30 jours ! - Hélène Vasquez - E-Book

30 jours ! E-Book

Hélène Vasquez

0,0

Beschreibung

Par un méchant coup du sort, Joy se retrouve entre la vie et la mort dans le bureau de L’homme en noir. Une chose est sûre : son corps va mourir, mais le devenir de son âme est encore incertain, car sa vie a été loin d’être parfaite.
Ainsi, deux options s’offrent à elle pour son rachat : la condamnation au purgatoire pour la décennie à venir afin de faire ses preuves ou trente jours pour sauver une vie et gagner ses ailes, en posant un seul acte par jour dans le monde des vivants.
Le choix de Joy est vite fait : trente jours ! Seulement, que fera-t-elle quand elle découvrira qui elle doit sauver ? Pourra-t-elle réussir ce défi malgré les efforts et les remises en question que cela lui impose ?
Découvrons-le ensemble au fil des pages.

À PROPOS DE L'AUTEURE

L’écriture s’est imposée à Hélène Vasquez comme une évidence en 2016. Déjà auteure de plusieurs romans dans le genre suspense psychologique, elle opte cette fois pour un style plus léger et teinté d’humour avec 30 jours !

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 367

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Hélène Vasquez

30 jours !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hélène Vasquez

ISBN : 979-10-377-3566-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les amis sont des anges silencieux, qui nous remettent sur nos pieds quand nos ailes ne savent plus comment voler.

Victor Hugo

Romans déjà édités

Je veux toucher les nuages, Éditions Les Nouveaux Auteurs, lauréat du prix Femme Actuelle 2018 en tant que coup de cœur des lectrices ;

La dernière lettre, Éditions Alter Real, avril 2019 ;

Toc, toc, toc…, Éditions LC, décembre 2019 ;

Au-delà la vague, Éditions LC, novembre 2020.

Prologue

Il faut plusieurs secondes à mes pupilles pour s’habituer à la pénombre ambiante qui règne et pour distinguer ce qui m’entoure : une pièce des plus sommaires, meublée d’un bureau sans apparat, derrière lequel est assis un homme brun, austère, vêtu d’un costume noir étriqué. En d’autres circonstances, une multitude de sarcasmes me viendraient en tête devant son air pincé, mais l’aura glaciale qui émane de lui les avorte avant qu’ils n’aient le temps de germer. Je ne connais pas cet homme, je ne sais pas comment je suis arrivée ici, et une peur irrépressible fond sur moi pour faire courir un frisson glacé le long de mon dos. Mon hôte, qui faisait fi de ma présence, lève enfin ses yeux charbonneux de ses dossiers pour les poser dans les miens, comme s’il cherchait à sonder les tréfonds de mon âme.

— Bonjour, Joy.

Il connaît mon nom…

Mal à l’aise, j’en oublie de lui retourner sa salutation, pour questionner, la gorge nouée :

— Où suis-je ? Qui êtes-vous ?

Sans montrer la moindre émotion, il m’annonce l’impitoyable et terrifiante vérité :

— On va dire que tu es dans l’antichambre de la mort et je ne sais pas encore ce que je vais faire de toi. Quant à qui je suis… Cela a-t-il une réelle importance ?

Dans l’antichambre de la mort ?

Je commence à défaillir et je dois prendre sur moi pour ne pas tomber.

— Je suis morte ?

— Pas encore, mais cela ne va pas tarder.

Je déglutis péniblement face à mon interlocuteur toujours impassible.

— Comment ça ?

— Tu as eu un accident et tu es dans le coma. Il faut maintenant que je décide du sort de ton âme lorsque tu vas trépasser, et comme ta vie a été loin d’être parfaite…

Un accident ?

J’ai beau me creuser les méninges, je ne me rappelle pas avoir eu un accident et toute cette mise en scène est du grand n’importe quoi ! Il n’y a qu’une seule explication logique à ce qui m’arrive : je nage en plein cauchemar. Il suffit donc que je me réveille pour y mettre un terme et reprendre le cours de mon existence. Je baisse les paupières en me concentrant de toutes mes forces pour sortir de ce délire…

Réveille-toi ! Vas-y, réveille-toi !

Au bout d’un laps de temps incertain, je me risque à ouvrir un œil et à mon grand damne, je n’ai pas recouvré la chaleur protectrice de mon lit. Bien au contraire ! L’homme en noir me regarde d’un œil dédaigneux avant de déclamer avec froideur.

— Tu ne rêves pas, tout ceci est bien réel, et je suis désormais le seul à pouvoir t’offrir une issue acceptable.

Mes craintes étaient donc justifiées… Même si j’étais à mille lieues d’imaginer l’ampleur qu’elles allaient prendre en quelques minutes ! Je vais être jugée, ma vie va être jugée, et à cette idée mon malaise va grandissant. Je sais que je ne suis pas ce que l’on peut appeler communément une « gentille ». Mais quand même ! Pas au point d’être nourrie, logée et blanchie par Lucifer.

Si ?

À ce moment précis, apparaissent dans son dos deux portes d’où s’échappent par leurs interstices des lumières contraires. À droite, un halo blanc lumineux qui me tend les bras et à gauche… Une lueur rougeâtre, ondoyante, qui me laisse imaginer sans difficulté ce qui se cache derrière. Une certitude s’impose à moi et me permet de me ressaisir : je ne dois pas, au grand jamais, franchir la seconde !

— Que va-t-il m’arriver ?

Enfin, un discret sourire apparaît sur son visage.

— Ne t’inquiète pas, tu n’as pas été assez mauvaise pour brûler en enfer, mais tu n’as pas non plus mérité ta place au paradis. Deux options s’offrent désormais à toi. Soit, je te condamne au purgatoire pour la prochaine décennie afin de faire tes preuves, soit…

— Au purgatoire ?

L’enfer, le paradis, je visualise assez bien. En revanche, le purgatoire reste une idée abstraite que je ne suis pas sûre d’apprécier.

— Oui, ton esprit restera sur terre pour aider des âmes innocentes à ne pas s’égarer.

Incapable d’en entendre plus sans me sentir mal, je coupe court pour connaître la seconde option, en croisant les doigts pour qu’elle soit plus heureuse.

— Soit ?

— Soit, je te laisse un mois pour te racheter et me prouver…

Une bouffée d’espoir m’envahit à l’idée de pouvoir retrouver ma vie, et de nouveau, je ne le laisse pas finir.

— D’accord, je vais me racheter ! Comment dois-je faire ?

Sans faire cas de ma question, il poursuit, implacable.

— … Et me prouver que tu mérites tes ailes.

L’information est reçue cinq sur cinq. Je déchante, mes espoirs s’envolent, car dans tous les cas, je vais mourir et seul l’après diffère.

— Tu auras exactement trente jours pour sauver une personne. Mais attention ! Tu seras invisible et tu ne pourras agir qu’une seule fois par jour. Une seule action par jour qui aura un impact direct sur le monde des vivants.

Moi qui déteste le commun des mortels, je vais devoir aider l’un d’entre eux avec des moyens plus que limités ! Cela me semble fou, irréalisable, pourtant je n’ai pas vraiment le choix… Car l’idée de les côtoyer pour les dix prochaines années, en mode esprit frappeur trainant ses chaines, est encore pire.

À cette idée, je réprime un fou rire nerveux avant d’acquiescer dépitée.

— D’accord.

Satisfait, il joint les mains, avant de m’apporter une précision, et non des moindres, sur mon épreuve à venir.

— Ah, j’oubliais… Si ton corps meurt avant que tu aies atteint ton but, tu auras échoué.

J’ai relevé de nombreux défis dans mon existence et je suis bien déterminée à réussir celui-là ! C’est aujourd’hui une question de vie ou de mort…

Enfin, de paradis ou d’enfer.

— Et qui vais-je devoir sauver ?

Un rictus, beaucoup trop diabolique à mon goût, déforme ses traits et j’ai juste le temps de l’entendre murmurer :

— Surprise…

Jour 1

Vendredi 22 mars, 22 h 30

— Je n’aime pas les surpriiiiiises…

Mon cri est amplifié par ma chute, une chute sans fin, qui me propulse à une vitesse vertigineuse dans une sorte de tunnel. Il m’aspire inexorablement sans que je puisse rien faire pour ralentir ma dégringolade. Si mon corps était encore de la partie, j’imagine sans difficulté le haut-le-cœur que je ressentirais à ce moment précis ! J’ai l’impression d’être prise au piège dans des montagnes russes démoniaques. Et peut-être est-ce le cas, peut-être que L’homme en noir a changé d’avis et qu’il m’a éjectée vers les enfers. Adieu mes jolies ailes sur mon adorable petit corps… Bonjour, cheveux hirsutes et peau brunie par la damnation éternelle ! Après chacune de mes petites médisances, je me disais que l’enfer n’attendait que moi et que c’était très bien ainsi, car au moins il y ferait bien plus chaud que dans les cieux. Mais maintenant que l’instant fatidique se rapproche, je me rends compte que je n’avais jamais espéré être exaucée !

— Pitié… Pitié ! Je serais gentille, je vous le promets.

Enfin, j’essayerais…

Ma course folle ralentit enfin et lorsque l’image devant mes yeux se stabilise, je suis soulagée de constater que le décor qui m’entoure n’a rien d’infernal. Pas de démons hurlant, pas de flammes incandescentes, juste un décor beaucoup plus « terre à terre », qui me confirme que je suis bel et bien revenue sur terre ! Un canapé, un téléviseur, des étagères pleines de fouillis : je suis dans un minuscule salon où une femme vient d’ouvrir la fenêtre pour se hisser sur le rebord. Je regarde ses gestes disgracieux sans comprendre, jusqu’à ce que la lumière jaillisse dans mon esprit : elle va sauter…

Elle va sauter !

Ce n’est pas vrai ! Cette femme va se suicider sous mes yeux…

En une fraction de seconde, je me précipite en avant pour empoigner avec force son T-shirt et la tirer en arrière. Déséquilibrée par mon assaut, elle retombe lourdement sur le sol du salon saine et sauve, et je ne peux que me rengorger pour mon efficacité. En seulement quelques minutes, j’ai réussi ce que j’étais censé faire en trente jours ! J’ai sauvé une vie, et j’ai par la même occasion sauvé mon âme ! J’entends déjà le chant de la victoire résonner dans ma tête et ma petite voix intérieure me complimenter encore et encore…

— Bravo, Joy, je suis fière de toi ! Même dans la mort tu es toujours aussi…

Les mots me manquent… Mais en fait, je suis toujours aussi… « Moi », et c’est l’essentiel !

Allez, L’homme en noir !

Il est temps de me rapatrier, si possible en douceur, pour me donner mon dû… Une jolie paire d’ailes !

Je vous attends, vous pouvez venir me chercher !

J’attends… J’attends encore ! Mais rien ne se passe. Pas de lumière blanche pour m’accueillir, pas de tunnel démentiel pour me ramener chercher ma « récompense » dans le sordide bureau. Au bout de quelques minutes qui me paraissent une éternité, mon euphorie redescend en flèche. Je suis toujours dans l’appartement de Miss Je veux me tuer, qui a du mal à reprendre ses esprits. Elle regarde autour d’elle, désorientée, hébétée, par ce qui vient de se produire, mais je ne fais pas grand cas de ses élucubrations. Car tandis qu’elle se relève avec difficulté en épiant avec anxiété ce qui l’entoure, mon attention se fixe sur ses traits poupins encadrés de cheveux bruns. Son visage m’est familier, beaucoup trop familier… Je baisse le regard pour englober sa silhouette « dodue », et le doute n’est plus permis !

— C’est pas vrai ! Non, mais dites-moi que ce n’est pas vrai !

J’ai devant moi la personne qui a causé ma perte… Et celle-ci n’est autre que Miss Grassouillette. Je ne suis pas certaine que le surnom dont je l’ai affublée me donne les faveurs de L’homme en noir, mais pour être tout à fait honnête, je n’ai aucune idée de son prénom. Et cela m’est bien égal, car c’est à cause d’elle que je suis ici, et le scénario de ma journée catastrophe se rejoue dans ma tête :

Ce matin, je me suis réveillée gonflée à bloc. C’était le grand jour. Le jour J ! Le jour où j’allais enfin clôturer des semaines de travail, en concluant cet accord tant attendu. J’allais faire gagner un joli paquet d’argent au cabinet et remporter une tout aussi jolie prime. J’arrivais déjà à voir le chèque dont le montant comportait plusieurs zéros, et j’avais déjà envisagé des milliers de fois l’utilisation que l’allais en faire. Grâce à lui, dans quelques jours, j’allais être l’heureuse propriétaire du magnifique sac Lancel grenat qui me faisait de l’œil dans sa vitrine. Je l’imaginais déjà accroché à mon bras tandis que je paraderais triomphante dans les couloirs du bureau, sous l’œil admiratif des hommes et envieux des femmes. Il faut reconnaître que j’avais déjà la « class » et que cet accessoire n’aurait fait que conforter un peu plus cet état de fait. Je me suis donc levée prête à affronter les heures à venir en conquérante. J’ai ouvert les volets pour constater que même les éléments étaient de mon côté. La pluie incessante des derniers jours avait enfin cessé pour laisser sa place à un ciel dégagé. Les premiers rayons du soleil perçaient au-dessus des immeubles, prémices d’une belle journée printanière. Et j’ai eu une certitude : cette journée allait être mémorable ! J’ai donc fait la totale ! Une longue douche pour finir de me réveiller, suivie d’un brushing et d’un maquillage impeccable. Il ne me restait plus qu’à trouver la tenue parfaite. Celle qui montrerait à la fois l’image d’une femme d’affaires efficace et élégante. Celle qui afficherait ma détermination et qui découragerait quiconque d’oser me tenir tête.

Après plusieurs essayages, j’ai opté pour l’ensemble écru sur lequel j’avais craqué pas plus tard que la semaine dernière, puis je me suis inspectée pour ne rien laisser au hasard. Mes formes étaient joliment mises en valeur par la jupe crayon et la veste tailleur taille trente-six. Mes cheveux blonds encadraient mon visage à la perfection. Et l’intensité de mon regard brun était accentuée par une épaisse couche de mascara et par un trait maîtrisé d’eye-liner. Au fil des années, j’ai réussi à faire de moi cette femme belle et indépendante qui m’a tant fait rêver à l’adolescence. Tout a commencé lorsqu’à l’âge de seize ans, j’ai découvert la série « Ally McBeal ». Le personnage Nelle, incarné par Portia De Rossi, m’a subjuguée… Car non seulement c’était une avocate belle est brillante, mais en plus, il se dégageait d’elle une aura très particulière, amplifiée par son cynisme et sa froideur. Épisode après épisode, j’ai vu mon avenir se profiler, pour devenir une évidence : je serais comme elle, je serais avocate ! En me contemplant ce matin, la ressemblance était parfaite, à un détail près : la coiffure. Portia avait une magnifique chevelure blonde qui tombait en cascade le long de son dos… Mais pour autant, mon carré platine était du plus bel effet et ne gâchait en rien l’image que je voulais donner de moi.

Après un dernier coup d’œil dans le miroir, je suis sortie de chez moi confiante, pour héler un taxi. Car aujourd’hui, hors de question d’utiliser les transports en commun ! Ce jour allait m’ouvrir des opportunités, se devait d’être parfait, et il était hors de question que je côtoie au corps à corps des semblants d’êtres humains dans les rames bondées du métro. Je ne recherche que très rarement la compagnie de mes semblables. Les personnes que je tolère se comptent sur les doigts d’une main, et j’ai préféré investir une part de ma prime à venir pour prolonger mon tête-à-tête avec moi-même.

Assise sur la banquette arrière de la spacieuse berline, j’ai vu la foule s’engouffrer dans les bouches de métro, s’entasser dans les bus, et j’ai apprécié d’autant plus chaque minute du voyage qui m’a conduite au bureau. Comme je le faisais chaque matin, mais la motivation en plus, j’ai poussé l’imposante porte vitrée pour pénétrer dans les somptueux locaux de « Desfarges & Cie, avocats ». Sans ralentir mon allure, j’ai scruté d’un œil aguerri qui se trouvait dans le hall d’entrée. Comme personne « d’important » n’y était présent, j’ai salué d’un rapide geste de la tête les deux assistantes qui se trouvaient à l’accueil : Miss Grande Perche et Miss Grassouillette. J’ai toujours aimé trouver des sobriquets aux personnes qui gravitent autour de moi et pour ces deux-là cela avait été trop facile ! Les sosies de Laurel et Hardy au féminin. En faisant la moyenne des deux, on aurait surement obtenu une taille et un poids corrects, mais les deux séparées étaient loin de pouvoir concourir à un prix de beauté. C’est à peu près tout ce que je peux dire d’elles. Enfin, pouvait… Car si je serais incapable de reconnaître la plus grande dans la rue, l’image de la seconde vient de s’inscrire à jamais dans mon esprit !

Sans plus leur prêter d’attention, je me suis engouffrée dans l’ascenseur pour atteindre mon fief. J’ai ressenti une pointe de nostalgie en passant devant le bureau de Naomie – ex-collègue et ex-meilleure amie – que j’ai éludé en cherchant le nouvel occupant des lieux. Un charmant avocat latino prénommé Dorian qui, j’en étais certaine, pourrait me faire oublier plus vite la trahison de mon amie qui avait préféré suivre son mari à l’autre bout du monde, plutôt que rester avec moi envers et contre tout ! Le bellâtre n’étant pas là, j’ai fait disparaître le sourire ravageur que j’avais préparé à son attention pour regagner mon bureau et revenir à mon but principal : relire une énième fois le dossier que je connaissais pourtant par cœur. J’en savais déjà chaque détail : Jeanne Desjardin contre la Clinique « Belle Harmonie ». Une opération esthétique qui a mal tourné. Une plainte contre le chirurgien qui a « raté » son opération. Ma cliente qui se retrouvait avec deux « gants de toilette » à la place de la belle poitrine opulente dont elle avait toujours rêvé !

À dix heures tapantes toutes les parties devaient se réunir une ultime fois pour tenter un accord. Un joli dédommagement qui éviterait un procès médiatisé, et j’étais certaine qu’ils allaient accepter tout plutôt que de voir un scandale éclater et ternir l’image de leur établissement dit de « beauté ». Car ce qui est certain c’est que le résultat n’est pas « joli, joli », et découragerait quiconque de se lancer dans une opération de chirurgie esthétique ! Moi qui avais envisagé de m’offrir deux tailles de soutien-gorge supplémentaires… J’étais bien contente de ne pas avoir cédé à la petite voix dans ma tête qui me disait : « Vas-y ! Fais-le ! », à chaque fois que j’enfilais mon pathétique 85B. À l’heure dite, le directeur de la clinique, le docteur « Frankenstein », et moi-même étions assis dans la salle de conférence. Jeanne, qui n’avait pu se libérer de ses obligations professionnelles, était tout de même de la partie en visioconférence. Merveilleuse technologie, avec laquelle nous nous étions entretenues la veille, et avions convenu de demander un dédommagement de deux millions d’euros ! À prendre ou à laisser…

Et ils ont pris !

Trente minutes plus tard, l’accord transactionnel était signé par la partie adverse et il ne me restait plus qu’à l’envoyer à ma cliente à son bureau de San Francisco pour qu’elle le régularise à son tour ! Le précieux document entre les mains, je suis allée toute guillerette en direction de l’antre du « Big boss » : Jules Desfargues.

Que dire de lui ?

La soixantaine, svelte, les cheveux grisonnants, toujours impeccable dans ses costumes hors de prix et surtout imbu de lui-même. Il fut un temps où je l’admirais, mais cette époque est révolue ! Désormais, je prends juste ce qu’il y a prendre et je savais que mon « exploit » n’allait pas le laisser indifférent ; après tout, je venais de lui faire gagner la bagatelle de quatre cent mille euros !

Avant de pénétrer dans le bureau, j’ai pris une profonde inspiration. Je me suis concentrée au maximum afin de refréner le sourire qui avait pris possession de mon visage, pour arborer de nouveau cet air froid et distant qui me caractérise beaucoup plus.

Trois coups sur la porte pour acter ma présence, un bref « entré ! », et je me suis avancée pour glisser d’un geste blasé le contrat sur son bureau.

— Ça y est, c’est signé.

À cet instant précis, je me serais octroyé un Oscar pour la maîtrise de mon rôle. Mais si j’ai réussi à contrôler à la perfection mon enthousiasme, Mister Jules n’a quant à lui pu refréner sa satisfaction. Comme je m’y attendais, il s’est rengorgé de ma réussite en se calant un peu plus dans son imposant fauteuil en cuir.

— Bravo, Joy, vous avez fait du bon travail.

Je l’ai gratifié d’un discret sourire pour lui confirmer l’évidence, avant de répondre :

— Merci, je n’ai plus qu’à l’adresser à madame Desjardin pour qu’elle y appose sa signature et le dossier sera enfin clôturé.

Il a joint ses deux mains en signe de victoire en me fixant droit dans les yeux.

— Oui, c’est une très belle affaire pour le cabinet. Vous viendrez me voir ce soir avant de partir… Disons dix-sept heures trente ?

Yes ! J’imaginais déjà un zéro de plus sur ma prime et pourquoi pas une promotion. Après avoir acquiescé en faisant intérieurement une danse de la victoire, j’ai préparé la fameuse enveloppe et je suis descendue à l’accueil pour demander à Miss Grassouillette de s’occuper de l’envoi :

— Il faut que vous fassiez partir ce courrier en Chronopost de suite. C’est très important !

Tout en mettant un appel téléphonique en attente, elle a saisi la précieuse missive de sa main potelée, en me gratifiant d’un sourire « gentil ».

— D’accord, madame.

Sans plus me soucier d’elle, je suis partie déjeuner et là encore, je n’ai pas regardé à la dépense ! Je me suis offert un repas, dans un restaurant gastronomique à deux pas de l’agence, que j’ai arrosé, non pas d’une, mais de deux coupes de champagne ! Une pour moi et une pour Naomie, qui en bonne amie, aurait dû être là pour fêter ma victoire. Les bulles ont accentué mon euphorie et c’est légèrement grisée que je suis revenue au bureau en début d’après-midi. Par acquit de conscience, j’ai tout de même été m’assurer que Miss Grassouillette avait bien rempli la mission que je lui avais donnée.

— Vous avez fait partir le courrier comme je vous l’avais demandé ?

À ce moment, elle s’est mise à balbutier un semblant de…

— Je suis désolée… Il y a eu du monde… J’ai oublié… Je vais y aller de suite…

Elle a oublié !

Ma bonne humeur s’est envolée comme par magie, et j’ai senti la colère monter et avec elle, l’envie de passer au-dessus de son bureau pour lui faire avaler sa boite de trombones.

— Vous avez oublié ? Je vous donne une chose à faire dans la journée et vous avez oublié ! Donnez-moi l’enveloppe !

Ses joues déjà rosies sont devenues écarlates et j’ai eu l’impression qu’elle se tassait encore plus sur elle-même.

— Je vais m’en occuper de suite…

Agacée et tendue à tout rompre, je me suis entendu dire d’une voix glaciale et implacable :

— Je vous ai dit : donnez-moi l’enveloppe.

Non, mais quelle idiote ! Il y a vraiment des personnes qui resteront toujours l’assistante, de l’assistante, de l’assistante, et on sait pourquoi ! J’aurais dû m’en occuper moi-même… On n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est bien connu ! Mon « saint-graal » entre les mains, je suis sortie au pas de course pour tenter d’attraper le taxi à contresens qui menaçait déjà de repartir. En traversant la route, j’ai juste eu le temps de voir un parechoc se rapprocher dangereusement et d’entendre un bruit sourd de carrosserie percuter mon corps…

… Avant d’être propulsée dans le bureau de L’homme en noir…

… Avant d’être propulsée ici !

Jour 2

Samedi 23 mars, 8 h 58

J’ai passé la nuit à regarder Miss Grassouillette dormir… C’était passionnant !

Malgré cette journée chargée en émotion, je n’ai pas réussi à dormir. Une fois livrée à moi-même, dans le noir, j’ai eu tout le loisir de prendre conscience de ma condition et j’ai dû prendre sur moi pour éviter de me laisser submerger par une terrible crise d’angoisse lorsque j’ai réalisé que plus rien se serait comme avant. En une fraction de seconde, alors que rien ne le laissait présager, ma vie a basculé sans retour possible. Adieu le sac Lancel, adieu ma promotion… Cette journée que j’espérais mémorable s’est avérée la dernière ! Enfin, si je puis dire. Car je suis morte sans l’être, et je suis vivante sans l’être. Je suis capable de m’asseoir sur le canapé, mais sans en ressentir son moelleux et sans creuser son coussin. Je suis capable de passer au travers d’une porte, d’en voir ses nervures de l’intérieur, mais sans me casser le bout du nez.

C’est à la fois terrifiant et stupéfiant !

Mes émotions canalisées, je me suis recentrée sur ce qui comptait désormais : sauver mon âme. Et pour cela, je ne devais plus regarder en arrière. Je devais me focaliser sur la seule et unique chose, enfin personne, qui pouvait me le permettre : Miss Grassouillette. J’ai donc pris mes quartiers sur le coussin gauche du sofa, pour avoir une vue imprenable sur la chambre, et j’ai attendu que le temps passe. Je n’ai pas osé m’éloigner, je n’ai pas osé aller jeter un œil dans des endroits plus attrayants. Pour mon salue, il fallait que je sois là au cas où la demoiselle voudrait récidiver en tentant d’en finir une bonne fois pour toutes. J’ai croisé les doigts en regardant les minutes s’égrainer :

Qu’elle fasse ce qu’elle veut, mais demain !

J’avais déjà utilisé mon « acte journalier » en la tirant en arrière et je n’aurais pas pu intervenir avant que le douzième coup de minuit ne retentisse. N’ayant jamais envisagé d’en finir avec la vie, je ne m’étais pas rendu compte à quel point tout ce qui constitue notre quotidien peut se révéler des armes en puissance ! Elle pourrait avaler toutes les gélules de l’armoire à pharmacie. Elle pourrait se taillader les veines avec le couteau de boucher de la cuisine. Elle pourrait se noyer dans la baignoire… Ou tout simplement s’électrocuter en y jetant le sèche-cheveux. Je n’imagine même pas toutes les opportunités qui vont s’offrir à elle lorsqu’elle passera la porte de son appartement ! Elle pourrait traverser la route sans regarder et se faire renverser par une voiture…

C’est déjà arrivé à des personnes très bien, sans toutefois que leur acte soit prémédité !

Idiote ! J’aurais dû l’aider à se défenestrer quand j’en ai eu l’occasion…

Oups…

Il faut vraiment que je censure mes pensées, car je ne suis pas certaine que L’homme en noir apprécie.

Elle vivra et moi, j’irai passer l’éternité au Paradis !

Perturbée pas sa chute en arrière inexpliquée, Miss Grassouillette ne s’est pas risquée à fermer les volets et les premiers rayons du soleil baignent l’appartement. Au vu de ses ronflements disgracieux, elle ne court aucun risque dans l’immédiat et je décide de faire le tour du propriétaire à la lumière du jour.

Je n’ai pas pris le temps de le faire hier soir tant j’étais choquée par ce qui venait de m’arriver, mais maintenant que j’ai retrouvé mon calme j’ai tout le loisir de scruter ce qui m’entoure. Comme je m’y attendais, on est bien loin de mon appartement spacieux, sobre et impeccable. Pour le salon, pas de surprise : minuscule et surchargé de meubles sans intérêts. Un canapé élimé, une table basse encombrée de magazines, un meuble TV, une penderie aux portes grandes ouvertes sur une garde-robe en fouillis et une étagère couvrant un pan de mur regorgeant de DVD et de livres… Le tout ouvrant sur une minuscule kitchenette. J’ai toujours entendu dire que l’on pouvait voir à quoi ressemblait une femme en regardant sa cuisine, mais pour ma part, je ne suis pas d’accord et je ne daigne même pas entrer dans la sienne. Pour moi, la pièce révélatrice d’une personnalité est la salle de bain… Et là encore, dans la sienne, le tour est vite fait. Non seulement la pièce fait à peine trois mètres carrés, mais ce qui s’y trouve est des plus sommaire.

Inventaire des lieux : Gel douche, dentifrice, brosse à dents, à cheveux, gloss translucide, crème CC pour le visage (mais oui, avec une légère couleur teintée !), et un sèche-cheveux qui a le mérite de ne pas pouvoir finir dans la baignoire inexistante. C’est le néant ! J’ai connu des hommes qui avaient plus de produits de beauté que cette fille. La seule chose digne d’intérêt est le miroir, d’autant plus que j’arrive à y voir mon reflet. Comment cela est possible ? Je n’en ai aucune idée, mais une chose est certaine : il est le même qu’hier matin et c’est réconfortant. Malgré l’accident, pas de trace d’impact, pas de sang, pas lésion… Indépendamment de mon corps, mon image est intacte ; telle que j’ai toujours souhaité qu’elle soit. Je me penche au-dessus du lavabo pour m’inspecter de plus près, et c’est à s’y méprendre. J’ai l’impression que je viens de finir de m’apprêter après ma douche matinale et de procéder à la dernière inspection d’usage. De mes cheveux, à mon maquillage, tout est impeccable. Je ne distingue même plus cette petite ride entre mes yeux… Et elle m’en a causé du tourment celle-là ! Après avoir abandonné l’idée de me faire refaire la poitrine, elle fut ma nouvelle obsession. Injection ou pas injection ? Je n’ai pas eu le temps de prendre une décision, mais a priori mon accident a eu raison d’elle ! Je me rapproche encore un peu pour m’assurer que je n’hallucine pas. Je ne suis plus qu’à quelques centimètres du miroir. J’ai plus qu’à tendre la main… Mais mon attention vient d’être détournée par un flacon, à moitié dissimulé par une pile de serviettes, dans le placard entrouvert.

Enfin, un espoir !

Mon œil aguerri vient de capter ce qui semble être une bouteille de parfum… Et j’adore les parfums ! C’est mon péché mignon, car on n’est pas une femme, une vraie femme, si on échappe au rituel sensuel du parfum ! J’en ai donc de nombreux que j’harmonise en fonction de mon humeur.

Si je suis joyeuse, c’est « Miss Dior » ou « J’adore ».

Si je suis en mode conquérante, c’est « Coco Mademoiselle ».

Si je suis d’humeur charmeuse, c’est « Very irrésistible » ou « Shalimar ».

Et si je me suis levée du mauvais pied c’est « Poison ».

Voyons quelle est l’humeur générale de Miss Grassouillette ! Je m’avance avant de suffoquer.

Par pitié ! Dites-moi que ce n’est pas vrai !

Cette fille m’aura vraiment tout fait : un flacon de « Eau Jeune » ! Mais comment peut-on acheter son odeur dans le rayon hygiène d’un supermarché ? Elle ne doit pas s’aimer beaucoup, à moins que quelqu’un la déteste pour lui avoir offert ça ! Je préfère sortir de là pour poursuivre mon inspection par la penderie, en sachant déjà que je ne vais pas aimer ce que je vais y voir. Bingo ! Néant numéro deux. Quelques guenilles difformes suspendues à des cintres, toutes plus insipides les unes que les autres. On est bien loin de mon magnifique dressing dans lequel s’harmonise mon opulente garde-robe. J’aime le réorganiser en permanence pour faire le tour de mes richesses et dernièrement j’ai tout rangé par couleur. Mon hôtesse, quant à elle, devrait porter plainte contre le magasin qui a osé lui vendre ces horreurs. Pourquoi n’y a-t-il pas une loi pour interdire un tel manque de goût ? Ce n’est quand même pas parce qu’on est grosse qu’on doit en plus être mal sapé ! Il faudrait peut-être que je me serve de mon action du jour pour mettre le feu à tout ça. Un « incendie accidentel » pour obtenir de l’assurance une jolie indemnité et la possibilité de tout racheter ! Ça irait plus vite que de trouver un moyen de lui faire prendre conscience de sa déchéance vestimentaire… Car ce qui est certain, c’est que trente malheureux jours ne seront pas suffisants pour transformer l’insipide chenille en majestueux papillon.

D’ailleurs, que fait la chenille ?

Il ne faudrait pas qu’elle ait de nouveau l’idée de s’envoler avant que la transformation n’ait eu lieu. Je me retourne sur le qui-vive pour constater que Miss Grassouillette vient d’apparaître dans l’encadrement de la porte, bien vivante, avec un adorable filet de bave qui lui sort de la bouche…

Beurk !

Il ne manque plus que la trace d’oreiller gravée sur sa joue pour que ce soit l’apothéose… Y est ? Y est pas ?

Et si, y est !

Dans le coaltar, elle s’assied de tout son poids sur le canapé, dans son magnifique pyjama difforme rose bonbon, pour s’absorber dans la contemplation d’un programme télévisé. Même lorsque je suis seule chez moi, le moral en berne, je n’ose me balader avec une telle horreur sur le dos. Pour se faire respecter des autres, il faut avant tout se respecter soi-même ! Et comment serait-ce possible affublé d’un truc pareil ? Si par mégarde l’appartement venait à cramer… Il faudrait faire en sorte que cet ensemble de nuit n’y réchappe pas ! Un sourire aux lèvres, je l’imagine déjà en cendre avec tout le reste, lorsqu’une sonnerie stridente met fin à mes pensées machiavéliques. Il ne me faut qu’une fraction de seconde pour identifier l’objet à l’origine de ce tintamarre : le téléphone fixe accroché au mur. Miss Grassouillette le regarde d’un œil suspicieux, mais ne semble pas encline à bouger ses grosses fesses pour aller décrocher. Au bout d’une bonne dizaine de sonneries, le silence retombe et le voyant lumineux indique que le mystérieux interlocuteur a laissé un message. Enfin, elle daigne se lever pour interroger sa messagerie et une voix féminine, sèche, emplie la pièce…

— Chloé, c’est mère. Nous t’attendons pour déjeuner demain midi. Essaye d’être à l’heure pour une fois.

Après avoir écouté le message si chaleureux de « mère », Miss Grassouillette alias Chloé, se décompose avant de filer tout droit vers la cuisine. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle revient les bras chargés de cochonneries. Je crois que la totalité du placard et du frigo se trouve désormais entassée sur la table basse. Tout y est : gâteaux, bonbons, Nutella, viennoiseries et j’en passe des plus sucrés et des plus gras ! Telle une machine de guerre, elle enfourne dans sa bouche tout ce qui ne fera qu’exploser un peu plus les chiffres du pèse-personne demain matin. Je pourrais lui taper sur la main pour en faire tomber l’énorme cookie qui vit ces derniers instants…

Mais à quoi bon ?

Ce serait comme donner un coup d’épée dans l’eau et peut-être la pousser à commettre un acte plus irréversible que quelques kilos supplémentaires. Alors je vais m’asseoir sur le canapé, pour moi aussi, regarder la télévision et le reste de la journée se passe ainsi. Nous enchainons comédie romantique sur comédie romantique, agrémentées de grignotage divers et variés pour la demoiselle, et j’ai l’impression de revenir des années en arrière. À l’âge où j’aurais aimé faire des journées « marathon télé » avec les copines. Mais je n’ai pas eu cette chance et j’ai découvert les célèbres films qui font tant rêver que des années plus tard. « Ghost », « Darty dancing », « Pretty woman », « Cocktail » et tous les autres, font désormais partie de ma vidéothèque privée et avant que je sois arrêtée net dans mon élan, je les regardais toujours avec le même plaisir. J’ai beau en connaître les histoires et les dialogues, par cœur c’est pour moi un besoin et à chaque nouveau visionnage, j’ai l’impression de réinventer mon adolescence. Mais aujourd’hui, grâce aux turpitudes de Miss Grassouillette qui, à ce rythme, va devenir Miss Très Grassouillette, j’ai la sensation d’avoir quinze ans ! Surtout devant le dernier opus : « Bad ditcher ». Si j’avais regardé ce film des années plus tôt, à la place de « Ally McBeal », mon destin aurait pu être tout autre. Je me serais peut-être improvisée, tout comme le personnage incarné par Cameron Diaz, professeure. Adieu l’avocate brillante et cynique, bonjour l’enseignante sexy et délurée !

Pour parfaire mon délire de régression, j’aimerais poursuivre cette journée par une soirée pyjama… Et nous serions au top :

Pyjama et chaussettes « Pilou-pilou » rose bonbon pour tout le monde,

Chouchou sur la tête pour empêcher nos cheveux de tomber sur le masque à l’argile appliqué en couche épaisse sur notre visage,

Séance vernis à ongles : je te l’applique, tu me l’appliques,

Et papotage à n’en plus finir sur les garçons !

Je pourrais m’épancher sur le beau Dorian qui ne semble pas faire grand cas de ma personne. C’est probablement parce qu’il n’a pas encore eu l’occasion de voir mon sourire ravageur. Celui que j’ai élaboré en me souriant à moi-même devant le miroir de la salle de bain, un matin où j’avais un peu de temps à perdre. Grand, brun, athlétique, les yeux noirs et la peau brunie révélant ses origines mexicaines. Ce n’est pas mon idéal masculin… Mais il est beau et fera l’affaire pour me remettre dans le bain. Il faut dire que ma vie sentimentale ressemble à un désert depuis deux ans, et j’ai besoin de me reprendre en main.

Mais je dois me rendre à l’évidence : je n’ai plus de main à proprement dit, et je n’ai plus de vie non plus. Adieu mon beau rêve de passion torride avec le sexy Dorian ! Je peux tout au mieux espérer qu’il participe à la gerbe funéraire qui fleurira ma tombe ; et si j’avais espéré qu’il m’offre des fleurs, ce n’était certainement pas de cette façon ! Toujours est-il, malgré cette sordide réalité qui vient de me rattraper, j’ai passé une très bonne journée et je suis prête à regarder un nouveau film à l’eau de rose pour la clôturer en beauté. Tandis que Miss Grassouillette se lève pour porter son plateau-repas dans la cuisine, je me dirige en direction des étagères pour faire l’inventaire des DVD. N’ayant pas encore utilisé mon acte quotidien, je pourrais en mettre un en évidence pour orienter son choix. Je suis encore en train d’hésiter entre Six jours, sept nuits et Jackpot lorsque mes projets coupent courts. Je suis dans le noir. Toute à mes pensées, je n’avais pas vu que Miss Grassouillette avait éteint la télévision pour clôturer notre journée ciné.

Tandis que la demoiselle part se coucher, je reste seule avec moi-même, plantée dans le salon avec entre les mains mon action journalière immaculée. Comme je ne pense pas que celles-ci soient cumulables, je réfléchis à ce que je pourrais en faire ici et maintenant. Tout d’un coup, la lumière jaillit dans mon esprit ! A priori, elle ne risque plus rien pour aujourd’hui, et je peux faire une chose pour l’aider… Histoire de la remercier pour cette journée improvisée entre copines. Ma décision prise, j’attends que mon hôtesse sombre dans un profond sommeil, puis je me faufile dans la salle de bain pour attraper le flacon d’eau de toilette. Pendant un instant, je lui lance un regard triomphant tout en appréciant de pouvoir encore sentir son contact sur mon être. Puis sans pitié, je le laisse malencontreusement glisser de ma main… Et se briser sur le sol.

Oups !

Jour 3

Dimanche 24 mars, 11 h 40

Est c’est parti pour une balade dominicale dans le métro !

Nous nous retrouvons assises dans la rame qui nous conduit chez les parents de Miss Grassouillette. Depuis qu’elle a refermé sur nous la porte de son appartement, je la suis sans réfléchir et je n’ai aucune idée de l’endroit où nous nous rendons. J’imagine une maison de banlieue imitation « maison de campagne » et cela m’oppresse, rien qu’en y pensant ! J’aime la ville, j’aime le béton, j’aime les gratte-ciels, j’aime l’agitation qui y règne… Sauf dans le métro ! Heureusement, en ce dimanche matin il n’y a pas trop d’affluence et j’en loue le ciel ! Car s’il y a bien une chose que je déteste plus que tout, c’est de me faire ploter de façon insidieuse par des « mains baladeuses ». Je ne suis pas contre les caresses sulfureuses, mais c’est où je veux, quand je veux, et avec qui je veux ! Je suis donc plutôt détendue et je m’autorise même à poser mes pieds sur le fauteuil d’en face, en faisant par la même occasion un « pied de nez » à l’affiche : « Qui pose ses pieds sur les fauteuils de la rame descendra. »

Ah ! Ah ! Je fais ce que je veux maintenant !

Ma voisine paraît beaucoup moins à l’aise que moi, et est loin de vouloir fanfaronner sous le nez des consignes de savoir-vivre. Son anxiété va grandissante depuis son levé et je ne pense pas que cela soit dû au flacon de parfum retrouvé en mille morceaux sur le carrelage de la salle de bain. Lorsqu’elle a vu les éclats sur le sol, elle a regardé autour d’elle d’un œil interrogateur avant de ramasser avec des gestes précipités les dégâts sans plus y prêter attention. Dans un cas pareil, j’aurais été alarmée, voire carrément inquiète, car ce n’est quand même pas courant qu’un objet se brise tout seul ! Comment vais-je la faire réagir si elle ne fait même pas attention aux phénomènes étranges qui l’entourent ? Mais bon, elle ne s’est pas écriée :

— Oh non, mon parfum ! Mon merveilleux, mon sublime parfum !

De là, elle est remontée dans mon estime et d’autant plus, lorsqu’elle a eu un comportement typiquement féminin en restant plantée devant l’armoire pour déterminer ce qu’elle allait porter. Le choix étant plus que limité, elle a opté pour un legging noir, un pull-tunique de la même couleur et une paire de baskets blanches. Quant à moi… Je suis restée la même, dans mon élégant ensemble « jupe crayon et veste cintrée ». Par chance, le jour de mon accident, il ne m’est pas venu l’idée saugrenue de m’affubler d’une tenue « exotique » : Un chemisier rouge, un pantalon vert, et hop ! Du mauvais goût pour l’éternité ! Puis, elle a refermé la penderie pour s’inspecter deux secondes chrono dans ses grandes portes-miroirs. Et pendant ces deux seconds chronos, je nous ai vues côte à côte. J’ai de nouveau été fascinée par ce reflet improbable, et bien après que la demoiselle eut tourné les talons, je suis restée plantée à me regarder. Depuis que j’en ai eu l’occasion, depuis que je me suis donné les moyens d’être celle que je voulais, j’ai toujours aimé le faire. Je pouvais passer des heures assises devant la glace à prendre la pose, à essayer de nouvelles coiffures… Par vanité ? Probablement, mais pas seulement. Je crois que j’avais besoin encore et toujours de m’habituer à mon image, de vérifier que l’ancienne Joy tapie dans un coin de mon esprit ne tentait pas de refaire surface. Mais aujourd’hui, c’est différent. Ce matin comme hier dans la salle de bain, le miroir brillait d’un nouvel éclat et j’ai eu l’impression qu’il m’appelait. En me renvoyant une image trop parfaite de moi, il m’empêchait de détourner les yeux, il tentait de m’hypnotiser…

C’est un bruit de clé, actant notre départ, qui a brisé le charme. Mais même revenue à la réalité, aux côtés de Miss Grassouillette, il m’a fallu un long moment pour reprendre pied et comprendre que j’avais perdu la notion du temps. Plus de deux heures s’étaient écoulées entre l’instant où mon regard à capter le miroir et celui où mon esprit à quitter cet étrange entre-deux. J’ai depuis une certitude : je ne dois plus le laisser me dévier de mon objectif, je ne dois plus le laisser me happer. Forte de cette idée, j’ai braqué toute mon attention sur Miss Grassouillette…

Dont l’agitation va grandissant station après station.