À la recherche du sens perdu - Vanina Joulin-Batejat - E-Book

À la recherche du sens perdu E-Book

Vanina Joulin-Batejat

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Beschreibung

"À la recherche du sens perdu" suit le destin de quatre personnages à travers quatre continents, dans une quête profondément humaine. L’auteure plonge le lecteur au cœur d’histoires saisissantes, abordant la prostitution, l’excision, l’attaque du World Trade Center et les camps de rééducation par le travail. Elle explore ces thématiques bouleversantes et universelles avec une grande sensibilité, tout en offrant une réflexion percutante sur la condition humaine et les défis contemporains. À travers ces récits entremêlés, le roman propose une véritable autopsie de nos sociétés, interrogeant les notions de résilience, d’identité et de quête de sens.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Avocate, juriste internationale et consultante en implantation aux États-Unis, Vanina Joulin-Batejat nous offre une œuvre humaniste qui met en lumière les droits humains. "À la recherche du sens perdu" est son premier roman publié.

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Seitenzahl: 252

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Vanina Joulin-Batejat

À la recherche du sens perdu

Roman

© Lys Bleu Éditions – Vanina Joulin-Batejat

ISBN :979-10-422-4938-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Il est rare de rencontrer une personne dont l'intégrité et le dévouement transparaissent à travers chaque action, chaque mot et chaque œuvre. Vanina Joulin-Batejat, que j'ai le privilège d'appeler une amie, est l'une de ces âmes rares. Ayant eu l'opportunité de collaborer avec elle à travers sa société ReussirUSA, j'ai toujours admiré son engagement inébranlable envers ses clients, sa passion pour le partage et son profond respect pour les valeurs humanistes.

Lorsque Vanina m'a partagé son désir d'écrire, il ne faisait aucun doute que ses écrits seraient le reflet de cette passion et de cette humanité. Ce premier roman, bien que précédé de plusieurs ouvrages dans d'autres domaines, est une preuve éclatante de son talent narratif. Vanina a su créer un univers riche, où chaque chapitre résonne comme un plaidoyer pour une cause qui lui est chère. L'équilibre subtil entre dialogues, descriptions et émotions fait de ce roman une œuvre qui se vit plus qu'elle ne se lit.

L'audace dont elle fait preuve en abordant des thèmes aussi variés que la prostitution, l'excision, le suicide des jeunes, les atteintes aux droits humains, tout cela dans un contexte historique et basé sur des histoires réelles, l'érotisme et les luttes personnelles internes de ses personnages, montre une maturité littéraire impressionnante.

Chaque page est imprégnée de cette capacité unique de Vanina à nous faire voir, sentir, toucher et ressentir, comme si nous étions aux côtés de chacun de ses personnages.

Chère lectrice, cher lecteur, préparez-vous à être transporté dans un voyage où l'âme humaine est mise à nue, où chaque mot est choisi avec soin et où chaque chapitre est un hommage à la complexité et à la beauté de l'expérience humaine.

Vanina Joulin-Batejat ne fait pas que raconter une histoire, elle vous invite à vivre un moment de partage intense, authentique et profondément humain.

Bonne lecture !

Madame Karin Warin

L'auteure de cette préface, Karin Warin, est basée en Normandie. Serial entrepreneure, Karin est maintenant dirigeante de Magna-Up, une société de conseil en France et aux USA. Elle a revendu sa dernière société à Sodexo. Karin est également la cofondatrice du réseau N'Way, qui regroupe des centaines d'entrepreneurs et entrepreneures en Normandie, et membre actif des réseaux qui portent l'ambition au féminin. Une personne créatrice et humaniste.

Première partie

On peut toujours trouver de la lumière même dans les périodes les plus atroces.

L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous.

Jean-Paul Sartre

Voyage initiatique

Rencontre

Chang rencontra Zahra en France alors qu’il avait décidé de prendre six mois de congés sabbatiques après avoir obtenu son PhD, à seulement 23 ans. Une prouesse. Il avait passé sa jeunesse à optimiser et automatiser son temps. Il décida donc d’aller en Europe, principalement en France, Italie, Espagne, Angleterre et Suisse.

Paris serait sa dernière destination. Quatre mois auparavant, il avait atterri en Angleterre, à Londres et avait prévu d’y rester deux semaines. Il avait toujours été fasciné par la royauté même s’il la considérait comme une bizarrerie au XXIe siècle.

Il ne comprenait pas que ce vestige du temps passé pouvait encore exister avec une telle acuité, une telle intensité. Manifestement, les Anglais étaient attachés à leur Reine. Même si les sondages étaient à prendre avec du recul, il n’en demeurait pas moins qu’un sondage du journal Le Guardian indiquait que 69 % des Britanniques plébiscitaient la Monarchie, vue comme bonne pour le pays, un symbole d’unité de la Nation dans les tourmentes politiques, surtout chez les personnes de plus de 60 ans.

Il visita Buckingham Palace et les appartements de la Reine. Chang arpentait les rues de Londres.

Il allait sans but, examinant chaque bâtiment, regardant les gens dans toute leur diversité, des dandys se mêlant allègrement aux punks, aux sportifs, des personnes avec des cheveux de toutes les couleurs, un joyeux bal de couleurs et d’impressions qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’expérimenter dans toute sa vie qui s’était résumée à son univers restreint, ordonnancé autour de son ordinateur, ses livres, ses compétitions. Il n’avait jamais envisagé que se « laisser vivre », aller sans but, pourrait lui apporter tant de bonheur et de découverte. Tous ses sens étaient en alerte. Il ne s’était jamais senti aussi vivant et vibrant. Il s’arrêta pour la première fois de sa vie dans des pubs et notamment, l’un des plus anciens d’Angleterre, le Prospect of Whitby situé au bord de la Tamise. L’immeuble datait d’environ 1525. Un lieu connu pour avoir été visité par des artistes célèbres, des journalistes des chroniqueurs et notamment, Charles Dickens, Samuel Pepys, la Princesse Margaret et le Prince Rainier, mais également des Américains comme Kirk Douglas, Paul Newman, Glenn Ford, Rod Steiger. Il visita alors le Château de Bruce, également appelé Lordship House. On lui avait dit qu’il était hanté… Chang était fasciné par l’architecture. Des murs de près d’un mètre d’épaisseur, plus longs que son bras. Il se dit que les constructions modernes participaient à la « dé – écologie ». Ces constructions étaient là depuis des centaines d’années. Pas besoin de chauffage ou de climatisation. Combien d’humains avaient frôlé ces murs ? Si ces murs pouvaient parler ? Bien que très cartésien, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une présence, chose qu’il n’avait jamais ressentie dans les maisons aux États-Unis. Il finit son périple par le château de Windsor. Chaque découverte ouvrait une porte sur des centaines de questions. Son cerveau était en ébullition permanente. Finalement, il n’avait jamais rien expérimenté de sa vie. C’était la première fois que tout n’était pas chronométré à la seconde. Il était presque perdu. En fait, il ne s’était jamais senti aussi vivant, plus que jamais présent, réel.

Il savourait tout ce que ces villes pouvaient lui offrir, les gens, l’histoire, les vies, les immeubles, les odeurs, les bruits, tous ces langages, ces accents qui étaient comme une nouvelle musique à chaque coin de rue…

Pour la première fois, il prenait le temps de compiler ses impressions, ses observations dans un petit calepin qu’il avait acheté avant de partir. Lui seul pourrait le lire, car son écriture était très difficile à relire et qui sait, un jour peut-être, cela lui servirait-il à écrire un livre ou un recueil de mémoires. Il n’oublierait pas.

Chaque jour, chaque minute était une nouvelle révélation. Des sensations, des odeurs, des bruits, des goûts qu’il n’avait jamais connus ou jamais pris le temps de découvrir. Ce mélange d’immeubles anciens datant de plusieurs centaines d’années, nichés au milieu de tours immenses, en verre, certaines de plus d’une centaine de mètres de haut donnaient l’impression de se disputer la médaille d’or de l’originalité. Il était comme un extraterrestre qui découvrait la terre. Un monde tellement différent de celui dans lequel il s’était enfermé sans s’en rendre compte. Un monde fait de rires, d’exclamations, de cris, de pleurs, d’odeurs, parfois nauséabondes, voire écœurantes, lorsqu’il traversait certaines rues, de sensations qu’il découvrait avec étonnement. Comment avait-il pu passer à côté de la vie, à côté de cette vie, en tout cas, qui avait tellement le goût de la réalité humaine ?

Les jours passaient, il était temps de repartir.

Deuxième étape, Palma de Majorque.

Si pour la plupart des gens cette destination symbolisait la fête, les clubs et la jet set, Chang avait simplement pour but de visiter la maison de son héros, Frédéric Chopin, le compositeur qui l’avait aidé dans les moments les plus difficiles, son havre de paix.

Sa tante lui avait toujours dit que son « génie », sa virtuosité pianistique lui avaient ouvert les portes de l’Amérique. Chopin aussi avait quitté son pays, la Pologne, car son génie pianistique ne pouvait plus se développer assez dans son pays, selon ses parents. À peine âgé de vingt ans, il avait dû se résoudre à partir à Vienne. Dès son arrivée, il apprit la nouvelle de la révolte polonaise contre le pouvoir russe. Il était prêt à retourner, mais son ami Tytus – qui était en fait l’amour de sa vie – et sa famille l’en détournèrent. Il décida alors de se diriger vers Paris, le cœur déchiré.

Comme lui, Chang considérait qu’il avait été privé de son pays, de ses origines, de sa famille. Comme Chopin, il était un virtuose du piano. Chopin était donc un compositeur important à ses yeux et surtout, le seul moyen de se retrouver un peu. Lorsqu’il se mettait à jouer certains nocturnes, il oubliait tout.

Il avait tout appris de sa vie.

Paris était devenue sa ville favorite, en quelque sorte « l’Athènes » des arts et de la culture pendant le mouvement romantique, un milieu dans lequel son génie pouvait s’épanouir. Chopin avait cependant une santé fragile. Quelque temps plus tard, il se rendit sur l’île de Majorque non seulement sur les recommandations de son médecin, mais surtout, sous l’impulsion de George Sand (Aurore Dupin) qui voulait lui offrir un hiver clément compte tenu de ses ennuis de santé, une tuberculose qui s’accentuait. Aurore Dupin était la fille de Maurice Dupin qui était de la même lignée aristocratique que le Maréchal de Saxe. Sa mère était quant à elle « une roturière ».

Son père mourut lorsqu’elle avait quatre ans et elle fut élevée en grande partie par sa grand-mère.

Après un passage dans un couvent, elle revint chez sa grand-mère, se maria, et eut, par la suite deux enfants, Solange Dudevant et Maurice Sand.

C’était une femme de tête, fière, volontaire et désireuse de prendre son destin en main. Elle avait aussi cette dualité en elle, à la fois aristocrate et femme du peuple. A seulement vingt-sept ans, n’éprouvant plus aucun sentiment pour son mari, elle décida de partir à Paris, devenu le lieu de la création artistique et littéraire mondiale et commença sa carrière d’écrivain sous le regard et la protection de ses deux mentors, Henri de Latouche et Charles Sainte-Beuve, historien de renom.

Elle rencontra également Jules Sandeau. Ils devinrent amants et Aurore Dupin transforma son nom en George Sand (du nom de Sandeau). Leur relation prit rapidement fin et elle se lia avec Alfred de Musset. Dans le même temps, elle se séparait définitivement de son mari et obtenait la garde de sa fille Solange.

Elle rencontra alors Frédéric Chopin lors d’une soirée parisienne qui comptait également le célèbre compositeur Franz Liszt. Elle tomba non seulement amoureuse de sa musique si raffinée, élégante, mais de Chopin lui-même, avec son teint pâle, la pureté de son apparence, son authenticité. Elle était beaucoup plus âgée, mais qu’importe. George était une femme de tête, hors du temps. De son côté, Chopin se demanda si elle était vraiment une femme au regard de son comportement et de sa tenue. Elle lui envoya des lettres enflammées et Chopin finit par tomber sous son charme. Il avait en tout cas trouvé une âme artistique « sœur », si ce n’était le véritable amour.

Ils arrivèrent à Palma de Majorque et allèrent s’installer dans une maison composée de trois pièces et d’une cuisine à la chartreuse de Valdemossa, qui était en fait un ancien monastère à moitié en ruines.

Valdemossa, apprirent-ils était aussi la patrie de Catalina Thomas, une sainte, béatifiée par le Pape Pie VI.

Le voyage à Valdemossa ne fut pas de tout répit. George Sand espérait passer un hiver dans la douceur des Baléares, ils durent faire face à des pluies diluviennes et un froid glacial. La santé de Chopin se dégrada rapidement et ils ne purent trouver de médecin digne de ce nom. George Sand ne savait que faire pour maintenir la santé de celui qu’elle aimait. « Ma cellule a la forme d’un grand cercueil », écrivit le compositeur, « On peut hurler… toujours le silence ».

Malgré la détérioration de sa santé, Chopin se remit toutefois à composer et réalisa, dans cette semi-agonie, certaines de ses plus belles œuvres, incluant des préludes commandés par Camille Pleyel, une ballade, mais aussi des nocturnes et même, dit la légende, la valse du petit chien en regardant le chien de George Sand tourner autour de sa queue.

Chang alla visiter la Chartreuse. Il savait que le piano de Chopin serait présent dans la maison et se demandait s’il pourrait le toucher, voire jouer quelques notes sur cet instrument mythique. Il apprendrait par la suite que ce piano n’était en fait pas le vrai piano de Chopin, celui-ci ayant été brûlé avec toutes ses affaires à son départ, car considéré comme un pestiféré en raison de sa tuberculose.

Arrivé à la Chartreuse, il n’en fut pas moins subjugué par la beauté du jardin. Il errait au milieu des archives présentées et tentait de se représenter Chopin dans cet univers.

Il se rendit ensuite à Barcelone et visita le Musée Picasso.

Il loua une voiture et conduisit de Barcelone à Figueres pour visiter la ville de Dali, puis conduisit jusqu’à Collioure, somptueux village de pécheurs à quelques kilomètres de la frontière franco-espagnole.

***

Jusqu’à présent il n’avait connu que l’univers de la Silicon Valley et quelques villes Américaines qu’il avait parcourues rapidement sans même les visiter, lorsqu’il participait à des concerts de piano et des compétitions de gymnastique.

Il avait découvert l’Europe à travers des photos, mais rien ne rendait justice à ces atmosphères et la beauté des paysages qu’il découvrait. Il avait littéralement l’impression pour la première fois… de vivre.

Il se dirigea vers Montpellier où il fit une halte pour visiter la faculté de droit et la faculté de médecine dont il avait entendu parler. La ville était magnifique, complètement piétonnière, ce qui était nouveau pour lui qui avait tant l’habitude de se déplacer en voiture.

Catalina

C’est toujours dans adversité que l’humanité se manifeste dans toute sa profondeur.

Le saccage d’une femme violée troublerait-il donc moins l’ordre social que le pillage d’un coffre-fort ?

Gisele Halimi

Il continua son chemin vers Marseille. On lui avait recommandé de goûter la fameuse bouillabaisse, savoureuse préparation culinaire à mi-chemin entre le ragoût et la soupe. Selon la légende marseillaise, la déesse Vénus aurait donné une soupe de poisson à son mari Vulcain (le dieu du Volcan), pour lui faire plaisir et se coucher tôt.

Cela lui aurait donné le pouvoir de s’adonner à l’amour du dieu guerrier Mars. Le plat aurait donc été considéré comme une manifestation divine. En tout cas, oui, le plat était divin. Durant toutes ses années d’études, Chang n’avait fait que travailler, la gent féminine étant le cadet de ses soucis. Il avait décidé qu’il ferait ses armes et apprendrait à faire l’amour en France, pays de la séduction et reconnu pour les femmes les plus belles du monde et aussi, le plus grand savoir-faire dans le domaine de l’amour. Il était venu seul. Un voyage initiatique pour comprendre son environnement, pour se découvrir également. Habitué à tout planifier, il avait décidé qu’il commencerait son éducation avec une prostituée. Malgré tout, il souhaitait intensément qu’il n’y ait pas de caractère vulgaire dans cet apprentissage, bien au contraire, mais tout simplement, apprendre dans le meilleur environnement. Comme toujours son esprit rationnel où l’efficacité et l’optimisation étaient les deux valeurs primaires, faisait son œuvre.

Ironiquement, la rue connue pour la présence de prostituées s’appelait la rue du Monastère, avait-il appris par des Marseillais. Il avait souri devant ce qui lui apparaissait comment étant une incongruité entre l’activité principale de cette rue et son nom. Il s’avançait dans un terrain complètement inconnu sur tous les plans. Il observa la rue pendant deux soirées, regardant les allées et venues, observant attentivement les prostituées, vérifiant si la police faisait des rondes.

À sa grande surprise, la rue était plutôt tranquille, chacun vaquait à ses activités, seuls les riverains commençaient à s’énerver et beaucoup avaient porté plainte… Sans suite, lui avait-on indiqué. Il voulait tout savoir. Un vrai travail d’enquêteur. Cela le rassurait un peu. À minima, il maîtrisait l’information, s’il ne pouvait pas maîtriser le déroulement.

Il avait prévu de repartir le lendemain pour Nice.

C’était un jeudi soir, le 20 juin 1986, il faisait chaud. Il y avait une veillée sur le port de Marseille en l’honneur d’un certain Coluche, décédé le 19 juin d’un accident de moto, non loin de là, sur une route des Alpes-Maritimes entre Cannes et Opio, brutalement percuté par un camion. Il s’était approché. Les gens murmuraient, certains pleuraient, d’autres criaient. Certains avaient apporté des fleurs, des bougies. Une tristesse palpable, voire le désespoir chez certains, comme s’ils venaient de perdre un membre de leur famille, une personne qui avait joué un rôle majeur dans leur vie. Chang ne comprenait pas très bien cette tristesse, ces réactions intenses.

Tout le monde en parlait dans les bars et dans les journaux.

Vers vingt-trois heures, il s’avança dans la rue. Il avait repéré une des femmes, peut-être vingt ans, très belle. Il se demandait d’ailleurs pourquoi elle faisait cela. Belle comme elle était, elle ne devrait pas avoir besoin d’offrir son corps à des inconnus pour de l’argent.

Il s’approcha d’elle. Elle lui énuméra ses services et tarifs.

Il indiqua qu’il voulait le programme complet et qu’il souhaitait également parler pendant une heure si elle était d’accord et qu’il doublerait la somme.

— D’accord, mais je ne vois pas très bien de quoi tu souhaites parler.

Suis-moi.

Chang s’attendait à aller dans une chambre d’hôtel, mais elle lui proposa d’aller dans le hall lugubre d’un immeuble. Des préservatifs jonchaient le sol. Ce n’était définitivement pas possible.

Il logeait non loin de là de toute façon, à la villa Marie-Jeanne.

— Comment t’appelles-tu ?
— Tu peux m’appeler ce que tu veux, tu n’as pas besoin de savoir.

Il hésita. Pensa à la villa Marie-Jeanne.

— D’accord, alors je t’appellerai Marie si tu es d’accord. Je loge à la villa Marie-Jeanne non loin de là, environ 20 minutes à pied.
— Donc tu veux que je fasse presque une heure à pied en plus. C’est payant. Je n’ai pas tout mon temps.
— Oui, ce n’est pas un problème.
— Eh, tu m’inquiètes, là : montre-moi le cash ou alors on arrête tout, tout de suite. J’ai déjà assez perdu de temps.

Chang ouvrit son portefeuille. Il avait prévu mille francs en billets de deux cents francs.

Il lui montra les billets, les compta devant elle et les lui donna.

— À ce tarif, c’est d’accord.

« Marie » le suivit.

Ils longèrent le boulevard de la Blancarde, nom donné par la famille Blancard qui avait autrefois un château qui fut ravagé par un feu au XVIIe siècle. Chang s’arrêta devant un terrain de pétanques et s’étonna que des joueurs continuassent à jouer à cette heure tardive.

— Oh vé, tu es à Marseille, ici on ne se couche pas comme les poules. Il n’est que 23 heures quinze.
— Pourquoi fais-tu ce « métier » si j’ose dire ?
— Et pourquoi je le ferais pas ?
— Tu es jolie, même très belle. Tu pourrais apprendre, t’éduquer, aller à l’école.
— Tu as un accent marrant, mais tu me fais mal à la tête avec tes questions.
— Pardon, je ne voulais pas…
— Mais tu viens d’où toi ?
— Je suis Américain, je vis en Californie.
— Arrête de m’emboucaner avec tes histoires de fadas !
— Je ne suis pas sûr de comprendre.
— Ben, tu racontes n’importe quoi. Tu n’as pas besoin, tu m’as payée, je suis réglo.
— Non j’habite vraiment en Californie, à Palo Alto, à côté de San Francisco.
— Connais pas.

Ils arrivèrent à la villa Marie-Jeanne, une maison d’hôtes située dans une bastide du 18e siècle avec un parc magnifique. Chang avait loué un appartement studio. Soudain il s’aperçut que « Marie » ne portait pas une tenue très… adéquate. Il lui donna sa veste qui devait la couvrir suffisamment pour passer inaperçue au cas où ils rencontreraient quelqu’un.

Son réfrigérateur était rempli de victuailles, y compris un pâté à la truffe, une demi-bouteille de champagne offerte pour les hôtes de la villa. « Marie » s’émerveilla de l’endroit. Elle n’en croyait pas ses yeux. Enfin, elle allait passer une soirée/nuit (elle ne savait pas exactement, mais elle savait que pour le prix payé, elle serait prête à passer la nuit) dans un endroit qui sentait bon et où elle n’entendrait pas des mugissements ou des cris et/ou le bruit de bagarres.

— Eh bé, tu t’embêtes pas toi.
— Voudrais-tu prendre une douche, un bain ?
— Ben pourquoi pas ?

Elle entra dans la salle de bain.

— Tu peux prendre un des peignoirs suspendus qui sont propres si tu veux.

« Marie » se mit à sauter de joie dans la salle de bain. Heureuse. Elle sentit tous les produits les uns après les autres. Elle en mit quelques-uns dans son sac. Elle fit couler un bain avec plein de mousse et se glissa doucement dedans.

Jamais elle n’avait ressenti une telle joie, du moins autant qu’elle put s’en souvenir. Elle pensait qu’elle aurait même accepté de lui faire payer la moitié. Mais bon, si c’était un Américain, il avait de quoi payer. Pourtant, il ressemblait plutôt à un Chinois. Elle lui poserait tout de même la question.

Elle ressortit un quart d’heure plus tard, vêtue d’un peignoir, les cheveux lissés et lavés. Elle se sentait comme une princesse et prit presque des manières de princesse. À croire qu’il ne fallait parfois pas grand-chose pour élever les gens et leur redonner une certaine forme de dignité.

Chang avait servi deux coupes de champagne et préparé quelques toasts recouverts de pâté à la truffe.

— Si tu permets, je vais prendre une douche rapide.
— Fais comme chez toi.

« Marie » pouffa de rire. Une joie réelle. L’impression d’être traitée comme une vraie jeune fille.

Chang sortit quelques minutes plus tard.

Ils s’attablèrent l’un en face de l’autre. « Marie » s’empressa de manger tous les toasts et but rapidement sa coupe de champagne.

Chang la regardait avec un sourire amusé. Il se demandait si elle mangeait à sa faim.

— T’es pas plutôt Chinois, car franchement tu n’as pas l’air d’un Américain. Tu sais, moi je suis contre personne.
— C’est une longue histoire, mais pour résumer, je suis né à Shanghai en Chine, de parents chinois, mais mon oncle et ma tante m’ont recueilli et adopté aux États-Unis lorsque j’avais quatre ou cinq ans.

Chang ne voulait pas s’étendre sur un passé qui le faisait souffrir, se dire qu’il avait été un enfant rejeté. Non, il ne voulait pas y penser, en tout cas, pas maintenant.

— Tu connais Coluche. J’ai vu que tout le monde en parle dans les journaux et qu’ils ont fait une veillée sur le port ?
— Tu connais pas Coluche ? C’est pas vrai ? Je l’aimais bien moi, Coluche, un type vrai. Tu te rends compte qu’il est mort à seulement quarante et un ans ? C’est jeune, le pauvre. C’est lui qui a fait les Restos du Cœur. Il s’est même porté candidat à l’élection présidentielle de 1981. Il s’est ensuite retiré, mais tu sais quoi, moi j’aurais voté pour lui si j’avais eu l’âge. Il était sincère et il parlait avec son cœur. C’est presque un héros national pour nous…

Ils discutèrent encore pendant plus d’une heure. « Marie » ne s’arrêtait pas. Elle lui racontait les meilleurs quartiers de Marseille, sa vie lorsqu’elle ne faisait pas le « tapin », ou du moins une partie de vie qu’elle aurait aimé vivre. Elle riait.

Chang l’écoutait. Son accent raisonnait comme une petite musique gracieuse dans sa tête. Il ne pouvait pas imaginer qu’elle doive se vendre et qu’il allait en profiter. Il voulait rendre l’expérience, la plus élégante possible, la traiter comme une belle personne, car « Marie », était définitivement, une très belle personne.

— Tu veux commencer quand ?
— Je dois d’abord te dire que je n’ai jamais eu de rapport sexuel.

Marie cette fois rit à gorge déployée.

— Mais tu sors de quelle planète ? Quel âge tu as déjà ?
— J’ai vingt-trois ans. Il faut que je t’explique. Je suis arrivé aux États-Unis comme je te l’ai dit et j’ai été adopté par mon oncle et ma tante. De ce que je sais, j’ai eu d’abord mon visa, car j’étais un enfant prodige au piano. Je savais déjà parler l’anglais, le chinois et le français à seulement quatre ans et commençais à faire des multiplications et des divisions. Mes parents avaient demandé à mon oncle et ma tante de poursuivre cette éducation afin que je puisse aller dans les meilleures universités des États-Unis. Ma tante le leur promit et tint sa promesse. Elle avait accès à un compte que mes parents avaient ouvert à mon nom et avait la tutelle dessus pour payer les dépenses d’éducation. J’ai toujours travaillé, beaucoup, tout le temps. Je n’avais pas d’amis. J’ai même participé aux jeux Olympiques de Gymnastique d’été à Los Angeles en 1984 et j’ai eu plusieurs médailles dont une médaille d’or sur les anneaux. Je m’entraînais un minimum de 16 heures par semaine en plus de tous mes cours, et mes activités annexes, Chinois, Français, Piano, mathématiques… Tu comprends, pas le temps pour autre chose.

Non, elle ne comprenait pas. Pas du tout même. En revanche, elle comprenait qu’elle allait devoir tout lui apprendre sur le plan sexuel.

— Bon d’accord, je comprends maintenant ce que tu attends de moi. Je vais tout t’apprendre.
— Ne pense pas que je ne te considère pas comme une belle personne, surtout « Marie ». Mais voilà, je veux être prêt lorsque je rencontrerai la femme de ma vie.

Elle éclata de rire.

— Tu penses rencontrer la femme de ta vie le premier coup que tu vas rencontrer une fille ? Es-tu benêt à ce point-là ?

Plus Chang l’écoutait et la regardait et moins il comprenait qu’elle doive se prostituer. Cela ne faisait vraiment pas de sens. Elle avait tant de charme, plein de bon sens et il en était sûr, il n’en faudrait pas beaucoup pour l’éduquer.

— Tu ne voudrais pas changer de vie ?
— Ne recommence pas avec tes questions. J’ai ma vie et voilà, c’est comme cela.

Bon, on va passer aux choses sérieuses : tu vas dire oui ou non. Comme cela, je vais pas perdre de temps.

Tu as déjà embrassé avec la langue ?

— Non.
— Fellation ?
— Non.
— Sexe, j’ai bien compris, rien du tout.

OK, alors tu vas me suivre. Pas besoin de parler cette fois. Je fais et tu fais la même chose.

Elle l’installa sur le lit puis s’approcha de lui doucement. Elle se pencha sur son visage et commença à l’embrasser en faisant rentrer la langue doucement dans sa bouche.

— Ve, tu dois me suivre. Si je tourne, tu tournes la langue un peu comme tu danses corps à corps.
— T’as déjà dansé quand même avec une fille ?
— Pas vraiment. On a plutôt dansé côte à côte.
— Bon, alors tu fais exactement ce que je fais avec la même lenteur. Tu comprends. Enfin, tu te laisses aller. C’est aussi simple que ça.

Chang était maintenant moins surpris. Il reprit un verre de champagne et cette fois prit l’initiative d’embrasser « Marie », avec douceur.

— Tu es un bon étudiant, toi. T’apprends vite. C’est très bien.

Maintenant, choisis ton préservatif : naturel, vanille, bleu, transparent ?

— Choisis « Marie », mais je préférerais peut-être le plus naturel.

« Marie » prit le préservatif transparent et le lui donna pour que Chang le mette. Une fois encore, « Marie » dut l’aider, mais il apprit vite.

Elle entreprit alors une fellation et s’arrêta avant qu’il ne jouisse. Il était maintenant dans un état érotique intense et « Marie » faisait preuve d’une grande sensualité.

Le bouquet final était la pénétration. Cette fois, Chang alla jusqu’au bout et jouit. Il avait des larmes qui coulèrent le long de ses joues et ne comprenait pas très bien l’intensité de sa réaction. Il demanda à « Marie » si elle acceptait de rester la nuit. Il lui donnerait cinq cents francs de plus. Il voulait recommencer au petit matin. « Marie » accepta, pas à cause de l’argent, mais parce que pour une fois, elle se sentait femme assez bizarrement.

Le lendemain matin, « Marie » dormait encore quand Chang arriva avec un plateau recouvert de victuailles : croissants, pains au chocolat, brioches, assiette de fruits frais. Il avait laissé sur la table une théière, un pot rempli de café et un autre rempli de chocolat chaud.

« Marie » n’en revenait pas. Et elle avait dormi toute une nuit entière pour une fois, dans un endroit qui sentait bon et où elle se sentait en sécurité. Elle se demanda même si elle n’était pas encore en train de rêver.

Chang la regardait, amusé avec son air un peu éberlué, les cheveux en bataille.

— Tu as faim ?
— Tu m’étonnes, je pourrais manger un éléphant.
— Je t’ai apporté un plateau avec un peu de tout, car je ne savais pas ce que tu aimes. Il y a aussi du thé, ou du café ou du chocolat.
— Tu es trop gentil toi.

« Marie » était au comble du bonheur.

Ils se rassasièrent et Chang lui demanda si elle acceptait de refaire l’amour avant de partir.

— Oui et cette fois, je le fais parce que je suis heureuse.

Chang était ému de cette révélation, de son ingénuité, sa candeur extrême. Malgré tout ce qu’elle vivait, elle avait gardé cette fraîcheur. Il ne comprenait pas.

Cette fois, c’est lui qui prit l’initiative. Il s’enfonça doucement dans « Marie » qui l’accueillit avec bonheur.

Elle savait que c’était trop tard. Son cœur était « endommagé ». Elle commençait à ressentir une douleur morale et émotionnelle intense, une tristesse indomptable. Elle savait qu’elle allait ressentir une profonde mélancolie pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Elle ne voulait pas que cet instant de bonheur inattendu s’arrête.

La réalité lui apparaissait cette fois dans toute sa laideur. Elle se mit à pleurer, pas de bonheur, mais de détresse.