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Vingt ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Judith pour entrevoir la vérité sur le père de son fils. Abandonnée alors qu’elle portait son enfant, sans autre explication qu’un laconique « Je ne peux pas avoir d’enfant maintenant », elle découvre bien plus tard que l’homme qu’elle a tant aimé a été incarcéré aux États-Unis pour avoir tu ses complices… avant de mourir peu après sa libération. Déterminée à offrir à son fils l’histoire qui lui revient, Judith s’élance sur les traces de cet homme disparu, portée par l’espoir de retrouver sa sépulture… si tant est qu’elle existe. De l’Amérique aux rivages envoûtants des Bahamas, accompagnée de l’inspecteur qui jadis arrêta Thomas, elle affrontera secrets enfouis et vérités insoupçonnées. Mais ce voyage, bien plus qu’un pèlerinage, deviendra une révélation : malgré les épreuves, la vie demeure une promesse inestimable.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Zannie Voisin se consacre à l’écriture depuis 2009 et occupe, depuis plus d’une décennie, le poste de vice-présidente de l’Association des écrivains de Bretagne. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, parmi lesquels "Gilia – Passé composé, futur simple", "Maximila et les « chevals » de cœur", publiés respectivement en 2009 et 2010 chez Edilivre, ou encore "Jardin bleu", paru en 2024 chez Le Lys Bleu Éditions.
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Seitenzahl: 529
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Zannie Voisin
À l’Est, l’embellie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Zannie Voisin
ISBN : 979-10-422-6757-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Edilivre
– Gilia – Passé composé, futur simple, 2009 ;
– Maximila et les « chevals » de cœur, 2010.
Le Lys Bleu Éditions
– Le guerrier des Alpujarras, co-écrit avec François Welden, 2023 ;
– L’Îlden – Aline, Mina, Juliana et autres nouvelles, 2025.
Il y a toujours une part de folie dans l’amour,
bien qu’il y ait toujours un peu de raison dans la folie.
F. Nietzsche
Il faudrait essayer d’être heureux
ne serait-ce que pour donner l’exemple.
Jacques Prévert
Judith n’était pas très contente. Depuis une semaine, un nouveau directeur avait pris ses fonctions dans l’entreprise où elle travaillait. Ce monsieur avait décidé une réunion surprise, à seize heures trente pour le lendemain, un mercredi en plus. Il exigeait que tout son personnel soit présent, sauf cas de force majeure, bien sûr. Cela avait surpris tout le monde et des grommellements s’étaient fait entendre.
Le lendemain après-midi, Judith terminait son travail à seize heures et ce jour-là, elle n’aurait que le temps d’aller chercher son petit garçon de trois ans et demi qui était en garde chez sa nounou. D’habitude, les jours d’école, Isabel récupérait le gamin à la sortie de l’école en même temps que ses deux enfants. Les mercredis, elle le gardait toute la journée. Isabel, jolie Portugaise aux formes opulentes et rassurantes, était l’amie de Judith et la marraine de Luca. Malheureusement, Isabel ne pouvait pas garder Luca ce mercredi soir, car elle devait rendre visite à sa belle-mère qui avait été hospitalisée le matin même et faire les papiers pour son admission. Pour une fois que Judith avait besoin de sa mère, celle-ci était en vacances à courir le guilledou avec un énième fiancé et Judith n’avait pas réussi à la joindre. C’était la toute première fois qu’une réunion se faisait un mercredi et à une heure aussi tardive. Ne pouvant faire autrement, Judith avait décidé d’emmener son fils à la réunion avec elle.
Elles avaient toutes les deux des enfants et ne travaillaient jamais le mercredi. Mais il leur avait été expressément demandé d’être tous présents à cette réunion importante.
Elle venait de récupérer son petit garçon qui était heureux et gambadait près de sa mère. Il ne faisait vraiment pas chaud et la pluie s’était arrêtée. Judith entendait comme un bruit de succion quand son fils marchait. Elle s’inquiéta.
Luca, petit garçon au sourire espiègle, les cheveux couleur châtain clair coupés court lui encadraient un minois éclairé par des yeux d’un joli marron mordoré. Il était farceur et éclatait souvent de rire, ce qui montrait ses jolies petites dents bien alignées et le rendait irrésistible. Il revint vers sa mère avec un grand sourire.
— Fais-moi voir tes pieds…
Le petit s’arrêta net et fit la moue, ce qui mit la puce à l’oreille de sa mère.
Judith l’avait entendue, mais ne répondit pas. C’était bien ce qu’elle pensait, son fils avait les pieds trempés.
Elle déchaussa son fils, et cassa un lacet en voulant aller trop vite.
Clarisse et Cécilia sourirent, mais s’empressèrent de partir. Judith assit son fils sur un banc et le déchaussa. Ses chaussettes étaient dégoulinantes d’eau. Elle n’avait pas d’autre choix que de lui remettre ses chaussures sans ses chaussettes.
Elle lui remit sa deuxième chaussure et le traîna rapidement par la main. Le petit claudiquait, car la chaussure sans lacet lui sortait du pied à chaque pas.
Judith sourit et embrassa le front de son petit garçon. Elle décida de le porter jusque chez le cordonnier dont la boutique n’était plus très loin. Elle poussa la porte du magasin. Un petit banc était face au comptoir et Judith y déposa son fils. Elle attrapa une paire de lacets sur un présentoir, la posa sur le comptoir et chercha son porte-monnaie dans son sac.
Il en a de bonnes, pensa-t-elle en fourrageant dans son porte-monnaie. Bien sûr que ça ne lui plaisait pas, mais elle n’avait pas le choix. Elle sortit 2 euros et les posa sur le comptoir. Elle jeta les lacets dans son sac et attrapa son fils pour le porter dans ses bras et ouvrit la porte du magasin.
Luca tendit la main et attrapa les 5 centimes que le commerçant lui posa dans sa petite main.
Le petit pesait lourd dans les bras de sa mère. Mais c’est mon porte-monnaie qui pèsera moins lourd si je n’arrive pas à temps à cette foutue réunion, pensa-t-elle.
Il ne savait pas vraiment qui était le père Fouettard, il ne l’avait jamais vu, mais il était content de bientôt faire sa connaissance.
Pour lui, quelqu’un qui était méchant était forcément laid… Sauf les gentilles sorcières qu’il voyait dans ses livres, évidemment qu’il y en a de gentilles ! Judith leva des sourcils interrogateurs, mais le moment était mal choisi pour demander des explications. Enfin, elle arriva à l’entreprise. Elle poussa la porte vitrée de l’accueil et, son fils toujours dans les bras, elle se dirigea vers l’ascenseur qui, évidemment, était arrêté aux étages supérieurs.
Elle regarda sa montre, elle avait déjà cinq minutes de retard. Elle, qui d’habitude était si ponctuelle, cela la stressa. Elle avait horreur de trouver des excuses. Pas question de dire que son fils avait pataugé dans l’eau !
Luca comprit qu’il était préférable de se taire.
Enfin l’ascenseur arriva, les portes s’ouvrirent et elle s’engouffra dedans. Rageusement, elle appuya sur le bouton de l’étage à atteindre. Les portes s’ouvrirent de nouveau et elle avait encore un long couloir à parcourir pour arriver à la salle de réunion. Elle était devant la porte et fut surprise de n’entendre aucun bruit de voix. Elle regarda vivement sa montre. Se serait-elle trompée de salle ?
Ça serait bien ma veine, pensa-t-elle, en frappant à la porte sans poser son fils à terre.
Essoufflée et échevelée, elle ouvrit la porte sans attendre qu’on l’invite à entrer. Tout le monde était assis autour de la table de réunion et, seul, le directeur était debout près d’un tableau aux feuilles de papier amovibles. Personne ne parlait et l’on aurait entendu une mouche voler. Elle laissa son fils glisser à terre, sentit le rouge envahir son visage en voyant tous les regards posés sur elle. Elle attrapa Luca par la main comme pour se donner du courage et s’apprêtait à bredouiller une vague excuse.
Le directeur sourit.
De rouge, le visage de Judith devint cramoisi, d’autant plus que toute la salle riait.
Judith se pencha vers son fils pour le faire taire.
Luca lança un regard entendu à sa mère. Enfin, quelqu’un qui ne l’empêchait pas de parler.
Comme Luca n’avait pas baissé le son de sa voix, tout le monde avait entendu. Judith plaqua sa main sur la bouche de Luca pendant que des éclats de rire résonnaient dans toute la salle.
De rouge, le visage de Judith était devenu blême.
Gênée, Judith était surprise que le directeur se souvienne de son prénom alors qu’elle ne lui avait jamais été présentée. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise et de plus en plus seule. Luca se sentait soutenu par le monsieur en costume.
À l’autre bout de la table, la copine de la maman souriait et levait une main qui tenait une paire de petites chaussettes rouges avec des dessins bleus. Le directeur demanda gentiment à Judith :
Les éclats de rire fusèrent à nouveau. Judith, qui aimait la discrétion, ne savait plus où se mettre. Elle n’osait plus bouger ni parler. Son directeur comprit son embarras, mais il avait envie d’en savoir un peu plus. Il trouvait la spontanéité du petit garçon amusante.
Judith lança un regard noir à son supérieur qui comprit le message, mais cela ne l’intimida pas pour autant. Au contraire, cette situation lui plaisait.
Les rires qui s’étaient interrompus pour écouter le petit garçon éclatèrent de nouveau. Judith se serait glissée dans un trou de souris s’il y en avait eu un assez gros pour elle.
L’hilarité de la salle était à son comble. Judith avait le visage qui passait par toutes les couleurs.
Judith s’attendait au pire.
Le soulagement de Judith ne passa pas inaperçu de son supérieur.
Judith aurait voulu mourir sur place. Là, à ce moment précis, et tant pis si c’était devant tout le monde.
Les yeux de Luca s’agrandirent de stupeur. Il venait de comprendre. En mettant sa petite main devant sa bouche, il se tourna vers sa mère.
Judith le pressa contre elle et lui ébouriffa les cheveux. Elle pinça ses lèvres, car il n’en aurait pas fallu beaucoup plus pour qu’elle se mette à pleurer. Un comble devant tous ses collègues. William Flamming comprit son désarroi et lui dit gentiment :
Judith hocha légèrement la tête sans rien dire ni oser le regarder. Les rires s’étaient calmés, mais pas le bruit des conversations. Judith entraîna son fils vers le fond de la salle. Clarisse lui tendit les chaussettes qu’elle s’empressa de mettre dans les pieds de son petit garçon. Puis, elle remplaça le lacet cassé et put enfin s’asseoir. Son visage retrouva des couleurs normales.
Le directeur retourna au bureau qui faisait face à l’assemblée. Il se retourna et afficha un visage grave.
Un brouhaha de voix s’éleva, car personne n’avait entendu dire que Monsieur Carrier était malade. Certains se tournèrent vers Coline, sa secrétaire particulière, mais son visage impassible indiquait qu’elle ne devait pas être au courant.
Judith n’entendait qu’à moitié le discours du directeur, son esprit était ailleurs. Elle donna à son fils un carnet et un stylo pour qu’il dessine. Elle n’avait pas eu le temps de prévoir quelque chose. Le directeur ne perdait pas de vue le petit garçon qui semblait s’ennuyer.
Une idée venait de lui effleurer l’esprit.
Mais ce n’est pas vrai, il ne va pas nous ficher la paix, celui-là, pensa-t-elle.
Luca se rendit auprès de lui.
Des rires s’entendirent de nouveau.
Le petit hocha la tête, indiquant qu’il avait bien compris.
Luca avança la main pour prendre le paquet que lui tendait le directeur, mais il se ravisa et laissa pendre son bras le long de son corps. Le directeur s’étonna, mais il n’eut pas le temps de dire le moindre mot.
Les éclats de rire éclatèrent de nouveau. Son fils amusait la galerie et cela ne plaisait pas du tout à Judith.
Judith se sentit de nouveau très mal. Le rouge avait de nouveau envahi son visage.
Ça commence à suffire, pensa-t-elle. Il ne peut pas nous lâcher la grappe, celui-là ?
Luca prit les documents.
Le directeur éclata de rire à son tour. Il aimait l’assurance et le ton protecteur de ce petit garçon. Il regarda l’assistance. Certains s’essuyaient les yeux et il n’était pas loin d’en faire autant. Il remarqua que seule Judith ne riait pas. Consciencieusement, en tirant un petit bout de langue rose, Luca distribua les documents. Il était fier qu’on lui ait confié ce travail. Au passage, certains lui ébouriffèrent les cheveux, ce qu’il trouva agaçant. Cécilia et Clarisse l’embrassèrent sur la joue, mais c’étaient les copines de sa maman. Quand une autre femme voulut l’embrasser à son tour, il ne se laissa pas faire. Sa mère lui avait dit qu’il ne fallait pas qu’il se laisse toucher par des gens inconnus. Il savait ce que voulait dire le mot inconnu, sa maman lui avait expliqué.
Monsieur Flamming continua de parler à ses employés sans perdre de vue le petit garçon. Il avait vu la reculade de l’enfant quand la femme avait voulu l’embrasser, alors qu’il s’était laissé faire avec les deux autres femmes. Quand Luca acheva de distribuer les documents à tout le monde, il lui en restait deux qu’il déposa sur le bureau. Puis, il prit deux feuilles de papier blanches et hésita sur la couleur des feutres. Il ne savait vraiment pas lesquels choisir.
Luca, après beaucoup d’hésitations, choisit un feutre rose et un feutre bleu clair. Les feuilles dans une main, les crayons dans l’autre, il retourna s’installer près de sa mère. Il fut rapidement absorbé par ses dessins et ne s’occupa plus de ce qui se passait autour de lui. Sa mère jetait de temps en temps un œil pour voir ce qu’il dessinait. La réunion se déroulait sans que le petit garçon ne se manifeste plus, comme il l’avait promis. Il avait terminé un dessin avec le feutre rose et il l’avait mis de côté. Sur la deuxième feuille, il dessina des lignes bleues qui se croisaient et se recroisaient. Puis il s’appliqua pour écrire son prénom au bas de la page. Sa main tremblait un peu. Il n’y avait pas longtemps qu’il savait écrire son prénom en lettres d’imprimerie. Une barre du A était plus longue qu’il ne fallait et le U était atteint de gigantisme. Il ne savait écrire que son prénom. Son nom, c’était un peu plus compliqué.
Il reboucha soigneusement les feutres et donna la feuille couverte de dessins roses à sa maman.
La salle se vidait. Judith voulut prendre la main de Luca, mais celui-ci se dégagea.
Le petit garçon se dirigea vers le bureau et y déposa les feutres. Il se tourna ensuite vers le directeur et lui tendit le deuxième dessin en bleu.
Le petit garçon hocha la tête tout en lançant un regard de défi à sa mère. Le directeur se pencha et murmura quelque chose à l’oreille du gamin dont les yeux s’agrandirent. Un grand sourire vint éclairer sa frimousse. L’homme se releva et fit un clin d’œil à Luca qui voulut l’imiter et ferma les deux yeux.
La petite main vint se loger dans la grande et, très fier, Luca répondit :
Ça ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout, qu’il se permette de l’appeler par son prénom. Elle avait hâte de sortir de cette salle.
Elle entraîna son fils par la main et rejoignit ses copines qui avançaient doucement dans le couloir menant aux ascenseurs.
Le petit leva les yeux vers sa mère et la regarda en pinçant ses petites lèvres.
Clarisse et Cécilia éclatèrent de rire.
Les deux pintades se lancèrent un regard qui en disait long et gloussèrent de plus belle. Judith leur lança un regard noir en haussant les épaules. Elle tenait fermement la main de Luca et ils rentrèrent les premiers dans l’ascenseur qui venait de s’arrêter à leur étage.
Elles arrivèrent dans le hall et se dirigèrent vers la porte d’entrée. Elles venaient de l’atteindre quand retentit le signal indiquant que le deuxième ascenseur arrivait. Cécilia regarda les gens qui en sortaient.
Cécilia et Clarisse partirent d’un côté et Judith de l’autre en hâtant le pas. Elle ressentit tout à coup comme une grande fatigue lui tomber sur les épaules. Elle avait deux ou trois courses à faire avant de rentrer à la maison, mais elle remit ça pour le lendemain. Elle avait envie de pleurer, de rire, elle ne savait plus trop ! Luca parlait sans arrêt comme d’habitude, sans se rendre compte que sa mère ne l’écoutait pas. C’était sûr, pensait-elle souvent, son fils aurait bien besoin d’une présence masculine, mais elle n’arrivait pas à trouver l’homme idéal pour ça.
Ses rapports avec les hommes étaient distants. Elle levait automatiquement une barrière devant elle dès qu’un homme s’approchait d’un peu trop près. Et c’était ainsi depuis que Thomas, l’homme qu’elle avait aimé comme une dingue, était parti quand elle lui avait annoncé – au bout de deux ans de vie commune quand même :
Elle qui s’était attendue à une explosion de joie, à de grandes embrassades, en avait été pour ses frais.
Elle n’avait pas eu le temps de répliquer. Il était rentré dans la chambre pour remplir un sac de voyage de quelques vêtements et il était parti en claquant la porte d’entrée sans dire un mot de plus. Assise sur le canapé, elle était restée abasourdie devant sa réaction. Elle s’était allongée, recroquevillée en position fœtale, puis enfin, elle avait pleuré ce qui l’avait bien soulagé. Le bébé était là et il fallait faire face. Elle avait pensé un bref instant interrompre sa grossesse, mais elle n’en avait pas eu le courage. Elle avait accouché, son amie Isabel à ses côtés. Isabel avait eu le bébé dans les bras aussitôt après que Judith l’eut reçu sur son ventre. Isabel était devenue la tatie du nouveau-né à cet instant précis, et sa nounou en même temps que sa marraine trois mois plus tard.
Thomas n’avait jamais vu son fils et elle ne savait pas comment il avait su qu’elle avait accouché. Mais il était au courant. Un avocat avait téléphoné et demandé à rencontrer Judith. Quand il lui apprit pourquoi, elle avait refusé le rendez-vous. Il avait insisté, mais elle n’avait pas cédé. Alors il était venu à son domicile pour lui présenter des documents à signer pour que Thomas puisse reconnaître son fils. Il ne voulait pas que le petit garçon porte son nom, seulement qu’il soit reconnu comme le père de cet enfant. Elle refusa d’accorder la paternité à un homme qui lui avait lancé à la tête qu’il ne voulait pas d’enfant. L’avocat lui expliqua que c’était pour la sécurité du petit, ce qu’elle n’avait pas voulu croire. S’étonnant que ce soit un avocat qui l’appelle plutôt que Thomas lui-même, l’homme de loi lui confia qu’il était incarcéré aux États-Unis et qu’un confrère américain, le défenseur de Thomas, lui avait demandé de prendre le relais. Elle apprit qu’il avait été mêlé à une sombre affaire en liaison avec des mafieux. Mais, avait ajouté l’homme de loi, il était innocent et la justice américaine s’en apercevrait rapidement. C’est ce que Judith s’efforçait de croire. Elle avait seulement lu la première lettre avant de la jeter à la poubelle. Quand elle reconnaissait sur les enveloppes le logo du cabinet de l’avocat international du Droit Privé et Public, elle ne les ouvrait plus et les jetait directement dans la boîte à ordures sans aucun regret.
Le samedi suivant la réunion, Judith ne réveilla pas son fils pour l’emmener à l’école. Il était en deuxième section de maternelle et ça ne pouvait en rien perturber sa scolarité. Elle était dans son lit et elle aimait rester sous sa couette quand elle ne travaillait pas. Elle profitait des derniers instants de calme qui régnait dans la maison avant le réveil du turbulent petit garçon. Elle allait se rendormir quand la petite tornade arriva, se glissa sous la couette et se colla contre elle. Il n’avait pas oublié son doudou, cadeau de sa marraine, une peluche qui avait été blanche et bleue, mais qui était devenue d’une couleur indéfinissable. Une de ses oreilles ne faisait plus que la moitié de la longueur de l’autre, suite à une rencontre malheureuse avec le chien de la nounou. Une jolie couture surjetée avait été effectuée par Isabel et « l’opération » réussie avait satisfait Luca qui trouvait toujours autant de charme à son Pitou. Bizarrement, les jours où il y avait de l’école, Judith avait beaucoup de mal à réveiller Luca. Le week-end, il se réveillait aux aurores et venait retrouver sa mère dans son lit. Si sa mère dormait encore, il chuchotait à son oreille. Mais il en avait vite assez de parler sans avoir de réponse. Alors, il commençait par lui toucher le bras, la main, le visage. Celle-ci avait beau grogner et lui demander qu’il la laisse dormir encore un peu, rien n’y faisait. Ça se terminait toujours par des chatouilles, des cabrioles et d’énormes éclats de rire de part et d’autre. Puis rapidement, Luca réclamait son petit-déjeuner. Les jours sans école étaient prétextes à d’énormes petits-déjeuners. Les rires, ça creuse l’appétit, tout le monde sait ça !
Après une toilette rapide, Judith décida d’aller faire des courses. Luca adorait faire les courses alors que sa mère détestait ça. Elle trouvait que c’était une corvée et une perte de temps, mais comment faire autrement ? Si elle avait été seule, il était évident qu’elle se serait moins cassé la tête, mais elle avait un enfant qui mangeait bien. Luca demanda, comme d’habitude, que sa mère lui achète un petit quelque chose. Ça ne coûtait rien d’essayer des fois que sa mère aurait été en veine de générosité… L’après-midi, ils allèrent au cinéma pour voir un dessin animé. Pendant le film, Luca déclara qu’il avait faim.
Elle sourit, car elle n’a jamais dit qu’elle n’aimait pas le Quick. Luca avait des épines aux fesses. Bien qu’il fût assis sur un rehausseur, il gesticulait sans cesse. La fin du film arriva et c’est avec soulagement que Judith vit les lumières se rallumer dans la salle. Le Quick se trouvait tout près du cinéma et Luca mangea avec plaisir son menu enfant et adora le petit jouet qui l’accompagnait. Judith se contenta d’une salade et d’eau minérale.
De retour à la maison, Luca s’installa dans un coin du salon pour jouer avec ses petites voitures sur un circuit dessiné sur le tapis. Luca voulait que sa mère lui mette un film de dessins animés, mais elle lui refusa parce qu’il venait de voir un film. Judith était dans la cuisine quand la sonnette de la porte d’entrée retentit. Comme d’habitude, Luca se rua pour ouvrir la porte. Judith le gronda, car il n’avait pas le droit d’ouvrir la porte tout seul.
Judith lui fit les gros yeux et ouvrit la porte. Elle se retrouva devant son directeur. Il portait une grande poche de plastique à bout de bras.
Le téléphone retentit dans la maison. Judith ne savait pas quoi faire. Ah si, répondre évidemment ! Elle se dirigea vers le téléphone placé sur un petit guéridon près d’un canapé. William Flamming resta sur le seuil de la porte, elle ne l’avait pas invité à entrer.
Tout en répondant, elle se tourna vers son directeur et d’un signe de la main, lui fit signe de rentrer. Il entra et referma la porte derrière lui. Il n’osait s’aventurer dans la pièce. Judith écoutait son téléphone.
Son visage devint rouge et elle se réfugia dans la cuisine dont elle ferma la porte un peu brutalement. Le directeur devina qu’il se passait quelque chose de grave et pensa qu’il avait mal choisi le moment pour venir la visiter. Luca avait vu partir sa mère et décida de s’occuper du visiteur.
Il adorait les cadeaux comme tous les enfants.
William Flamming tendit la poche de plastique à Luca qui s’en empara et la vida sur la table du salon. Une boîte laissait apparaître, par une fenêtre de plastique transparent, des feutres de toutes les couleurs.
Des éclats de voix se firent entendre venant de la cuisine. Le directeur, assis sur le canapé près de Luca, ne comprit que quelques mots qui étaient prononcés en anglais et avec colère.
Il sortit trois albums à colorier et un Abécédaire.
Plus personne ne parlait dans la cuisine. La conversation téléphonique avait pris fin. Quelques minutes plus tard, Judith sortit de la pièce et disparut dans un couloir. Un bruit d’eau qui coulait se fit entendre et indiquait qu’elle était dans la salle de bains. Le directeur continua la conversation avec Luca. Quand Judith revint dans le salon, ses yeux rouges prouvaient qu’elle avait pleuré. Luca occupé à tracer des lettres sur une feuille ne s’aperçut de rien.
— Mauvaises nouvelles ?
Gênée, elle bredouilla :
Judith se sentit rougir et elle esquissa un sourire qui la fit paraître encore plus séduisante.
Le directeur venait de faire une gaffe et s’empressa de s’excuser.
Il commençait à se diriger vers la porte d’entrée.
Luca lâcha son crayon et arriva en courant auprès d’eux.
Un clin d’œil vint confirmer la complicité qu’il y avait entre eux. Luca, très fier, hocha la tête et un grand sourire éclaira son visage.
La porte se referma et Judith poussa discrètement un grand soupir. Avec Luca qui répétait tout, elle devait faire attention.
Judith s’extasia pour faire plaisir à son fils, mais elle se demandait pourquoi ce cadeau, et pourquoi chez elle. Il aurait tout aussi bien pu lui donner le paquet au bureau et elle l’aurait remis elle-même à Luca. À moins que…
Elle s’arrangea pour ne pas croiser son directeur pendant toute la semaine suivante. Dès qu’elle l’apercevait qui sortait de son bureau, elle faisait demi-tour ou pénétrait dans le premier bureau qui se trouvait tout près d’elle pour ne pas le croiser. Il avait commencé les entretiens particuliers et la secrétaire lui avait communiqué qu’elle avait rendez-vous à quatorze heures le lundi suivant. Elle y pensa tout le week-end. Elle obligea son esprit à se concentrer sur autre chose, mais elle revenait toujours à cet entretien qui la mettait mal à l’aise.
Le lundi, à quatorze heures tapantes, elle frappa à la porte du bureau de William Flamming. Après avoir été invitée à entrer, elle vit que Coline attendait debout près du bureau.
— Bonjour, Judith. Installez-vous à la table de conférence. Je signe quelques lettres urgentes et je suis à vous tout de suite.
Coline, sa secrétaire particulière, était une dame âgée de la cinquantaine « bien tassée », disaient certains. C’était une jolie femme, discrète autant sur sa vie professionnelle que personnelle. Elle ne se mêlait jamais des commérages et préférait prendre son café dans son bureau pour éviter de les entendre malgré elle. Certains disaient qu’elle désirait prendre sa retraite, mais Judith pensait que c’étaient des bruits de couloir non fondés. Coline n’avait sûrement pas l’âge de partir en retraite. Celle-ci sourit à Judith qui lui rendit son sourire.
Des dossiers étaient posés sur un bout de la table ovale, Judith s’installa à l’autre bout. Elle posa son bloc de papier sur la table et joua avec son stylo en attendant.
Judith ouvrit des yeux ébahis. Elle avait bien entendu Coline appeler le directeur par son prénom !
Coline regagna directement son bureau en empruntant la porte communicante entre les deux bureaux.
Il avait un dossier à la main et le posa sur la table près des autres. Il avait remarqué qu’elle s’était installée à une place opposée et préféra ne rien dire. Elle ne semblait pas à son aise et il ne voulait pas accroître son malaise.
Décontenancée, elle répondit néanmoins poliment :
Coline venait de poser sur la table un plateau sur lequel deux tasses de café fumaient et le directeur la remercia. Elle jeta un regard à Judith, lui fit un petit sourire et repartit en refermant la porte derrière elle. Il se déplaça pour prendre une tasse et sa soucoupe qu’il posa devant Judith. Il lui proposa du sucre qu’elle refusa. Elle ne toucha pas à son café. Avant de s’asseoir, il lui demanda :
Mais elle fut rassurée quand il n’avança que de trois places. Il y en avait encore beaucoup d’autres entre lui et elle.
Qu’est-ce qu’il peut bien mijoter, pensa-t-elle, mal à l’aise.
Ne sachant pas où il voulait en venir, elle préféra répondre en posant une question, histoire de prendre un peu de temps.
Pas dupe, il sourit malgré lui et préféra annoncer tout de suite ses intentions.
Aïe, pensa-t-il. Cela part mal.
Le directeur se leva, fit deux pas vers la porte et se retourna vers elle.
Il ouvrit la porte du bureau donnant dans le couloir et s’effaça pour la laisser sortir.
Quand elle passa devant le bureau de Coline dont la porte était grande ouverte, celle-ci lui fit signe de rentrer. Judith passa la porte de l’immense bureau éclairé par de grandes baies vitrées.
Personne ne tutoyait Coline et elle ne tutoyait personne. Pour la première fois, Judith s’aperçut que le visage de Coline exprimait la douceur. Elle était tant effacée que Judith n’avait jamais vraiment fait attention à elle. Mais sa discrétion n’entachait pas ses qualités. Il n’y avait jamais rien à redire sur le travail de cette femme qui se faisait petite, mais ferme quand il le fallait.
Coline souriait en hochant la tête.
Le sourire de Coline s’effaça légèrement.
Elles se regardèrent et éclatèrent de rire en même temps. Elles riaient tellement qu’elles n’entendirent pas la porte communicante s’ouvrir derrière elles.
Surprises, elles se retournèrent d’un même élan et Coline devança Judith pour répondre.
Il retourna dans son bureau en refermant la porte derrière lui. L’éclat de rire qui éclata de nouveau de l’autre côté le rassura pour leur future cohabitation. Il doutait que Coline pouvait être gaie à ce point et cela lui plaisait bien, car il la trouvait un peu trop sérieuse, à la limite triste, or elle venait de lui prouver le contraire.
Le mercredi matin suivant, Judith alla dans le bureau de Coline et lui demanda de prévenir William qu’elle voulait le voir. Après un sourire de connivence, elle décrocha son téléphone et annonça Judith. Il répondit qu’il l’attendait. Après avoir fait un clin d’œil à Coline et en levant le pouce en signe de victoire, Judith ressortit dans le couloir et frappa à la porte du bureau directorial.
Il fit mine de chercher.
Elle était décontenancée.
— Waouh ! Ça va si vite que ça me donne le tournis, dit Judith en souriant.
Surprise, elle le regarda bien droit dans les yeux. Il sourit et lui lança malicieusement.
Judith se sentit rougir.
Il comprit qu’elle cachait des blessures. Il fut obligé de reconnaître que Judith l’attirait, mais sa position de directeur ne lui facilitait pas la tâche. Pour une fois, il aurait bien aimé n’être qu’un simple employé. Il allait se contenter de l’avoir près de lui, dans le bureau d’à côté. Il désirait devenir un peu plus qu’un ami avec elle, mais sa froideur à son égard empêchait toute approche.
Coline et Judith cohabitaient dans le même bureau depuis plus d’un mois et l’entente entre les deux femmes était manifeste. Coline était un peu plus souriante et se confiait plus facilement à Judith. Après avoir passé un après-midi entier avec le directeur sur des dossiers litigieux, Judith ne put s’empêcher de déclarer à Coline quand elle revint dans son bureau :
Judith qui avait lancé cette réflexion à la légère fut surprise de la réaction de Coline dont le visage avait pâli.
Judith se précipita sur la bouteille d’eau posée sur le coin de son bureau, remplit un verre qu’elle lui apporta. Coline l’avala d’un trait. Les couleurs revenaient sur ses joues.
Judith ne savait plus quoi faire. Elle essayait de se souvenir de ce qu’elle avait dit et qui semblait anodin, mais qui avait contrarié Coline. Elle ne voyait pas. Elle mit la bouilloire à chauffer et des sachets de thé dans deux tasses. Elle versa l’eau chaude et retourna s’asseoir derrière son bureau.
Le directeur n’avait tout de même pas dragué Coline ? Non, ce n’était pas possible, elle avait presque l’âge d’être sa mère !
Coline hocha la tête et s’empara en tremblant de sa tasse de thé.
Nouveau hochement de tête. Judith n’osait plus poser de question. Si Coline voulait en parler, elle l’écouterait, mais elle ne voulait pas lui soutirer des informations qui ne la regardaient pas.