Aénor l'intemporelle - Anne Burdinat - E-Book

Aénor l'intemporelle E-Book

Anne Burdinat

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Beschreibung

Aénor, jeune femme du XVIIème siècle, a été abandonnée dans son berceau à la porte d’un prieuré, sur les chemins de Compostelle. Recueillie et instruite par les sœurs, elle prodigue des soins aux pèlerins, dès son plus jeune âge.
Après avoir vécu une expérience de mort imminente, elle part en pèlerinage à Rome, accompagnée de sa famille de cœur : Adelin, Guibin et Johan.
Femme d’hier et d’aujourd’hui, Aénor l’intemporelle, étonne par sa modernité et entraine les êtres qu’elle cotoie au surpassement. Ce petit bout de femme démontre que la passion et la vocation bousculent bien des carcans.
Son « savoir soigner » la conduira à l’accomplissement de sa vie : être barbier-chirurgien.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Anne Burdinat

AÉNORL’INTEMPORELLE

Moineau

Le cloître du monastère baigne dans le soleil de cette matinée, moniales et oblates sont rassemblées à la chapelle pour Sixte.

Seule dans le cloître, Aénor est captivée par le ballet des papillons. Abandonnée à la naissance devant le couvent, enveloppée dans un tissu de lin puis emmaillotée dans un tissu rouge plus épais, elle fut recueillie par les sœurs, attirées par ses pleurs. La vie au prieuré lui a donné accès à une belle et profonde éducation, sa vie rythmée par les différents appels à la prière.

La sœur, en charge de la surveillance, s’est toujours montrée clémente envers les différentes facéties d’Aénor. Enfant vive, lumineuse, curieuse de tout, adorant aider aux cuisines, partir à la rivière pêcher les saumons pour alimenter le vivier, cultiver les simples tout en confectionnant les décoctions avec sœur Marguerite l’apothicaire. Mais, par-dessus tout, l’accueil et les soins prodigués aux pèlerins sont sa passion. Il faut la voir baigner d’un linge humidifié d’eau de rose les joues enfiévrées de l’une, aider un autre à boire le bouillon trempé de pain. Prodiguant ses soins, en veillant à ce que tous aient un mot de réconfort. Rayon de soleil et feu follet, elle entre dans sa treizième année ; dès ses quinze ans, elle prononcera ses vœux. Adelin le protecteur, l’ami, le frère de toujours fait signe pour qu’Aénor le rejoigne en cuisine.

Adelin, de quatre ans son aîné, s’est dès le premier jour érigé en protecteur. Sa mission sur terre ? Dieu et Aénor. Premier à avoir entendu les cris du nourrisson, il avait alerté. Lors du baptême de l’enfant, il fut nommé parrain ; il prend depuis son rôle très à cœur. Attaché depuis son plus jeune âge au père Georges, le prêtre qui assure les messes, les confessions et qui donne l’extrême-onction aux pèlerins, il partage depuis toujours la vie du Prieuré.

La tisane à base de sauge et thym prête, Aénor se dirige de la cuisine à la salle pour en faire la distribution. La sauge et le thym permettent la digestion, ils ont ainsi des vertus antidiarrhéiques et désinfectent la bouche. Le réfectoire est vraiment impressionnant par sa dimension, puisqu’il propose la restauration à une cinquantaine d’âmes. L’écuelle de bois pour recevoir la soupe sert aussi de bol. L’aile sud du bâtiment reçoit les Jacquets1 ayant besoin de soins. Ils sont nombreux à souffrir d’épuisement, de malnutrition, de blessures aux pieds et aux jambes. Les chemins usent les corps, élèvent l’âme « Ultreia »2 ! Adelin, artiste avéré, est en charge des fresques de la chapelle. Sa réputation est déjà grande, car la finesse de son trait et la sûreté de sa main ont été vantées par les pèlerins bien au-delà du prieuré. Hélas, sa bosse lui interdit de peindre dans des positions trop inconfortables, ainsi partage-t-il le reste de son temps entre la cuisine et toutes les activités où son adresse et son habileté font merveille. La cordonnerie, la menuiserie, la forge même parfois, sont les lieux où il passe tout le temps. Ingénieux, esprit aiguisé, doté d’une humeur toujours égale et d’un calme à toute épreuve, il est apprécié de tous. Le père Georges dont la bienveillance est absolue le laisse faire à sa guise en toute liberté.

Le prieuré, rythmé par la prière, déborde aussi d’activité ; la ferme adjacente produit tous les légumes et les protéines dont a besoin la communauté pour subvenir à ses besoins et à ceux nécessaires à l’accueil des pèlerins.

La basse-cour est un lieu de vie adoré par les enfants du prieuré. Belle récompense que de se la voir confier pour toute une semaine. Distribuer le grain, ramasser les œufs, apporter l’herbe aux lapins, jouer avec les poussins… Le bonheur !

Ces enfants appelés « oblatio », confiés par leurs parents, élevés au sein du monastère, reçoivent une éducation religieuse et prononcent leurs vœux s’ils le désirent dès qu’ils atteignent l’âge de raison. C’est là, dans cet endroit magique, qu’Aénor a grandi. Elle y a découvert la diversité des hommes, des femmes et des coutumes régionales apportées par les pèlerins, selon qu’ils viennent du Nord, de l’Est, de l’Europe ou au retour des Espagnes. Ce prieuré, situé sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, est une étape incontournable pour les Jacquets. Là, ils sont assurés de recevoir hospitalité et soins.

Prendre la route, cela signifie quitter son foyer, son métier, sa vie pour l’ascétisme. Affronter les multiples difficultés du voyage, surmonter les intempéries, les chemins inondés, les crêtes, les cols escarpés, les rivières en crue qui doivent être franchies et aussi survivre aux attaques de pillards.

Le « Code Calxtinus », guide écrit par Aimery Picaud, prêtre poitevin, donne une description des quatre itinéraires qui convergent dans les Pyrénées. Les lieux où il fait bon faire halte pour quelques heures, une nuit, plusieurs jours. Les pèlerinages sont entrepris pour expier une faute, obtenir une guérison, infligés comme pénitence par l’église ou comme sanction judiciaire par un tribunal. Tous les pèlerins recherchent le salut de leur âme et affrontent pieusement les nombreux périls du voyage.

L’arrivée au Prieuré est toujours un profond réconfort ; bien que nulle relique ne soit ici à vénérer, l’endroit est recherché, car y faire étape, c’est l’assurance d’être bien reçu, bien nourri et bien soigné. La chapelle permet aux pèlerins d’entendre la messe, de prier. Dans ce lieu de recueillement, tous sont rassemblés, un simple rideau délimite l’espace réservé aux moniales. Quant au père Georges, il sait trouver les mots d’encouragement qui aident à se soulever jusqu’aux montagnes.

–Aénor, Guibin vient d’arriver !

Aénor quémande d’un regard l’autorisation de quitter le réfectoire pour se porter à la rencontre de l’arrivant. Guibin est l’homme le plus extraordinaire qu’Aénor connaisse et elle le connaît depuis… toujours ! Moitié pèlerin professionnel, colporteur et troubadour. Pour cet infatigable voyageur, le prieuré est devenu un port d’attache depuis l’arrivée de la fillette, il y a treize ans. Régulièrement, il séjourne quelques semaines, quelques mois à la ferme mettant ses bras au service de la communauté, puis repart.

Aénor se jette dans ses bras, il y a maintenant plus d’un an qu’ils ne se sont vus. Mère Marie de l’Incarnation, Sous-Prieure récemment nommée, se porte aussi vite que son rang l’autorise, à la rencontre de l’arrivant, ravie elle aussi.

Guibin regarde tour à tour l’une, l’autre, ébahi. L’enfant qu’il chérit tant est devenue pendant ces longs mois une belle jeune fille. Elle a grandi, s’est « dépouponnée », on devine déjà dans les traits de l’adolescente la femme qu’elle sera : belle indéniablement. Pour l’instant, la femme est encore bien loin ; la fillette n’a rien perdu de sa spontanéité, de sa joie de vivre. Elle rayonne de bonheur, gazouillant, sautillant, tel un moineau autour du nouvel arrivant. Son enthousiasme bruyant empêche les deux adultes de se parler, aussi est-ce avec autorité que Mère Marie de l’Incarnation demande à l’enfant de courir à la ferme pour que l’on y prépare le gîte de Guibin.

–Sous-Prieure, quelle belle surprise Marie !

–Mère Léonce de l’Enfant Jésus, notre vénérée abbesse en a décidé ainsi à la mort, il a quelques mois, de notre bien-aimée Prieure. Dans trois ans, je serais nommée Prieure, j’attends de prendre de l’âge !

–Il y a longtemps déjà que sa maladie l’obligeait à réduire son champ d’action et que vous lui suppléiez. Aussi suis-je ravi que vous ayez accédé à ce poste mérité et sachez que, pour le reste de ma vie, je serai votre plus fidèle et dévoué serviteur. Mais dites-moi, comment va Aénor, comment va Moineau ?

–Au mieux, comme vous avez pu le constater ; elle est d’une intelligence vive, comme vous le savez, et la rigueur exigée par notre règle lui pèse parfois plus qu’à d’autres. Mon Amour pour cette enfant m’encline à une permissivité que mon rôle, au sein de cette communauté, ne me permet normalement pas. J’avoue que je suis bien faible avec elle !

L’appel de la cloche pour les Vêpres met fin à la conversation et ils se rendent ensemble à la chapelle.

Ne servant pas la messe aujourd’hui, Adelin prie au milieu des autres. Il a bien remarqué qu’Aénor, arrivée la dernière, tout essoufflée, lui adresse des signes. Manifestement, elle a quelque chose à lui dire, mais les mouvements désordonnés qu’elle lui adresse sont non seulement incompréhensibles, mais attirent à la fillette le courroux des moniales qui l’entourent. Elle se tient enfin coite. Qu’est-ce qui peut bien s’être passé… Interrogatif et distrait, Adelin parcourt du regard l’assemblée en train de prier ; soudain, avant même qu’il en soit conscient, son cœur se met à battre la chamade, ses mains deviennent moites, sa gorge se serre, sa poitrine pèse lourd. Enfin ses yeux lui révèlent ce que son cœur savait déjà. GUIBIN….Guibin, là à quelques mètres devant lui, Guibin revenu au Prieuré enfin. Le trouble qui le submerge lui voile la vue, la violence de ce qu’il ressent le fait tomber à genou. Le jeune homme éprouve depuis toujours des sentiments tellement forts pour Guibin, il lui voue une admiration sans bornes et sait au fond de lui que son attachement va bien au-delà de la camaraderie et même de l’amitié.

Guibin est subjugué par la beauté des fresques. Sur le pilier à sa gauche, des triangles pointes levées sont dessinés en quinconce dans un ton jaune d’or. Le chapiteau aux motifs floraux est lui aussi orné de couleurs chaudes. La colonne en vis-à-vis est bleu ciel, barrée de traits latéraux en pierre naturelle. Sur l’arc en plein cintre qui relit les colonnes, on voit gambader trois chimères au pelage fauve. Le plafond de la nef, quant à lui, est une succession de tableaux. Un Christ en majesté, au centre, bénit les croyants ; de chaque côté, des saints et des anges sont représentés. Il émane d’eux une merveilleuse quiétude. Leurs visages empreints de bonté, de bienveillance apaisent. L’artiste a su les rendre tellement expressifs qu’ils semblent pouvoir à tout instant se mêler à l’assemblée recueillie. Guibin, lors de son dernier séjour au Prieuré, avait déjà loué Adelin pour sa maîtrise. Aujourd’hui, c’est avec un art consommé que le jeune homme crée avec, semble-t-il, l’âme au bout de ses pinceaux.

Les Vêpres terminées, Aénor se rue dans la cuisine. La soupe est prête et le service aux malades peut débuter. Elle aide les plus faibles. Dès qu’elle pénètre dans ce lieu, elle est comme métamorphosée. Posée, douce et patiente, elle prodigue à chacun les soins que les sœurs lui ont confiés, avec un calme absolu. Métamorphosée !!!

Elle s’approche de Salvin le Tourangeau, arrivé depuis quatre jours ; malgré les soins donnés, il est de plus en plus faible. À son arrivée, il présentait une forte fièvre, de la toux, les yeux larmoyants. Une tisane au thym, plantain et miel lui fut servie, les yeux tamponnés avec un linge humidifié de camomille tiède.

Le lendemain, des petites taches très rouges légèrement surélevées s’étendaient derrière les oreilles et sur le front, le visage, le cou, le haut du corps, aux mains, aux pieds. Il est atteint de « morbilli »3. Aénor lui donne à boire une tisane à base de feuilles de noyer, de bardane, de pensée et de saponaire, quatre fois par jour. Leurs vertus conjuguées lutteront contre l’infection ; l’applique d’un cataplasme à base de racines broyées de plantain devrait calmer l’inflammation de la peau. Malgré sa fièvre, Salvin suit des yeux chaque geste de la fillette, sur ses lèvres se dessine un sourire attendri.

S’étant acquittée de toutes ses tâches, Aénor rejoint la communauté dans le cloître d’où, mains lavées, les moniales se rendent au réfectoire pour le repas. La chapelle et le réfectoire sont disposés de chaque côté du cloître. Au réfectoire comme à la chapelle, chacune a reçu une place, un rang qu’elle se doit de conserver. Elles y arrivent ensemble et le quittent au signal de la supérieure. C’est seulement pendant le repas et l’eucharistie qu’elles sont toutes réunies, le reste du temps chacune vaque à ses occupations.

Le Bénédicité, demandant à Dieu de bénir la nourriture qui va être consommée, prononcé, le repas se déroule en silence tandis qu’une sœur assure la lecture des évangiles à voix haute. Elle se restaurera après les autres. En entrée : une pomme découpée en quartier, puis un potage à base de fleurs, d’herbes, de carottes, de pois et de céréales, une belle tranche de pain accompagne le fromage ; des fruits secs sucrés au miel tiennent lieu de dessert. Dès qu’elle y est autorisée, Aénor rejoint Adelin dans le cloître :

–As-tu déjà rencontré et parlé à Guibin ?

–Non, pas encore. Je l’ai toutefois aperçu durant les Vêpres, je sais donc qu’il est arrivé au Prieuré. J’ai enfin compris ce que tu voulais me dire avec tes signes cabalistiques ! Adelin a profité du temps de repas pour prendre sur lui, aussi affiche-t-il un air paisible et mesuré en répondant. Il aperçoit un peu plus loin Guibin en conversation avec la Sous-Prieure. Il réussit à dissimuler le trouble que la présence de l’arrivant suscite enlui.

Le lendemain heureuse de cette belle matinée de printemps, Aénor, comme à l’accoutumée, dispense ses soins aux patients. Elle est un peu rêveuse, car, hier en fin d’après midi, une belle dame et son équipage en route pour visiter une parente ont demandé gîte et couvert pour la nuit. La fillette a étudié avec beaucoup d’intérêt l’arrivante : elle est coiffée d’un touret évasé en son sommet, maintenu par un voile vaporeux passé sous le menton qui lui encadre le visage. Une épingle d’argent ciselé maintient un mantel de laine rouge, porté sur une chemise en lin. De dos, une résille ornée de fins fils d’or laisse voir ses cheveux d’un blond vénitien du plus bel effet. À sa ceinture pend une aumônière de cuir gonflée d’argent. La prestance de la visiteuse l’a fortement impressionnée. La voix profonde, les gestes élégants, la démarche souple et assurée lui ont fait une grande impression. Tout à ses pensées, elle est distraite en s’approchant de la couche du Tourangeau. Le drap enveloppe le corps tel un linceul ; les soins attentifs dont il a fait l’objet depuis une semaine n’ont pas pu empêcher son trépas. La fillette, bien que l’ayant trouvé faible avant-hier, ne s’y attendaitpas.

Sœur Jeanne s’approche de la fillette. Toujours très attentive aux soins qu’apporte Aénor, elle n’a pas manqué de constater le trouble provoqué par la mort du patient :

–Ma chère petite, voulez-vous bien vous rendre au vivier ? Il est nécessaire de fournir la cuisine en poisson et votre aide sera la bienvenue là-bas.

–Sœur, beaucoup de travail reste à faire et vous allez être bien occupée sansmoi.

–Allez, mon enfant, vous leur serez bien utile, je me débrouillerai.

Le vivier, en fait un étang, est situé après le moulin du Prieuré. L’eau de la rivière sert aussi à la pisciculture. Anguilles, carpes et brochets, pour ne parler que des poissons les plus nobles, pullulent. Le meunier et ses aides en ont la charge.

Pour Aénor, c’est un lieu magique, elle adore observer les oiseaux, qui peuplent le marais. Le héron, fière et hautain dans sa belle robe grise et la huppe majestueuse lui évoquent Sir Arnaud l’échevin, qu’elle aperçoit de loin en loin lorsqu’il vient au Prieuré. Le cormoran au plumage noir avec quelques reflets vert bronze perché sur un pieu et les ailes déployées pour sécher, c’est l’image du père Georges, bras écartés embrassant ses ouailles, qui s’impose ! Évidemment, ses pensées n’ont jamais été exprimées, même pas à confesse ! Le Martin pêcheur flèche colorée sillonne l’air, un reflet d’argent dans le bec ; la loutre facétieuse, moustaches frétillantes, joue dans le courant de la rivière en amont. L’angélique, la fleur de coucou, les roseaux, juncus et massettes fournissent plein de cachettes qui abritent canetons, poules d’eau et grèbes. Les libellules patrouillent surveillant de leur vol stationnaire la bonne marche de ce jardin d’Éden, assistées par le « coup de trompette » des foulques qui rappellent à l’ordre les contrevenants.

Aénor, encore plus sensible que d’habitude à l’atmosphère enchanteresse des lieux, décide de s’accorder un moment. Elle s’assoit sous le saule, dos appuyé au tronc pour éviter que les gouttes d’eau de cet éternel enrhumé ne la mouillent. Une douce somnolence l’envahit ; alanguie, elle cède peu à peu au sommeil.

Guibin interrompt son geste, surpris par l’arrivée inopinée d’Adelin, son air bouleversé l’inquiète :

–Aénor est au plus mal, le fils du meunier l’a découverte au pied d’un saule. Il l’a amenée au Prieuré sans connaissance. Sœur Jeanne lui prodigue les premiers soins.

Le sang paraît déserter le visage de Guibin, Aénor au plus mal, mourant peut être, inimaginable ! Sa vie depuis treize ans, ses pensées tournent autour de la fillette. C’est l’enfant qu’il n’a pas eu, qu’il n’aura jamais. Lui si maître de lui, si rude, sent les larmes lui picoter lesyeux.

Une chape de tristesse s’est abattue sur le Prieuré, même les oiseaux survolent le cloître à ailes feutrées. Ce lieu, dédié au recueillement, paraît encore plus silencieux qu’habituellement ; les humains, les animaux, les bâtiments même, accordent leur souffle au fil ténu de la respiration d’Aénor.

La fillette occupe depuis six jours une cellule normalement réservée aux généreux donateurs, rendant visite à une moniale de leur famille, ou à une noble dame faisant retraite. Elle est alitée, le visage exsangue, des rougeurs identiques à celle du Tourangeau sont apparues. L’éruption couvre chaque parcelle de son corps. Souvent elle délire, le front moite de sueurs, grelottante de fièvre. Les réflexes de la fillette sont de plus en plus émoussés. Elle parle, mais ne répond plus aux questions. Sœur Jeanne est très inquiète, aussi place-t-elle en permanence une garde au chevet de la petite malade. À la chapelle les prières s’élèvent pour demander grâce et rémission, nombreux sont les regards de reproches dirigés vers les statues de saints.

Une clandestine a réussi la prouesse de venir se blottir contre Aénor, passant jusqu’à présent totalement inaperçue : il s’agit de Finette, museau pointu, poil noir soyeux, yeux couleur caramel très très expressifs. Depuis six mois, chaque fois que la fillette est à la ferme, la jeune chienne ne la quitte pas. Elle est toujours bien triste lors de la séparation, mais le Prieuré lui est interdit. Comment a-t-elle su que l’enfant était très malade ? Mystère. Mère Marie de l’Incarnation, Adelin et Guibin sont chacun absorbés dans la prière, quand ce dernier relève la tête :

–Je jure devant Dieu que s’il épargne Aénor j’entreprends un pèlerinage à Rome pour vénérer « la Véronique », ce linge sur lequel les traits du visage du christ sont imprimés.

–Le seigneur puisse vous entendre ! Si tel est son bon vouloir, je cheminerai à vos côtés ; j’irai également adorer cette sainte relique, renchérit Adelin.

La sous-prieure regarde tour à tour les deux hommes, leurs visages gris de chagrin, leurs yeux éteints, leurs voix enrouées :

–Pour rendre grâce, Aénor, dès que ses forces lui seront rendues, ira se prosterner sur les tombeaux de Saint-Pierre et Saint Paul. Je fais ici serment qu’elle fera pèlerinage. Ainsi sera fait, si Dieu leveut.

Cette surenchère, plus digne d’un tripot que de ce lieu consacré, reflète le profond désarroi dans lequel sont plongées ces trois bellesâmes.

Sœur Jeanne est aidée dans ses soins par le frère Bernardo, originaire de Cordoue. Il lui a remis une fiole et lui a demandé d’en frictionner le corps de la fillette, de lui faire absorber beaucoup d’ail. Un bouillon confectionné à base d’ail pilé, de sauge, de poireau et de clous de girofle lui est donné plusieurs fois par jour ; elle reçoit également le même traitement que celui administré au Tourangeau.

Aénor, est très agitée, un rêve puissant la fait frémir, se tourner retourner sur sa couche. La sœur qui la veille a beau lui humidifier le visage, la bouche, rien n’interrompt le songe ; puis l’enfant semble s’enfoncer dans un sommeil lourd, profond, les heures s’écoulent sans apporter de changement à son état. Soudain, comme au sortir d’une apnée prolongée, la fillette se redresse sur son lit, son corps se cabre, elle exhale un souffle profond et retombe inanimée sur sa couche ; sa respiration est inaudible.

Sœur Benoîte, somnolente, s’éveille en sursaut un froid glacial la pénètre ; Aénor gît blême, immobile. Horrifiée, la sœur se jette dans le couloir et rejoint au plus vite la cellule de la Sous-Prieure et balbutie :

–Elle est morte… Aénor est morte !

Les sœurs, tirées de leur sommeil par cette sorte de sixième sens développé par leur vie de profonde communion, s’agglutinent devant la porte de la cellule de l’enfant. Le visage livide de Mère Marie et de sœur Benoîte confirme leur peur ; toutes tombent alors à genou, prient comme on crie, prient à s’en déchirer l’âme.

Adelin, surgi d’on ne sait où, bouscule sans ménagement l’assemblée des sœurs ; il se précipite sur Aénor, la secoue, lui hurlant de revenir, de ne pas l’abandonner, sanglotant que le ciel peut attendre. Mère Marie s’approche de l’adolescent, pose une main sur son épaule, refoulant son propre chagrin, pour tenter d’endiguer sa révolte. Ce faisant, elle perçoit un battement de paupières ; elle, si douce normalement, repousse violemment Adelin, se penche au-dessus d’Aénor ; elle distingue nettement les battements de paupières, la respiration.

Vivante ! Vivante…Dieu a accepté d’attendre !

Un sentiment de profonde allégresse traverse le Prieuré de part en part ; les Te Deum chantés à la chapelle s’élèvent purs et cristallins. Quelques sœurs, sans doute prises de remords, refont une beauté aux statues des saints à grand renfort de cire d’abeille.. Finette, la réfugiée clandestine, chassée de son paradis, est reconduite manu militari aux frontières de la ferme !

–Aénor, ma fille, quelle immense joie est la mienne de vous retrouver ! Votre vie a emprunté quelques chemins de traverse aux multiples ornières, ces derniers jours !

–En effet ma Mère, j’éprouve le besoin de vous confier où mes cheminements m’ont conduit ; je suis profondément troublée et il m’est nécessaire de parler à oreilles amies.

–Exprimez-vous mon enfant, faites-le sans crainte ni retenue, je vous assure de mon écoute attentive, bienveillante.

Une fixité, une profondeur dans le regard, un petit quelque chose, une différence sont apparus depuis sa maladie, chez Aénor. Bien qu’inqualifiable, chaque proche de la fillette l’a remarqué. Elle est pourtant toujours joyeuse, primesautière, pétillante. C’est donc avec une profonde attention que la Sous-Prieure s’apprête à l’écouter. Depuis un mois elle espère que la jeune fille se confiera :

–Mère, j’ai « vécu » quelque chose de très particulier.

–Parle mon enfant, un tourment partagé est moins lourd.

–Subitement, je me suis comme détachée de mon corps, élevée vers les hauteurs, mon regard embrassait la cellule où je gisais. Sœur Benoîte, qui me gardait, était assoupie ; mon regard s’est alors porté vers vous. Vous étiez agenouillée en prière. Votre belle âme m’a rassurée en m’enveloppant de son amour. Puis je me suis sentie « aspirée » encore plus haut. Dans une merveilleuse lumière d’amour, une ange est arrivée. Tout d’abord, elle m’a semblé bien différente de l’image des enluminures et des fresques. Elle était un peu… souillon ; j’ai honte de le dire, mais je veux être totalement honnête : elle était comme nous sommes lorsque nous effectuons un travail salissant. Pourtant, le temps d’un battement de cil, elle est devenue être de lumière, les plumes de ses ailes d’un blanc étincelant, d’une beauté absolue, la voix mélodieuse, reflet exact de l’image que je m’en faisais. « Angelus custos est nomen meum ego Gabrielle »4. Face à mon ébahissement, elle a abandonné le latin : « je m’appelle Gabrielle, je suis ton ange gardienne. Ton existence terrestre est loin d’être terminée, ta venue ici est inattendue, aussi vas-tu retourner dans ton existence incarnée. Salue l’âme de Guibin. Tu repars avec le petit supplément d’âme inhérent à la décorporation. Va, retourne à ton destin, sois miséricordieuse et souviens-toi. L’important n’est pas le but, mais le chemin ».

Elle a effleuré mon front de sa main aux doigts un peu sales. Elle s’est peu à peu éloignée, j’ai cru l’entendre dire… : « peuvent pas prendre rendez-vous, z’arrivent toujours à l’improviste, peux jamais bricoler en paix »… sans comprendre le sens de cette phrase, et je me suis réveillée.

–Mon enfant, les voix du ciel sont impénétrables… Votre maladie vous a permis de côtoyer les anges. Merveilleuse enfant, je suis émue au plus profond de mon cœur par votre « confession ». Je vous fais le serment de garder vos confidences au plus profond de mon être. Grâce vous soit faite, une belle allégresse m’envahit, qui je le sais, illuminera toute ma vie. Alléluia !

Adelin et Guibin sont chacun absorbés dans leur tâche ; aucun des deux n’a oublié le serment fait. Un pèlerinage est un long voyage, aussi nécessite-t-il de nombreux préparatifs. Guibin, qui a déjà effectué ce pèlerinage, est parfaitement conscient des difficultés à être accompagné par des jeunes n’ayant jamais quitté le prieuré. Leur vie, jusqu’à présent préservée, les a peu aguerris aux difficultés de la vie, a fortiori à une existence nomade. C’est donc avec une profonde concentration qu’il organise leur futur voyage. Il s’est entretenu avec la Sous-Prieure de la nécessité d’endurcir les jeunes gens. Or, la vie rythmée du Prieuré n’y est guère propice. Comment faire pour conjuguer cette nécessité à la règle ? Sacré casse-tête !

–Mes sœurs, je voudrais que nous évoquions le prochain pèlerinage d’Aénor et d’Adelin. Comme vous le savez, nous avons fait vœu de pèlerinage à Rome. Bien qu’accompagnés par Guibin, il est indispensable qu’ils acquièrent l’assurance et la débrouillardise utiles à un tel voyage.

Réunies dans la salle capitulaire du Prieuré, moniales et oblates sont suspendues aux paroles de la Sous-Prieure. La salle du chapitre en contrebas du cloître est largement ouverte. Bien trop nombreuses, beaucoup restent debout à l’extérieur, n’ayant pas pu accéder à l’intérieur, faute de place. Elles ont une vue plongeante sur l’assemblée. La Sous-Prieure siège en face, au fond, dans l’axe, afin d’être vue et entendue par toutes.

Sœur Benoîte demande la parole :

–Il est nécessaire d’obtenir de notre mère abbesse ou de monseigneur l’évêque la credencial5, pour leur permettre de se mettre sous protection de la loi de pérégrinorum6.

–Peut-être peuvent-ils se rendre eux-mêmes à l’abbaye et, de là, commencer le voyage en prenant le temps. Guibin connaît et peut leur apprendre l’indispensable, intervient sœur Jeanne.

Guibin a été exceptionnellement autorisé à participer au chapitre :

–J’ai, en effet, besoin de passer du temps avec Aénor et Adelin. Il est important qu’ils apprennent les rudiments de la chasse, de la pêche et de la survie. Je propose à la communauté de me les confier dès à présent afin qu’ils commencent leur apprentissage.

La communauté est toute entière acquise à la proposition de Guibin. Mère Marie de l’Incarnation écrit une missive, que le trio apportera en main propre à Mère Léonce de l’Enfant Jésus leur abbesse, afin quelle donne sa bénédiction et leur fournisse les laissez-passer prouvant leur statut de pèlerins.

Aénor passe une partie de ses journées à la ferme afin de travailler aux préparatifs du voyage ; le soir elle regagne le Prieuré. Adelin, qui maîtrise la cordonnerie, fabrique pour chacun des bottines confortables. Il est bien conscient que, peu habitués aux longues marches, ils vont être éprouvés.

Guibin met à profit sa grande expérience des déplacements pour anticiper les futurs besoins de la petite troupe. Voyageur infatigable, habité d’une profonde curiosité à l’égard de ses semblables, il s’est enrichi de leur savoir-faire, de leurs « trouvailles » ; époustouflé par leur ingéniosité, il a appris à leur contact de multiples choses.

C’est son pèlerinage en terre sainte, attesté par la dépose à la chapelle de l’abbaye de la palme de Jéricho, qui lui confère un statut privilégié au Prieuré. Il a survécu à tous les aléas du voyage, réussi à préserver la pièce d’or nécessaire pour entrer dans Jérusalem, alors que tant d’autres complètement dépouillés mouraient de faim, de misère sous les murs de la sainte cité. Ce « péage » acquitté, n’ayant pu bénéficier d’une couche dans un des foyers hébergeant les pèlerins, il a trouvé refuge chez Ahmed. Une profonde amitié s’est tissée entre les deux hommes. Curieux l’un comme l’autre, curieux l’un de l’autre, esprit ouvert, ils ont écarté, d’un revers d’intelligence, les carcans de la religion, afin d’étancher leur soif de connaissances à la source de leurs altérités. Ahmed le fidèle n’a eu de cesse, dès l’installation de Guibin, de lui faire découvrir son mode de vie. Ambassadeur attentif, hôte prévenant, il a fait siens les préceptes d’hospitalités prônés par le Coran. Les deux hommes ont vécu un « coup de foudre d’amitié ». Bien des mois plus tard, le départ de Guibin fut une douloureuse déchirure pour chacun d’eux.

Cette belle nuit parée d’étoiles diamants, enveloppée de fragrances estivales, rappelle l’Orient à Guibin. Elle use de tous ses charmes pour ensorceler nos trois amis. Sous le charme de l’envoûtante, Aénor et Adelin se laissent aller, dégustant une tisane de valériane dite « guérit-tout », dont les vertus décontractantes musculaires sont bienvenues. Peu à peu, le sommeil gagne nos trois pèlerins. Ils cheminent depuis déjà une semaine. Les jambes sont raides au lever, lourdes au coucher. Leur marche, souvent silencieuse, leur permet d’apercevoir la silhouette furtive d’une biche traversant un bocage, une buse en plein festin ou la queue touffue d’un goupil disparaissant au fond d’un terrier. Les deux jeunes amis sont ravis par l’aventure. Guibin a, jusqu’à présent, choisi de sortir des sentiers battus ; aussi, n’ont-ils rencontré âme qui vive. Aujourd’hui, une piste en sous-bois longe une belle futaie ; elle résonne du bruit d’une cognée ; un écureuil aux abois vient pratiquement se heurter aux pattes de Finette. S’ensuit une belle cavalcade.

Car évidemment, Finette est du voyage. Les deux premiers jours, elle a suivi le trio en catimini, mais, le deuxième soir, elle a succombé à l’appel du câlin et s’est blottie tout contre Aénor. Dire que les retrouvailles ont été bruyantes est un doux euphémisme : les éclats de rire de l’une, les roucoulades de l’autre et les grognements des « garçons » réveillés en sursaut ont figé en alerte tous les animaux de la forêt. Le calme a mis un certain temps à revenir.

Adelin marche avec allégresse, les bottines qu’il a confectionnées sont confortables. Leurs semelles sont suffisamment épaisses pour amortir les inégalités du chemin. Durant les préparatifs, Guibin lui a fabriqué un sac qu’il porte sur le dos ; les bretelles en cuir réglables permettent d’adapter le sac à sa morphologie, à sa bosse. Ce sac est cher à son cœur, c’est le premier objet qu’ils ont réalisé ensemble. De cuir et de toile, il est tellement pratique que Guibin et Aénor louchent dessus avec un air d’envie. Chaque fin de journée, un camp est dressé pour la nuit. Avec Aénor, ils ramassent le bois et préparent le foyer. Ce soir, repas de fête, une laie avec ses petits a croisé le chemin du trio… Le marcassin englouti, Adelin joue un air de flûte guilleret. Guibin, alangui, déguste sa tisane, allongé de tout son long et leur donne le programme du lendemain :

–Demain, nous allons rencontrer mon ami Johan et passer chez lui un certain temps. Vous apprendrez beaucoup à son contact. Nous avons cheminé ensemble lors de mon retour de Jérusalem. C’est un ami très cher. Il est maintenant établi comme éleveur de moutons.

L’étape est plus ardue que celles des jours précédents, les montées succèdent aux montées. Guibin leur impose un rythme soutenu tout au long de la journée. Enfin, aux alentours de sexte, alors qu’ils cheminent dans un merveilleux écrin de verdure et que le torrent tout proche gronde, apparaît la bâtisse du berger. En fait, on peut plutôt parler de hameau de berger, car il y a plusieurs constructions. Le lieu est pour l’instant désert, mais Guibin se dirige vers la maison la plus excentrée, ouvre la porte et annonce avec une certaine emphase :

–Bienvenue dans ma demeure !

Surpris et curieux, Adelin et Aénor entrent dans la « demeure ». Elle se compose d’une pièce assez vaste avec table, banc, cheminée en angle ; en appui contre trois des murs, des bas flancs peuvent accueillir d’éventuels dormeurs. Une échelle de meunier, dans un des coins du fond, permet l’accès à une petite pièce en soupente. À côté de l’échelle, une porte donne accès à une souillarde aménagée en cuisine. Des peaux de mouton en abondance sont déposées sur les bas flancs et sur les bancs, donnant un côté chaleureux et douillet à la pièce. Au sol, au lieu de la seule terre battue attendue, se trouve un plancher ainsi que d’autres peaux, tenant lieu de tapis notamment devant les bas flancs. Une autre pièce, elle aussi pourvue d’une cheminée, abrite des manuscrits, des livres : le roman de la Rose, la chanson de Roland, la vie de saint Léger, la vie de saint Alexis… Sur un mur, piquées dans une toile de lin, des enseignes, sorte de broches en plomb et étain, entretiennent le souvenir des pèlerinages accomplis. Des chaises, flanquées d’accoudoirs et de hauts dossiers, sont rendues très confortables, là aussi, par des peaux de mouton. Cette pièce est même pourvue d’une fenêtre. Après avoir déposé leurs sacs, la visite se poursuit à l’extérieur :

–La grande bâtisse que vous voyez là-bas en arrière, c’est la bergerie avec l’enclos à moutons. La construction attenante est la fromagerie. Les autres bâtiments sont la maison de Johan et son atelier de peausserie ; là le plus petit est l’étuve, l’autre en contrebas, le lieu d’aisance. Enfin tous les bâtis accolés aux constructions sont des celliers, garde-manger et entrepôts. Plus loin, en amont de la rivière, se trouve un bel et vaste étang.

Adelin et Aénor sont bouche bée, une étuve, un lieu d’aisance… incroyable ! Ils vont les visiter derechef. La porte ouverte, l’étuve se compose d’une toute petite pièce octogonale avec des bancs plus larges que ceux dont ils ont l’habitude et au centre de la pièce, un trépied sur lequel repose un très grand plateau incurvé en fer qui supporte du charbon de bois et trois grosses pierres. Un seau d’eau et une louche sont à proximité immédiate. Un peu plus loin, dans une toute petite pièce tendue de draps, se trouve un baquet, un autre seau plein d’eau et un savon.

Le lieu d’aisance est tout aussi simple : une cabane et un siège à couvercle ; toutefois, lorsque l’on soulève l’abattant, un filet d’eau courante emporte tout ce qui tombe. Rien ne stagne, pas d’odeur :

–Nous avons, Johan et moi, parcouru bien des chemins, visité bien des pays et côtoyé bien des gens aux coutumes et aux habitudes différentes des nôtres ; nous nous en sommes inspirés.

Soudain, encadré par les chiens à la langue pendante, le troupeau arrive au pas de course, dans le fracas des sabots. Johan salue d’un geste, au passage, ses amis, ferme les barrières de l’enclos et se précipite auprès de Guibin qu’il embrasse d’une accolade à grand renfort de tapes dans le dos, décolleuses de plèvre et d’exclamations aussi variéesque :