À la marge - Françoise de L’homme - E-Book

À la marge E-Book

Françoise de L’homme

0,0

Beschreibung

Un chat rusé, des âmes en quête d’un dernier espoir, un olivier marqué de souvenirs, un ingénieur en perte d’illusions, un reclus de la Seconde Guerre mondiale… Entre Paris et la Provence, de 1944 à nos jours, ces destins en marge se croisent et s’entrelacent, portés par l’humour, l’émotion et un sens du suspense qui tient en haleine. Un recueil de nouvelles où chaque histoire captive, surprend et laisse une empreinte bien après la dernière page.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Après une carrière consacrée à l’écriture « alimentaire » dans la presse et la publicité, Françoise de L’homme s’émancipe des contraintes éditoriales pour se livrer pleinement à sa passion. Portée par une plume affranchie et un regard incisif, elle aspire désormais à transmettre, à travers ses récits en roue libre, une jubilation littéraire aussi débridée que contagieuse.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 97

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Françoise de L’homme

À la marge

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Françoise de L’homme

ISBN : 979-10-422-6613-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Gérard, mon mari, l’amour de ma vie.

À Evelyne, ma sœur, tardivement retrouvée

avec bonheur.

L’intrus

Je les avais longtemps épiés de loin, à travers une trouée perçant la haie drue de thuyas derrière laquelle je me dissimulais.

Ils s’activaient, dans le jardin ou dans ce que j’entrevoyais de la cuisine, avec des gestes pondérés qui me plaisaient assez. Parfois, ils s’interrompaient pour s’embrasser. Ce que je jugeais plutôt attendrissant, compte tenu de leur âge avancé : la soixantaine au moins. Ils dialoguaient à mots chuchotés, comme désireux de préserver un silence que ne troublait ni enfant ni animal domestique… seulement, parfois, le ronronnement des machines agricoles dans la plaine. Et surtout, ils vivaient toutes portes-fenêtres ouvertes, dépourvus de méfiance à l’encontre du monde extérieur. Il serait facile de me glisser dans la place sans éveiller leur attention…

J’avais hésité quelques jours. Dur au cœur tendre, j’étais bien conscient du choc irréversible que causerait mon intrusion dans leur sereine intimité. Mais je ne pouvais agir autrement : il s’agissait, pour moi, de survie.

Au moment précis où, après mille atermoiements, je décidai de passer à l’attaque, survint un imprévu : surgi d’on ne sait où, un jeune couple allait et venait dans la maison, multipliant par deux le risque d’être découvert et dénoncé. Sans doute des « Chic ! Ouf ! » (traduire, en langage local : « Chic ! Ils arrivent. Ouf ! Ils repartent ») comme en accueillent, dès les beaux jours, tous les Provençaux.

Un soir, tandis qu’ils avaient – juniors et seniors – le dos tourné, je me faufilai néanmoins à l’intérieur pour un premier repérage des lieux. Mieux que cossus, douillets. À la hauteur de mes espérances. Ne restait plus qu’à attendre le départ des importuns.

J’avais vu juste. Les jeunes plièrent bagage le lundi de Pâques. Et, dès le lendemain, je tentai l’offensive, testant toutes les cachettes. Lorsque les maîtres de céans me surprirent au moment même où je m’échappais, ils ne semblèrent pas effrayés. Tout au plus contrariés, me soupçonnant – à juste titre – de fomenter un mauvais coup, mais trop zen pour appeler qui que ce soit à la rescousse. J’étais déjà loin quand j’entendis une voix masculine crier : « Et ne t’avise pas de revenir, petit saligaud ! Sinon… » Sinon, quoi ? Je cherchais à décoder les mots restés en suspens. À moins d’un revolver tapi dans un meuble, je n’avais repéré aucune arme chez eux, pas même l’un de ces fusils de chasse fréquents dans la région. Et s’ils escomptaient me courser, j’aurais vite fait de les semer. Ils avaient néanmoins perdu de leur angélisme et verrouillaient désormais les accès à la maison.

Je jouai la suite avec subtilité. Je continuai à zoner dans les environs, apparaissant de façon si fugace qu’ils se demandaient s’ils n’avaient pas rêvé, puis disparaissant le temps d’occuper leur pensée.

Il n’était plus question de reculer si près du but. Je savais ce que je voulais – tout ce qui m’avait jusqu’alors été refusé – et ce que je valais : pas grand-chose, à vrai dire. Ce n’était pas tout à fait de ma faute : né de père inconnu, j’avais, très jeune, perdu ma mère, victime d’un chauffard. Fuyant les hommes bien intentionnés qui ont tôt fait d’encager les orphelins dans des établissements spécialisés, j’avais rejoint la cohorte des SDF.

Mais je n’étais pas d’un tempérament suffisamment urbain pour m’accommoder de la ville où j’avais vu le jour. Combien de temps m’avait-il fallu pour parcourir la distance qui sépare Cavaillon de Saint-Saturnin-lès-Apt ? Je l’ignore ; je n’ai pas la moindre notion de la durée. Je me rappelle seulement avoir beaucoup marché, à travers champs, pour atteindre ce joli village voluptueusement étiré sur les flancs des monts de Vaucluse. Ses ruelles paisibles ne m’inspiraient pourtant pas confiance. J’avais donc poussé jusqu’à la lisière de la garrigue où ils avaient élu domicile. Et, dès la première nuit, j’avais dormi là, tout près d’eux, à la belle étoile.

Une fois qu’ils m’eurent découvert, nous vécûmes une ou deux semaines dans le statu quo. Ils finirent par me prendre en pitié, me donner un peu à manger et à boire de-ci de-là mais en prenant bien soin, dorénavant, de fermer leurs portes-fenêtres. Eux dedans, moi dehors, chacun à sa place. Du moins l’imaginaient-ils ainsi, car je ne partageais évidemment pas leur avis.

Un soir où je les observais à la dérobée, derrière la vitre du salon, à regarder la télévision, j’eus l’idée d’un subterfuge qui se révéla payant : j’émis un long cri modulé et strident, auprès duquel le hululement des sirènes d’alerte testées le premier mercredi du mois dans toute la France ressemblait à une berceuse. Ils se précipitèrent dans la nuit, me serrèrent contre eux en s’assurant que je n’étais pas blessé et m’admirent – enfin – chez eux.

Alors qu’ils caressaient le projet d’adopter un chien, c’est ainsi qu’ils furent adoptés par un chat.

Les héritiers

Assis inconfortablement sur des chaises en polypropylène – seule concession à la modernité dans ce cadre désuet –, ils contemplaient tous les quatre le triste décor du lieu. Moquette râpée, aux lisières mal raboutées, ici et là, par du ruban adhésif brun ; piles de dossiers poussiéreux entassés à même le sol dans un équilibre précaire ; murs jaunis par la nicotine accumulée durant toutes les années où l’on pouvait encore fumer dans les lieux accueillant du public… L’office notarial avait piètre allure.

Ils auraient dû s’en douter s’ils avaient pris le temps de regarder le gnomon1 au métal terni surmontant le porche de l’hôtel particulier. Mais, arrivés quasi simultanément, et avides de découvrir au plus vite la teneur du testament, ils s’étaient empressés d’entrer dans le bâtiment.

Selon ce qu’ils croyaient savoir, aucun d’eux ne s’était trop préoccupé de cet oncle Renaud, mort sans descendance. Ils se contentaient de lui adresser une rituelle et impersonnelle carte de vœux. À leur décharge, ce vieux bougon n’encourageait guère les visites.

Aujourd’hui, c’était différent : une vaste gentilhommière entourée d’un parc arboré valait le détour.

Chacun surveillait l’avancée des aiguilles sur le cadran de l’horloge comtoise qui dominait la salle d’attente. Dix minutes, vingt minutes, trente minutes… Depuis le temps qu’ils ne s’étaient pas trouvés réunis, ils auraient pu tromper l’ennui en échangeant quelques nouvelles. Mais non ! Après s’être chamaillés dès leur plus tendre enfance, ces quatre-là s’étaient définitivement éloignés à l’âge adulte.

Simone, l’aînée, visage non fardé, cheveux gris strictement tirés en arrière, gardait les doigts croisés sur ses cuisses comme pour défendre une virginité qu’aucun homme n’aurait jamais eu le courage d’attaquer.

À son opposé, Liliane, la cadette, crinière rousse dégoulinant sur les épaules, teint crépi comme une façade nouvellement rafraîchie, lèvres et ongles laqués de rouge, tendait les bras l’un après l’autre et clignait des yeux charbonneux pour vérifier la bonne tenue de sa manucure.

Entre elles deux, leurs frères Bernard et Louis ne partageaient qu’une peau olivâtre et un crâne dégarni. Le premier arborait un costume marine trois-pièces remontant à l’époque de son mariage : adapté aux circonstances à son avis, mais n’ayant pas grossi avec lui : s’il lui assurait un avenir tranquille dans la Fonction publique, le salaire de Bernard n’avait pas encore suffisamment augmenté à l’ancienneté pour lui permettre des écarts. Le second la jouait décontracté, en veste de tweed sur un jean, mais sa jambe droite qui tressautait nerveusement démentait son calme apparent. L’un et l’autre semblaient aussi absorbés que des enfants tapotant sur les touches de leur téléphone portable.

Compréhensible pour Louis qui, boursicoteur invétéré, suivait sans doute les dernières fluctuations du CAC 40.

Nettement moins pour Bernard. Ayant « posé » sa journée, il n’avait aucune urgence à traiter. Remplissait-il donc des grilles de Scrabble, Sudoku ou Mots fléchés ?

Agacées par le petit bruit de pic vert, les deux sœurs haussèrent les sourcils : impossible de se concentrer dans ces conditions.

En fait, malgré les apparences, chacun continuait à cogiter et, au fil des secondes qui passaient, finissait par imaginer le pire.

Le légataire, fantasque et roublard, n’aurait-il pas imaginé de leur céder sa propriété en indivision ? Aucun d’eux ne possédait les moyens financiers de racheter leur part aux trois autres et la cohabitation virerait vite à l’enfer. Ou alors n’aurait-il pas privilégié l’un des quatre qui aurait traîtreusement œuvré en catimini pour s’attirer les faveurs du vieux ?

***

Séparé d’eux par une épaisse porte matelassée, garante de confidentialité, le notaire révisait les notes prises quand son client lui avait confié tout le mal qu’il pensait de la fratrie.

Tous des nuls !

Simone, la « vieille fille » du lot, a tout raté dans l’existence, y compris son entrée au couvent ; la mère supérieure l’a dissuadée de prononcer ses vœux, pour cause d’un égocentrisme peu compatible avec l’ordre religieux et l’a rendue à la vie civile. Elle n’y a trouvé qu’un emploi de pionne dans une institution scolaire chic et chère, où elle gagne une misère.

Liliane s’est en revanche taillé un succès dans une vie de « gourgandine ». Mais, après avoir longtemps subsisté grâce à la générosité de ses amants successifs, elle fait de moins en moins recette au fur et à mesure qu’elle prend de l’âge.

Les deux garçons, eux, rivalisent de médiocrité.

Bernard arrive tout juste à nourrir sa femme et ses huit enfants avec son maigre salaire de fonctionnaire. Quelle idée de baiser comme un lapin quand on n’en a pas les moyens !

Quant à Louis, on ne peut que le féliciter d’une chose : ne s’être jamais marié ni reproduit.

Une chance, car il n’aurait jamais pu entretenir une famille : sans aucun métier, il se borne à boursicoter sans jamais en avoir tiré un grand bénéfice.

Malgré ces propos peu amènes, le notaire se rappelait avoir en vain plaidé la cause des impétrants. À peine avait-il suggéré que leur éducation constituait peut-être la cause de cet échec collectif que Renaud avait violemment réagi :

« Vous vous foutez de moi ? Mon beau-frère est mort trop tôt. Et ma pauvre sœur aussi, bien plus tard. Jamais ils n’auraient toléré un tel comportement ! Inutile d’insister. »

***

Maître Autran les reçut enfin, avec quarante-cinq minutes de retard.

Mains noueuses tavelées de brun posées bien à plat sur une chemise cartonnée, il commença par leur présenter ses condoléances. Préliminaires dont ne s’encombrait plus la majorité de ses jeunes confrères : businessis business et time is money.

Sans se concerter, les quatre inclinèrent la tête en guise de remerciement. Aucune larme à verser sur la disparition de ce nonagénaire acariâtre auprès duquel ils ne se manifestaient qu’une fois par an via une impersonnelle carte de vœux.

Quand ils fixèrent à nouveau le notaire, ils furent surpris de lui voir les yeux embués. Ce dernier observa un bref silence, se racla la gorge et poursuivit :