À la belette d'or - Guy Aymard - E-Book

À la belette d'or E-Book

Guy Aymard

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Beschreibung

Pendant que les bombes tombaient dans un bruit d’avalanche très particulier, je regardais parfois les vagues de forteresse entourées par les flocons vénéneux de la flak. Là aussi, le bruit était étrange, comme élastique, à rebondissement, car le son et la lumière ne se propagent pas à la même vitesse. C’était rare, mais les canons faisaient parfois mouche, alors on voyait de gros insectes piquants dégager une fumée noire, perdre de la hauteur et s’abîmer dans une gerbe de feu…

À PROPOS DE L'AUTEUR

C’est à la naissance de ses petits enfants que Guy Aymard s’est mis à l’écriture. Il compte à son actif seize romans et s’est également essayé à la poésie (mille vers). Ses récits sont inspirés de ses expériences d’ancien militaire, de ses jugements. Ils sont également le fruit de ses nombreuses lectures, sans cesse à la recherche des plus beaux textes.

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Guy Aymard

À la belette d’or

Roman

© Lys Bleu Éditions – Guy Aymard

ISBN : 979-10-377-1963-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À l’humour

Avertissement

Ceci est un roman de pure imagination.

Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait une pure coïncidence.

Du même auteur

- La splendeur assassinée Tome 1, Ed. Sekhmet, 1999
- Napoléonidas / Bicentenaire de l’empire, Ed. Sekhmet, 2002
- L’arc d’alliance/roman des âges oubliés, 7écrit, 2007
- Le secret/roman du terroir, Éd. Persée, 2009
- Le cygne de la croix/roman biblique, 7écrit, 2013
- Ank le marcheur/roman des origines, 7écrit, 2013
- Comitissa/Roman Historique, 7écrit, 2013
- Lettre ouverte d’un naïf à Mr le Président de la République, Edilivre, 2013
- Sel fin sur la loi salique, 7écrit, 2013.

Si mon œuvre jusque-là a été tournée vers le sérieux et la gravité, non sans raison, ce livre le sera vers cette forme très prisée dans le Midi qu’est la galéjade.

L’auteur

Un bourg parmi d’autres

Ce lieu aurait pu se nommer tout naturellement Le Pontet à cause d’un petit pont qui se trouvait là depuis un temps immémorial. C’était simple, simpliste ; et cette sobre appellation n’obligeait pas à une gymnastique intellectuelle dont tout un chacun n’est pas capable. Seulement, les noms de lieux sont comme les prénoms des enfants lesquels, suivant l’inspiration et l’état de (dis) grâce de leurs parents, peuvent se voir affublés de Pierre, d’Honoré ou de Pancrace, d’Isabelle, de Noémie ou d’Eusèbie. Pourtant, le présent n’est toujours que le résultat pas nécessairement heureux des errements du passé. Il y a eu un dé jeté en l’air, un jour ancien, qui est retombé d’une certaine façon et pas d’une autre. Un acte de grande conséquence, philosophique en diable.

Bon ! Ce bourg ne s’appelait donc pas Le Pontet tout en ayant failli l’être. Il y avait dans son voisinage des hameaux dortoirs dits Monpavé, Mort Hier, Morgue, froids au premier abord, Bedène, en son bel embonpoint, Entre-eaux, déjà à l’horizon, Gaumont sur rue dense. Une ville dévoreuse s’étalait à l’est : Lavilagnon (La ville à gnons). Ainsi qu’on le remarque, tout cela avait un petit air épique (pas encore hippique), heureux à l’intérieur sous des dehors austères. Quelque chose avait dû néanmoins se passer dans ce petit morceau de la grande France. Quoi ? Les historiens, les archéologues cherchaient, qui dans les archives, qui dans les tessons et les ossements épars voulant revoir le jour. La chasse aux trépassés !

Ce pays du pastis se faisait scrupule de prononcer son nom nordique dans tous les sens du terme. Une honte ! Les armoiries anciennes portaient bien un pont, pas sur le Rhône, mais sur un ru parvenu jusque-là avec difficulté depuis la Fontaine-de-Vaucluse, curiosité naturelle ayant donné le nom à un village, un département et, même, à un type de résurgence remontant des profondeurs. Ce pont sans âge se parait des trois clés, souvenance de sa ville tutélaire et des papes qui s’y étaient abrités un temps des gifles laïques d’Anagni. Leur fuite avait ressemblé à celle d’un chat auquel un goujat aurait attaché une casserole à la queue.

Alors, le décor étant bien planté, pourquoi ce pont muletier ne s’était-il pas ancré tel quel dans la toponymie traditionnelle ? Certains édiles l’avaient découvert trop commun, d’autres trop élémentaire, d’autres enfin traversant un ru invisible, asséché, mesquin, passé de mode. Le passé se perdait dans celui beaucoup plus reluisant de sa glorieuse voisine. Pourtant, les annalistes, les archéologues, finirent par mettre à jour quelques bribes de l’histoire, presque une anecdote. Ce fut en effectuant des fouilles en vue de l’implantation d’un immeuble qu’ils tombèrent sur les restes oubliés d’un cimetière domestique. Là apparurent des os, une stèle, désignant le squelette du nom de William Moore. Jusqu’ici, rien de bien causant. Cependant, ce monument intrigua. Les habitants, Avignonnais, trouvaient habituellement place dans la nécropole de Saint-Lazare. Et ces restes d’hypogée, délabrés aujourd’hui, avaient dû être luxueux. Alors ?

Les historiens se mirent à refouiller les archives de la ville et de la paroisse qui se trouvait être saint Symphorien. Le monsieur devant être anglican ne figurait pas dans les registres paroissiaux quand bien même il serait parvenu au statut de notable jusqu’à baptiser un gros bourg d’un nom qui lui convint. L’état civil de la révolution fut toutefois plus parlant, lequel avait inscrit le décès d’un certain William Moore avec un luxe de détails, négociant en 1843. Des témoins, tous habitants du hameau en question, avaient signé l’acte qui le disait né à Leeds. Que faisait-il dans ces parages secs et plus venteux qu’humides ? Soignait-il des rhumatismes anglophobes persistants ? Ceux qui avaient signé devaient être ses amis parmi lesquels se dénombraient des commerçants et un médecin, des rentiers et de gros fermiers.

Il avait été là et il fallait consigner cet événement en marge de la fonction rurale du hameau. Au reste, un anglais seul n’est jamais très dangereux, c’est groupés qu’ils le deviennent. Un très vieil homme se souvint d’une auberge appelée Le bon thé sous le roi des Français Louis-Philippe 1er. Ce lieu de rafraîchissement et de pudding salé-sucré était d’ailleurs l’unique cabaret de l’agglomération. Ce genre de tisane manquait en ce lieu, autant la faire connaître. Aussi, le laboureur arrivant au bout de son sillon finit par prendre l’habitude d’aller se jeter un rosé ou un blanc dont la contrée foisonnait pour se délasser les reins. Le thé anglais, donc, n’aurait pas suffi à maintenir William Moore à flot mais il était un commerçant avant tout. Finalement, les guerres franco-anglaises gênant la fourniture de l’arabica, les femmes trouvaient commode le matin d’ajouter quelques feuilles de thé à leur chicorée de secours, pour allonger leur tisane. Moore fut toléré, pacifié, francisé. Les gens burent sa décoction plate mais pacifique.

L’histoire remonta outre et des assertions sûres le disaient installé en ce lieu dès avant l’époque de la grande révolution où il faisait le commerce du shetland, du thé, du whisky et de la sauce à la menthe. Bon an mal an, il vivait de son négoce et des chroniques locales disent que Napoléon Bonaparte vint goûter à sa sauce avec le général Carteaux le 14 juillet 1793. Le futur empereur n’était que chef d’escadron et il allait bientôt leur enlever Toulon grâce à des combinaisons savantes. C’était juste pour évoquer l’acrimonie qu’il nourrissait envers ces îliens à peine fréquentables. Cependant, le futur empereur charmait tout son entourage. On ne pouvait que le critiquer de loin, mais l’aimer de près. Quel homme !

— Si la France et l’Angleterre s’entendaient, nous serions ensemble les maîtres du Monde, dit-il, de manière impromptue, à ce gâte-sauce étonné et tout ouïe.

Moore bégayait un français mâtiné de provençal, mais avait compris le sens cohérent de la phrase.

— Si la chose ne dépendait que de moi, Monsieur l’officier, la paix serait faite. Je n’ai aucun orgueil national. Pour moi, un homme en vaut un autre s’il est de bonne volonté. Les querelles d’obédience ne sont point de mon fait. Je fais du commerce pacifique entre nos deux pays, gêné par la coalition en cours qui désorganise mes voies de ravitaillement.

— Ce hameau ne s’appelle-t-il pas Le Pontet ? Pourquoi ne le nommeriez-vous pas Le Bon Thé en souvenir de mon passage et de votre francophilie ? Votre enseigne me paraît de bon aloi. Je m’y arrêterai parfois, non pour siroter du thé, mais vous m’apprendrez quelques mots d’anglais.

On sait que l’empereur Napoléon prit des cours ne serait-ce que pour glisser avec adresse les arguments de son extraordinaire faconde, mais jamais le résultat ne fut couronné de succès. Une gageure ! C’est un patois de sauvages imprononçable.

William Moore suivit la carrière fulgurante de cet hôte particulier et, comme la guerre européenne l’empêchait de repartir dans son île, il s’installa définitivement et fit souche : deux filles. L’absinthe, puis le pastis avaient leur charme et rafraîchissaient plus que le Whisky. L’enseigne demeurait suspendue au-dessus de l’entrée et les citadins en visite à l’hôtel de Fargis et en passant s’y désaltérer prirent l’habitude d’appeler le hameau Le Bon Thé1.

Les maisons sortaient de terre, les marécages asséchés attiraient de nouveaux paysans, des Lavilagnonnais venaient y construire des résidences de campagne appelées mas.

De mas en mas, de mur en mur, l’espace compris entre le Rhône et Royal-Cageot se couvrit d’habitations, des commerces surgirent et des rues remplacèrent les chemins de terre. Un carrefour s’ouvrit où se croisaient la Nationale 7 et l’artère Lavilagnon-Berlingot. Il existait depuis longtemps, mais il ne s’appelait que croisement où l’on agitait sa casquette pour se saluer ou mettait les pieds dans la boue pour laisser passer un attelage d’aristos. Justement, c’est ici que le pontet historique traversait la sorgue et fut le témoin de la rencontre, dit-on, entre le futur pape Jean XXII et l’envoyé du roi meurtrier Louis X2 œuvrant à se remarier.

Bon courage ! Tout ce remue-ménage temporel n’aliénait d’aucune manière les intérêts de la taverne de William Moore décédé depuis, mais veillant de son paradis anglican sur le sort de ses héritiers. Un peu partout en France, les tavernes, auberges cédaient la place à Cafés, Grands Cafés, bars, restaurants, puis snack-bars, pizzerias, mais n’anticipons pas. À l’heure dont je parle, l’enseigne Le bon thé faisait encore saliver tous les boit-sans-soif et les amateurs de brèves de comptoir venus là pour se calmer les gargouillis de la panse et commenter ceux de la politique, toujours riches en France comme chacun sait. Seule richesse, d’ailleurs, de ce pays prodigue !

De thé, il ne s’en consommait plus guère. Il y avait pour cela des salons en ville fournissant, outre la boisson, la bonbonnaille qui l’accompagne. D’ailleurs, les héritiers de Moore avaient oublié depuis longtemps leur origine îlienne, ses averses et ses brouillards. Ils s’étaient même habitués au mistral, ce vent fou ayant usurpé son nom à un écrivain célèbre, à tout prendre, plus fréquentable. Les pousseurs de charrues lui disaient avec agressivité la bise et construisaient des protections de roseaux ou de cyprès pour abriter leurs courgettes et leurs topinambours. Voilà le pourquoi d’autant de cyprès funéraires en une campagne si hâtive à fleurir. Les mœurs s’y sont conformées. Au vent et aux cyprès !

Pourtant, dans le Nord, peuchère ! et en Angleterre, horreur ! ils auraient sans doute échangé ce vent délictueux contre les pluies interminables et les hivers de neuf mois, même si quelques cyprès cédaient parfois à l’impétuosité du vent que les bulletins météorologiques de Paris appelaient beau temps. Nos ex-Anglais servaient le pastis frais en été et les grogs en hiver et la bonne humeur tout le temps. Il n’y avait pas encore de concurrence, pourquoi se priver des conseils avisés donnés autrefois par un empereur en herbe, mais traînant déjà le sillage de son génie aussi sûrement que les effluves d’un lièvre à la truffe d’un chien. Pendant longtemps, tant que William vécut, il arborait dans la salle d’accueil une sorte de grand chromo (façon image d’Épinal) badigeonné par un rapin du coin et vantant l’épisode historique bref et pourtant touchant à la sacro-sainte épopée, à l’entente franco-anglaise souhaitée par cet homme hors du commun. Ils finiront par le détruire, à l’usure.

Napoléon passant dans la région ne manquait jamais de venir y boire du chambertin coupé d’eau et du poulet rôti cuit à point. Il envoyait une estafette pour faire préparer le sacrifice, car, prévoyant que sa trajectoire serait belle, mais courte, il n’aimait guère attendre. Le bon William Moore, accepté en France sur l’ordre exprès de l’ennemi de son île, se démenait en conséquence pour ne pas se voir signifier son renvoi outre-Manche avec le statut fatal de déserteur.

Or, Fontainebleau, Waterloo, passèrent sans qu’un roi eût l’idée saugrenue et en même temps plébéienne de venir goûter à son chambertin, ni à son thé non plus. Le bon temps de l’empire était fini. L’électuaire marquait le pas.

À l’époque dont je vais vous entretenir, l’entente cordiale avait fait son œuvre, un second Napoléon, médiocre pourtant, moindre en tout cas, avait été avec empressement accepté par cette perfide Albion qui nous avait démoli le Lucifer français et repris en les anglicisant les principes de droit qu’il avait semés. Je redirai sans emphase que la France avait eu tort d’avoir raison trop tôt. Et ces vers :

J’aimerais, comme vous, les doigts inoccupés,

Dire aux belligérants : « Voici ma main, topez ! »

Repenser chaque soir, fatigué, philanthrope :

« C’est trop tard pour la France et trop tôt pour l’Europe ! »

Aux Anglais, leur jurant qu’ils seraient obéis,

Dire : « Voici la mer, laissez-moi mon pays ! »

Ces vers ne sont pas d’aujourd’hui, mais conservent une résonance universelle sur la cause des guerres et la bassesse des inimitiés y conduisant. Napoléon dévorait son poulet, en dix minutes, accompagné de quelques généraux affamés sinon de quelques maréchaux enflammés et chamarrés, s’étranglant à le suivre. Puis le poulet ne vaut ni la dinde ni le foie gras. L’invitation du chef en définitive n’était pas une partie de plaisir pour ces princes et ces ducs enrichis de dotations territoriales et de titres ronflants.

— Le temps de manger et de dormir est du temps perdu, prétendait le colosse sans le moindre sourire. Les alliés m’en laissent si peu.

Au demeurant, espace rural, forestier, marécageux, humide l’hiver, il arrivait que devînt souhaitable un coup de mistral pour envoyer les nuages chez les voisins. La campagne foisonnait de bestioles et je ne parle pas des bêtes de trait ou de traite, ovins, bovins, caprins, mais de sauvagine qui fait son effet dans le viseur d’une pétoire et sur l’émail de son assiette. Par là, la braconne jouait un grand rôle dans l’économie du pays et les menus un peu trop tubéreux de la paysannerie en leur accordant une aide consistante sinon légale : lapins, faisans, pigeons, comprises quelquefois les poules du voisin. On voyait un jour ou l’autre la maréchaussée encadrer un pauvre hère menotté pour que l’illusion soit plus authentique et du carnier duquel dépassaient des plumes et des poils. La poursuite n’allait jamais bien loin. S’il fallait déranger les juges pour des péchés si véniels ! Le café Le bon thé servait régulièrement à ses clients du poil et de la plume chapardés, si ce n’est de la carpe bien grasse du Rhône. C’est tellement meilleur quand c’est interdit et nourri avec du thym et du serpolet. Les lapins de clapier n’avaient jamais ce fumet de la brise dans la plaine, cette odeur indéfinissable de la petite aurore, le goût de ces cuisses prêtes à se détendre au premier bruit. Le loup ne se serait pas heurté aux cornes de la chèvre de Monsieur Seguin sans cette impérieuse raison lui mettant la bave aux babines.

Dans ces étendues champêtres propres à séduire un sous-préfet, la vie allait son bonhomme de chemin, les années bonnes et les années mauvaises en alternance. Le Bon Thé allait fêter son changement de siècle comme tous les hameaux et les villes de France. Et du Monde, pardi.

Dans chaque famille, les femmes cousaient du bleu, du blanc et du rouge, dans cet ordre, que les maris clouaient sur une baguette bien droite de noisetier. Dans l’idée de chacun, on savait que tous les pays du monde de calendrier grégorien accommodaient aussi leurs couleurs nationales. L’église, fraîchement bâtie, était lessivée des nuages de poussière que le mistral sacrilège lui soufflait sans restriction aux saints murs. Les enseignes des commerces furent repeintes à neuf. Le bon thé avait fait peau neuve et regarni ses étagères de boissons fortifiantes pour accélérer le sang, car les changements de siècle ont toujours lieu en hiver.

Il y avait sur la place de l’église un local assez vaste où des fêtes que l’on pouvait dire de quartier se déroulaient. Les notables représentant l’agglomération aux séances de délibération à Lavilagnon devant le maire s’y réunissaient préalablement, au but de s’entendre sur des arguments communs à faire valoir le jour venu. Déjà, l’idée perçait de se pourvoir sur une motion de séparation d’avec la ville de tutelle, l’indépendance, quoi ! Les délégués utilisaient la ligne fanal violet de tramway ouverte de fraîche date pour se rendre à la nouvelle mairie. Auparavant, ce type de déplacement, les approvisionnements aux grandes halles, les visites aux magasins de la rue de la République se faisaient par des omnibus équestres. À mesure que Le Bon Thé prenait de l’importance, les habitants désiraient se gérer eux-mêmes à la manière de Morgue, Mort-Hier, Bedène et d’autres qui ne s’en sortaient pas si mal. Le maire Pourquery de Boisserin n’était pas chaud pour la séparation de cette partie de ses administrés. Le quartier était calme, plus que celui de la Balance où les gnons n’étaient pas rares et les tire-laine nombreux. Le préfet aurait son mot à dire. Il le dit : non ! pas encore !

— Quand alors ?

— Plus tard !

— Pourquoi ?

— Parce que…

C’était le blocage de principe et non circonstancié. Le hameau n’était pas accolé à la ville et de vastes lieux de culture persistaient vers la Croix verte et le Pigeonnier pour justifier une scission d’urbanismes.

— S’ils croient s’en tirer de cette manière évasive, le maire et le préfet, ils se trompent ! Une bataille est perdue, mais pas la guerre… Guerre d’usure, pas encore de tranchées.

Les terriers de l’arbalestière

Il y avait à l’est du bourg un quartier appelé l’Arbalestière distant de l’église d’environ un kilomètre. Le mistral auquel le fleuve servait de guide s’y présentait avec une force redoublée à cause d’un coude qu’il faisait au nord du Bon Thé. Hormis ces coups de gueule mistraleux, c’était un quartier charmant à géographie variable. Des lots appartenaient à la culture que les paysans protégeaient avec des haies. Il y existait également des bosquets de feuillus, des pierrailles, des prés, des restes d’étangs où la sauvagine s’accommodait suivant ses goûts et ses besoins. Chaque cultivateur possédait sa pétoire qu’il avait parfois à l’épaule tout en tenant les mancherons de sa charrue pour le cas où un lièvre viendrait le narguer. La plupart du temps cependant, à ses heures mortes, il forçait le sort avec l’appui de son bâtard dressé à renifler les futurs repas de son maître, qu’ils soient de plume ou de poil. La femme en tirait toujours quelque chose. Certains de ces canardeurs à tout va doublaient leurs chances au moyen d’une fouine qu’ils transportaient dans une musette, car le garde champêtre les aurait verbalisés avec une joie non dissimulée, afin de montrer qu’il était là, qu’on ne la lui faisait pas, et pour soigner son avancement. Raisons péremptoires. À part son côté officiel, il était bon bougre, se désaltérait avec les amis, se noircissait le nez quand une occasion se levait. On lui disait3 Toine (Antoine). Hormis ces relâchements intempestifs, Toine était un assermenté, sorte de petit notable sûr de lui et de sa casquette. Si vous y ajoutez des moustaches en ailerons de requin, le bonhomme devenait redoutable sur le terrain.

Tous les maraîchers du coin cultivaient cette manie qu’était devenu le besoin de faire appel à son juxtaposé, sa fouine, ses collets, dès qu’ils savaient que le garde était allé voir ailleurs. L’un d’entre eux, nommé Baptiste, qui n’avait pas inventé l’eau chaude, gratouillait ses trois rangées de vignes assurant sa piquette, baptisée et rebaptisée, ses quelques rangs de pommes de terre, ses blettes, ses navets, carottes, épinards. Le tout ne devait pas excéder trois héminées. Mais il était rustique, n’avait plus à charge que sa mère âgée ayant toutefois gardé une voix criarde, un appât du gain qui se répercutait sur le dos et les bras du pauvre Baptiste, lequel la fuyait autant qu’il le pouvait pour se donner du mou. Et de l’air. Il conservait de son grand-père un fusil à piston du genre canardière, mais scié, car la tringle de bourrage était devenue trop courte.

— Un jour, ça t’éclatera au mourre (museau), l’avertit Tan (Étienne) qui était un de ses copains d’école plus futé.