Aller simple pour Lisbonne - Franck Bertignac - E-Book

Aller simple pour Lisbonne E-Book

Franck Bertignac

0,0

  • Herausgeber: Lucien Souny
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Commencer une nouvelle vie après avoir obtenu un petit pactole, ça fait rêver... Mais l'argent peut-il faire le bonheur ?

​Sa femme ne le supporte plus, son fils l’exaspère, il y a longtemps que son travail ne le passionne plus. Il voudrait foutre le camp, prendre de la distance avec son existence et vivre celle dont il rêve. Il est prêt à tout pour y parvenir. Précis, déterminé et méthodique, il organise l’enlèvement d’une jeune étudiante afin de se procurer l’argent nécessaire au nouveau destin qu’il s’est inventé.

Tout se passe comme prévu – la rançon est versée, l’otage libérée –, mais la nouvelle vie n’est pas celle espérée. Comment goûter à la douceur lisboète quand chaque journée ressemble à la précédente ? Comment apprécier le fondant des pastéis de nata quand on est pourchassé par deux anciens fachos complètement dingues ? Et si le bonheur tant désiré ne se limitait pas à un matelas de quelques centaines de milliers d’euros ?

Lancez-vous dans une quête surprenante dans laquelle la fin semble justifier les moyens !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de Paris où il a grandi, étudié et travaillé, Franck Bertignac a quitté la capitale pour s'installer à Nîmes. Il aime la nature, notamment les Cévennes, la littérature, la musique, le cinéma, les voyages... bref, rien de très original. Il aime bien les gens aussi, la plupart du temps. 
D'abord délégué pédagogique dans le monde de l'édition, il est aujourd'hui représentant. Après des velléités d’écriture dans sa jeunesse, il s'est enfin autorisé à se lancer, la quarantaine entamée. Son premier polar Cortez the Killer a vu le jour en 2012 aux Éditions du Moteur, puis en 2014, une nouvelle sur la Seconde guerre mondiale, La Débâcle a été publiée au format numérique sur le site Short édition. S'il s'essaye à des genres d'écriture différents, c'est le polar et le noir qu'affectionne Franck. Parce que ces histoires permettent de disséquer les sentiments qui nous habitent toutes et tous, y compris dans leur version extrême, elles apportent un carburant qui donne l'envie à l'auteur d'avancer et au lecteur de tourner les pages.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 170

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Contenu

Page de titre

Dédicace

Aller simple pour Lisbonne

Playlist du roman

Le mot de l'éditeur

Bonus littéraire

Dans la même collection

Copyright

Ce qu'en pense la critique
"Un thriller court mais riche en rebondissements qui devrait dissuader le lecteur de suivre l'exemple de cet anti-héros." - A l'écoute des livres.
"Un petit livre très bien écrit, une lecture très plaisante." - Viviane B. sur Babelio
Ce petit livre est pour Christine, Laura et Valentine.
Il a attendu la fin du coup de feu pour les poignarder.
Les derniers clients sont partis. En cuisine, les commis dégraissent les pianos. Périnaud, assis au fond de la grande salle, sirote son calva en reluquant le fessier de la serveuse, en douce, pendant qu’elle finit de retourner les chaises sur les tables. Une jeunette, un rien basanée, qui travaille depuis deux ans à la brasserie et donne toute satisfaction. Il la retournerait bien, elle aussi, se dit-il. Il a essayé plusieurs fois de lui pincer le bas du dos, mais la garce s’est cabrée. À deux doigts de se rebiffer elle était… Il n’a pas insisté. « Serait capable de m’envoyer ses frangins, cette conne ! »
Mme Périnaud est perchée derrière son comptoir. Elle y passe ses journées, à encaisser les sous et à les compter. Là, elle compte. Encore une bonne recette ce midi. Pas miraculeuse, mais correcte. Son portable sonne. Elle le sort du tiroir-caisse, appuie sur la touche des messages en tendant le bras (elle est presbyte), regarde ce qui s’affiche sur l’écran, pâlit, repose l’appareil sur le zinc, qu’elle sent à cet instant plus froid qu’un glaçon. Elle regarde son mari et l’appelle d’une voix tout juste audible.
***
Ça sentait bon. Une odeur de plat traditionnel, de ceux qui, jadis, attendaient son grand-père revenant du travail. Une cuisine d’époque, quand les femmes, assignées à résidence, s’occupaient du ménage et des repas. Une odeur qui lui a rappelé des souvenirs lointains, des réminiscences de petite enfance au milieu de grands-mères aimées, âge béni pour les gosses, mais pas pour les aïeules, qui s’appuyaient tout le travail. C’était étrange, a-t-il pensé, en accrochant sa veste au portemanteau, cette capacité à voir immédiatement le côté sombre de la réalité, même la plus aimable.
Sa femme avait fait un effort de présentation : quelques fleurs en bouquet sur la table, une jolie nappe… Ne manquait plus qu’un peu de musique douce, qui bientôt s’est fait entendre : des volutes de Coltrane, sortant de la chaîne et se répandant dans l’appartement, comme si un génie pareil n’avait enregistré que pour les dîners en amoureux. Il s’est retenu d’en faire la remarque. « Elle a un truc à me dire, a-t-il pensé, ou alors une bouffée de sensualité soudaine, peut-être… » Des mois qu’elle le repoussait, le fuyait, l’ignorait. Des semaines que, renonçant à son désir, il n’essayait même plus de l’approcher.
Maintenant que leur fils était monté à Lyon pour son école de management, qu’avaient-ils encore à partager, que pouvaient-ils se dire ? Le repas du soir, il le redoutait presque.
— Tu l’aimes, mon bourguignon ?
— Il sent bon, a-t-il concédé.
Il l’a regardée avec un sourire amusé, un peu contraint, se demandant s’il s’agissait bien d’eux dans cet appartement calme et tranquille. Elle et lui, attablés autour d’un bon repas.
— Et moi, tu m’aimes ?
Entrevoyant d’un coup le ridicule de ce début de conversation, le grotesque de ce dialogue Bardot-Piccoli des soirs de semaine, il n’a su que lâcher :
— Quoi ? Euh… oui… bien sûr. Enfin, pourquoi tu me demandes ça ?
Elle n’a pas répondu, plissant seulement les yeux, sentant venir une nouvelle chicane.
— C’est juste, a-t-il repris, que je suis étonné : cette table, ce repas… Si tu me disais directement où tu veux en venir avec ces… simagrées ?
— Ces simagrées ? a-t-elle répété, stupéfaite.
Les coudes sur la table et tenant toujours, dans ses mains, sa fourchette et son couteau, elle l’a regardé, incrédule. Il ne lui avait pas fallu plus de deux minutes ! Son regard a commencé à s’embuer malgré ses efforts. Il ne méritait pourtant pas qu’on verse le moindre pleur pour lui, a-t-elle pensé de toutes ses forces en sentant les premières larmes couler malgré tout. « Non, mais quel con ! »
— Excuse-moi, chérie. Ce n’est pas ce que je voulais dire, a-t-il bredouillé, s’enferrant dans des excuses embrouillées. Seulement, tout ce cinéma ce soir… Je me disais que tu avais un truc à m’annoncer, mais je…
— Tout ce cinéma ? a-t-elle réussi à articuler.
— Ben, le repas, les fleurs, la mus…
— Les voilà, tes fleurs ! lui a-t-elle hurlé au visage en jetant le bouquet.
Puis plaquant ses deux mains sur sa bouche, elle a tenté d’étouffer ses sanglots et a filé dans le salon.
Cloué à sa chaise, il n’a pas essayé de la rattraper. Il s’est essuyé avec sa serviette, puis a épongé l’eau des fleurs. Dans son assiette (« Tiens : le service du dimanche est aussi de sortie ! »), les morceaux du bourguignon, mélangés à l’eau du vase, flottaient dans une soupe brun clair. « Les attentions, c’est comme tout, faut y être habitué », a-t-il pensé.
Ont suivi trois jours à ne plus se parler. Trois jours à rentrer le soir le ventre noué, les nuits passées à chercher le sommeil, cassé en deux sur le canapé. Et la semaine d’après encore… Il a bien tenté une franche explication, a proposé d’accorder moins de place à leur travail respectif, sortir plus, revoir des amis perdus de vue, se retrouver enfin tous les deux… Elle l’a écouté sans l’entendre, le visage irrémédiablement fermé. Lui-même ne croyait pas à ce qu’il disait.
Ça s’est donc fait comme ça. L’appartement douillet dans la deuxième ville de France, l’immeuble de cachet dans la rue calme. La vie trop petite pour ne pas devenir insupportable. Des rêves vagues, des désirs d’ailleurs, et cette énième dispute, dernière goutte du vase qu’il a pris dans la figure, suivie immédiatement de l’envie impérieuse d’une vie nouvelle. Une vie, il en glapirait de joie, qui commence aujourd’hui !
***
La résidence compte trois étages. Façade blanche repeinte de frais et petits balcons couleur brique pour chacun des onze appartements. Il n’y en a que deux au rez-de-chaussée. La rue Marie-Bonnal ne fait pas plus de trois cents mètres. Outre la résidence Le Cèdre bleu, elle est bordée de petits pavillons de banlieue, la plupart en meulière, et d’une pharmacie surmontée d’un étage. À l’angle, côté rond-point du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, un tabac Loto, qui ne doit pas voir beaucoup de clients étant donné qu’on ne peut pas stationner autour de ce grand carrefour. À l’autre bout, la rue Maurice-Genevoix prolonge le calme de la rue Marie-Bonnal en alignant ses maisons individuelles bordées de jardinets. C’est prospère, pas luxueux, mais aisé. C’est Châtenay-Malabry. Depuis quatre jours, à pied, en voiture, il surveille le voisinage, note les allées et venues des riverains, le passage des poubelles, du facteur. Quatre jours à quadriller le quartier, à calculer les temps de déplacement. Quatre jours à se faire peur, parfois, mais à douter, jamais. Quatre jours plus quatre nuits où il consigne dans son carnet l’heure d’allumage des réverbères, repère les fenêtres restées éclairées tard dans la nuit, enregistre le moment où les lève-tôt partent au boulot. Quatre jours passés à sentir la rue, sans se faire remarquer, avec toujours Le Cèdre bleu en ligne de mire.
Il sait qu’il doit agir entre deux heures et cinq heures du matin, quand les trottoirs ne sont éclairés que par la faible lumière de trois lampadaires fatigués, l’enseigne de la pharmacie étant éteinte, quant à elle, de minuit à six heures.
Il enfile alors sa cagoule, se hisse jusqu’au balcon du premier étage, en prenant appui sur le muret du local des poubelles, vérifie à l’oreille que la jeune Élodie n’est pas éveillée et se glisse silencieusement dans l’appartement par la baie vitrée jamais fermée. Une fois dans la chambre, il imbibe un tampon de chloroforme, le lui plaque sur le nez, s’assure du KO de la petite, soigneusement la bâillonne, lui lie poignets et chevilles avec du gros ruban adhésif brun, puis descend par l’escalier de l’immeuble avec ce léger fardeau, ces quelques kilos de jeune fille sans connaissance sur l’épaule. Il regarde à droite, à gauche, traverse la rue et presse le pas jusqu’à sa voiture, garée en face. Là, il bascule le corps inerte dans le coffre de la berline, ôte sa cagoule et démarre tranquillement, espérant simplement – mais le risque est faible – ne pas croiser une patrouille de policiers plus zélés que d’autres et susceptibles de s’étonner que ce bon père de famille, cet honnête bourgeois, circule seul dans les rues d’une banlieue paisible à l’heure où les gens sont censés se reposer.
Moins d’un quart d’heure plus tard, il est à Wissous. Il s’engage sur l’autoroute A6, par laquelle il va se laisser glisser jusqu’à Lyon. Puis, aux premières lueurs de l’aube, toujours vers le sud, le voyage s’achèvera au bout d’un chemin pierreux surplombé par un viaduc autoroutier.
En attendant, il accélère franchement en quittant la station-service. Le bruit de la boîte automatique montant les rapports le ravit toujours autant. Fin du crescendo à la septième. File du milieu, limiteur bloqué à cent trente-six kilomètres à l’heure, à peine au-dessus de la limite autorisée. Le ciel est gris, la matinée fraîche, son cœur léger. Il aime conduire, il aime sa voiture – c’était son outil de travail principal. Bien plus que ses pseudo-connaissances médicales, plus que son bagou de commercial, plus que l’ordinateur chargé jusqu’à la gueule de logiciels professionnels et de vidéos de présentation vantant, dans un monde technique et aseptisé, des produits destinés à séduire généralistes et directeurs de polycliniques, compétences qui ne lui servent plus à rien désormais…
Dans l’autoradio, Love Shack des B-52’. Il revoit mentalement les musiciens du groupe suivre le rythme du batteur blondinet à la mécanique ondulatoire au son d’une guitare acide et très « premiers temps du rock » – un faux air des Shadows, en plus énervé quand même. L’une des deux chanteuses, Cindy Wilson, bouche mutine, longue tignasse brune coiffée en chignon dégoulinant autour de son visage adolescent, vêtue d’une élégante robe courte et blanche à volants, agite tête et bras en tous sens, bat la scène de ses pieds nus. Elle a un style, Cindy, des coiffures sophistiquées, une mise étudiée de jeune Américaine partant pour le bal du collège, des jambes interminables, et pas de chaussures. Une belle plante. Une fille des États du Sud, Athens en Géorgie, grande et mince, bien qu’à coup sûr abondamment nourrie de hamburgers, de frites grasses, de Coca pas encore zéro et de beurre de cacahuètes. « Les mauvaises pratiques alimentaires finissent toujours par se payer », pense-t-il. La Cindy d’aujourd’hui, près de quarante ans après l’heure de gloire du groupe, doit afficher des rondeurs débordantes. Ses mollets sont flasques, il en est certain, et ses pieds potelés submergeraient le moindre escarpin si elle s’avisait d’en enfiler une paire.
La BM Série 3 vert bouteille enquille maintenant la file de gauche. Pas un bruit de roulement, pas un grincement. La qualité allemande : son seul luxe de cadre commercial.
Tout à l’heure, à la station-service, il a ramassé l’étole tombée à terre d’une blonde un peu forte qui faisait le plein de sa Jaguar. Un 4x4 vulgaire et sûrement hors de prix. La fille l’a remercié, ils se sont souri. Il l’a trouvée désirable. La vie a parfois des attentions. Il lui a suffi de laisser derrière lui cette vie irrespirable qui le tuait à petit feu.
Maintenant, le voilà bien vivant, fonçant vers le sud, avec dans la tête un air de liberté et, pieds et poings liés dans le coffre de la berline, une jeune femme chloroformée.
***
Il contemple la silhouette fine d’Élodie, recroquevillée sur le matelas posé au sol. Sa peau extrêmement pâle, ses cheveux blonds, son pyjama bordeaux avec des rayures.
Le costume de nuit, trop grand pour elle, qu’elle portait lors de son ravissement. Les affaires de son copain ? L’achat d’une toute jeune femme encore adepte des soirées pyjama entre filles ? Sa tenue de prisonnière désormais. De courte peine, estime-t-il. C’est une affaire de quelques jours. Tout est sous contrôle. Il vient de la déposer dans cette pièce équipée d’un matelas, d’un seau d’aisances, d’une bassine, d’un gant, d’une savonnette et d’une serviette de toilette. Pas plus spartiate qu’une cellule monastique, constate-t-il avec satisfaction, en fixant toujours le corps de la jeune endormie. Il reste dans la pièce en attendant qu’elle reprenne ses esprits. Il veut éviter la panique et les hurlements, s’abstenir de la menacer. Il n’a aucune envie de lui faire peur, encore moins de la cogner pour qu’elle la ferme. Il ne lui veut aucun mal. Il a besoin d’argent et ses parents en ont, c’est assez simple. Ils paient, et il renvoie la prunelle de leurs yeux chez ses géniteurs enfin rassurés, sûrement reconnaissants, même. Il faut juste qu’elle se tienne tranquille pour ne pas tout faire rater. « Et même, qui l’entendrait brailler dans ce cabanon isolé au bout d’un terrain de pierres, de friches et d’oliviers ? » Une chambre et une cuisine toute simple, une petite tonnelle branlante, et ce sous-sol auquel on accède par une trappe extérieure, le tout posé sur une petite éminence martégale, loué pour un mois à un couple travaillant dans la pétrochimie. Ils étaient bien contents de rentabiliser ce chicot de vieux cailloux campé tout au bout de leur immense propriété, presque amusés, même, de signer un bail meublé avec un quadragénaire se prétendant écrivain, mais cherchant plutôt, ont-ils pensé, une garçonnière tranquille où emmener maîtresse ou amant.
Il la regarde encore, hypnotisé par ce corps inerte et qui dégage pourtant une force vitale que l’inconscience n’altère pas. Elle paraît fragile et vivante à la fois. Si jeune… Il la trouve belle. Il s’approche et pose sa main sur la joue chaude d’Élodie. Il sent son odeur de lit défait, de sueur et de crème de nuit. La main gauche d’Élodie, aux ongles vernis de rouge, est attachée à une forte chaîne reliée à un anneau scellé dans le mur. Il transpire sous sa cagoule. Il la couve des yeux. Elle est son passeport pour sa nouvelle vie. Elle est précieuse, délicate et belle comme la jeunesse.
Son fils aussi est jeune. Un an ou deux de moins qu’Élodie, estime-t-il, bien qu’il fasse plus vieux avec ses jeans boudinant ses cuisses épaisses d’enfant bien trop nourri, ses derbies marron clair à lacets colorés et ses chemises cintrées sorties du pantalon. C’était pourtant un beau petit. Qu’ont-ils loupé, avec sa femme ? Ils s’entendaient bien, à l’époque, formaient un beau couple soudé, partageant des goûts identiques pour la musique, la littérature, le cinéma. Une belle petite famille, c’est vrai, qui faisait plaisir à voir, heureuse, épanouie, ouverte. Aujourd’hui, le petit garçon unique, à qui l’on a appris à faire du vélo, est devenu un grand gaillard qui ne parle que de fric, n’admire que les gens pleins aux as, ne fréquente plus que ce genre d’individus, aspire à leur ressembler et méprise tous les autres. À commencer par ses parents. Sa mère un peu moins, toutefois, car c’est une femme et que, pour tout arranger, il est macho !
Cela ne l’a pas étonné, quand il y repense, que son fils s’inscrive dans une école de commerce. Ce garçon est organisé, il faut lui accorder cette qualité. Il a planifié sa réussite sociale. Il déclare à qui veut l’entendre qu’il veut faire du fric, et vite. Écraser « ceux qui ne sont rien », comme il a qualifié un jour, devant son père médusé, tous ceux qui n’appartiennent pas à ce qu’il croit être l’élite. Il a compris, ce jeune homme, que cela passe par la maîtrise de certains codes, d’outils propres à la domination des autres. Le diplôme sanctionnera ce savoir-faire qu’il veut mettre au service de son projet : créer sa propre boîte avec quelques copains, gagner vite beaucoup d’argent et vivre comme ses idoles, des sportifs, des vedettes – des pauvres types, selon son père. C’est ça, ce que désire son petit qu’il aimait tant ? Dépenser de l’argent pour montrer qu’il en a ? Déambuler, dans les rues de sa ville, les poches garnies de coupures neuves ? Emballer des idiotes et se croire ami avec les puissants ? Un rêve de nain, en fait. Mais qu’est-ce qu’il a raté, putain ?
Élodie est toujours endormie. Il se surprend à espérer qu’elle n’ait pas les mêmes rêves que son fils. L’idée fugitive qu’il aimerait avoir une fille comme elle le trouble un instant. Pour la chasser, il se reconcentre sur ce qu’il va faire et relit encore une fois ses notes dans son petit carnet noir. Un simple calepin à fermoir élastique qui en contient un rayon : les scénarii esquissés, les hypothèses validées, les comptes rendus de repérage, les kilomètres parcourus, ce qui a été fait, ce qu’il reste à faire… Tout y est. C’est le registre rassurant de son aventure, la feuille de route d’un homme organisé qui n’a rien laissé au hasard. L’intégralité de son projet résumé en quelques notes manuscrites, une multitude de chiffres, quatre ou cinq croquis et des plans esquissés, jetés sur le papier jaune. Quelle folie ! Et si quelqu’un mettait la main sur ce cahier ? S’en est-il inquiété à un moment ? Et après : qui pourrait y comprendre quoi que ce soit ? Il regarde Élodie, inanimée, et s’imagine face à des policiers l’interrogeant. Il y pense sans stress. Il n’est jamais parvenu à être un menteur crédible et, s’il se fait prendre, cela signifiera que son rêve de vie nouvelle est fini. Alors, autant passer aux aveux. Dans son esprit, il n’y aura pas de honte si on l’arrête. Il n’y aura pas de remords. Si tout se passe comme prévu, Élodie ne souffrira pas de sa séquestration. Il ne veut pas lui faire de mal. Il ne lui en fera pas. Il n’est même pas armé… Il ne peut pas se faire prendre, il en est certain.
En guettant le réveil d’Élodie, il se replonge dans les calculs de dose, estimant le poids de la jeune femme. Le responsable de la pharmacie de l’hôpital de Grasse l’a bien renseigné. Un bon client, presque un ami. Il déjeune souvent avec lui. Deux comprimés de nitrazépam trois fois par jour suffiront à maintenir Élodie dans une demi-conscience sans altérer sa santé.
***
Il a attendu la fin du coup de feu pour les poignarder.
Ces quelques secondes de leur fille en pyjama, récitant mécaniquement les exigences de son ravisseur, mal filmée et agenouillée sur une paillasse, il en est sûr, ça va les assommer. Le coup de masse du boucher sur le crâne de la bête en attente de la saignée. Il en rirait presque : un bon coup dans la gueule, et il n’aura plus qu’à se baisser pour ramasser le pognon.
L’enregistrement est vraiment un moment fort. D’abord, l’insoupçonnable bon père de famille a pensé à tout. Les deux Nokia achetés à un Pakistanais de la Chapelle, cartes prépayées réglées en liquide, et puis la conversation avec Élodie pour la mettre en condition. Élodie réveillée, tremblante. Il lui parle doucement, affirme qu’il ne lui veut aucun mal, que tout cela ne durera que quelques jours, qu’elle ne doit surtout pas crier pour qu’il reste toujours gentil avec elle, qu’elle n’a qu’à faire tout ce qu’il lui demande. Il lui tend une couverture pour qu’elle n’ait pas froid, en répétant encore qu’elle doit l’écouter et que tout ira bien. L’écouter, lui obéir, c’est ça, rabâche-t-il. Il lui donne deux cachets, lui ordonne de les avaler. Aucun risque, lui dit-il.
— Tu peux le constater, c’est simplement pour que tu te tiennes tranquille. Tu vois le nom sur l’emballage ? Tu es étudiante en pharmacie, après tout.
Alors, la jeune femme éclate en sanglots. Le savoir aussi bien renseigné sur elle, c’est comme s’il la regardait toute nue. Elle essaie de contenir son désespoir, il le sent bien, mais elle hoquette et gémit de sa petite voix fragile. Lui se sent un peu sale. Il aurait presque l’envie de la réconforter, de la consoler. Il se déteste de la mettre dans cet état, ce n’est pas ce qu’il cherche. Il la laisse pleurer et renifler sans la quitter des yeux, jusqu’à ce que les spasmes s’atténuent, puis s’interrompent. Élodie est livide, morveuse, la poitrine encore soulevée de sanglots muets. Il réitère sa consigne comme un mantra. Elle doit lui obéir et tout ira bien. Elle avale les cachets et se remet à pleurer, un peu. Il attend encore qu’elle s’apaise, puis sort son téléphone et un papier format A4.
— Tu lis le texte, de manière intelligible, face à la caméra, et après tu pourras dormir. D’ici trois ou quatre jours, tu reverras tes parents.