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Khélil et Fatima quittent à leur grand regret leur Algérie natale ravagée par la guerre. Poussés par la misère, ils décident de se rendre en France afin de trouver du travail et essayer de bâtir une vie meilleure. Après une traversée éprouvante et une arrivée tout aussi difficile, le couple est confronté aux défis de l’hébergement et de l’intégration. Parviendront-ils à surmonter ces difficultés et à s’établir dans leur nouvelle patrie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mustapha Ait Larbi signe avec "Alger, Marseille : l’espoir est sur l’autre rive" son premier roman. Livre-témoignage dans lequel il rend hommage à toutes ces personnes qui ont dû quitter leurs patries à la recherche d’un lendemain meilleur.
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Seitenzahl: 105
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Mustapha Ait Larbi
Alger, Marseille :
l’espoir est sur l’autre rive
Roman
© Lys Bleu Éditions – Mustapha Ait Larbi
ISBN : 979-10-422-0478-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La politique est le moyen pour des gens sans principes de diriger des gens sans mémoire.
Voltaire
Khélil releva le col de son manteau. Le vent s’était levé. Il avait froid. La mer était moutonneuse, sale, glaciale et mugissait comme un grand fauve pris dans un piège. L’homme avait embarqué la veille avec sa femme à Alger. Le couple quittait leur Algérie et leur Kabylie natale pour tenter leur chance en France. Ils quittaient à regret leur beau pays pour essayer coûte que coûte de vivre un peu plus longtemps, nourrissant l’espoir d’aller plus loin dans le temps qui leur était imparti. Leur pays était en ruine. Au village, on ne parlait que des Français, que de la guerre, que de la torture, que des massacres, que des gens qui disparaissaient la nuit, que des cadavres que l’on retrouvait dans les puits, que des filles qui rentraient en pleurant de leur convocation à la gendarmerie. Pourquoi pleuraient-elles ? Elles refusaient de répondre. On ne savait plus qui était l’ennemi. Il y en avait tellement. Il n’y avait plus rien au village. Plus de mouton, plus de blé, plus de pain, plus de chant, plus de musique. Les Français avaient tout détruit. Leur beau village était devenu une terre brûlée, aride, désolée. Tout ce qu’ils avaient aimé était en lambeaux. Il fallait tout reconstruire. Tout était ravagé, pillé, détruit. Tous les oliviers, les figuiers, les citronniers avaient été brûlés par l’armée. Même les grives avaient disparu.
Ces grives saoules de fruits rouges que l’on tuait d’un coup de bâton dans les oueds. Rôties sur les sarments de vigne et accompagnées de raisin, de menthe fraîche et d’épices, elles étaient délicieuses. Perdu dans ses pensées, Khélil n’avait pas vu sa femme arriver. Fatima était malade. Elle avait le mal de mer et avait vomi toute la nuit. L’homme avait eu peur qu’elle perde son premier enfant qui lui enflait le ventre comme une outre. Saisie par le froid, Fatima avait les lèvres toutes bleues cependant, afin de rester digne, elle avait réussi à se maquiller un peu les yeux et à se mettre un léger rouge sur les lèvres. La pauvreté ne devait pas se nourrir de tout. La propreté, c’est déjà un début de liberté. Il fallait savoir rester digne en toutes circonstances. Se laisser aller, c’était faire le lit de l’abject, de l’inhumanité.
« Humain, trop humain », disait déjà un philosophe allemand1 dans un trait de génie. Fatima était pâle comme une morte, froide comme une nuit dans le djebel. Elle tenait dans sa main une vieille valise qui contenait toute leur vie. À l’intérieur de cette valise se cachait un trésor emmailloté dans un grand foulard. Ce trésor, c’étaient les bijoux de leurs parents respectifs. Le foulard contenait un gros bracelet, cinq bagues, un collier, des boucles d’oreilles, le tout en or massif. De quoi vivre peut-être un an en France. Les familles avaient tout donné aux amoureux en échange, en contrepartie, si Khélil et Fatima trouvaient du travail, ils enverraient de l’argent en Algérie. On commençait à voir les côtes françaises qui semblaient surgir du néant. Petit à petit, les gens sortaient des cabines où ils s’étaient entassés. Ils étaient pourtant si bien dans leurs cabines. Ensemble, ils s’étaient réchauffés et ils avaient bu leur thé si sucré, gorgée après gorgée comme avec regrets, comme on récite une prière. Ils avaient même chanté doucement des airs lascifs du pays. Par contre, ils n’avaient pas prié.
Depuis longtemps, Allah les avait abandonnés, eux, les Berbères, les oubliés de Dieu, les enfants que la lune n’éclairait plus, paraît-il. Khélil voyait maintenant très bien la côte et les HLM de Marseille. Il prit sa femme par la taille, la serra contre lui, la gratifiant d’un large sourire. Il lui transmettait ainsi un message d’espoir. Ils avaient tous les deux atteint le fond de la piscine, ils ne pouvaient pas descendre plus profond. Un bon de coup de talon et ils retrouveraient l’air qui manquait tant. Fatima glissa sa main dans la sienne. C’était bon de sentir la chaleur de son mari. Enfin, le bateau accosta dans un furieux bruit de tôle et d’acier et vomit ses passagers tristes et fatigués sur un quai éclairé par des néons aveuglants et lugubres. La foule se dirigea vers des guérites qui ressemblaient à des postes de douanes. Des fonctionnaires zélés vérifièrent les papiers et ouvrirent quelques bagages en riant. Ils riaient de voir ces indigènes quitter volontairement leur pays d’origine.
Ils riaient (bis) de voir cette marée humaine venir en France après avoir réclamé leur indépendance. Ils voyaient dans cette migration le refus stupide de faire allégeance à une nation qui avait tout fait pour maintenir l’ordre, la paix et la sécurité, mais Khélil qui avait une vue d’aigle suppléée d’un sens aigu de l’analyse voyait tout le contraire dans leur comportement. Ces hommes, c’était la somme totale de la bêtise, de l’erreur et de l’aliénation. Ces pauvres hères étaient aveugles et ne véhiculaient que le triomphe de la barbarie sur la civilisation. Finalement, même dans l’abondance, ils étaient plus pauvres qu’eux. Cela dit, Khélil savait que moins on a de connaissances, plus on est certain de ces raisonnements. Il avait été élevé à l’école de l’hypocrisie, personne n’allait à nouveau le manipuler sachant que leur école n’était qu’une entreprise politique chargée de veiller au bon maintien de la raison d’État. Une simple entreprise de déréalisation, mais Khélil n’était pas stupide et savait faire la différence entre un âne et un pur-sang.
« Ce n’est pas parce qu’un arbre passe sa vie dans l’eau qu’il devient un crocodile », dit avec sagesse un proverbe africain. Personne n’avait rien dit de nouveau depuis les Grecs. Si vous lâchez une pomme, elle tombe… Même dans leur pays, en Algérie, ils avaient toujours été considérés comme des indigènes, comme des étrangers. Rien n’avait changé et ne changerait jamais pour eux. Ils étaient des nord africains, des arabes, des bigots, des laissés pour compte condamnés à passer leur vie dans le salon des ignorés. Les formalités expédiées, le couple prit à pied la direction du centre-ville. Curieusement ou non d’ailleurs, Marseille ressemblait un peu à Alger. Khélil trouva que cette ville était belle, bien tenue, agréablement agencée. Le couple marcha longtemps, admirant au passage les espaces verts, un parc, les cafés, les façades des immeubles. La ville semblait se réveiller sortant d’une torpeur qui aurait pu paraître mortelle aux yeux d’un profane. Mais non ! C’était l’ordinaire, le quotidien, l’heure où les prostituées vont se coucher laissant la place aux éboueurs. Pour eux, chaque jour était une nouvelle vie, un nouvel espoir, une nouvelle lutte aussi.
Khélil commençait à avoir les bras engourdis, même si les deux valises qu’il portait contenaient le minimum. Il était las de ce tumulte, un peu écœuré de ce combat contre un ennemi implacable et terriblement vicieux. Un hôtel qui portait le nom usurpé de moderne jaillit devant leurs yeux rougis et fatigués. Le couple regarda les prix. La chambre la moins chère semblait à leur portée. Fatima poussa la porte qui grinça sur ses gonds. Derrière une sorte de comptoir en bois se tenait un gardien de nuit. Il les regarda d’un air maussade et leur dit que la chambre convoitée serait libre à midi et qu’ils pouvaient la réserver moyennant un acompte. Il voulait aussi enregistrer leur papier et leur demanda de remplir une fiche de police. À l’emplacement profession, Khélil nota : porteur. En effet, c’était devenu un métier pour lui porter des valises. Il restait cinq heures au couple à tuer avant de pouvoir enfin avoir un chez eux.
Avoir un peu d’intimité et se réchauffer le corps et l’esprit dans une étreinte farouche si ardemment souhaitée. Le gardien lorgnait graveleux, vicelard et sans retenue la poitrine de Fatima. Khélil détourna les yeux. À l’abject, nul n’est tenu. Il comprit à cet instant qu’ils n’étaient que des étrangers. Le couple redescendit la rue en sens inverse et s’installa dans le parc qu’il avait remarqué en montant la grande rue. Une boulangerie était ouverte et servait même du café en gobelet. Quelle chance ! Allah (ce traître) venait manifestement de remarquer enfin la présence de ses enfants. Décidément, c’était Byzance.
Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui tue.
Friedrich Nietzsche
Les amoureux passèrent une semaine à Marseille. La première chose que fit Khélil en arrivant fut de mettre le magot à l’abri. Fatima confectionna deux sacs ceintures et partagea le trésor de moitié. Se faire voler les bijoux aurait été une catastrophe. Par précaution, ils portaient toujours leur trésor pour une nouvelle vie sur eux. Si l’un d’eux venait à le perdre ou à être volé, il leur restait une soupape de sécurité. Khélil achetait le journal tous les matins et scrutait toutes les offres d’emplois. Il était prêt à accepter n’importe quel poste, mais il se heurta à de cinglants refus. Les employeurs, profitant de cette manne de gens pauvres et désœuvrés, proposaient des salaires minables, indignes. Des salaires si faibles, si ridicules qu’ils ne suffiraient même pas à payer la nourriture et le logement. L’occasion était enfin donnée à ces rapaces de mettre les pauvres en concurrence et d’en extraire de juteux profits. Le midi, ils mangeaient froid, assis sur le lit de la chambre d’hôtel en buvant du thé qu’un commerçant arabe avait la gentillesse de leur mettre dans un Thermos.
Le soir, pour se changer les idées, ils allaient marcher sur la plage pour se ressourcer en humant les embruns. L’un comme l’autre, ils aimaient la mer. Ils marchaient pieds nus sur le sable en se tenant la main pour se libérer de l’électricité statique qui acidifiait leurs corps. Ils regardaient aussi les bateaux partir vers des contrées inconnues. Ils ramassaient des coquillages vides qu’ils portaient à leurs oreilles. Voyage jusqu’au bout de l’horizon… Khélil n’était même plus en colère, le mot était trop faible. Il était déçu des hommes et c’était pire encore. Déçu de ces hommes qui voulaient inventer un nouveau monde sans poésie. Le neuvième jour, de guerre lasse, le couple comprit qu’il était fait comme un rat pris dans des rets et que l’unique solution pour sortir de ce piège, c’était, comme on dit communément, de monter à Paris. Paris et la banlieue étaient un immense gisement d’emplois. Une sorte d’eldorado, comme on dit maintenant. L’occasion était sans doute à saisir. De toute façon, toutes les routes étaient coupées. Ils n’avaient rien à perdre. Khélil avait en poche l’adresse d’un oncle qui habitait à Saint-Denis. Cette adresse lui avait été donnée par son père. Une adresse bouée de sauvetage en quelque sorte. Le couple prit un train de nuit pour économiser le prix de la chambre d’hôtel et se retrouva dans une immense gare au petit matin. Perdus, Khélil et Fatima se décidèrent à contrecœur à prendre un taxi. Le taxi roulait lentement, se frayant un passage dans une circulation dense et semblait complètement perdu. Pendant ce temps, le compteur tournait…
Quelque trente minutes plus tard, ils arrivèrent enfin chez cet oncle inconnu qui vivait dans un bidonville. Le taxi se gara en évitant une mare de boue et se déchargea prestement de ses clients. Khélil régla la note qui lui sembla astronomique. Sur place, des enfants jouaient avec des morceaux de bois de palette. Il leur demanda le nom de l’homme qui pouvait les aider. Intimidé, l’un des enfants montra du doigt une cabane en bois. Khélil frappa à ce qui ressemblait à une porte. Une femme ouvrit et les regarda de la tête aux pieds. Il se présenta dans sa langue maternelle, c’est-à-dire en kabyle. Un sourire radieux éclaira le visage de la femme.
— Entrez, dit-elle dans la même langue, et soyez les bienvenus. Tu es le fils d’Ali ? demanda-t-elle avidement.