sujet.

Derrière son enceinte et ses hauts murs, l’Institut effectuait ses travaux de recherche dans l’indifférence générale de la population depuis son inauguration au point que plus personne ne portait attention à cet immense bloc de béton blanc. Un couple de chercheurs d’un haut niveau scientifique, Chan et sa collègue Mei-Ling, émettaient avec d’infinies précautions des doutes sur certains travaux effectués sur un virus nouveau plutôt bizarre dans le bâtiment C où le plus secret et le plus protégé des laboratoires était installé. Ils y avaient accès pour certaines de leurs recherches, mais après avoir franchi quasiment plusieurs sas de contrôle et littéralement déguisés en cosmonaute. Furtivement, ils observaient ce qui se passait dans les alcôves et sur les paillasses de ce laboratoire sans trop comprendre ce qu’ils voyaient. Ils observaient des hommes au travail, dans un silence glaçant, vêtus de combinaisons hermétiques les recouvrant de la tête aux pieds. À chaque sortie des locaux, ces derniers se désinfectaient entièrement. Tout était rangé dans des armoires fortes et les travaux s’effectuaient derrière des vitres blindées avec les mains doublement gantées usant de commandes numériques afin de manipuler derrière ces mêmes vitres des bras articulés. Rien ne filtrait sur ces travaux considérés comme top secret qui leur semblaient présenter des anomalies dans leur déroulement et leur publicité au sein du laboratoire lui-même. Respectueusement, ils firent part de leur étonnement à leur hiérarchie, puis à la direction du laboratoire.

Le directeur de l’institut les reçut avec une courtoisie feinte et leur expliqua que l’on manipulait dans ce bloc C un virus pour élaborer des vaccins contre les SRAS et autres H1N1 qui s’étaient répandus jadis dans le pays et dans le monde et qui, n’ayant pas totalement disparu, pourraient ressurgir dans un proche avenir. Ces travaux de recherche classés top secret étaient testés sur des rats, des marsupiaux, des chauves-souris et des pangolins.

— Pourquoi ces animaux sont-ils remis en liberté et apparemment se retrouvent pour certains sur les marchés ? demanda Mei-Ling.
— Il n’y a aucun danger, ils sont parfaitement sains et sans danger pour la population ; ils pourraient être consommés sans risques, le vétérinaire a délivré les certificats de conformité aux normes sanitaires.
— N’est-ce pas risqué, cependant ? s’étonna Chan.
— Camarade, occupez-vous de vos propres recherches et ne vous mêlez pas du travail du bloc C et soyez discrets. Quand ces recherches en cours auront abouti à un résultat définitif, une communication sera faite auprès de l’ensemble des chercheurs de l’Institut et dans les revues scientifiques.

Ces virus venaient d’une région située au nord-ouest de l’Empire, ramenés d’une carrière où trois ouvriers avaient trouvé la mort dans des conditions mystérieuses. Ils avaient été rapportés à l’Institut pour analyse et pour y être enrichis à des fins bactériologiques au risque de fausse manœuvre et d’une insuffisante sécurité. Ce rapatriement de virus avait été fait sous escorte militaire et dans le plus grand secret, ce qui avait étonné plusieurs chercheurs de l’Institut, dont Chan et Mei-Ling.

Tous deux comprirent vite qu’ils avaient intérêt à se taire. À leur sortie du bureau du directeur, ils tombèrent, par un curieux hasard, sur le commissaire politique qui leur rappela avec fermeté les règles déontologiques du Parti. Pendant trois jours, il ne se passa rien ; ils vaquèrent à leurs travaux de microbiologie dans un climat empreint de suspicion. Le quatrième jour, Chan fut informé par son chef de laboratoire que par nécessité il était changé de service sans explication. Mei-Ling restait dans son laboratoire, mais se vit adjoindre un collaborateur peu bavard, mais très curieux.

Deux laborantins quelque peu excités qui eurent la mauvaise idée de critiquer bruyamment l’organisation du travail des chercheurs et la direction discrétionnaire du laboratoire furent sur le champ convoqués par le commissaire politique du Parti pour faire leur autocritique. Ils furent immédiatement sanctionnés par une perte de vingt points sur leur capital social et mis à pied pour un mois. Ils disparurent discrètement de l’organigramme de l’institut ; en réalité, ils furent envoyés en centre de rééducation et de formation professionnelle pour « faible discipline au travail » et « mentalité arriérée ».

Apprenant cette soudaine disparition, Chan et Mei-Ling d’un commun accord décidèrent de se taire et d’observer. Ils ne se parlaient pratiquement plus dans le travail et ne s’adressaient que très peu à leurs collègues, se contentant de plaisanteries sur la vie quotidienne. En prenant le maximum de précaution, ils notèrent tout ce qu’ils entendaient et voyaient. À leur domicile, Chan et Mei évitaient de parler boulot, laboratoire, virus ou politique. Leurs conversations avec leurs parents ou amis tournaient autour des tâches ménagères, des courses, de la voiture ou de la santé. On ne sait jamais, il pourrait y avoir un micro dans les appartements que leur fournissait le laboratoire. Ils évitaient de s'exprimer ou de publier sur les réseaux sociaux comme Sino Weibo ou WeChat, conscients que la censure les surveillait de près. Ne pas respecter les strictes règles imposées par le régime pouvait les mener directement en centre de rééducation. Progressivement, la méfiance s’installa dans leur esprit vis-à-vis de leur environnement social. Tous deux craignaient la délation si courante dans le pays qu’elle était devenue un sport national encouragé par le Parti. Leur vie s’en trouva soudain bouleversée. Il leur fallait faire attention au contenu de leurs conversations lorsqu’ils se rendaient au café ou au restaurant, lors de rencontres amicales ou quand ils faisaient leurs courses. Ils se rendaient dans les principaux parcs de la ville pour discuter entre eux à voix basse en usant d’un langage codé. La vie, lentement, devenait pour eux un enfer ; ils se rendaient au laboratoire l’estomac noué, craignant chaque jour quelques questions déstabilisantes. Ils entendaient d’étranges rumeurs qui couraient dans la ville, mais rien ne filtrait dans la presse ou à la télévision qui poursuivait inexorablement sa propagande à la gloire du Parti et du Guide Suprême. Curieusement, les rares chaînes de télévision étrangères captées étaient sans cesse perturbées ou brouillées.

Quelques jours après la disparition des deux agents trop bavards, un cordon sanitaire fut installé autour du laboratoire à dix mètres de l’enceinte avec barrières métalliques et blocs de béton. Plusieurs guérites furent posées pour des sentinelles de l’armée dont la mission fut d’éloigner tout passant ou curieux potentiel. Des voitures blindées entraient et sortaient du laboratoire, un ballet qui ne cessa de surprendre les habitants des îlots voisins. Les animaux ayant servi de cobayes continuaient d’être relâchés dans la nature ou revendus au marché de la ville pour la consommation alimentaire. L’agent chargé de se débarrasser des animaux s’étonna qu’on les remette dans le circuit du marché ou en liberté alors qu’ils avaient servi de cobayes pour des virus sans s’assurer qu’ils n’aient aucune maladie ou infection dangereuse pour les consommateurs. Ils ne sont pas dangereux, lui affirmait-on en leitmotiv, les certificats de bonne santé ayant été signés par les autorités scientifiques. Il lui fut sèchement signifié qu’il devait se contenter d’obéir aux consignes, qu’il n’avait pas à juger, car ce n’était pas son affaire. Il fut fermement prié de se taire dans une note lui rappelant les règles de confidentialité et l’obligation absolue de réserve sous peine d’une sanction immédiate qui pourrait aussi concerner sa famille.

Des dizaines de personnes, marchands, livreurs, consommateurs, tombèrent curieusement et brutalement malades au marché central de la ville éprouvant de forts maux de tête, une fièvre élevée, une fatigue intense accompagnée de douleurs musculaires et de troubles pulmonaires. De nombreux malades, accueillis dans le service d’urgence de l’hôpital voisin par des infirmiers et médecins quasiment déguisés en cosmonaute pour éviter toute contamination, décédèrent d’insuffisance respiratoire. Cet afflux inopiné de malades rapidement décédés en quelques jours parut suspect. Les ambulances se succédaient à l’entrée des urgences toutes sirènes hurlantes, ce qui ne manqua pas d’intriguer les passants ou les automobilistes. Le journaliste de service, lors du bulletin télévisé du soir, impeccable dans son costume bleu foncé, fit état de quelques graves intoxications diverses, sans doute alimentaires, autour du marché et demanda à la population de ne pas s’inquiéter et d’éviter d’acheter de la viande d’animaux qui pourrait être impropre à la consommation. Le lendemain, le maire de la ville et membre du Parti intervint en personne pour rassurer la population et affirmer que la situation était maîtrisée par les médecins et que la cause de cette intoxication était identifiée par les chercheurs de l’Institut. C’était la première fois que l’on mentionnait officiellement l’Institut de recherches P4 sur les antennes depuis son inauguration.

Intrigué par ces décès, un médecin s’inquiéta de cette étrange maladie et prévint la hiérarchie de son hôpital. Il écrivit un court article dans la revue médicale du centre hospitalier et lança une alerte sur son compte « Wechat ». Le docteur Li Wen Liang fut convoqué par le commissaire politique des hôpitaux de la ville pour remontrances et rétractation. Le commissaire l’accusa de saboter le travail des chercheurs et de répandre de fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public et lui demanda de confirmer par écrit ses erreurs. Il refusa et fut incarcéré. Curieusement, il fut atteint de cette étrange maladie, éprouvant de fortes fièvres et des douleurs aux poumons, puis mourut dans son propre hôpital où la police l’avait ramené à l’agonie. Le docteur Li décéda sans que sa famille soit prévenue. Yu Zhi Yong, son ami de longue date, s’étonna de sa disparition et de sa mort qui lui sembla suspecte. Il se rapprocha de sa famille dans le désarroi et, en son nom, il adressa un courrier comminatoire à l’hôpital, exigeant des explications immédiates sur le décès de son ami, qu’il fit transmettre par un avocat connu en ville, Lang Zhu. Pour toute réponse, tous deux furent convoqués par le commissaire politique de l’hôpital, puis par la police.

Dans les jours suivants, à l’hôpital, les médecins, débordés par l’afflux de malades présentant les mêmes symptômes, ne comprirent pas ce qui se passait en ville et surtout autour du marché principal. Ils demandèrent à la direction de tenir une réunion sur cette situation anormale et inexplicable. L’évolution étrange de cette soudaine prétendue intoxication les inquiétait d'autant plus que les autres hôpitaux de la ville recevaient également de nombreux patients souvent dans un état lamentable. De plus, la référence au laboratoire P4 en lien avec cette intoxication les surprenait.

Mortifère Nouvel An

En décembre 2019, l’intoxication avait pris une telle ampleur qu’elle fut considérée comme hautement contagieuse sans que l’on sache comment, pourquoi et par quel vecteur. Les médecins et directeurs d’hôpital décidèrent à la suite de leur réunion d’augmenter le nombre de lits pour ces nouveaux malades et d’accroître les places en réanimation. Les malades commençaient par présenter les symptômes d’une forte grippe accompagnée d’une importante fièvre, de douleurs intercostales, de maux de tête, de difficultés respiratoires avant de suffoquer et de mourir des suites d’une déficience pulmonaire. L’extrême contagiosité de cette nouvelle maladie mit en danger la vie des médecins et infirmières qui pour se protéger furent contraints de porter un équipement protecteur de la tête aux pieds et de se désinfecter constamment les mains voire les pieds dans un pédiluve. Dans l’incompréhension totale de ce qui se passait, la municipalité décida de boucler le quartier du marché central et de fermer progressivement la ville. À son tour, le comité de région invita la population à ne plus se rendre dans la capitale régionale et à éviter de se déplacer sans raison majeure, car la région semblait être lentement contaminée par la maladie. Les nationaux originaires des marches de l’Empire, souvent persécutés en raison de leur tradition bouddhiste ou de leur religion musulmane, furent sommés de retourner dans leur province sans explication, et certains furent même expulsés de force. À la fin du mois, la ville fut interdite à toute personne non résidente. La gare ferroviaire fut fermée et les autocars de toutes les compagnies furet priés de rester au garage.

Dans les premiers jours de janvier 2020, le maire et la direction du Parti décrétèrent l’isolement total de la ville et la municipalité demanda à tous les étrangers, touristes ou résidents qui le pouvaient, de quitter la ville le plus rapidement possible avant la fermeture de l’aéroport. En quelques heures, les halls de l’aéroport furent envahis par des milliers d’étrangers, hommes, femmes, enfants et bébés, encombrés de bagages hétéroclites dans une pagaille bruyante et fébrile. Américains, Russes, Japonais, Anglais, Français, Allemands, Africains et quelques autres nationalités se bousculaient devant les comptoirs d’embarquement dans un indescriptible désordre amplifié par les cris d’énervement et les pleurs d’enfants malgré l’organisation quasi militaire mise en place par la police pour faciliter les formalités de départ. Le quinze du mois de janvier, l’aéroport fut à son tour fermé et tous les vols annulés. Quelques dizaines d’étrangers, étudiants ou exerçant des fonctions d’ingénierie dans les entreprises restèrent soit dans l’impossibilité de partir, soit dans l’obligation de rester.

Les étrangers partis, la direction régionale du Parti décida le confinement de toute la population de la ville chez elle avec interdiction absolue de sortir sous peine de sanction financière et pénale. En quelques heures, la ville fut envahie par un silence inquiétant et se transforma en ville fantôme. Plus une voiture dans les rues, plus un vélo, plus un piéton sur les trottoirs, toutes les boutiques closes, tous les marchands de rues disparus ; seuls les feux tricolores continuaient de clignoter aux carrefours déserts. Ne circulaient que des ambulances qui ne cessaient pas de faire hurler leur sirène et les patrouilles de policiers en tenue protectrice blanche ou bleue contrôlant le respect de l’isolement. De légers flocons de neige recouvrirent lentement l’immensité vide des rues d’où s’était brusquement absentée la vie.

Le monde entier était tenu volontairement dans l’ignorance de la réalité des événements graves qui se déroulaient dans la ville. Aucune information ne fut adressée à l’OMS, si ce n’est un laconique télégramme évoquant une sporadique infection contagieuse en voie d’être jugulée. Les télévisions étrangères diffusèrent des images de la ville déserte et des interviews de médecins autorisés à s’exprimer ou de citadins choisis par les autorités. Les étrangers à leur arrivée dans les aéroports de destination racontèrent aux journalistes le peu de choses qu’ils savaient et qu’ils enjolivèrent tout en noyant leurs propos dans une avalanche de peur et de supputations fantaisistes. Les télévisions nationales de l’Empire montraient des quartiers bouclés, des rues barrées, voire cadenassées avec des chaînes, des policiers en armes, montant la garde et chargés d’en interdire l’accès. Une seule personne par famille était autorisée à sortir une heure deux fois par semaine avec masque obligatoire pour effectuer ses achats de produits alimentaires. Mais aucune information n’était donnée sur les causes et la nature de ce mal qui frappait soudainement cette ville industrielle ; la population était tenue dans l’ignorance, car les journalistes ne savaient pas eux-mêmes ce qui se produisait en ville et se perdaient en conjectures plus ou moins rassurantes en reprenant les communiqués officiels des autorités locales. Les images montraient également des mouvements de troupes qui prenaient position autour de la ville et construisaient un immense hôpital militaire de campagne. On pouvait voir des hommes en blanc asperger les murs des immeubles, les trottoirs et les chaussées avec des produits censés désinfecter les espaces publics. Les caméras montraient des robots montés sur roues circulant pour surveiller et rappeler à l’ordre tout individu enfreignant les consignes sanitaires. Dans le domaine de la surveillance des populations, l’Empire était à la pointe du progrès et le premier pays au monde. En même temps, les militaires empêchaient toute entrée ou sortie de la ville dont ils contrôlaient tous les accès par voie aérienne, ferroviaire ou routière. Ainsi la ville était-elle totalement isolée du reste du pays et du monde. Les pays lointains, Europe, États-Unis, Afrique ne s’inquiétèrent pas outre mesure de ce qui se passait dans cette ville éloignée et continuèrent à vivre dans l’insouciance des vacances de fin d’année. Habitués aux mensonges et au goût du secret de l’Empire rouge, ils n’accordèrent aucune importance aux informations qui leur parvenaient de manière contradictoire. Seuls les pays limitrophes ou voisins comme le Vietnam, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, la Mongolie et même le Japon, qui suivaient avec attention l’évolution de cette étrange maladie, prirent au sérieux les informations parcellaires de leurs correspondants de presse et surveillèrent de près les événements et l’évolution de la situation sanitaire de cette ville de l’Empire.

Une ville morte