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Comment est-ce possible ? Ce recueil de nouvelles propose diverses explications à des annonces publiées par des particuliers ou par la Française des Jeux qui recherche des gagnants qui n'ont pas réclamé leur gain. Le parti choisi est qu'aucune des raisons invoquées ne soit liée à un évènement tragique.
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Seitenzahl: 88
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À Éléonore, Émilie et Clémentine
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
LOTO
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
On les avait averties : elles devraient vraiment s’y prendre à l’avance. Il fallait prévoir le temps de la confection et des retouches, un essayage parfois deux, sans compter que le choix pouvait être long !
En outre, essayer en automne une robe pour la fin du printemps ne posait pas de problème et la robe serait livrée au magasin deux mois avant la cérémonie ce qui évitait tout stress inutile.
Elles avaient donc pris rendez-vous dans une boutique proche de Paris qui leur avait été chaudement recommandée et l’essayage avait commencé.
Quand Aude se regardait dans la glace, elle ne sentait pas toujours à l’aise dans la robe proposée mais devait reconnaitre qu’elle était toujours jolie.
Il faut dire que tout lui allait : de la robe travaillée, un peu chargée, dite de « princesse » au simple fourreau, du décolleté sexy au sage ras du cou : elle aurait pu porter avec succès n’importe quel modèle et la vendeuse, souriante et professionnelle, lui avait présenté une quinzaine de robes, variant formes et matières.
La première et la plus grande des inégalités reste probablement l’inégalité physique. Il suffit pour s’en convaincre de regarder des hommes ou des femmes vêtus d’un uniforme, celui d’une compagnie aérienne par exemple. La même tenue ne produit pas le même effet. Quelle injustice ! pourquoi telle silhouette est-elle harmonieuse, telle autre non ? pourquoi tel visage est-il naturellement peu gracieux ? des fesses plus ou moins hautes, un nez plus ou moins long, des yeux plus ou moins grands peuvent avoir de nombreuses conséquences, parfois plus difficiles à surmonter que d’autres disparités.
Plantée face au miroir, Aude n’arrivait pas à se décider.
Finalement, une robe sembla retenir son attention, ralliant tous les suffrages même ceux qui n’étaient pas requis des autres clientes présentes ce jour-là dans la boutique : de futures témoins accompagnant leur amie et poussant des cris d’admiration à chaque fois qu’elle sortait de la cabine d’essayage, une sœur qui regardait sa cadette avec une pointe d’envie, et même une grand-mère qui trouvait la robe enfilée par sa petite fille trop décolletée pour l’église :
« Il te faudra un châle »
Il faut dire que la robe qu’Aude avait revêtue était vraiment son style : la coupe mettait en valeur sa ligne harmonieuse et la légèreté du tissu, son apparence juvénile. Pour achever de la convaincre, la vendeuse apporta une couronne et fixa le voile. Elle se découvrit alors en mariée.
Les mots devenaient réalité.
Il y avait eu la demande, la petite bague emballée dans du papier de soie « en attendant la vraie », le champagne, les larmes, l’émotion amplifiée par la surprise, elle ne s’y attendait pas, du moins pas à ce moment-là, pas comme ça. Puis, il y avait eu les annonces, aux parents d’abord, aux frères et sœurs, aux cousins, aux amis proches… à chaque fois la phrase magique
« Voilà, on voulait vous dire qu’on va se marier ! » déclenchait les embrassades, les bravos, les cris de joie ou d’étonnement, les sourires entendus.
Puis les questions fusaient.
Il avait fallu commencer les démarches, à l’église « Mr le curé, nous voudrions nous marier », à la mairie « bonjour, c’est pour un mariage, quelles sont les formalités ? ». Elle avait consulté des sites dédiés. Ils n’avaient pas arrêté, pris dans un tourbillon joyeux.
« Mariage, marier », les mots étaient au cœur de toutes les conversations, de toutes les préoccupations.
Aude avait vécu une adolescence sans problèmes, très entourée et choyée. Elle pouvait se montrer désinvolte et, sans être superficielle, faisait preuve d’un certain manque de maturité.
Et voilà que soudain, reflétée par le grand miroir, se tenait devant elle, la mariée ; les mots prenaient corps. Elle fut saisie d’une peur brutale, d’une sorte d’attaque de panique.
Elle n’était pas prête : pas déjà, pas encore. Elle n’avait rien d’une jeune femme rangée et consciente de ses nouvelles responsabilités. Le bonheur à venir sonnait la fin d’une insouciance, d’une légèreté qui lui allait si bien. Elle n’était plus certaine d’être prête à renoncer à la liberté qui était la sienne depuis plusieurs années : elle pouvait vivre au gré de bon nombre de ses envies, n’ayant de devoirs envers personne, ni d’obligations familiales qui l’aurait retenue, elle menait sa vie sans réelles contraintes extérieures. Y renoncer ? Non pas déjà, pas encore.
Il faisait un peu chaud dans la boutique.
Sa mère, fatiguée et lassée par des atermoiements qu’elle ne comprenait pas, insistait pour qu’elle se décide. De plus elle était heureuse et secrètement flattée que sa fille lui ait demandé de l’accompagner : elle ne voulait pas que cette occasion lui échappe et se solde par un échec.
Elle finit par sortir son carnet de chèque ; la robe qui venait d’être essayée avait été commandée.
Elle ne serait jamais portée.
La saison avait été d’autant plus chargée qu’ils avaient désormais deux familles et le double d’amis : entre mai et septembre, ils avaient assisté à six mariages.
De belles cérémonies, de joyeuses fêtes qu’elle vivait avec, en arrière-pensée, leur propre mariage qui approchait : la robe était déjà commandée.
Que d’efforts, que d’investissements de toute nature ! de quoi trouver des idées pour leur propre mariage. Pourtant, quelle lassitude !
Tous ces mariages se ressemblaient : l’église emplie d’un joyeux brouhaha, l’agitation des mères autour des enfants d’honneur énervés ou apeurés, l’émotion quand le silence se faisait à l’entrée de la mariée, tout de blanc vêtue, saluée par l’orgue solennel, la copine qui animait les chants à l’étroit dans son tailleur pastel, l’adolescente à la robe trop courte qui guidait une petite fille attendrissante dont le panier de quête se remplissait bien vite, l’alliance qui avait du mal à glisser le long du doigt, le baiser réclamé à la sortie, le cocktail qui trainait en longueur, les serviettes qui tournoyaient comme d’étranges mouettes à l’entrée des mariés dans la salle à manger, le discours dont les allusions n’amusaient qu’elles, des témoins de la mariée, la traditionnelle valse du père et de la fille sous les flashes, le cousin éméché à la fin de la soirée….
Toujours pareil, sans caractère, sans véritable personnalité.
Quoique Mélanie aimât les fêtes, elle n’en pouvait plus, en avait presque la nausée. Peu à peu, un étrange dégoût, une sorte d’indigestion lui barbouillait le cœur.
Elle n’avait jusqu’alors que très peu participé à des mariages : elle l’était l’ainée de sa famille et n’avait qu’un seul cousin marié : elle n’avait pas pu prendre conscience de ce que cela pouvait donner !
Ce qui l’écœurait ce n’était pas seulement le côté un peu ostentatoire et mondain de certains mariages mais leurs rituels immuables qui les privaient de toute authenticité.
Ses sentiments n’étaient pas en cause : elle aimait profondément son fiancé, avait été heureuse de sentir leur complicité grandir et leurs projets de vie prendre corps.
Mais on lui avait dit que son mariage était Le Jour de sa vie, le plus beau jour, Son jour.
Eh bien, ce n’était pas de ce jour-là qu’elle voulait, ce n’était pas comme cela qu’elle le voulait : elle voulait un jour qui lui ressemble, original et coloré, honnête qui plus est : une robe virginale, un voile dans lequel certains voient un symbole de soumission, une jolie tradition certes mais quelle hypocrisie ! elle voulait autre chose, elle ne voulait pas jouer un rôle écrit pour d’autres et trop joué.
Non, elle ne serait pas une mariée de circonstance semblable à la figurine en plastique qui trônait en haut de la pièce montée.
Quelques semaines avant leur mariage, alors que les préparatifs étaient bien avancés, le traiteur réservé, la robe commandée, ils furent convoqués par M6.
Des amis avaient envoyé, par plaisanterie, de celles qu’on imagine pour un enterrement de vie de célibataires, leur candidature à la chaine ; leur profil avait plu et ils se retrouvèrent sur le plateau de « Pour la Vie » avec trois autres couples.
L’animateur posait aux filles puis aux garçons, installés dans de petites loges isolées phoniquement, les mêmes questions et comparait les réponses : le couple qui totalisait le plus de réponses communes gagnait son voyage de noces, un voyage de rêve offert par la chaine.
Le début fut triomphal : Aymeric et Karine connaissaient le plat préféré, la couleur favorite, le pays ou le chanteur de prédilection de l’un et de l’autre.
Puis ce fut moins convaincant ; à la question :
« Qu’attendez-vous de cette émission ? » elle répondit :
- Un beau voyage, inaccessible autrement.
Lui : - Le simple plaisir de vivre de l’intérieur le tournage d’une émission de télé, de découvrir les coulisses, l’autre côté de l’écran » Il jouait surtout pour le plaisir et se moqua de son attirance pour le gain.
« Qu’est-ce qui vous a d’abord plu chez votre fiancé ? »
En rosissant, Karine avait répondu « Sa beauté : il est tellement séduisant ! »
Lui qui pensait l’avoir séduite par son intelligence et son humour fut un peu déçu.
« Que diriez-vous de votre fiancée ? » enchaina l’animateur souriant.
Aymeric : « Qu’elle est énergique et dynamique »
Elle avait répondu sans hésiter qu’il la trouvait pleine de charme et appréciait son élégance naturelle.
Le souvenir si différent qu’ils avaient de leur première fois fit rire le public présent sur le plateau mais les laissa perplexes.
Les questions fusaient : l’importance qu’ils accordaient à l’argent, le loisir qu’ils aimaient partager, comment ils se voyaient dans cinq ans :
« En province sans doute avec, j’espère, un ou deux enfants »
« Sûrement à Paris, en train de penser à fonder une famille ».
Les réponses données ne coïncidaient plus.
Se mêlaient la contrariété de voir les autres couples marquer des points et s’embrasser fougueusement devant les caméras après chaque bonne réponse et un sentiment plus insidieux, une certaine amertume et sans doute une forme d’inquiétude : ils ne se connaissaient pas si bien qu’ils le croyaient.
Arriva la dernière question « Quel serait votre plus grand malheur ? » Sans le savoir, Aymeric avait répondu comme Proust : « Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère ». Elle resta interdite. Ces deux femmes, au demeurant fort sympathiques, étaient donc les femmes les plus importantes de sa vie ?
Quand ils se retrouvèrent dans la rue, un peu étourdis, il tenta sans succès de prendre une main qui ne se tendait plus.