Allez chercher Roméo - Julie Morgane - E-Book

Allez chercher Roméo E-Book

Julie Morgane

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Beschreibung

Juliette, enseignante dans la trentaine, mène une existence recluse en Bretagne, affaiblie par la maladie et les tourments de l’anxiété. Alors que son corps la trahit et que les épreuves l’ont ébranlée, son premier amour, Roméo, réapparaît dans sa vie. Malgré un passé marqué par les blessures et la duplicité de cet homme aussi fascinant que destructeur, ils renouent leur relation. Pourtant, à l’image de leur célèbre homonymie, leur amour se heurte à de nombreux obstacles : la désapprobation des parents de Juliette, impuissants devant sa souffrance, et l’opposition farouche de Graziella, la meilleure amie de Roméo. Animée par l’envie et prête à tout, cette dernière ourdit un plan machiavélique pour éliminer sa rivale, plongeant Juliette dans une lutte où amour et trahison s’entrelacent dangereusement.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Diplômée en droit social et en français – Langues étrangères, Julie Morgane devient enseignante spécialisée en troubles de l’apprentissage. Dès 12 ans, elle remporte un prix pour sa première nouvelle. Ce roman cathartique et intime, longtemps gardé secret, explore des thèmes chers à l’auteure tels que le TAG, le SDTB et l’emprise. Passionnée par le dessin et les contes, elle imagine des scènes, des costumes et des décors pour peindre les émotions de ses personnages.

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Seitenzahl: 270

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Julie Morgane

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Allez chercher Roméo

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Julie Morgane

ISBN : 979-10-422-5511-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À ma famille,

À ceux et celles qui ont compté,

Avec tout mon amour

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse.

Nietzsche

 

 

 

 

 

Note

 

 

 

Les expériences et faits relatés dans cette histoire sont vécus.

La plupart me sont personnels, les autres purement imaginés.

Aussi, les traits de certains personnages sont empruntés à un entourage, plus ou moins proche.

Le trouble anxieux généralisé (TAG), méconnu, a été mis à l’honneur dans cet ouvrage. En effet, à mon sens, ce handicap réel est encore peu compris et intégré dans notre société ; mal soignées, les victimes qui en souffrent sont malheureusement plus jugées qu’aidées.

Et peut-être ce roman aidera-t-il, d’une part, à mieux comprendre le trouble en lui-même, et d’autre part, à mieux aborder et assister les personnes qui en sont prisonnières à certains instants de leur vie.

Bien que ce récit ait pour objectif premier de divertir un public jeune – ou moins jeune ! – au travers d’une étrange romance (version tout à fait contemporaine et singulière de Roméo et Juliette), j’espère apporter ma contribution et mon soutien sincère et entier aux personnes, femmes et hommes, qui souffrent d’angoisses et d’attaques de panique. Elles ne sont pas seules.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie 1

Loup, es-tu là ?

 

 

 

 

 

L’appel du vendeur de rêves

 

 

 

Auray, de nos jours

 

Juliette vomissait ses tripes depuis deux jours, et depuis deux nuits n’avait pu trouver le sommeil. Aucune position ne la soulageait. Aucun médecin ne l’aiderait et aucun médicament ne pourrait la soigner. Des maladies chroniques, des syndromes étranges, des douleurs avec lesquelles il faudrait vivre jusqu’à la fin de ses jours…

Elle tira la chasse d’eau, remit une mèche de cheveux qui avait échappé au pire derrière son oreille et essuya une larme de rage.

Le dos courbé, la main plaquée contre son flanc droit, elle titubait pour regagner son lit lorsque son téléphone sonna : Iris.

— Salut Micheline ! Alors, ça va pas, maman m’a dit ?

— Salut Jacob ! Non pas trop, pas du tout même…

D’aussi loin qu’on pouvait s’en souvenir, les deux sœurs s’affublaient toujours de ces noms anciens qui les faisaient tant rire. L’habitude était restée à plus de trente ans passés.

— Ouais, comme d’hab. C’est quoi, ce coup-ci ? Une colite néphrétique ?

— Non, euh… Qu’est-ce qu’ils m’ont dit ? Une pyélonéphrite.

— Qu’est-ce que c’est encore que ce truc ?

— Je t’épargne les détails…

— Ouais ça doit pas être simple avec ton syndrome et ton trouble anxieux généralisé en plus…

Juliette soupira. Il y eut un petit silence.

— Ça te ferait chier si Roméo te reparlait ?

Une douche glacée n’aurait pas eu un autre effet, tant Juliette se sentit frappée par les paroles d’Iris.

— Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? Pourquoi me parles-tu de lui ? Qu’est-ce que tu as encore fait ?

Dix ans, onze ans ou plus ? Depuis combien de temps n’avait-elle pas entendu le prénom de ce salaud ? Peu importe, ce garçon était Lucifer en personne. Une entreprise de démolition à lui seul. Souvent, elle s’était dit qu’il avait dû naître avant la honte. Il lui avait volé son cœur à quinze ans pour le piétiner encore et encore et… c’était sans remords ni regret qu’elle l’avait laissé au bout de… quoi ? Sept, huit ans de relation destructrice. Elle n’était pas supposée lui adresser de nouveau la parole un jour.

Elle entendit Iris ricaner.

— Non, mais Micheline, ne le prends pas comme ça… Purée, je n’aurais rien dû te dire… Bon, vas-y, je te laisse. Repose-toi.

Iris se remémora un triste souvenir où sa grande sœur devait avoir environ seize ou dix-sept ans. Bref, ce jour où Roméo avait traîné Juliette par les cheveux dans le couloir de leur appartement familial. Elle pouvait encore entendre leurs éclats de voix et culpabilisait à présent.

— Je raccroche…

Juliette se renfrogna. C’était bien là l’attitude de sa petite sœur : je dépose une connerie et l’instant d’après, c’était la fuite en avant.

— Non, ne raccroche pas et réponds-moi.

— Bah ! Tu sais que pendant de longues années, je m’étais coupée de tous les réseaux sociaux à cause de l’autre connard.

Juliette approuva. L’autre connard en question était un sale type avec lequel Iris avait été en couple et qui menait une double vie avec femme et enfant.

— Et là, avec mon nouveau mec, c’est cool. Je me suis donc recréé un Facebook et… j’ai ajouté Roméo. Je l’ai toujours bien aimé, moi ! crut-elle bon de se justifier. Il était sympa avec moi et pour autant, je sais ce qu’il t’a fait. Je sais que ce n’est pas un mec bien, mais bon voilà, on s’est reparlé.

— Très bien. Fais ce que tu veux après tout.

— Et il m’a demandé ton numéro. Je lui ai répondu que je te demanderai. Je fais quoi ?

Juliette hésitait. Son cœur battait la chamade, elle ne pensait pas un jour entendre parler à nouveau de lui. Il avait été son premier amour. Peut-être le seul. Elle n’avait connu qu’un seul autre homme après lui et évidemment, car son surnom aurait pu être « manque de chance », il avait été une vraie déception. Comme si Iris avait suivi le chemin de pensée de sa sœur, elle intervint de nouveau :

— Je comprends ton hésitation. Mais bon sang, Juliette, l’autre connard a été en dessous de tout lorsque tu t’es fait foudroyer par ce truc de merde. Tu as perdu le boulot que tu aimais, tu as quitté la région parisienne pour t’enfermer en Bretagne où tu t’es coupée de tout. Tu veux qu’il t’arrive quoi ? Il ne pourra rien te faire. Juste, parler à quelqu’un, même si c’est lui, ne te fera pas de mal… Je ne vois pas de mauvaises conséquences.

— Oh… tu as sans doute raison, mais ça me fait un peu peur. Je ne sais vraiment pas si c’est une bonne idée.

— Tu angoisses pour tout. C’est rien.

— D’accord.

— D’accord ? répéta Iris, surprise.

— Oui, vas-y, confirma Juliette d’un ton dépourvu de toute assurance.

— Ah ! ah ! Il vient de me répondre « Feu » !

Juliette sourit. Il n’avait pas changé. Elle, si, énormément.

Dix minutes après avoir raccroché avec sa sœur, elle sentit son téléphone vibrer ; c’était un message de lui. Saisissant son téléphone, les mains tremblantes, elle le jeta sur son lit comme s’il la brûlait. Le chien – un chihuahua au pelage feu qu’elle avait hérité d’Iris – qui un instant plus tôt dormait paisiblement sursauta, plaqua ses oreilles en arrière et laissa dépasser une canine en signe d’agacement. La tête lui tournait, la nausée reprenait. Elle passa une main sur sa nuque, douloureuse depuis plus de cinq ans. Elle allait prendre un bain chaud et verrait après.

Elle ressentait une peur extrême, et aussi étrange que cela puisse être, un bonheur tout aussi immodéré.

Elle fixait avec intensité le petit rayon de lumière qui rayait le mur blanc au-dessus d’elle tandis que l’eau chaude et parfumée l’enveloppait.

Elle était malheureuse depuis plus de cinq ans déjà. Sa vie avait basculé à ses vingt-huit ans et elle avait tout perdu en l’espace de quelques mois. Son travail de professeur de français qu’elle adorait suite à une invalidité déclarée – son bras droit jusqu’au bout des doigts et sa nuque la feraient souffrir jusqu’à la fin de ses jours, son petit copain avec qui elle était restée plus de huit ans et… sa meilleure amie.

Elle revécut en flashs ces moments douloureux, les visites successives chez le rhumatologue, à la médecine du travail, chez les neuropsychiatres et tous les autres. L’ex-petit ami derrière sa porte avec un énorme bouquet de roses, elle entendait encore ses pleurs, revoyait ses larmes. Et la connasse…

La connasse embusquée en bas de chez elle, un soir où elle rentrait de Paris après des infiltrations dans la nuque, qui l’attendait pour la menacer. Le téléphone sur mode enregistreur dans une main et un cutter dans l’autre. Elle l’entend encore en écho :

« Dis-le ! Dis-le que tu ne l’as jamais aimé ! Que tu t’es toujours moqué de lui ! Dis-le que de toute façon, tu n’aurais jamais fait ta vie avec lui ! »

Une dingue…

Juliette revivait la scène et se tendit comme un arc dans sa baignoire. Les coups échangés, les menaces de mort proférées à son encontre et la marque des doigts de cette vipère sur son bras droit qui était restée plusieurs semaines. Une marque noire comme les yeux de cette furie. Ou plutôt de cette traîtresse !

Car oui, les deux personnes auxquelles elle tenait le plus s’étaient envoyées en l’air dans son dos.

Et son ancien patron… Seigneur !

Juliette ferma le robinet de la baignoire et s’immergea en entier. Ses paroles venimeuses lui revenaient aux oreilles :

« On pourrait s’arranger Juliette… Je pourrais te trouver un boulot bien payé, te louer un appart ainsi qu’une voiture, mais avant cela, viens me voir. Je nous paie un hôtel et, euh… Tu as quand même bien compris depuis le temps que j’étais amoureux de toi… »

Quelle enflure ! Il voulait donc qu’elle couche avec lui pour un travail.

Elle goba un peu d’eau qu’elle recracha loin devant elle.

Là, elle se revit dans le bel immeuble avenue Niel. Le doux visage de son rhumatologue, qui se tordait les mains :

« Trouvez-vous un mari riche, ma jolie… Faites-vous plaisir. Il y aura des hauts, des bas… »

Elle avait compris : son corps la ferait souffrir toute sa vie.

Installée dans une nacelle folle, après avoir grimpé une rampe jusqu’à des hauteurs vertigineuses, elle l’avait redescendue à une vitesse fulgurante pour sombrer dans un vide froid et effrayant. Juliette était tombée si bas que de toute façon, plus personne ne la voyait. Elle était devenue une anonyme. La peine et les regrets étaient son seul royaume. Elle aurait aimé revenir à ce qu’elle était, mais elle n’y arrivait pas. Tant pis, elle resterait prisonnière derrière d’épais barreaux et regarderait la vie passer au travers. Le soleil brillait pour les autres. Il avait fallu qu’elle parte et qu’elle quitte tout cela. Oui, il avait fallu qu’elle s’en aille, car elle n’était plus elle-même. Qu’elle fuit sa vie d’avant. Qu’elle aille en urgence retrouver ses parents installés dans le Morbihan. À Vannes. Sans blague.

Plus rien ni personne ne la retenait en région parisienne.

Elle vivait depuis de trop nombreuses années non pas au rythme des saisons, mais à celui des coups durs. Allergies en tout genre qui lui filaient des yeux de poisson japonais, déplacements d’os à répétition à cause de son hyperlaxité (l’ostéopathe était devenu son plus fidèle ami), hernie inguinale puis crurale, entorses en veux-tu en voilà. Le coup de la méningite virale suivie d’une ponction lombaire qui avait dégénéré n’était pas mal non plus. Elle avait échappé de peu à la mort étant donné que son liquide céphalo-rachidien fondait comme neige au soleil… Le blood patch l’avait sauvée. Ou plutôt sa mère l’avait sauvée en contactant les secours juste à temps. Juliette avait toujours vécu en dehors du monde avec une santé fragile, toujours à la limite, comme une funambule sur son fil. Pour autant, elle avait eu son lot d’admirateurs, secrets et moins secrets, qui lui rappelaient la chanson « Moi, Lolita » d’Alizée, mais elle avait toujours eu très peu d’amis dans le fond. Triés sur le volet. Cela lui allait. Malgré tout, le néant dans lequel on l’avait propulsée était bien difficile à accepter…

La liste de ses malheurs depuis que son syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial était apparu se révélait non exhaustive… et elle était épuisée. Parfois, avant de s’endormir, elle se disait qu’il valait mieux qu’elle ne se réveille pas. Dans ces moments-là, elle écoutait souvent « On dirait le sud » de Nino Ferrer. Et se disait, et l’avait d’ailleurs bien rappelé à sa mère :

« Si je meurs, je souhaite que l’on passe cette chanson lors de ma cérémonie mortuaire. »

Elle s’était enfoncée dans ce que l’on pourrait appeler « le bourbier du découragement », à l’instar de ses parents.

Pourtant, chaque matin, lorsqu’elle scrutait le ciel gris chargé de pluie de Bretagne et entendait se heurter à ses vitres le vent océanique tapageur, elle se prenait à rêver de lendemains meilleurs. Qu’une bonne fée toucherait son front de sa baguette magique et lui dirait :

« Revis ! Voici toutes mes bénédictions. »

Mais ce jour meilleur ne pointait pas le bout de son nez à l’horizon. Le voile de cette marraine la bonne fée ne venait même pas à l’effleurer.

Elle imaginait, derrière ses cils blonds, la roue tournante de la déesse Fortuna, grande maîtresse de la chance et du hasard, si capricieuse. Pourquoi lui avait-elle tout donné pour tout lui reprendre ? Quelle mauvaise Fortune !

Mais entre ces innombrables malédictions, celle qui lui pourrissait le plus sûrement la vie et qui l’avait réveillée en pleine nuit un 22 décembre dans son studio en région parisienne, c’était bien ce TAG. Qu’elle n’avait pas vu arriver et dont elle ne soupçonnait même pas l’existence avant qu’on le lui explique.

Sa première attaque de panique, elle s’en souviendrait toute sa vie. C’est simple, elle avait tout simplement eu l’impression d’être sur le point de mourir.

Les symptômes sont effrayants. Vertiges, palpitations, sensation d’avoir un nœud coulant autour de la gorge et de suffoquer. Respiration bloquée, bouffées de chaleur, sons et images qui ne sont que dans la tête… mais qui flanquent la chair de poule et la crainte d’être fou à lier.

Elle avait contacté les pompiers qui s’étaient empressés de la conduire aux urgences. Arrivée sur place à deux ou trois heures du matin, elle avait été prise en charge à dix heures bien entamées. Cela se passe de commentaires. De toute façon, quelle importance ? On se sent mourir, mais on ne meurt pas. Elle n’était pas au bon endroit. Mais en ce temps-là, elle ne le savait pas. Une fois qu’elle avait été entourée de patients, ses sueurs, ses tangages et la corde autour de sa gorge s’étaient envolés, évaporés.

Le pire est que personne – oui vraiment personne – ne pouvait la comprendre, ni ses proches ni les spécialistes. Un retour à cinq ans d’âge mental en somme : « J’ai peur… » « Tu as peur de quoi ? » « De tout… et surtout de dormir seule la nuit ». Pathétique ! Ce n’était pas elle, ça. Et pourtant, cela définissait son quotidien. Touchée. À terre.

Elle était envahie de pensées négatives. La mort pouvait se terrer n’importe où, prête à la frapper. Plus question de conduire, d’aller dans des lieux publics, d’adresser ne serait-ce qu’un bonjour à un passant – ou si elle le faisait, c’était du bout des lèvres et celui-ci ne l’entendrait bien sûr pas. La piscine lui manquait, mais si elle se noyait ? Ses angoisses étaient si violentes qu’elle s’était infectée elle-même, emprisonnée. Elle se dégoûtait. Oui, elle se vomissait. Elle se détestait. Toutes ces peurs, suite à toutes les pertes qu’elle avait vécues, la dominaient et il était impossible de souffler sur ce gigantesque cyclone dans l’œil duquel elle avait pris place. Impossible ! L’insécurité était vraiment partout et rien ni personne ne pourrait lui garantir, lui assurer que désormais, tout irait pour le mieux.

Elle actionna le pommeau de douche afin d’enlever le shampoing et le savon dont elle s’était badigeonnée.

Toute son existence, elle s’était montrée studieuse, attentionnée et fidèle comme un chien.

Et pour quels résultats ? Ses seules déconnades de jeunesse, c’est avec lui qu’elle les avait faites… Elle en éprouvait une grande honte et de profonds regrets, surtout à l’égard de sa mère à qui elle avait fait vivre un réel enfer.

Elle était passée à côté de sa vie. Elle n’avait jamais été jeune. Et, aujourd’hui, comme lui avait dit une neurologue de Versailles : « Vous êtes tel un lapin tétanisé, pris entre les phares d’une voiture. »

Mais voilà, la vie en Bretagne était une forme de mort prématurée. Elle vivait à Auray. On appelait cette « ville » du Morbihan « la belle endormie », et en toute franchise, elle portait bien son nom. Comme Juliette, en fait. La concernant, belle, elle en doutait aujourd’hui, endormie, pour sûr ! Auray, ville morte où il n’y avait rien à faire à part déambuler sur des pavés humides et se frayer un chemin entre des murs suintants, d’une coloration verte et couverts de champignons. La mentalité y était dure. Les habitants brusques et rugueux. Tous vivaient cloîtrés. La ville était éternellement silencieuse et sans lumière. Le château de la Belle au bois dormant. Le département n’était pas mieux. Un malaise constant que ressentait également Iris. Le seul avantage était la gare : un coup de TGV, et vous étiez sauvé. Paris vous ouvrait les bras au bout du chemin de fer. Les illuminations et les bruits rassurants se trouvaient de l’autre côté du tunnel ! Enfin, pour ceux qui avaient la chance de pouvoir se déplacer seuls, évidemment !

Claquemurée, terrorisée par tout, elle respirait à peine. La fuite ne lui avait ôté ni ses peurs ni ses douleurs physiques et psychologiques. Roméo ne cessait de lui envoyer des messages, la tirant de ses sentiments bien moroses. Elle entendait les bips de notification depuis sa salle de bains tandis qu’elle enfilait son peignoir en éponge mauve. Elle retenait son souffle.

 

 

 

 

 

La vie en miettes

 

 

 

Bien sûr, ce fut vite des kilomètres de messages, des flopées de photos et de vidéos – les siennes, celles de Roméo surtout. Comment pouvait-on tant s’aimer soi-même ? Se filmer, faire des selfies à tout bout de champ ? Il s’inscrivait vraiment dans l’air du temps. Quand Juliette se regardait dans une glace, elle ne voyait jamais quelqu’un de beau. Plutôt une morte vivante. Elle cherchait d’emblée à fuir son image et se demandait souvent pourquoi ses « enfants » ne criaient pas « Ah ! la sorcière » en l’apercevant de l’autre côté de l’écran. Si elle en avait eu le courage, elle aurait postulé pour incarner le rôle d’un zombie dans la série The walking dead.

Ce furent des bouffées de chaleur et des vagues d’émotion qui les firent vibrer à l’unisson. Néanmoins, Juliette tremblait d’une peur démesurée et irrationnelle. Ne pas retomber dans cette spirale infernale que lui seul pouvait créer, ne pas se laisser dévorer par le loup.

ROMÉO : Tu es l’amour de ma vie. Je voudrais tant que tu me pardonnes. Le pourras-tu un jour ?

JULIETTE : Je ne sais pas… Je ne le pense pas…

ROMÉO : Je t’aime et je t’aimerais toute ma vie. Tu me crois si je te dis que tu es la seule femme que j’aie jamais aimée ? La seule belle personne qu’il m’ait été donné de rencontrer ?

C’est un manipulateur… Un menteur, un fourbe !

JULIETTE : Je ne sais pas…

ROMÉO : Ouais, j’ai connu d’autres filles et même un tas d’autres ! Je couchais avec et, une fois terminé, je les dégageais. Fallait qu’elles quittent mon lit en vitesse. Je suis comme ça. Ma seule vraie relation a été avec toi… Jusqu’à ma mort, je ne cesserai de penser à toi. Juliette, hein ? Toi aussi ?

JULIETTE : Je le pense, oui.

Ne pas le laisser m’emmener dans sa forêt sombre et inquiétante.

ROMÉO : On était fait pour être ensemble. Juliette et Roméo ! Comme cela a pu nous faire rire, hein ? Quel était le degré de probabilité, franchement ? Je suis sûr que tu souris, là ! Détends-toi, je ne te ferai jamais plus de mal. Jamais plus ! Je te le promets. Tu es le seul élément qui manquait à ma vie, Juliette. La seule chose qui me manquait pour être véritablement heureux. Je ne remercierai jamais assez le ciel et Iris, bien entendu, de pouvoir ne serait-ce que te reparler. J’ai tout réussi, Juliette ! J’ai un super boulot, un chouette appartement en plein Paris et j’investis dans l’immobilier.

JULIETTE : Je suis vraiment heureuse pour toi ! Je suis sincère.

ROMÉO : Merci, mon Dieu. Quel bonheur de pouvoir te reparler ! Je ne mérite pas autant de bénédictions. Tout le mal que j’ai pu te faire, je le regrette tant ! J’étais jeune, j’étais con.

JULIETTE : Ce n’est pas une excuse.

ROMÉO : Non…

Un silence. Des deux côtés. Chacun se remémorait les mois de prison de Roméo, le procès, la bataille des avocats. L’interdiction d’approcher Juliette. Leurs familles prêtes à s’entredéchirer.

ROMÉO : Je sais que je t’ai trompée, menti, que j’ai levé la main sur toi… Je…

JULIETTE : Stop ! Stop !

ROMÉO : Te reste-t-il encore quelque sentiment pour moi ?

JULIETTE : Un lien… éternel. J’en ai peur.

Il serait toujours une partie d’elle.

ROMÉO : Oui, tu t’en souviens ? Le lien invisible accroché à nos poignets ?

JULIETTE : Oui, le lien invisible qui nous a toujours ramenés l’un à l’autre sans raison ni sens.

ROMÉO : Te remémores-tu un bon souvenir entre nous ?

Silence.

JULIETTE : Non, comme ça, je ne vois pas…

Assise sur son lit en tailleur, la lune pour seul éclairage et source d’inspiration, elle réfléchissait. Le néant. Il n’y avait rien eu de beau avec lui. Elle n’avait vraiment aucune autre réponse à lui donner.

ROMÉO : J’en suis désolé… sincèrement. Moi, si !

Il parlait toujours beaucoup de lui. Ce soir-là, d’ailleurs, il ne parla quasiment que de lui, de sa réussite, de ses projets, de ses avancements et de sa joie profonde à renouer un contact avec elle. S’il ne lui avait pas signifié mille fois !

Enfin la question fatidique arriva : « Tu es où ? »

JULIETTE : Loin…

ROMÉO : Pas au Pakistan ?

JULIETTE : En Bretagne.

ROMÉO : Et pourquoi ?

JULIETTE : Demain, Roméo.

ROMÉO : Je pourrai t’appeler ?

JULIETTE posa une main sur son cœur. L’index levé au-dessus de son écran de téléphone.

ROMÉO : Tu me fais une réponse à rallonge ?

JULIETTE : D’accord…

ROMÉO : Demain, 20 h. C’est OK ?

Il avait toujours été ainsi. À cheval sur les horaires. Autrefois, il l’appelait toujours à 21 h – rapport aux forfaits de l’époque, illimités le soir – et, à pas de loup, elle se glissait jusqu’au salon pour pouvoir parler plus librement, sa chambre étant collée à celle de sa petite sœur. Elle sourit pour la deuxième fois. Cela faisait du bien.

JULIETTE : OK.

Elle aurait dû le savoir pourtant. Il serait toujours dans le contrôle et la domination.

Sa vie était déjà en miettes. Qu’avait-elle à perdre de plus ? Elle faisait une grosse bourde, c’était évident… On peut toujours perdre plus, surtout avec un être aussi malfaisant…

Le lendemain, après lui avoir dit à quel point il était ému d’entendre sa voix, il l’interrogea. Que faisait-elle ? Professeure de français spécialisée en troubles de l’apprentissage, à distance et à temps partiel.

Pourquoi était-elle partie de la région parisienne ?

Juliette lui servit la version courte sur son état de santé.

— C’est dégueulasse, s’offusqua-t-il. Toi si douce, si belle, si parfaite avec tout le monde. La vie est vraiment injuste ! Tu es un chevalier blanc, toujours à tenter de faire le bien autour de toi, et moi, gros connard que je suis, tout m’a souri, absolument tout. Tout le mal que je t’ai fait, je le paierai. Et ceux qui t’en ont fait également ! Je le sais.

Si seulement cela pouvait être vrai…

Elle songea à son ancien copain, séduisant simulacre de Ken, et à son ancienne meilleure amie à l’allure disgracieuse qui, paraissait-il, avaient eu un enfant à peine un an après leur séparation. Hallucinant. Moche. Immonde même. Ses yeux restèrent secs.

Elle avait toujours été en décalage avec la réalité du monde qui l’entourait.

Roméo, toujours volubile, poursuivit :

— Tu n’es pas faite pour vivre dans ce monde de merde, Juliette. C’est pour ça que tu souffres tant. Je comprends que tu travailles auprès d’enfants.

Il la connaissait si bien. C’était terrifiant en un sens.

— Tu es la plus belle personne que je connaisse, Juliette. Si tu m’en laisses l’occasion, je te prouverai que je ferai tout dorénavant pour toi. Tu le mérites. Moi, j’ai trop de chance alors que je ne la mérite pas. C’est fou ! Je vais toujours bien : aucun syndrome ou maladie chronique. Je me noie littéralement sous les trèfles à quatre feuilles !

Elle lui répondit qu’elle ne lui demandait rien et n’attendait rien de lui. Et que si, il avait bien un syndrome : celui de Peter Pan. Il rit et admit volontiers que c’était bien vrai.

— Tu étais la plus belle de ton collège, de ton lycée, de ta fac. Toutes, elles voulaient être toi ; tous, ils voulaient être avec toi, mais c’est moi qui t’ai eue !

Juliette restait sur la défensive, bien que flattée par ce flot incessant de belles paroles. Ces douces paroles, comme un miel trop épais à avaler, redonnaient un peu d’élan à son ego malmené.

On en vint aux amours de Juliette, elle éluda. Il tiqua et n’insista pas. Quels amours ? Il n’y avait eu que de pauvres garçons qu’elle avait éconduits sans regret, car elle préférait être seule que mal accompagnée ou avec quelqu’un dont tout simplement, elle n’était pas amoureuse. Elle était vieux jeu. Sa famille lui suffisait. Et puis il y avait eu Axel.

Le bel Axel. Sa flamme jumelle. L’hypocrite et médiocre Axel. Elle avait encore du mal à digérer sa trahison. Leur trahison. Elle les imaginait souvent dans les bras l’un de l’autre chaque soir, s’embrassant et se susurrant des mots d’amour. Avec un enfant. Cela lui paraissait, même des années plus tard, complètement incongru. Tout à fait improbable. Et pourtant… elle aurait dû savoir que la Chinoise était capable de tout. Déjà, à l’époque, quand elle lui avait montré des cadres photo dans lesquels elle s’était ajoutée en découpant son portrait sur des photos de famille de son mec du moment. Un homme âgé. Sans doute aussi âgé que son patron, père et grand-père. Marié, cela va sans dire, et pas à elle ! Juliette revenait de la piscine et se rendait chez son amie.

— Regarde ! Tu vois, avec le collage, on a l’impression que je fais partie de sa famille. Je me suis collée sur la majorité de leurs photos.

— Mais tu es cinglée ! Que va-t-il penser ? Et sa femme ?

Et, il fallait s’y attendre, l’homme marié l’avait d’ailleurs laissé tomber après cette affreuse découverte qui l’avait médusé.

— Je m’en moque, je veux faire partie de sa vie ! J’en ai marre de me cacher. Marre de le voir en douce dans ce petit appartement de Rueil-Malmaison dont je paie la location tous les mois. Je m’en fous ! Pour me l’attacher, je récupérerai son sperme dans les préservatifs qu’il prend bien la peine d’enfiler et je le congèlerai et… tadam ! on aura un enfant. Je suis quand même vachement plus riche, le commerce de mes parents vaut plus d’un million d’euros – chose qu’elle se plaisait souvent à rappeler – et tellement plus belle que sa vieille peau de femme ! Regarde.

Elle s’était déshabillée intégralement – oui, oui ! sur le balcon où elles sirotaient une menthe à l’eau – et avait pris des positions comme si un paparazzi surgi de nulle part allait la photographier. Quelle pitié ! Mal bâtie, elle avait un corps trapu monté sur des mollets imposants. Des seins lourds et tombants.

— Alors, je te plais ? Un jour, mon corps sera aussi beau que le tien ! Je m’évertue à ne manger que des graines en ce moment.

Que répondre à un délire pareil ? Elle avait décidé de couper formellement avec cette fille aux attitudes malsaines. Tout le monde l’avait prévenue pourtant : sa mère, sa sœur, Roméo, ses amis, et même son père qu’elle avait essayé de tripoter ! Elle trimballait toujours un sac de fringues et d’essentiels dans le coffre de son Audi ou cas où son « papi lubrique et rapiat » la sifflerait quand le champ était libre… Mais qui agissait de la sorte ?

— Tu n’es vraiment pas nette ! lui avait finalement dit Juliette.

C’était le moins que l’on puisse en dire.

— Ce qui n’est pas net, c’est que les « officielles » comme toi sont finalement de gros pigeons ! Moi, je préfère être l’amante. La femme de l’ombre. Au moins, je sais à quoi m’en tenir.

Les femmes cachées dans l’obscurité sont toujours les plus dangereuses. Une fois qu’elles ont goûté à la lumière, elles se battront bec et ongles pour la conserver.

— Je ne suis pas d’accord.

— Évidemment ! Toi, tu vis entre le Moyen Âge et le monde de Disney.

« Toi, pensait Juliette, tu t’appropries la vie des autres pour exister. En incarnant la triste posture de lot de consolation… »

Sale gosse de riche, elle représentait tout ce qu’il y avait de plus abject dans ce monde de tarés.

Non, Juliette ne voulait rien révéler de tout cela à Roméo. Jamais ! C’eût été trop honteux. Éternelle perdante et victime depuis lui, depuis eux… Et obligé, il en tirerait de la satisfaction. Son château était fortifié.

Elle aurait dû le savoir, pourtant. Il trouverait bien comment entrer. Si ce n’est par le pont-levis, alors par les douves ; sinon par les douves, du moins par les meurtrières…

Le loup sait se montrer patient et opportuniste.

Elle se coucha de nouveau le cœur battant.

Et ne dormit pas de la nuit. Les yeux grands ouverts, elle songeait aux douces paroles de Roméo. Jamais elle n’aurait cru qu’on lui ferait de nouveau de si belles déclarations d’amour.

Elle voulait y croire. Mais comment croire un menteur pathologique ? Mais qu’aurait-il à y gagner ? Voulait-il la faire de nouveau souffrir ? Et pourquoi ? Parce qu’elle l’avait quitté ?

Parce qu’il en avait souffert ? Cet homme était-il capable de souffrir de sentiments ?

Elle se détestait. Qu’était-elle en train de faire ? On ne fraye pas avec le diable, surtout lorsque l’on a su s’en débarrasser. Mais il y avait ce lien. Il avait été son Premier Tout.

Son premier meilleur ami, confident, petit copain, le premier homme avec qui elle avait couché. Le premier homme pour qui elle avait vibré, pleuré beaucoup trop, et ce jusqu’à l’épuisement, pour qui elle s’était disputée avec ses parents. À cause duquel elle avait eu son bac sur le fil du rasoir, à cause duquel elle était passée pour une folle dans toute sa ville et son lycée. À cause duquel elle avait perdu des amis, montré de mauvais exemples à sa petite sœur, qu’elle avait peut-être même traumatisée, allez savoir !

La liste était si longue qu’une dizaine de pages n’y suffirait certainement pas.

Mais il était revenu comme une tentation à laquelle on ne peut que céder. Comment pourrait-elle résister ? À son Premier Tout ?

Tel d’un feu violent, elle avait peur de trop s’en approcher, car elle pourrait se brûler et pour autant, si elle s’en éloignait trop, comment pourrait-elle ressentir sa chaleur ? Elle en avait besoin. Aujourd’hui plus que jamais. Elle avait besoin d’y croire. Pourrait-il lui ouvrir une porte de sortie ? La tirer de ce lugubre parking souterrain couvert d’éclats de verre et qui sentait la pisse de clochards ?

Appel visio de Roméo. Juliette détacha les yeux de son planning bien chargé du mercredi. Jeta un coup d’œil à son poignet pour lire l’heure.

Olivia, 11 h.

Leïa, 11 h 30.

Johan, 12 h…

« Oh, non ! » pense-t-elle. Elle ne peut pas le voir. Il ne peut pas la voir… Elle n’est pas prête. C’est au-dessus de ses forces. Pendant un bref instant, elle hésita à décrocher puis se ravisa, appuya sur le bouton pour accepter. Elle cacha son visage à la caméra le temps de reprendre son souffle, ses esprits et son sang-froid. Et surtout d’enfiler son armure en acier trempé. Le temps de calmer cette agitation à l’intérieur d’elle-même. Elle se fustigea intérieurement : « Oh ! tu as 34 ans. 34 ans ! » Oui, peut-être, mais elle avait vécu l’enfer avec lui. Aujourd’hui les experts criminologues appelleraient cela le « phénomène d’emprise ». Sous l’emprise d’un pervers narcissique. Il lui avait volé son cœur à quinze ans.