Ado les sens - Claude Sybers - E-Book

Ado les sens E-Book

Claude Sybers

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Beschreibung

Sabine et Éliott, à la tête d’une famille de cinq filles, incarnent l’idéal d’une existence opulente et harmonieuse. Cependant, sous cette apparente perfection, des dissonances émergent. Marie-Alice, leur fille aînée âgée de seize ans, rejette avec une fermeté déconcertante toute idée d’attachement sentimental, tandis que sa cadette, d’un caractère plus intrépide, se distingue par des attitudes provocatrices. Alarmée, la nourrice alerte les parents, qui décident de faire appel à son frère, un homme à la vie mystérieuse, pour veiller sur leurs enfants. Au fil des jours, bonheur et tourments se mêlent, mettant à l’épreuve l’amour et la résilience de ce couple. Mais lorsqu’une tragédie impitoyable les frappe de plein fouet, elle bouleverse irrémédiablement leur équilibre. Les années défilent, les enfants s’éloignent, et Sabine et Eliott se retrouvent face à une solitude poignante, où même leur opulence ne suffit plus à combler le vide. Ce roman, entre drames intimes et instants d’éclat, explore les liens familiaux, les blessures invisibles et la quête incessante de sens.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Sybers nourrit une grande passion pour l’écriture depuis trente-cinq ans, un art qu’il a cultivé avec assiduité et créativité. Après la perte de son épouse, il traverse un deuil profond qui éclipse temporairement sa plume. En quête de renouveau et de dépaysement, il s’installe au Sénégal en mars 2013, où il puise une nouvelle inspiration dans la richesse géographique et culturelle de l’Afrique. Ses écrits abordent des sujets sérieux avec une pointe d’humour, privilégiant la littérature d’idées, qu’il considère comme le moyen idéal pour interroger les enjeux humains essentiels.

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Seitenzahl: 278

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Claude Sybers

Ado les sens

… Et si le démon de midi n’était qu’une réplique de l’adolescence ?

Roman

© Lys Bleu Éditions – Claude Sybers

ISBN : 979-10-422-5555-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Avec Dominique Sybers :

– Ne perds donc pas ton temps à inviter ta mère, de toute façon elle viendra – Roman, Ed. du Souverain, Bruxelles, 1994 ;
– Duel aux Archets – Roman, Ed. du Souverain, Bruxelles, 1996 ;
– La parenthèse refermée – Roman – éd. Chloé des Lys, Tournai, 2008.

Seul :

– La fracture citoyenne – Essai, éd. Le livre en papier, Paris, 2017 ;
– La Chair de sa Chair – Roman, Sentiers du Livre, Nantes, 2022 ;
– L’Obstination d’Icare – Roman, Sentiers du Livre, Nantes, 2023.

Préface

À quoi servirait donc l’expérience de vie sinon à la partager ? Et l’auteur a choisi la littérature pour cela depuis 1991 : son premier roman abordait l’éternel conflit entre un jeune couple et les deux belles-mères avec un regard caustique à la fois plein d’amour et d’humour. Depuis lors, je l’ai vu traiter de grandes questions de société dans le même esprit et toujours avec réalisme et dérision, démontant les idées toutes faites. Ces problèmes, il les a vécus et les traite avec pertinence.

J’ai découvert en lui un homme de défis et de combats dans lesquels il s’investit sans compter. Son crédo est que la seule arme efficace contre la plupart des problèmes sociaux ne peut être que l’éducation, qu’il s’agisse de l’amour, du racisme, des religions, de la musique, il parle de ce qu’il sait, de ce qu’il a appris et qu’il veut partager par l’écriture. Cinq romans déjà parus et un essai politique, voilà déjà un beau palmarès et je sais qu’il en a encore bien d’autres sous le chapeau et dans ses tiroirs !

Avec Ado les sens, son septième opus, il aborde le problème, délicat s’il en est, de l’adolescence, cette étape de la vie, charnière entre l’enfant et l’adulte. Et son approche est d’un réalisme cru, parfois même cruel, parce que la fortune de la famille Delhez ne met personne à l’abri des turbulences de l’adolescence des cinq filles. Ni même du démon de midi !

La lecture de ses ouvrages est toujours pour moi un grand moment de détente et à la fois d’introspection. Son style est direct, prenant, plein de vie, ses récits menés tambour battant et il ne s’embarrasse pas de vains détails qui risqueraient d’en faire des romans-fleuves qui ne seraient en aucun point navigables ainsi que les qualifiait Paul Morand.

Claude Sybers s’inscrit à mon sens dans l’héritage des grands romanciers du 19e siècle et du roman de caractères.

Il ne me reste qu’à vous souhaiter bonne lecture.

Georges Verzin,

Ancien échevin de la culture et de l’instruction publique

à Schaerbeek (Région Bruxelles Capitale)

1

L’Éden avant la pomme

Les pires tragédies commencent sans doute le plus souvent de la même façon. Comment d’ailleurs s’en étonner puisque le malheur n’existe jamais que par comparaison avec le bonheur ? C’est un peu comme la pauvreté que l’on ne ressent qu’après avoir rencontré la richesse. Il fut un temps où les Africains étaient pauvres, mais ne le savaient pas, ils étaient juste heureux, vivaient leur vie, ne se posaient pas de questions : ils n’ont découvert leur pauvreté qu’au contact des riches colons qui leur ont d’ailleurs volé ce qu’ils ignoraient encore être leurs richesses.

Quand on est heureux, on a du mal à imaginer que le malheur puisse seulement exister. Et en toute hypothèse, on s’en soucie généralement fort peu : après tout, le malheur des autres c’est l’affaire des autres. Non ?

Ainsi donc, Sabine est heureuse, démesurément heureuse. Elle a tout ce dont il lui était possible de rêver ; c’est le conte de fées de son enfance devenu son quotidien d’adulte. Elle avait alors un prince charmant dont elle avait façonné le portrait dans sa tête et dans son cœur. Et, devenue adulte, elle l’a rencontré ! Alors, comme dans ses rêves, ils se marièrent et ils eurent beaucoup d’enfants : c’était le 29 août 1964, jour de la Sainte-Sabine.

Avril 1980

Seize ans plus tard, ils ont créé leur petit jardin d’Éden avec leurs cinq filles, évidemment belles et intelligentes. Normal : c’est ainsi que le scénariste avait écrit le film de l’enfance de Sabine et elle n’a plus eu qu’à le costumer à sa convenance au fil de ses rêves. Depuis seize ans, ils occupent la splendide maison de l’avenue Mérimée dans le 16e arrondissement de Paris, cadeau de mariage du grand-père d’Eliott.

Sabine et Eliott Delhez, son mari, vivent dans leur cocon une harmonie sans la moindre fausse note ; le bonheur a donné le « la » de l’harmonie et l’unisson est parfait. On serait tenté de paraphraser le Candide de Voltaire en constatant que, pour eux, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible… Mais le raccourci est peu honnête puisque cette phrase n’est pas le fruit d’une réflexion de Candide, mais lui est serinée par son mentor Pangloss : une candeur dont l’élève mettra du temps à émerger… tout comme Sabine.

***

La petite famille s’est constituée méthodiquement, à une cadence bisannuelle quasi métronomique, sans la moindre conscience des dangers qui la menacent ni de la succession de malheurs qu’elle va devoir traverser.

Marie-Alice a seize ans, Marie-Ange, quatorze, Marie-Cécile, douze, Marie-Coralie, dix, et enfin la petite Marie-Anne, huit ans. Après la petite dernière, le couple a estimé avoir atteint la perfection familiale : un foyer de sept personnes ! D’ailleurs, le chiffre sept est un nombre cabalistique omniprésent dans la Bible comme dans la Torah où il symbolise l’achèvement : et le couple est chrétien jusqu’au bout des ongles. Alors… On s’en serait évidemment douté au vu des prénoms des cinq enfants qui attestent d’une dévotion mariale ferme et claire. Pas toujours pratique dans la vie quotidienne, en dehors du fait qu’il suffit d’appeler « Marie » pour rassembler les cinq filles.

Il est – il y aura toujours – des esprits chagrins (jaloux ?) pour constater qu’il est bien entendu plus facile d’être bon chrétien quand on est riche et heureux et que l’on ne doit pas prier le Ciel chaque jour – avec sans doute une conviction très relative – dans l’espoir de trouver de quoi payer le loyer, les factures, vêtir, scolariser et nourrir les enfants…

Car Eliott, en effet, est riche et heureux et fait donc irrésistiblement des jaloux : il est dans les affaires et n’est pas seulement riche, mais plus précisément fort riche puisque d’une part ses entreprises tournent rondement et que par ailleurs il va hériter la fortune plus que confortable de ses parents dont il est fils unique. Il n’a donc aucun souci d’argent, détail qui vient parfaire le tableau idyllique de la petite famille… et alimenter la morgue des envieux. Dans l’immédiat, il assiste son père comme directeur général du Groupe Delhez et démontre une compétence exceptionnelle doublée d’un humanisme grâce auquel tous ses collaborateurs lui témoignent respect et dévouement.

Pourtant, idyllique n’est sans doute pas le qualificatif idoine et il serait plus pertinent d’évoquer une manière de jardin d’Éden avec pomme et serpent à l’affût. Et le ver est déjà dans le fruit sans que nul ne puisse le soupçonner.

***

Pour comprendre ce qui se trame dans ce jardin des délices, il faut bien connaître cette petite famille.

Sabine avait entamé des études de Droit quand elle a rencontré le prince de ses rêves et n’a pas tardé à lui offrir tout ce qu’une fille de dix-neuf ans, élevée dans la tradition chrétienne, garde habituellement pour son époux, sans oublier le sacrifice de ses études dès l’arrivée de Marie-Alice. C’était sans doute le plus beau cadeau qu’Eliott pouvait lui faire, la petite naissant le jour même des vingt ans de sa maman. Les deux familles sont donc rapidement tombées d’accord et le mariage sera célébré par l’abbé Devos, un prêtre évidemment ami de la famille et qui n’a pas jugé pertinent de rappeler aux fiancés qu’ils avaient un peu brûlé les étapes : la sébile du culte a toujours été généreusement remplie par la famille Delhez ! On a raison de dire que le silence est d’or ; et l’abbé le garde, ce silence : c’est le prix de la générosité de ces paroissiens providentiels. Tout au plus tentera-t-il au dîner de mariage, sans doute sous l’effet d’un grand cru sans aucun rapport avec son habituel vin de messe, une plaisanterie au sous-entendu fort mal voilé : Dieu merci, vous n’avez pas attendu, pour vous marier, que la petite soit en âge de porter la traîne ! Un mot d’esprit pas franchement apprécié des familles, mais qui, loin de susciter un incident, aura pour réponse un message, subliminal s’il en est, du père d’Eliott : L’abbé, je n’ai jamais compris pourquoi votre vin de messe est blanc alors qu’il est censé représenter le sang rouge du Christ ! Il est vrai qu’à notre table vous… communiez dignement avec Saint-Émilion ! Message reçu, affaire classée.

L’état de fortune de cette famille rendant clairement risible la nécessité pour Sabine de songer à une carrière professionnelle, ses études de Droit passeront aux oubliettes dès le retour du voyage de noces. Sabine comblée, c’était bien là l’essentiel et ses priorités furent donc naturellement redirigées vers son rôle de mère et maîtresse de maison : sans doute sa véritable vocation.

***

Deux années passent ainsi dans une sérénité absolue lorsque survient l’événement attendu depuis déjà quelques mois : après la joie des premiers pas de Marie-Alice, il y a déjà près d’un an, voici que vient la rejoindre sa petite sœur qui naît dans cette famille comblée. À quelques jours près, Marie-Ange est comme un cadeau d’anniversaire que son aînée prend dans ses bras sous l’œil vigilant des parents.

Hélas, le mauvais sort est tout aussi vigilant, toujours à l’affût d’une occasion de se manifester. Le baptême de la petite dernière est organisé et la famille s’apprête à rejoindre l’abbé Devos à l’église. Les parents d’Eliott n’y arriveront jamais !

Agressés à un feu rouge par une bande de loubards, la seule chose qu’ils gagneront en tentant de se défendre est de se faire tabasser puis poignarder à mort : on ne retrouvera que les deux dépouilles sur la chaussée ; la Mercedes 300 SL bleu roi métallisé, pourtant aisément identifiable, ne sera, elle, jamais retrouvée…

La charité chrétienne a sans doute des limites qui se confondent avec l’intolérable. Les larmes de Sabine n’eurent alors de violence comparable que la colère d’Eliott. Mais elles partagèrent la vanité de leur réaction : la police dut bien avouer n’avoir aucune piste pour identifier les agresseurs ; tout au plus fallut-il constater que de telles barbaries semblaient se multiplier et allonger la liste des victimes et des familles déchirées. Mais, une fois encore, le malheur des autres n’est-il pas l’affaire des autres ?

Des autres qui n’ont pas tous, pour mettre un baume sur leur douleur, l’invitation d’un notaire pour la lecture du testament des de cujus. Ce fut évidemment le cas d’Eliott et Sabine quelques jours après les obsèques.

Eliott en effet apprit alors – il s’en doutait évidemment un peu, mais ne s’y attendait pas si tôt et de manière si cruelle – que, fils unique, il héritait tous les biens et la fortune pour le moins confortable de ses parents et que, de cadre privilégié, il se muait désormais en grand patron des entreprises. Et – faut-il le préciser ? – en titulaire de tous les avoirs mobiliers et immobiliers de son père !

Un pansement qui ne guérit pas la douleur, sans nul doute, mais qui constitue un formidable dérivatif : ce transfert de propriété et de pouvoirs impliquait en effet l’obligation pour Eliott d’assumer ces nouvelles responsabilités en mettant de côté ses états d’âme pourtant bien compréhensibles et légitimes.

***

Un autre dérivatif s’imposa d’ailleurs deux ans plus tard lorsque la troisième fille du couple, Marie-Cécile, vint au monde, suivie deux ans encore plus tard de la petite Marie-Coralie. Il faudra attendre deux nouvelles années pour compléter le tableau familial avec l’arrivée de Marie-Anne.

Oui, les plus grandes douleurs s’estompent avec le temps : on ne se lamente pas sur son sort quand on a cinq enfants à élever et rendre heureux ! Non, il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé comme dit la sagesse populaire. D’ailleurs, comment oserait-on se lamenter quand on a un sort qui suscite tant de jalousies, et pas seulement sur son aspect financier ?

Le deuil familial désormais blotti au fond des cœurs, quelques années passent ainsi dans une sérénité retrouvée.

2

Ado les sens…

Eliott assume pleinement ses responsabilités, conscient non seulement de l’intérêt de son cocon familial, mais aussi bien du fait que quelques centaines de familles dépendent de la prospérité de ses affaires. Lui qui fut un temps – assez confortablement il est vrai – directeur général, est désormais le grand patron, le « PDG », et du coup bien plus éloigné de son épouse et de ses enfants qu’il ne le voudrait. Mais il assume, il sait ne pas avoir vraiment le choix.

Sabine de son côté, les enfants ayant grandi, est moins sollicitée et s’est lancée avec enthousiasme dans une activité caritative sous la houlette de l’abbé Devos. Les enfants sont donc désormais confiés aux soins d’une nurse qui veille sur leur éducation et leurs études. Il est sans doute vrai que Sabine a déniché l’oiseau rare, rare comme une perle noire qui d’ailleurs est originaire du Cameroun : douce, mais sans faiblesse, compétente, d’humeur toujours égale, dévouée et bien entendu aimant les enfants, donc appréciée de ceux-ci qui, adoptant la tradition africaine, l’appellent « Tata Louise ».

Marie-Alice vient donc de fêter ses seize ans, sa sœur Marie-Ange célébrant presque le même jour son quatorzième anniversaire : adolescentes toutes les deux, tout semble se passer idéalement, même si les questionnements typiques de ces périodes apparaissent avec une acuité croissante. Les velléités d’indépendance aussi : incontournables certes, mais parfois dangereuses.

On ne le sait que trop, l’adolescente est une enfant qui se croit devenue adulte, ce qui est conforté dans son esprit par son évolution physiologique : en âge désormais de procréer, plus rien ne semble pouvoir la différencier de ses parents vis-à-vis desquels un sentiment d’égalité s’installe, remettant en question plus ou moins consciemment la hiérarchie familiale. Adolescence, l’âge de tous les dangers !

Pourtant, si chez certains adolescents la crise engendre souvent des virulences, voire des violences, il n’en est rien chez les Delhez. L’amour, la tendresse, président aux relations dans la famille… mais cette évolution, en grande partie celle de Marie-Alice, coïncide malheureusement avec les absences de plus en plus fréquentes des deux parents.

Que Marie-Alice aime et respecte ses parents ne fait pas le moindre doute. Tata Louise, elle, a été assez vite acceptée et considérée plus comme une grande sœur que comme la nurse. À vingt-neuf ans à peine, celle-ci est proche des enfants tout en assumant son rôle d’adulte responsable et donc sa place dans la hiérarchie de la maisonnée. L’unanimité s’est donc faite aisément autour d’elle chez les enfants. Seule Marie-Anne, la plus jeune, commence à se plaindre de l’absence de sa maman. Mais quoi de plus normal ? D’ailleurs, la petite a fini par reporter le rôle maternel sur sa sœur aînée qu’elle appelle désormais « maman Alice » : de quoi conforter l’adolescente dans son ressenti de nouvelle adulte. Cela peut sembler touchant, mais pourrait bien ne pas tarder à exacerber ses errements adolescents. Ceux surtout de Marie-Ange, sa puînée qui lui ressemble comme deux doigts d’une main, la seconde à peine plus petite que l’autre.

Marie-Ange a d’ailleurs tendance à calquer ses comportements sur ceux de sa grande sœur, gommant ainsi leur différence d’âge pour se positionner comme égale de son aînée. Ce que cette dernière ne va pas apprécier. La brèche dans l’unisson familial est ouverte et ne va pas s’atténuer au fil des événements, tant s’en faut. Entre les deux sœurs, c’est une authentique compétition qui s’engage, lentement, irrésistiblement.

***

Ah ! L’adolescence, cette période si riche et tout à la fois si périlleuse… Une évolution au cours de laquelle l’adolescent cherche à prendre la tête d’une manière d’empire des sens, un empire qui va bien au-delà du seul aspect de sa métamorphose physiologique et touche aussi bien son cheminement mental et intellectuel.

À seize ans, Marie-Alice est à présent une femme à part entière : belle, désirable et sachant user de son charme, de ses atouts physiques aussi bien que de sa sensibilité. Et les garçons de sa génération se disputent sa compagnie avec, hélas pour eux sans doute, des résultats pour le moins mitigés : Marie-Alice n’accepte rien qui risque d’aller au-delà de la simple camaraderie et ceux qui tentent de se permettre quelques privautés sont repoussés aussi gentiment que fermement. C’est en particulier le cas d’Enzo, un camarade de classe, qui se croit irrésistible et supporte mal d’être ainsi éconduit.

Marie-Ange découvre l’attitude qu’elle juge étrange de sa sœur et veut gagner sur celle-ci un terrain qui, dans son esprit, est stupidement perdu par son aînée. L’entreprise n’est évidemment pas sans risques, mais à son âge elle ne semble pas encore en mesure de comprendre le danger. Un danger d’autant plus réel que, physiquement, la ressemblance des deux sœurs les fait souvent passer pour jumelles.

Et voilà comment, insidieusement, la merveilleuse complicité sororale se mue en rivalité !

L’adolescence des filles est une manière de jardin en floraison… avec un serpent bien pire que celui de l’Éden et qui porte le doux nom d’Hormones. Des hormones qui peuvent susciter des désirs tout en gommant le danger. Et à quatorze ans, l’organisme est en plein développement : la petite fille est devenue une femme complète, certes capable d’enfanter, mais qui ne maîtrise pas encore totalement ses pulsions. Le nombre incroyable de mères célibataires de moins de quinze ans en témoigne, surtout dans les pays émergents ou en voie d’émergence.

***

Toujours est-il que Marie-Alice refuse, rejette même catégoriquement toutes les avances, toutes les propositions, affiche sa volonté de limiter la fréquentation de ses congénères – mâles s’entend ! – à une relation de simple camaraderie. De quoi décourager tous les apprentis Don Juan qui, soucieux d’aller vite et droit au but, repartent aussitôt en chasse d’autres opportunités plus complaisantes. « Jeter sa gourme » est clairement l’objectif de la plupart d’entre eux et si le temps ne les presse pas, il s’agit pour eux de sauvegarder leur aura de chasseur et, de poulain, se muer en cheval, voire accéder au statut d’étalon.

Pour Enzo, l’une de ces opportunités, plus accessible pour ne pas dire complaisante, voire provocatrice, s’appelle Marie-Ange : puisque les raisins sont trop verts pour sa sœur, elle est bien décidée à s’en faire sinon un dessert du moins un hors-d’œuvre. À ceci près – mais elle n’en a pas la moindre conscience – qu’en réalité c’est elle qui risque de se faire croquer comme la pomme d’Adam !

Tous les lycées, toutes les Universités du monde regorgent de filles, adolescentes et même jeunes adultes, qui réinventent le fameux jeu de cours après moi que je t’attrape. Le plus souvent, celles-ci cherchent tout simplement à sécuriser leur avenir en se faisant enceinter puis épouser par un jeune homme prometteur, financièrement s’entend. Parfois, les familles veillent et parviennent à renvoyer la donzelle à ses chères études avec armes et bagage emmailloté. Marie-Ange étant d’une famille très riche, ce que nul n’ignore, ce n’est évidemment pas son avenir qu’elle cherche à garantir, mais l’issue de la compétition engagée avec son aînée : l’avenir, pour elle, ne va pas encore au-delà de ce défi par lequel elle veut se poser en égale de sa sœur. Au minimum et par tous les moyens.

***

Le malaise devient perceptible pour toute la famille sous le regard déconcerté des trois autres sœurs : Marie-Cécile, préadolescente à douze ans, ne comprend pas bien ce qui se passe, mais elle a d’autres priorités. En effet, reconnue déjà comme une violoniste pleine d’avenir, elle partage sa passion avec Marie-Coralie qui, à dix ans, excelle au piano tandis que la plus jeune, Marie-Anne, fait à huit ans des débuts prometteurs au violoncelle. Ces trois enfants forment ainsi au sein de la famille une sorte de bloc que rien ne semble pouvoir distraire de cette passion commune pour la musique. Alors, les errements de moins en moins discrets de Marie-Ange les désolent sans parvenir à les détourner de leur objectif.

De son côté, Marie-Alice plane au-dessus de tout cela, confirmant son absence totale d’intérêt pour les jeunes garçons de son âge : elle prépare son entrée en terminale et ne cache pas sa volonté, après le bac, d’entreprendre des études universitaires.

Las ! À cet âge, on croit savoir beaucoup de choses sur le monde et la vie, mais on ne sait pas encore tout de soi-même ; un tout qui s’imposera pourtant irrésistiblement.

3

Si ce n’est toi, c’est donc ta sœur

Louise, forcément proche des enfants, n’a pas tardé à remarquer le changement de comportement de Marie-Ange : des résultats scolaires en chute vertigineuse, une trop évidente recherche de provocation dans ses tenues, mais, surtout, sa façon de regarder sa sœur aînée et de copier ses attitudes tout en ayant dans le regard une sorte de défi insolent et narquois. Un comportement que Marie-Alice, pourtant désolée et inquiète de ce changement, préfère ne pas relever.

Une chose est claire, il faut en référer aux parents… qui tombent des nues : ils n’ont rien remarqué ! Et si Eliott prend les choses au sérieux et veut intervenir aussitôt, Sabine, elle, dans la bonne vieille tradition chrétienne, se culpabilise : elle a voulu être charitable avec les autres en voulant aider l’abbé Devos et du coup a négligé ses propres enfants. Elle a failli à son devoir de mère. Bien sûr, elle a engagé une nurse, mais celle-ci, quelles que soient sa compétence et sa bonne volonté, peut aider Sabine, mais pas se substituer totalement à elle : on ne remplace pas une maman ! Elle irait bien se confesser toutes affaires cessantes, mais Eliott lui fait remarquer qu’un responsable ne quitte pas son poste parce qu’une crise pointe le nez. Il faut surseoir à ses états d’âme religieux et réfléchir à une solution.

Le problème est d’autant plus ardu que le comportement de Marie-Ange ne suscite que le soupçon d’un danger ; aucun reproche concret et sérieux ne peut lui être fait à ce stade sinon ses nouvelles habitudes vestimentaires et bien sûr ses résultats scolaires en chute libre. À supposer évidemment qu’il n’y ait pas l’une ou l’autre mine antipersonnelle bien cachée sur le chemin et qui pourrait exploser au moindre pas de côté. Eliott est conscient de ce qu’une maladresse, à cet âge, pourrait aggraver le problème plutôt que le résoudre. Il s’agit donc de la surveiller le plus discrètement possible et tenter de remettre les pendules à la bonne heure notamment en ce qui concerne ses provocations vestimentaires : celles-ci manifestement tiennent plus d’un appel aux jeunes mâles en rut que de la seule envie de paraître à son avantage. Apparemment du moins…

***

Après une longue hésitation, Louise intervient timidement. Il est vrai que, en charge des enfants depuis la naissance de la petite dernière, Marie-Anne, soit depuis près de huit ans, elle est très proche d’eux et, finalement, les connaît sans doute mieux que leurs parents que les activités extérieures éloignent de la maison.

Oui, Louise a une idée, mais elle hésite à formuler sa proposition et il faudra qu’Eliott insiste lourdement pour qu’elle se décide enfin.

On apprend ainsi que Louise a un frère, Moussa, de deux ans son cadet et qui vient de terminer ses études. Et comme tant de jeunes gens gratifiés d’un beau diplôme, il n’a pas beaucoup d’illusions sur son avenir professionnel ; sans compter le fait que sans un contrat d’emploi en bonne et due forme son permis de séjour étudiant sera bientôt périmé. Louise pense donc que toute proposition serait pour lui une aubaine lui évitant d’être renvoyé au Cameroun. Elle souligne ainsi que Moussa, étant totalement inconnu des enfants, pourrait assurer une surveillance discrète de Marie-Ange en contrepartie d’un contrat satisfaisant pour les services français de l’immigration.

***

Chef d’entreprises, Eliott a clairement toutes les facilités pour lui offrir un tel contrat dans l’une de ses sociétés, mais il répugne à l’idée de devoir faire espionner sa fille qui jusqu’ici n’a jamais démérité dans sa confiance. Sabine partage certes son point de vue, mais estime que la sécurité de sa fille écarte toutes les réticences.

Il ne reste donc qu’à convaincre Moussa qui, dès le lendemain, sitôt les enfants partis pour l’école, est présenté à Sabine et Eliott par Louise. Il faudra moins d’une heure pour que Moussa reçoive l’indispensable contrat et les instructions nécessaires pour sa mission de surveillance : non pas un travail de garde du corps, mais plutôt d’observateur discret, l’intéressée ne devant évidemment être au courant de rien.

***

Affaire conclue… Sauf que ledit Moussa a une double vie totalement ignorée de sa sœur !

***

Moussa est une manière d’Apollon version africaine : une plastique irréprochable, des muscles que bien des habitués des salles de musculation lui jalousent, une démarche souple, il s’habille à l’européenne avec raffinement, sans ostentation tout en ne boudant pas la modernité. Bref, de quoi affoler toutes les adolescentes pour lesquelles le seul critère de jugement est, trop souvent sans doute, l’aspect extérieur. Dans ces conditions, sa filature aux abords d’un lycée a peu de chances de passer inaperçue !

Pourtant, Marie-Ange ne le remarque pas et pour cause : cet homme élégant, si elle l’a vu, ne l’intéresse en aucune façon. Les « proies » qu’elle vise sont des garçons de son âge, des lycéens comme elle et en particulier ceux éconduits par sa sœur, histoire d’asseoir son personnage au sein de l’établissement scolaire.

D’ailleurs, les cibles de son entreprise de charme ne manquent pas, se bousculent même au portillon. Mais surtout, elle a déjà jeté son dévolu sur Enzo, un élève de première qui a l’avantage – dans son esprit en tout cas – d’avoir fait les frais de l’indifférence de son aînée. Elle n’hésite donc pas à afficher sa disponibilité en accordant à l’intéressé quelques privautés, de quoi baliser nettement son terrain de chasse et marquer son avantage sur Marie-Alice. Un manège qui n’échappe pas à la sagacité de Moussa qui, dès le lendemain, en fait rapport aux parents.

Bon. Soit. La situation se précise, mais Eliott relativise les choses. Après tout, ce genre de flirt est de son âge et ne va habituellement pas beaucoup plus loin que les « boums » et les amourettes de vacances dont le souvenir le fait même sourire. Contrainte de se ranger à l’avis de son époux, même si à son époque elle n’a jamais voulu de ces petits jeux pseudo-amoureux tellement éloignés de son conte de fées onirique, elle suggère de maintenir la surveillance, de rester vigilants. Moussa acquiesce d’autant plus volontiers qu’il ne souhaite pas que son contrat se termine si vite.

L’idée de Sabine de mettre Marie-Alice dans la confidence est aussitôt repoussée par Eliott. L’aînée, en première – tout comme le chevalier servant de Marie-Ange et ex-prétendant déchu et déçu aux faveurs de Marie-Alice ! – a d’autres préoccupations, scolaires celles-ci, dont il n’est pas question de la distraire. La plus grande discrétion reste de rigueur.

***

La discrétion a sans doute pour pire ennemi l’imprévoyance ; à force de se focaliser sur Marie-Ange, on a négligé de se méfier de Marie Alice. Et en effet, depuis quelques semaines déjà que dure la surveillance de Moussa, celui-ci a fini par être remarqué par l’aînée. Un homme de belle prestance qui n’est manifestement plus en âge d’école et qui suit à distance respectable tous les déplacements de sa jeune sœur a de quoi mettre tous le sens de Marie-Alice en alerte ! Celle-ci en effet assume pleinement son rôle d’aînée et entend bien protéger ses sœurs : s’agirait-il d’un dealer de drogue ou d’un observateur préparant un enlèvement crapuleux ? La fortune de la famille Delhez accrédite cette dernière crainte et d’ailleurs les dealers prennent bien moins de précautions et ne se limitent pas à une seule cliente potentielle. Non, l’homme en question, de toute évidence, ne s’intéresse à aucune autre élève du lycée, son attention concentrée sur la seule Marie-Ange. Le danger semble bien réel !

C’est pourquoi dès la fin des cours elle rejoint sa sœur avant même de rentrer à la maison, mais le dialogue tourne court :

— Dis-moi, Ange, as-tu remarqué ce bonhomme qui semble te suivre depuis un bon moment déjà ?
— Quel bonhomme ? Le dandy ? Oui, vaguement, mais ça ne m’intéresse pas le moins du monde : trop vieux pour moi ! Simplement, il m’amuse et ça me flatterait plutôt.
— Tu n’as pas peur d’une tentative d’enlèvement ou pire ? On voit des trucs pareils tous les jours !
— Quoi ? Tu as déjà vu, toi, un kidnappeur sapé comme un ministre ? De toute manière, j’ai Enzo pour me protéger, je crois qu’il fait du karaté ou quelque chose comme ça. Non, vraiment, tu te fais un cinéma pour rien.
— Tu sais, même s’il est ceinture noire, ce dont je doute pour l’avoir subi quelques semaines, face à un flingue, il ne fera pas le poids.
— Je sais en tout cas qu’aucun garçon ne trouve grâce à tes yeux, pas plus Enzo qu’un autre. Je pense même que tu es simplement jalouse qu’un adulte comme mon dandy suiveur s’intéresse à moi. Si tu continues, tu vas finir vieille fille ou lesbienne.
— Ne t’occupe pas de mon avenir, c’est ta sécurité qui me préoccupe !
— Je suis assez grande pour m’en soucier moi-même. Tu as beau être l’aînée de la famille, j’estime ne pas avoir à te rendre des comptes sur ma vie privée.
— C’est comme tu veux, je t’aurai prévenue, ne viens pas pleurer dans mes jupes si ça foire !

Les deux sœurs se quittent ainsi et Marie-Alice a bien du mal à retenir ses larmes : c’est la première fois qu’elles s’affrontent de cette façon. Alors, en parler aux parents ? Cela ne pourrait qu’envenimer un peu plus leur relation et elle ne le souhaite pas. Non, vraiment, il faut qu’elle assume son rôle de grande sœur sans aucune aide.

***

Dès cet instant, la situation prend des allures vaudevillesques : Moussa poursuit sa filature de Marie-Ange tandis qu’il est lui-même filé par Marie-Alice. Tout cela au vu et au su d’une Marie-Ange qui finit par s’en amuser et transformer la double surveillance en jeu de piste. Elle prend un malin plaisir à compliquer la tâche de ses suiveurs et redouble d’audaces à l’égard de son petit copain Enzo. Lui par contre, nullement informé de ce qui se passe autour de lui, voit comme une aubaine les provocations de sa copine monter en puissance. Et il est bien décidé à mener son jeu. Et gagner son pari !

Marie-Alice quant à elle voudrait en savoir plus sur l’individu qui manifestement suit tous les faits et gestes de sa sœur. Le plus simple serait sans doute de l’aborder : non seulement elle a conscience de ce qu’il s’agirait d’une énorme maladresse aux conséquences imprévisibles, mais surtout… elle n’ose pas ! Alors elle se contente d’épier le suiveur. Et cela dure sans que rien d’essentiel ne se produise, en tout cas dans le chef du pisteur.

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Parce qu’en effet, du côté de Marie-Ange, la provocation prend des allures qui à présent deviennent inquiétantes. Non seulement elle redouble d’audaces, tant dans son habillement que dans son comportement avec son ami Enzo, mais elle y ajoute la moquerie, adressant régulièrement un clin d’œil narquois à sa sœur avant d’embrasser goulûment son chevalier servant, lequel n’a décidément aucune connaissance des règles morales de la chevalerie. Et il boude d’autant moins son plaisir qu’il y voit comme une vengeance contre celle qui l’a éconduit. À telle enseigne que Moussa ne tarde pas à comprendre qu’il est suivi par celle qu’il connaît pour être la sœur de sa cible. Et du coup, le questionnement change de camp : doit-il aborder la jeune fille, mettre les choses au clair et tenter – pourquoi pas – de s’en faire une alliée ? Ou au contraire ferait-il mieux de l’ignorer, voire d’en parler aux parents ? Mais dans ce cas, démasqué dans sa surveillance, il risque de voir son contrat dénoncé et il n’y tient vraiment pas. Cela contrecarrerait singulièrement ses projets.

Des projets qu’il ne souhaite pas voir mis en péril alors qu’ils prennent une forme pleine de promesses… pour lui ! Il choisit donc d’ignorer Marie-Alice. Encore faudrait-il être sûr qu’elle va accepter de rester ignorée sans comprendre ce qui se trame autour d’elle ; savoir aussi dans quelle mesure elle n’aurait pas été sollicitée par ses parents pour s’assurer que Moussa respecte bien ses engagements…