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L'Agent Hily est chargée d'enquêter, à Bordeaux, sur une mystérieuse disparition d'explosifs.
Das E-Book Agent Hily : Opération Chocolatines wird angeboten von Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
Bordeaux, Chocolatines, UNESCO, explosifs, Hily
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Seitenzahl: 224
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Préface
J - 4
J - 3
J - 2
J - 1
Jour J
Remerciements
Bonus: La recette du cake de l’Agent Hily
Autres bonus
Nutella Bio de l’Agent Hily (l’Hilytella)
Salut,
Si vous vous apprêtez à lire ce bouquin, il y a des chances que vous ayez lu « Parallèles ». Vous attendiez « Perpendiculaires », eh bien non, c’était trop facile, trop mathématique, changement de thème !
Mon but, c'est de :
- vous faire passer un bon moment
- vous apprendre quelques petits trucs sur Bordeaux
- vous faire dire : ah, ça, je le savais déjà
- vous rappeler que Bordeaux, c'est cool
- faire sourire ma fille
De toute façon, vous serez mieux à lire ce bouquin qu'à :
- regarder des vidéos débiles sur les réseaux sociaux
- dormir ou glander
- vous empiffrer de chocolat devant la télé
- vous demander si la petite lumière dans le frigo est vraiment éteinte quand on referme la porte ?
- vous demander ce que boivent les employés de chez Nescafé pendant la pause-café ?
- vous demander pourquoi un demi de bière fait un quart de litre et non pas un demi-litre ?
- vous demander pourquoi plus il y a de gruyère et moins il y a de gruyère ? (parce que plus il y a de gruyère et plus il y a de trous et que plus il y a de trous et moins il y a de gruyère donc …)
« Bordeaux est un très bel endroit pour faire une belle histoire »
Mary Higgins Clark
« Bordeaux, c’est beau, et c’est au bord de l’eau »
Cédric Toffin
Devant elle, l’Océan Atlantique. Ses grands yeux noisette scrutaient l’horizon lointain qui s’étalait à l’infini devant elle. Une mèche de ses cheveux châtain clair, blondie par le sel et le soleil, dansait devant ses lèvres, à la faveur d’une très légère brise qui soufflait doucement du nord au sud, comme souvent au début du mois de juillet.
Le ciel s’était paré du bleu foncé qui succède aux derniers instants de l’aube des jours d’été. Quelques fines bandes de nuages nacrés barraient cette immensité monochrome et permettaient de distinguer plus aisément la limite entre le ciel et l’océan.
Elle posa son regard plus près, sur les premières ondulations, à l’endroit où les vagues s’éveillent et prennent forme, avant de grossir, de s’approcher de la côte pour venir mourir sur le sable. Elle choisit une ondulation naissante et la fixa intensément de toute son attention. Elle la suivit jusqu’au bout, pendant plusieurs dizaines de secondes, vérifiant qu’elle déroulait bien comme d’habitude vers la droite, jusqu’à ce qu’elle finisse par se transformer en une vaguelette, puis en un petit bourrelet d’eau caressant le sable. La vague qu’elle avait suivie avait atteint les un mètre soixante, bien creuse et propice à se laisser enfermer à l’intérieur, dans le tube, pendant quelques secondes, avant d’en ressortir, heureuse.
La superbe plage centrale-nord de Lacanau-Océan était déserte. Ce matin était un bon matin pour aller surfer, un très bon matin. C’était une habitude bien ancrée chez elle. Venir regarder l’océan, et s’imprégner de l’atmosphère paisible des levers de soleil avant de retourner chez elle, pour se préparer. Elle parcourait généralement ces 800 mètres aller et 800 mètres retour, pieds nus, pour revenir boire un café serré et retourner ensuite vers la plage, avec son père, planches sous le bras pour aller affronter l’élément dans lequel elle évoluait depuis son enfance, l’Océan Atlantique.
De temps à autre aussi, il lui arrivait de passer chez son amie Margot pour voir si celle-ci pouvait trouver un moment pour l’accompagner à l’eau. Plusieurs fois par été, toutes deux s’offraient une session de surf entre copines canaulaises, souvent accompagnées de Carla, l’amie du Porge, sous la bienveillance, ou la surveillance, suivant l’état de l’océan, des petits frères Eliott et Tom. Elle repensa à ces moments magiques, le dernier datait déjà de l’année passée, et elle décida qu’il était grandement temps de programmer une sortie surf entre amies, peut-être pour le lendemain.
Elle se reconcentra sur l’Océan, sur ce paysage changeant, à couper le souffle, sur cet air pur et vivifiant, sur la tranquillité qui émanait de cette nature intacte.
Ce doux instant de communion avec les éléments fut troublé par la sonnerie du téléphone portable qu’elle avait glissé négligemment dans la poche arrière de son short en jean.
Aussitôt, ses yeux se plissèrent et sa main, avec une extrême rapidité, saisit le téléphone. La sonnerie qui avait retenti n’était pas celle des appels de famille ou d’amis. Elle décrocha sans prononcer autre chose que : « Agent Hily », d’une voix claire, sèche et professionnelle. La voix dans le combiné, froide, monocorde et dénuée de toute intonation sympathique, intima un ordre qu’on ne pouvait discuter : « Présence requise, briefing, COB, huit zéro zéro UTC ». La communication prit fin sur ces derniers mots.
Huit zéro zéro UTC, soit 8 h pile UTC (plus précis encore que GMT), en France, de mars à octobre, cela signifiait 10 h du matin. À la montre de l’Agent Hily, il était à peine 7h30. Elle avait largement le temps de rejoindre le COB, le Centre Opérationnel Bordeaux, le quartier général de l’antenne grand-ouest de la DGSIE, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure et Extérieure, dont elle était l’un des agents les plus aguerris et des plus respectés.
Elle lança un dernier regard furtif vers l’océan puis remonta le vieil escalier planté dans le sable doré, pour arriver sur la promenade du front de mer, désert à cette heure-là. Elle ne traîna pas, elle se sentait légèrement nerveuse. Le COB ne l’aurait jamais dérangée si quelque chose de grave n’était pas en train de se passer.
Elle était rentrée seulement depuis cinq jours de la mission ‘‘Chamfort’’ qui l’avait entraînée dans la région de Malacca, au sud de Kuala Lumpur, en Malaisie. Elle avait dû y monter une opération d’exfiltration de l’ambassadeur de France en Malaisie, séquestré par des musulmans radicaux malais qui exigeaient une rançon astronomique. L’opération avait été difficile et délicate, principalement menée dans un village situé à 110 kilomètres à l’est de Malacca, en pleine jungle. Le camp avait été pris d’assaut par l’Agent Hily et quelques-uns de ses coéquipiers. L’otage avait été libéré sans trop d’effort, mais les derniers jours sur place avaient été particulièrement éprouvants. Ils avaient dû rallier à pied l’aéroport de Malacca, à plus de 100 kilomètres de là, en toute discrétion, pour éviter les représailles des partisans des preneurs d’otage, prêts à tout pour quelques poignées de ringgits, le dollar malaisien.
Ils avaient traversé cette forêt équatoriale vierge sous une chaleur humide et écrasante en 2 jours et 2 nuits seulement, mais ces moments leur avaient semblé interminables. Leur progression était lente et difficile et les conditions d’une extrême difficulté avec très peu de vivres et sans aucun matériel si ce n’était des fusils mitrailleurs et des cartouches. L’ambassadeur enchaînait les malaises et l’Agent Hily avait dû le traîner, plus que lui montrer le chemin.
Les brefs moments de repos avaient été dominés par l’angoisse et la peur de tomber à nouveau sur les ravisseurs, prêts à tout pour sauver leur honneur perdu et ne pas perdre la face, dans ces régions où cela revêt une importance primordiale. Le reste de l’équipe, stationné à l’aéroport, avait assuré leur approche ainsi que le décollage en hélicoptère vers Singapour avant le retour en France.
Ces quelques jours de repos bien mérités, chez elle, sur la côte océane française, loin de cet enfer, devaient l’aider à lui faire oublier ces moments pénibles. Elle pensait enfin pouvoir profiter du sentiment exquis du devoir accompli d’avoir sauvé une vie et de s’être mise au service de la France, elle se trompait.
Le regard de la jeune femme qui scrutait l’océan d’une manière attentive et émerveillée changeait. La surfeuse qui observait l’océan, pour déterminer le meilleur endroit où se mettre à l’eau, était redevenue l’Agent Hily.
Avant de se rendre au COB, l’Agent Hily devait se changer. Bien que son statut d’agent ne lui imposait pas un uniforme réglementaire, il aurait été déplacé de se rendre au briefing en tenue de plage. Elle accélérera le pas sur le boulevard de la plage en direction du nord, pour rejoindre la villa familiale à quelques centaines de mètres de là.
Elle avait l’habitude d’y passer quelques semaines durant la saison estivale, en compagnie de ses parents et grands-parents, comme toujours depuis sa plus tendre enfance. En arrivant, elle expliqua brièvement, à toute sa petite famille, qui déjeunait au bord de la piscine, qu’encore une fois, il y avait un besoin urgent de ses compétences au centre informatique gérant le cloud du Ministère des Finances. Elle raconta qu’il lui fallait aller régler des soucis de vulnérabilité de programmes d’Intelligence Artificielle et qu’elle ne pouvait se soustraire à ses obligations de consultante technique en sécurité informatique détachée auprès du ministère.
Son père leva les yeux au ciel. Lui qui attendait, comme chaque matin, son retour d’observation du littoral, avec impatience, pour ensuite aller partager avec elle un moment précieux de complicité au large. Cette habitude, d’aller d’abord s’imprégner de l’océan en l’observant avant de rentrer dans l’eau, il lui avait inculquée dès son plus jeune âge, lorsqu’elle avait pris ses premiers cours de surf. C’était il y avait plus de 25 ans et elle en avait à peine 31. Il la regarda dans les yeux. Il sentit qu’elle cachait quelque chose, mais il lui sourit, posa son ukulélé sur lequel il grattait quelques accords, et la prit dans ses bras. Il lui chuchota : « pas de souci p'tit cœur, prends bien soin de toi, nous nous rattraperons à ton retour ».
Cette obligation de couverture par rapport à ces activités professionnelles, qu’on lui imposait, même vis-à-vis de sa propre famille, lui pesait. Cependant, c’était le règlement de la DGSIE pour les agents de terrain qui participaient à des opérations délicates impactant la sécurité de l’état. La discrétion et le secret professionnel étaient quelques-uns des piliers de la réussite des actions de cette organisation semi-secrète et la garantie, ou presque, de pouvoir retrouver une vie normale une fois les missions achevées.
Elle enfila un jean, des baskets, coiffa ses cheveux en se faisant une queue de cheval, posa ses Ray-Ban Aviator aux montures argent sur son nez et fit un signe d’au revoir de la main.
L’Agent Hily était une très jolie jeune femme, de taille moyenne avec des cheveux mi-longs. Elle était plutôt mince avec un port de tête altier, sans doute grâce aux nombreuses années de danse classique qu’elle avait pratiquées dans sa jeunesse. Ses grands yeux et les traits fins de son visage ne laissaient pas deviner qu’elle était, en fait, un AS, un Agent Spécial, qualifiée et sur-entraînée. À la DGSIE de Bordeaux, on faisait plus court, on parlait simplement d’Agent, un Agent, quel que soit le sexe de la personne et on mettait une majuscule à Agent, c’était comme cela.
Elle s’installa à bord de son petit roadster Mazda, vert anglais, décapoté, et s’éclipsa. Tout l’équipement nécessaire à son métier d’Agent lui serait fourni au COB. Hors mission, inutile d’être en possession de quoi que ce soit qui aurait pu compromettre sa couverture d’informaticienne.
Durant les 60 minutes nécessaires pour rallier le centre de Bordeaux depuis la côte, roulant vers l’est, elle profita du soleil qui montait dans le ciel et chauffait son visage. Le paysage aurait pu paraître monotone pour beaucoup, de grandes lignes droites bordées de pins maritimes qui constituaient la forêt des Landes de Gascogne. Elle y voyait plutôt l’immense poumon végétal que cette forêt représentait, sans oublier son rôle d’assainissement de la lande autrefois marécageuse. Elle emplissait ses poumons de l’odeur délicate et subtile qui s’en dégageait. Cet agréable parfum qui embaumait l’air de manière délicieuse lui avait imprimé dans l’inconscient des images de grands espaces, des souvenirs de promenades en forêt, au pied des dunes de sable, des instants de liberté. Elle souriait toute seule.
Elle arriva sur Bordeaux en longeant un des plus célèbres parcs de la ville, le Parc Bordelais. Plus jeune, elle avait l’habitude d’aller s’y balader. Ce parc datait de 1888 et comptait plus d’un millier d’arbres centenaires. Elle y avait gravé son prénom sur certains, ceux qui avaient été les témoins de ses premiers émois sentimentaux, elle en gardait d’excellents souvenirs.
Elle passa derrière le très renommé ensemble scolaire Saint-Joseph de Tivoli où elle avait passé quelques-unes des meilleures années de sa vie d’adolescente. C’était dans ce lycée qu’elle s’était illustrée scolairement et sportivement, en remportant certains concours et prix, entre élèves, qui alliaient réflexion, logique, entraide, sport et détermination. C’était pendant ces années-là, qu’elle avait attiré l’attention de l’organisation pour laquelle elle travaillait maintenant depuis plusieurs années déjà. Elle avait été approchée par un membre recruteur de la DGSIE, quelques semaines avant d’avoir son baccalauréat.
Il lui avait alors expliqué simplement qu’au regard de ce qu’elle avait montré comme aptitudes intellectuelles, physiques et psychologiques dans ces divers concours, il voyait en elle un potentiel certain pour intégrer, à la fin de ses études, un service de l’État qui œvrait pour la sécurité du territoire et de ses habitants. Il ne s’était pas plus étendu mais lui avait indiqué qu’il suivrait, très discrètement mais attentivement, son évolution.
Il lui avait précisé que le moment venu, si les espoirs mis en elle se confirmaient, il lui proposerait un emploi atypique qui nécessitait abnégation, dévouement, détermination, parfois sacrifice, mais qui pourrait lui procurer satisfaction et reconnaissance de son pays.
Cette part de mystère avait éveillé, chez la jeune Hily, curiosité et motivation pour donner le meilleur d’elle-même durant toutes ses années d’études, et cela avait fonctionné. Le futur Agent Hily avait compris très tôt tout l’enjeu qu’il y avait à se dépasser dans tous les domaines, à toujours essayer d’être la meilleure et à tout mettre en œuvre pour aider qui en avait besoin. Elle était vite devenue vive d’esprit, réfléchie, responsable et solidaire dans l’effort avec ses camarades. Elle aidait les autres dans les épreuves et faisait toujours en sorte que l’on puisse compter sur elle. Elle avait l’esprit d’équipe, l’esprit de corps, ce qui ne pouvait que plaire à son futur employeur.
Après ses cinq années d’études post-bac, elle fut invitée à se présenter aux tests physiques, psychologiques et psychotechniques organisés par la DGSIE afin de recruter ses futurs Agents et elle s’était montrée très douée. Elle avait donc été recrutée à 23 ans puis avait suivi un rude entraînement militaire commando d’une année entière et avait été formée pendant une année supplémentaire à la géopolitique, à l’art du renseignement mais aussi et surtout aux techniques d’enquêtes les plus pointues. À 25 ans, elle était devenue un des plus grands espoirs de la DGSIE, et six années plus tard, elle était devenue un pilier du service.
Perdue dans ses pensées, elle conduisait de façon automatique et s’étonna de se retrouver si rapidement au cœur du triangle d’or, le quartier le plus luxueux de Bordeaux, triangle parfait, avec à ses sommets, la place Gambetta, la place Tourny et la place de la Comédie qui abritait le Grand Théâtre. Quelques secondes plus tard, elle arriva à destination, place des Grands Hommes. Cette place, à la convergence des rues portant le nom des Grands Hommes, tels Montaigne, Montesquieu ou encore Voltaire, n’était pas seulement qu’un vieux marché du début du XIXe siècle transformé en halle commerciale moderne.
Elle engagea son roadster dans le parking souterrain, pris un ticket et franchit la barrière d’entrée comme tout usager lambda. Elle descendit à vive allure la rampe d’accès qui tournait sur elle-même telle un immense ressort pour épouser la forme cylindrique du lieu.
Seulement, arrivée au niveau le plus bas, quand les véhicules stationnés se font plus rares et qu’il n’y a pas d’autres choix que de prendre la rampe en sens inverse pour remonter, elle engagea le roadster dans un renfoncement obscur interdit au stationnement et à l’abri de tout regard. Elle sortit son téléphone et composa son code d’accès COB, le 1421.
Une point lumineux rouge apparut au milieu du mur auquel elle faisait face. La lumière s’amplifia et se transforma en un large faisceau lumineux horizontal qui scanna le lieu, du sol au plafond, identifiant le véhicule et son occupante, puis s’éteignit. La paroi sur laquelle était intégré le système de reconnaissance coulissa et laissa la voie libre à l’Agent Hily qui redémarra et pénétra à l’intérieur. La paroi se referma automatiquement. Le lieu dans lequel elle venait de rentrer ressemblait plus à l’antre d’un collectionneur qu’à un garage. On pouvait y compter une trentaine de véhicules, de toutes marques, tous à caractère haut de gamme et sportif, de l’Aston Martin au Hummer, de la Lamborghini à la Bentley, un vrai musée, ou plutôt une réserve pour parer à n’importe quelle opération.
Au fond de ce spectaculaire garage, une sorte de grand monte-charge, muni de 8 sièges, attendait. L’Agent Hily gara son roadster et entra à l’intérieur, s’assit et fixa des yeux la caméra accrochée en hauteur dans l’un des angles. La paroi se ferma automatiquement et le monte-charge s’ébranla.
Cependant, il ne monta pas ni ne descendit, il fila rapidement à l’horizontale, dans une vive accélération, sur des rails. Quelques secondes plus tard, il s’immobilisa dans le noir complet. Une des parois latérale s’ouvrit et un gigantesque hall apparu, de la taille d’un demi terrain de football. Il était baigné de lumière blanche artificielle qui imitait à la perfection la lumière du jour.
Elle sortit du monte-charge, enfin, de ce qui s’apparentait plutôt à une navette et entra dans le hall. Personne ne prêta attention à elle, des dizaines de personnes allaient et venaient, se croisaient, certaines pressées, d’autres discutant tranquillement, avec des documents sous les bras ou poussant des chariots de courrier, en pleine communication téléphonique ou lisant des notes sur des panneaux d’affichage, une vraie fourmilière. Tout autour de cet immense espace, on pouvait voir des dizaines d’openspaces vitrés.
Certains abritaient des bureaux conventionnels et des salles de réunions avec d’immenses écrans accrochés aux murs. D’autres paraissaient être des laboratoires de chimie où des personnes s’agitaient en blouse blanche ou bien des ateliers de bricolage avec divers outils et machines. On trouvait aussi des espaces qui auraient pu faire penser à des centres de contrôle de la circulation aérienne ou des intérieurs de sous-marins, avec des écrans du sol au plafond, des affichages radars et des oscilloscopes géants.
En réalité, on se trouvait dans la grande station de métro Gambetta, à plus de 25 mètres sous la place du même nom. Première et seule station de métro de Bordeaux, station test construite dans les années 1990 mais désaffectée depuis lors et oubliée suite à l’abandon du projet de métro Bordelais.
C’était tout naturellement que la DGSIE avait investi le lieu et y avait installé le Centre Opérationnel Bordeaux. Le COB utilisait le seul bout de ligne expérimentale du début de projet, qui conduisait jusqu’au parking de la place des Grands Hommes. Cela permettait d’avoir une entrée-sortie discrète vers l’extérieur.
Ici, les activités pouvaient rester secrètes et protégées, car officiellement, tout ce qui avait été creusé avait été remblayé et il n’existait plus aucune trace de ce projet de métro, surtout depuis que le projet de tramway s’était concrétisé, en 2003.
Un grand comptoir jouxtait ce qu’on pouvait qualifier de terminus du monte-charge-métro. La femme assise derrière, les yeux rivés sur un des deux écrans incurvés, pianotait sur son clavier à une vitesse phénoménale. Une très jolie femme, d’une trentaine d’années, en tailleur strict, gris clair, et au chignon impeccable, leva la tête et récita d’une voix monocorde : « Bonjour Agent Hily, vous êtes en avance, patientez un moment, la Capitaine Violette va vous recevoir ». C’était la même voix, facilement identifiable et reconnaissable entre toutes. Celle qui lui avait intimé l’ordre de rejoindre le COB quelques instants auparavant, celle de l’Agent Louna.
À la DGSIE, lorsqu’on était Agent, on ne s’appelait que par nom de code et si c’était possible, le nom de code était souvent le véritable prénom, par simplicité. Jamais de nom de famille, ceci par mesure de sécurité, afin que les malfrats, criminels, terroristes ou agents d’autres services de renseignements étrangers ne puissent pas facilement les identifier et s’en prendre à leurs familles.
L’Agent Louna se concentra de nouveau sur ses écrans pendant que l’Agent Hily se demandait ce que sa supérieure, la Capitaine Violette, pouvait bien lui vouloir durant ses jours de repos.
La Capitaine Violette et l’Agent Hily se connaissaient depuis toujours et s’appréciaient. Elles avaient grandi dans le même quartier et avaient fréquenté la même maternelle puis école primaire. Elles entretenaient depuis lors une très forte relation d’amitié. Durant l’adolescence, bien qu’étudiant dans des collèges et lycées différents, elles avaient continué à être les meilleures amies du monde et à partager d’innombrables moments ensemble. Une forte complicité les unissait et elles n’avaient jamais eu de secret l’une pour l’autre.
À 18 ans, ce fut sur la splendide île espagnole d’Ibiza, où les étudiantes Hily et Violette passaient régulièrement leurs vacances ensemble, qu’Hily lui parla. En sortant tôt le matin d’une célèbre discothèque, après une soirée mémorable pour fêter leur mention ‘‘très bien’’ au Baccalauréat, la future Agent Hily avait confié à Violette qu’elle avait été approchée par ce qui semblait être le FBI français ou quelque chose de la sorte. Son amie Violette avait tout de suite montré un intérêt certain dans cette révélation et se voyait aussi travailler dans ce genre d’organisation.
Violette, ensuite, durant sa première année d’université, avait mis tous les atouts de son côté en se préparant physiquement et mentalement pour réussir le concours d’entrée à Polytechnique. Elle avait réussi à y entrer et en était sortie, à 23 ans, major de sa promotion. Elle avait alors intégré l’Armée de l’Air et elle avait pu choisir la spécialité du renseignement. Après une année de formation où elle avait appris, non seulement l’art de la stratégie militaire mais aussi celui du commandement, elle avait opté pour un détachement à la DGSIE avec comme double avantage de rester sur Bordeaux et de pouvoir travailler avec son amie.
La Capitaine Violette était maintenant une jeune femme très sûre d’elle avec un caractère bien trempé. Brune, les cheveux longs et ondulés, de grands yeux et une silhouette élancée, elle portait très bien l’uniforme bleu marine de l’armée de l’air mais le troquait souvent contre un tailleur pantalon noir des plus classiques. Elle avait maintes fois fait preuve d’ingéniosité dans l’exercice de ses missions et ses compétences étaient toujours des plus appréciées. De plus, son mètre quatre-vingt-cinq lui conférait une autorité naturelle.
La porte sur laquelle était inscrit “Salle de Briefing 1”, à quelques mètres du grand comptoir d’accueil, s’ouvrit. La Capitaine Violette, le visage fermé, apparut dans l’embrasure et fit signe à l’Agent Hily de s’approcher et d’entrer. À l’intérieur se trouvait déjà un Général de l’armée de l’air, reconnaissable aux 4 étoiles sur ses épaulettes.
La Capitaine Violette invita son amie à s’asseoir dans un fauteuil autour de la grande table ovale, face à l’immense écran qui occupait tout un mur.
« Agent Hily, si nous vous avons fait venir, c’est que nous sommes confrontés à un problème », dit-elle.
Bien que la Capitaine Violette et l’Agent Hily soient des amies dans l’intimité, quand la situation était grave, le ton n’était pas à décontraction.
« Je vous présente le Général Caumartin, commandant l’État-Major de la région Atlantique Ouest, l’État-Major jouxte la base aérienne 106 de Bordeaux Mérignac », continua-t-elle.
L’homme, de taille moyenne, légèrement bedonnant, arborait plusieurs médailles sur le côté gauche de sa veste d’uniforme.
« Mon général, voici l’Agent Hily, un de nos meilleurs éléments », confia-t-elle.
« Bien, je suis venu avertir vos services de la disparition d’une grosse quantité de C-45010A au sein de la BA 106 », exposa le Général.
La Capitaine violette appuya sur son clavier et l’immense écran s’alluma. Une photo d’un pavé rectangulaire de douze centimètres de côté sur cinq et d’une épaisseur de trois centimètres apparut, de couleur jaune tirant sur le marron. Ses contours n’étaient pas nets, on aurait dit de la pâte à modeler.
« Du C-45010A, vous voulez parler de l’explosif que l’on utilise fréquemment dans l’armée et que l’on appelle plus communément du C-4 j’imagine ? Quelle quantité ? », questionna l’Agent Hily.
Durant sa formation, l’Agent Hily avait étudié toutes les sortes d’explosifs et tous les styles de détonateurs. Le Général baissa les yeux et répondit à voix basse : « Environ 100 kilos. »
« 100 kilos ? Quoi ? Mais on pourrait faire sauter un quartier tout entier avec ça ! » s’emporta l’Agent Hily.
« Comment cela s’est-il passé ? J’imagine qu’on ne laisse pas une telle quantité d’explosifs sans surveillance ! », interrogea la Capitaine.
« Toutes les bases aériennes opérationnelles possèdent un stock d’armement et d’explosifs, c’est une chose normale », expliqua le Général.
« Tout est stocké dans l’armurerie et personne n’entre et ne sort de la base sans autorisation expresse et nous n’avons détecté aucune intrusion. L’alerte a été donnée lors de l’inventaire mensuel qui a révélé l’absence de ce stock. Le Commandant de la base, le Colonel De La Froisse, a diligenté une enquête visant à interroger tous les militaires ayant accès à l’armurerie mais pour l’instant, nous n’avons aucun suspect. Nous avons étudié les images de la vidéo surveillance mais cela n’a rien donné. Le système ne garde que les 15 derniers jours. Le vol a dû avoir lieu après le dernier inventaire mensuel et avant ces derniers 15 jours. Nous imaginons donc qu’il s’agit d’un vol commis par un des nôtres qui connaît bien les caractéristiques du système. Le Colonel De La Froisse m’a assuré poursuivre ses investigations jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur cette affaire », assura le Général.
La Capitaine Violette remercia le Général pour ces informations qui pouvaient menacer l’ordre public. Elle l’assura que la DGSIE serait attentive à tout bruit concernant la réapparition de ces explosifs dans les milieux du grand banditisme ou du terrorisme. Elle le raccompagna à la porte et le confia à l’Agent Louna.
Une fois seules, la Capitaine Violette regarda l’Agent Hily dans les yeux : « Hily, je sens que nous avons un sérieux souci. »
En effet, bien qu’un vol de cette ampleur ne soit jamais de bon présage, plusieurs éléments faisaient craindre le pire à la Capitaine Violette. Elle servit deux grandes tasses de café et exposa la situation à son amie.
En premier lieu, Bordeaux, depuis plusieurs semaines déjà, était le théâtre de manifestations de plus en plus nombreuses et rassemblant de plus en plus de monde. Un collectif baptisé ‘‘Anti-Unesco’’ appelait régulièrement les Bordelais à descendre dans la rue. Ils criaient leur mécontentement face à l’inscription de Bordeaux et de son Port de la Lune sur la Liste du Patrimoine Mondial par l’Unesco. Cette distinction invitait la ville à porter une attention particulière à la préservation de l’unité architecturale, limitant ainsi tout projet immobilier dans ces zones, qui pourrait dénaturer l’ensemble.