Anna ou l’insoutenable légèreté de l’amour - Anne Bogaert - E-Book

Anna ou l’insoutenable légèreté de l’amour E-Book

Anne Bogaert

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Beschreibung

Anna, au travers de ses trois vies, est à la recherche de l’amour, l’idée de l’éternel amour par la grâce et la délicatesse des sentiments, suivi par la recherche de la passion amoureuse où sensualité et sexualité s’entremêlent. L’ivresse de s’aimer en toute liberté donnera à Martinus, son partenaire, des visions dissonantes sur la sexualité, ce qui titillera plus ou moins sa pudeur. En perdant son âme sœur, Anna se réinventera la légèreté avec une aisance insoutenable des sentiments.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Anne Bogaert a travaillé dans le secteur de la mode chez la créatrice Anne Marie Beretta à Paris, de 1974 à 1983, en tant que directrice de sa boutique et directrice commerciale pour la diffusion de la marque. Elle se sert de cette expérience pour construire l’univers de son héroïne.

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Seitenzahl: 296

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Anne Bogaert

Anna

ou l’insoutenable légèreté de l’amour

Roman

© Lys Bleu Éditions – Anne Bogaert

ISBN : 979-10-377-9111-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Décembre 1963, Paris, rue Amélie

Anna

J’étais une jeune fille tout à fait ordinaire, enfin c’est ce que je disais de moi. 19 ans, 1m69,5, et le 0,5, j’y tenais, étant donné que je rêvais d’être plus grande. J’avais pour amie Nicole, une petite brune pétillante qui avait un succès fou auprès de la gent masculine. Nous étions très liées, elle habitait chez ses parents et moi j’avais réussi à me prendre un tout petit studio rue Amélie, mon père avait fini par céder ; j’avais trouvé un travail dans un laboratoire au service d’un psychologue. Je gagnais peu, mais j’étais libre. Ne plus prendre le train pour regagner Neauphle-le-Château était une satisfaction inégalable. De plus, cela me permettait de faire ce que je voulais tous les samedis, le rêve. Cette journée, on la partageait le matin à se préparer pour retrouver les copains, connus et inconnus, et ce au Quartier latin, La Gentilhommière, Place Saint-André des Arts. L’endroit où il fallait être, l’endroit où l’on retrouvait ceux qui avaient une voiture.

Je voulais toujours choisir la voiture, bien sûr une petite MG vert anglais, je ne voulais pas la rater. Nicole me laissait agir, je l’avais remarqué le samedi dernier, mais trop tard, elle est passée à côté de nous avec trois filles qui se la pétaient, bien sûr. Mais aujourd’hui, j’étais prête. J’avais mis une robe en cuir marron, des bottes à mi-mollet, j’avais lâché mes cheveux que je portais à ras des épaules, ondulés malheureusement. Et oui, j’aurais préféré les avoir raides comme il était de mise dans la mode. Bon, mais à vrai dire, je me sentais bien et prête à aborder la petite MG vert anglais.

On arrive, déjà la foule des filles et garçons en attente, il y a une dizaine de voitures qui tournent et à chaque passage certains grimpent dans un véhicule, j’aperçois la MG et aussitôt je lui fais signe, super il n’a qu’une passagère, deux places de libres, ni une ni deux, nous voilà dans la superbe voiture.

Je suis très intimidée, le garçon au volant est charmant, grand, brun, une cigarette aux lèvres. Ah, j’ai oublié de vous dire que je me trouvais à l’arrière et c’est Nicole qui avait le privilège d’être à côté du conducteur. C’est fou, elle a toujours plus de chance que moi. Il faut dire que dans ma précipitation je suis passée la première et automatiquement à l’arrière.

La musique à fond. Ah ! je n’ai pas précisé qu’elle était décapotable. On se suivait. On quittait Paris pour se retrouver au bord de la seine, un endroit très connu par la bande de La Gentilhommière. Je regardais le rétroviseur pour essayer de voir le conducteur, mais pas une seule fois son regard ne croisa le mien. J’étais heureuse de me retrouver là, Nicole se retournait pour échanger des regards de complicité. Quant à l’autre fille, elle avait l’air de connaître le conducteur, car ils échangeaient quelques réflexions. Par la suite ? j’ai appris qu’il ne la connaissait pas du tout.

Nous voilà arrivés, les voitures sont garées, on se précipite tous à l’intérieur du restaurant qui a perdu ses tables et chaises et laisse place à une piste de danse et un bar où bien sûr les garçons s’installent plus vite que nous les filles. Le hasard fait bien les choses, je trouve un tabouret pas loin de notre conducteur. Pour l’instant, je n’ai pas réussi à lui glisser un mot, je le regarde sans qu’il s’en aperçoive, il a mis son imperméable sur son avant-bras, une cigarette qu’il tient avec élégance, la porte à ses lèvres avec lenteur, il me donne l’impression d’un personnage de film, étant donné son absence d’intérêt pour l’une ou l’autre fille. Je devine en lui une résistance à ne pas vouloir montrer de l’intérêt à quiconque, une façon de rester énigmatique, ce qui accélérait l’intérêt qu’on avait envie de lui porter.

À force de l’étudier, je compris qu’il ne voulait pas danser ou qu’il n’aimait pas danser. En voyant le tabouret libre à ses côtés, je m’y suis installée et j’ai pu enfin lui parler. Timide ou prétentieux, on pouvait se poser la question. De plus près, je remarquai ses yeux, des yeux en amande, dont les cils suivaient parfaitement la courbe de l’œil. Ses lèvres étaient minces, mais malgré tout généreuses. Pour tout dire, je le trouvais très beau. Et il était très beau.

Moi qui adorais danser, je suis restée à côté de lui tout le reste du temps. Il m’a demandé :

— Tu viens la semaine prochaine chez François pour fêter la fin de l’année ? Si tu veux, je viens te chercher.

Je lui ai donné mon adresse : 11 rue Amélie Paris 7e

Le 31 décembre, Paul. Oui c’est vrai, je ne vous ai pas encore donné son prénom, c’est Paul.

J’ai eu un mal fou à me trouver une tenue que je voulais parfaite pour lui plaire. Finalement, une jupe, un chemisier, des bottes. Je voulais me sentir à l’aise avec une tenue habituelle. Je ne l’ai pas regretté, dans l’ensemble, nous étions tous un peu habillés dans le même style, à part certaines filles qui portaient des robes du soir (comme on dit). À 20 h, Paul est dans la rue Amélie, je lui fais signe, étant donné qu’il s’était mis en retrait, car la rue ne réservait pas beaucoup de place pour stationner. À son approche, je découvre qu’il y a deux personnes à l’intérieur, une brune du prénom de Gisèle avec son ami Marc. Ils sont très proches l’un de l’autre, il me semble être plus vieux que moi, car ils ont cette assurance que je n’ai pas. Leur façon de parler, d’aborder des sujets que je ne soupçonnais pas me laisse un peu seule. Paul est toujours en train de sourire, il est à l’aise et me donne l’impression que Gisèle et Marc sont des amis de longue date. Je me sens un peu éloignée de leurs échanges, je n’essaie pas d’entrer dans leur conversation, j’écoute. Si je comprends bien, ils vivent ensemble et partagent un studio, ce qui explique leur liberté de parole.

Pour moi, c’était la première fois que je sortais avec un garçon, j’étais sans expérience, si ce n’est des petits flirts sans importance. Je ne connaissais rien de la vie, j’étais plongée dans l’ignorance, j’avais très peu lu de livres qui auraient pu m’éclairer. Pour moi, ce couple représentait tout ce que j’aurais aimé devenir.

À notre arrivée, on a croisé des couples déjà bien éméchés ou alors étaient-ils seulement heureux de liberté et de musique. Heureusement, Paul était très à l’aise, il était connu et passait de l’un à l’autre avec toujours ce sourire qui me plaisait tellement. Il s’est dirigé vers le bar, je l’ai suivi, il me tenait le bout de ma main pour ne pas me perdre dans la foule. Après avoir pris deux verres remplis de whisky coca, c’était la boisson en vogue, il faut dire que c’était agréable à boire, on s’est installé sur un canapé près des amis Marc et Gisèle qui s’étaient déjà appropriés l’espace en nous réservant une partie. J’étais heureuse, je me sentais bien malgré mon inexpérience. La musique était à fond, on ne s’entendait pas vraiment, il fallait approcher nos visages pour se comprendre, les Rolling Stones – satisfaction – a suivi les Beach boys « I get around », on trépignait d’impatience pour aller danser, Paul me regardait et cela me donna la force de lui prendre la main pour l’entraîner sur la piste. Il avait l’air tout intimidé de se retrouver sur la piste, il commença quelques prises, je le trouvais un peu mal habile, mais charmant, il souriait timidement pour me prouver qu’il était désolé. Pour ma part, j’étais heureuse de danser et je faisais tout pour le charmer. Après les Beatles « she loves you », il m’a entraînée vers Gisèle et Marc, on s’est affalés, épuisés, mais ravis. Gisèle me demanda de venir avec elle aux toilettes, nous avons contourné la piste de danse et trouvé l’endroit, c’était la queue, une dizaine de filles attendaient, Gisèle en profita pour me poser des questions, si je connaissais Paul depuis longtemps ? Comment je l’ai rencontré ? j’étais très intimidée, surtout que notre relation ne datait que d’une semaine et je l’avais rencontré par hasard à la Gentilhommière. J’ai essayé de lui poser des questions, et je compris qu’ils étaient ensemble depuis près de deux ans. Je la regardais avec beaucoup d’admiration et je me disais, elle fait l’amour et moi je ne sais rien. Bien sûr, je n’ai rien dit, mais je pense qu’elle avait compris, car elle se comportait avec moi comme si j’étais une petite fille, ce qui m’énervait profondément.

La soirée s’est terminée pour nous vers une heure du matin. Nous avons regagné les voitures, Gisèle et Marc nous ont proposé de venir chez eux pour finir la nuit. Je n’étais absolument pas partante, Paul également à ma grande surprise. Rue Amélie, il trouva une place pour se garer et me proposa de m’accompagner chez moi. J’étais très intimidée et je trouvais que Paul l’était autant que moi. Nous étions assez fatigués et comme la pièce comportait un lit en guise de canapé, on s’est allongés comme exténués en riant aux éclats. Je me suis levée précipitamment, car je trouvais que la lumière du plafond était vraiment trop blanche. Paul me demanda si j’avais des bougies, j’ai cherché dans ma petite cuisine en sachant que je devais certainement en avoir, car il m’arrivait fréquemment de les utiliser. Effectivement, j’en ai trouvé. Il m’aida en cherchant des petits supports pour les installer, il était charmant et s’amusait beaucoup à créer une belle ambiance.

On s’est précipités sur le lit, nous étions allongés, il me tenait la main, il sentait bien que j’avais un peu peur. Je lui ai dit : « C’est la première fois ». Il m’a prise très tendrement, j’étais prête à subir cet acte, je le voulais, je me suis laissé faire, un peu dépitée, car je n’ai ressenti aucun plaisir. Juste le plaisir d’être dans ses bras et me dire – voilà je suis une femme.

Depuis ce jour, on s’est vus tous les week-ends. Il avait pour habitude de passer à Vanves où il me disait devoir s’arrêter pour récupérer un objet chez ses parents. Il se garait dans un endroit où je n’arrivais pas à voir où il rentrait. Je ne m’en inquiétais pas trop, mais tout de même, il me cachait quelque chose.

Nous étions heureux. Il avait beaucoup d’ambition, il me parlait de son métier « métreur » dans une société d’agencement et son désir était de devenir architecte d’intérieur. Il avait des idées de déco, il avait un cahier d’écolier et le surchargeait de graphiques représentant des espaces, des meubles. Quant à moi, je travaillais dans un grand labo, place du Trocadéro, au service du psychologue comme assistante, dépendante du Service du Personnel. J’avais passé un an dans un même service, comme stagiaire, sur Pau dans les Basses Pyrénées. J’étais très enthousiaste, j’ai beaucoup travaillé pour réussir à me faire embaucher. J’aimais ce domaine, je lisais à foison et j’avais entrepris d’étudier l’écriture et ainsi me perfectionner pour pouvoir faire des analyses.

Au premier mois de notre rencontre, je m’inquiète un peu, je n’ai pas mes règles ; comme je ne suis pas vraiment normalisée, je me dis que ce n’est pas inquiétant. Les jours passent et au troisième mois je suis devant l’évidence « je suis enceinte ». Cet état me donne une force qui m’étonne aujourd’hui, j’en informe Paul, il le prend très calmement. Je lui dis qu’il n’est pas obligé de m’épouser, je m’arrangerai. Mais non, dit-il, on va se marier.

À partir de ce jour, tout va très vite, enceinte de trois mois, pour mes parents, ce n’est pas possible de leur dire. Alors on ne dit rien, mais on veut accélérer pour ne pas me retrouver boudinée dans ma robe.

J’ai dû démissionner. Je n’avais été embauchée que depuis 6 mois. Mon employeur n’a pas vraiment apprécié. J’étais navrée de devoir quitter ce job, mais finalement cette liberté me convenait, de plus nous avions tellement de préparatifs. Paul se préoccupait de nous trouver un appartement, car la rue Amélie ce n’était pas l’idéal.

J’ai pour mission de trouver un endroit pour le jour du mariage. Pour mes parents, c’est très important, ils ont marié leurs deux filles aînées et ils espèrent que la dernière prendrait en considération la famille et la tradition. Paul m’est d’un grand secours, il connaît Paris comme sa poche, on ne veut pas un restaurant ou une salle de fête et comme nous sommes peu nombreux, on recherche un endroit un peu magique, tel que : auberge au bord de la Seine avec un extérieur où la végétation nous servirait de décor. Paul a une idée de génie, il me dit : « Le parc du château de Versailles ».

C’est du délire.

Mais non, c’est possible, il y a des espaces dans le parc où il est possible de déjeuner dans un kiosque portant le nom « Le Dauphin ». Paul s’est préoccupé aussitôt de joindre un responsable. Nous avons eu de la chance, pour le 12 mars, en théorie, ils étaient fermés, mais Paul a tout fait pour qu’ils acceptent d’ouvrir ce jour-là.

Enfin, Paul se décide à me présenter à ses parents, c’est bien à Vanves. Un appartement dans un petit immeuble, au premier étage. Sa maman est une femme d’une grande simplicité et d’une très grande gentillesse. J’ai tout de suite été adoptée, le père physiquement ne ressemblant pas à son fils, il gardait toujours une attitude de réserve totalement à l’inverse de sa femme, mais tout aussi généreux ; une sœur de 3 ans de plus, charmante.

J’ai compris plus tard que Paul avait peur de me présenter ses parents. Paul voulait réussir dans la vie, dans son travail, tout en lui démontrait le désir de réussir. Sa manière de s’habiller, ses choix de voitures, son comportement, son allure, tout en lui était grâce, il était grand, mince, une très belle chevelure, il se fabriquait une personnalité d’homme qui réussit dans la vie. Réussir est son symbole.

Voilà le grand jour est arrivé, 12 mars, le parc de Versailles pratiquement vide à part nous ; un romantisme à souhait, un temps gris, mais lumineux malgré tout, une fontaine se déversant dans un immense bassin, la simplicité de notre mariage dans un lieu luxueux. Un apéritif pris à l’extérieur du kiosque, je tenais toujours mon bouquet de lilas blanc que je comptais envoyer en l’air dès la première bouteille de champagne. Je portais une robe en dentelle très près du corps, pas de décolleté, dans les cheveux, une couronne de communiante avec un léger et court tulle que j’avais rabattu. Nous avons fait des photos autour du bassin, c’était enchanteur, on se tenait par la main, on courait comme deux gamins, on était heureux, heureux de vivre, insouciants. Les parents rassurés que leur fille se marie, leur petite dernière qui était éprise de tellement de liberté. Paul, élégant, toujours un petit sourire au bord de fines lèvres, un regard profond, des grands yeux aux cils longs. Oui, il me plaisait beaucoup, je nous trouvais très bien ensemble. Je manquais totalement d’expérience, c’était mon premier amour.

À 16 heures, nous avons décidé de partir, nous avions quelques jours pour notre voyage de noces, j’avais gardé ma robe et Paul son costume, une petite valise jetée à l’arrière, la capote enlevée, nous voilà partis pour le nord, Paris Plage la destination. Nous nous sommes arrêtés à Lille, un petit hôtel qui a bien voulu de nous, il faut dire que nous n’avions pas pris de réservation, il était tard, nous n’avions pas faim, je me demandais comment allait être cette nuit, notre nuit de noces. J’avais préparé une nuisette rose, plutôt chargée de volants, je me sentais un peu ridicule, mais attentive à plaire à Paul. Cette nuit fut courte, tendre et malgré la médiocrité de notre chambre, on se voulait heureux, on n’avait pas envie d’en rajouter, nos pensées étaient déjà dans les dunes de Paris Plage.

Paris Plage, notre destination, les dunes, Paul avait garé sa voiture dans un parking absolument vide, nous étions les seuls, heureux comme deux adolescents. On courait dans tous les sens, chacun essayant de semer l’autre, réellement nous avions 15 ans, on montait sur les dunes et on glissait sur nos fesses, on s’agrippait, on s’enfuyait, une cavalcade sans arrêt répétée. Seuls, nous étions seuls, on riait, criait, on se séparait pour jouer à cache-cache, et oui cache-cache. Je me planquais, ne disais mot et Paul surgissait pour me tomber dessus. Il tenait sa caméra pour me prendre en flagrant délit de liberté enfantine, c’était des cris de surprise et de joie à chaque fois qu’il réussissait à me surprendre.

Trois jours seulement pour fêter notre union, mais tellement tendre, libre de conventions. C’est passé tellement vite, nous étions déjà de retour sur Paris. Premier appartement à Saint-Cloud, je ne sais comment, mais c’est Paul qui s’est occupé de tout. Nous étions au rez-de-chaussée, mais étant donné que l’immeuble était situé sur la montée de Saint-Cloud, notre appartement prenait de la hauteur sans en avoir les désavantages.

Un trois-pièces de cuisine, salle de bains, un confort dit moderne à cette époque. Nous n’avions aucun meuble ou si peu. Par contre, Paul, sachant que j’aimais les livres et que j’en avais quelques-uns, a pris l’initiative et la surprise de fabriquer une bibliothèque en acajou verni. C’était vraiment un beau meuble, nous étions si impatients de le garnir, moi de mes livres et Paul des statues imitation ivoire, c’était vraiment beau, nous étions si fiers et heureux. Nous avons préparé la chambre pour notre bébé, des jours bienheureux partagés avec les parents de Paul étant donné qu’ils étaient sur Paris. Nous étions chanceux de commencer la vie à deux, Paul était enthousiaste de travailler, et moi j’avais un peu de mal à me voir déformée, j’avoue qu’il m’était difficile de m’accepter, j’étais mi-heureuse d’être enceinte. Je sais que certaines de mes amies se plaisaient et n’arrêtaient pas de se photographier, mais ce n’était pas mon cas. J’attendais la délivrance avec impatience.

Le jour « J », un 4 septembre, est née Céline, un magnifique bébé aux yeux immenses et sombres. Les yeux de Paul, un immense regard et particulièrement ténébreux. Le jour de ma sortie, Paul m’emmène directement dans une boutique pour m’acheter un pantalon, je rêvais d’en porter un depuis des mois, c’était pour moi une démarche indispensable pour me sentir à nouveau désirable. Je pensais reprendre mes cours de danse, une nouvelle vie après ces huit mois, un peu recluse où je me regardais changer, m’arrondir, je m’isolais. Paul de son côté s’épanouissait dans son travail de métreur, entouré d’architectes, il évoluait avec aisance dans un milieu qui lui plaisait.

Quant à moi, je m’occupais principalement de Céline, j’aimais organiser ma journée en fonction des biberons, des siestes, des promenades dans le parc de Saint-Cloud qui était à deux pas de chez nous. J’ai repris les cours de danse, la salle n’était pas très loin également, j’y allais à pied et j’emportais Céline dans un couffin, plus pratique qu’une poussette car il fallait monter par un chemin un peu escarpé. J’avais repris avec plaisir les cours. Une surprise m’attendait, le cours s’était enrichi de nouveaux adhérents hommes, il y avait deux écoles, une classique et l’autre dite moderne, je me suis inscrite aux deux, car l’expérience du Moderne me tentait déjà avant la naissance de Céline. J’allais retrouver mon corps d’avant, c’était une renaissance.

Paul me sait très attachée à ce cours. Il n’avait jamais fait de danse, mais la curiosité aidant, il se mit lui aussi à pratiquer la danse moderne. Après lui avoir expliqué qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des notions classiques, le prof acceptait les débutants. C’est ainsi qu’il fût inscrit pour mon plus grand bonheur. Une période vraiment agréable. Céline était du voyage, c’était un bébé magnifique et toujours de bonne humeur. Ses yeux étaient devenus d’un bleu très foncé et il est vrai que cette profondeur lui donnait un air autoritaire, il m’arrivait souvent d’entendre les passants qui nous croisaient dire : « Quel regard ».

Paul est très à l’aise, un peu intimidé, mais les exercices lui plaisent, c’est vrai qu’il est très bien bâti, de belles épaules, des jambes longues et musclées alors qu’il n’est absolument pas sportif. Une période vraiment agréable, nous étions une famille heureuse, des amis, ceux de Paul bien sûr, pour ma part, je n’en avais pas, je n’étais à Paris que depuis un an. Tous les samedis soir, on les passe chez l’un ou l’autre, et bien sûr chez nous. C’était très simple, Paul gagnait un salaire de débutant, nous avions un loyer assez élevé et j’avoue que j’avais pris en main la manière de dépenser le moins possible. Notre samedi on préparait un plat de spaghettis à la sauce bolognaise ou carbonara, c’était invariable, nos amis apportaient fruits et fromage, le tout accompagné d’une sangria. C’était la spécialité de Paul, il faut dire que cela nous mettait tout de suite en joie, le phono trônait sur notre bibliothèque et un tas de disques prenait une grande place sur les étagères, Paul avait déjà fait un choix pour nous mettre très vite dans une ambiance de discothèque, il faisait ça avec professionnalisme, c’était important pour lui, il aimait gérer notre soirée. On écoutait James Brown, Bob Dylan, Les Rolling Stones « Satisfaction » en boucle, Janis Joplin.

Pour ma part, c’était la cuisine où les filles se retrouvaient dans un chahut ludique, on se partageait nos impressions sur la vie, on riait beaucoup, nous avions de l’humour à revendre.

On dansait aussi, notre salon n’était pas vraiment grand, nous étions parfois 6 ou bien 8 et chacun trouvait sa place, bien sûr le canapé était pris rapidement, nous avions également un fauteuil et celui qui l’occupait, en général, voulait le garder toute la soirée en privilégiant sa partenaire sur les genoux. Paul rayonnait dans ces soirées, il avait cette élégance qui ne le quittait pas, il ne parlait pas trop, il préférait écouter et donnait cette impression de communion avec les amis sans avoir fait les frais d’une discussion.

Chaque week-end, c’était un renouvellement de festivité, il y avait aussi le cinéma, on repérait les films, les salles pour s’y retrouver, on se passait les rumeurs, les articles, nous avions besoin de partager nos émotions. Il faut dire que nous n’étions pas toujours d’accord, mais jamais de confrontation, ce qu’on aimait surtout c’était éprouver nos idées. Ensuite c’était dans un petit bistrot vers le quartier Odéon ou Saint-Michel que nos débats s’échangeaient.

Chaque samedi matin, on amène Céline chez la mère de Paul, une façon de retrouver notre liberté et le dimanche matin on passe la journée avec la famille.

Dans la semaine, je me retrouve un peu seule, même si Céline me prend tout mon temps. Tous les après-midi, je me balade dans le Parc de Saint-Cloud un peu comme une âme en peine, j’ai tellement besoin de partager, mais il est vrai que les femmes de nos amis travaillant ou continuant leurs études ne m’accordent pas de visite. J’ai réussi à avoir des échanges avec nos voisins du rez-de-chaussée, tous les deux journalistes avec deux enfants de 6 et 4 ans. J’aimais les croiser, échanger au sujet des enfants, je me sens tellement ignorante sur « comment faire pour élever mon enfant ». Les repas aussi, un moment difficile, il faut dire que Céline n’aime pas manger, il me faut une patience sereine pour arriver à lui faire avaler son repas. Justement, Frédérique m’a donné des petits conseils qui m’ont permis de relativiser son refus. En sachant qu’elle adore taper sur des casseroles, je mets à sa disposition la batterie de cuisine et à chaque Big Bang Boum, une cuillerée avalée.

Céline a 9 mois, elle marche déjà. Je suis heureuse de cette progression, il me vient à l’idée qu’il faudrait que le temps aille plus vite, il me tarde de la voir à 3 ou 4 ans, pour me retrouver un peu libre. Mais voilà, sans l’avoir voulu, je me retrouve enceinte. Il faut dire que je ne connaissais pas grand-chose à la contraception et Paul ne s’en préoccupait pas. Lors de ma première visite, le gynécologue, se moquant de moi, me dit : « Si vous continuez comme cela, vous allez faire comme les petits lapins ! » J’étais plutôt vexée et même contrariée, j’allais à nouveau devoir passer des mois à attendre pour retrouver ma liberté.

Je retrouve Paul et lui annonce la nouvelle. Paul est ravi, il espère que cette fois-ci ce sera un garçon. Il faut dire que de mon côté, il n’y a que des filles, mes deux sœurs que des filles, alors c’est sûr ce sera un garçon. Un petit homme.

J’ai traversé ces 7 mois restants sans difficulté et plutôt heureuse, heureuse d’aborder la vie avec Paul et nos deux enfants. Notre voisine Frédérique m’a donné l’envie de lire, je dévorais les livres, je passais d’un roman à un autre, la fiction, l’ésotérisme, les classiques… je passais mes matinées, dès le départ de Paul et le petit-déjeuner de Céline, je me vautrais sur le lit pour lire, je surveillais d’un œil Céline qui d’ailleurs s’amusait follement avec ses jouets qu’elle trimbalait de sa chambre à la mienne, montait sur le lit pour me faire partager ses découvertes. Je devenais très paresseuse, je m’arrondissais lentement et d’une façon différente que pour Céline, c’est la raison pour laquelle on me certifiait que c’était certainement un garçon.

Le jour « J » enfin est arrivé, j’avoue que c’est une réelle délivrance. Il a mis le temps pour arriver, 7 heures de douleurs, j’étais épuisée, heureuse d’admirer ce petit poupon tout blond, il était là à côté de mon lit, je le regarde avec admiration, mais cela ne m’empêche pas de constater que son visage tire sur le bleu et ses cris ne provenaient pas sans raison. J’avais tellement peur de m’endormir que je sonnais l’infirmière pour lui demander de vérifier si mon fils n’était pas en train de souffrir. Aussitôt, le médecin s’est déplacé pour constater ce que l’infirmière disait. Effectivement mon petit garçon avait peine à respirer, aussitôt le médecin prit la décision de le faire transporter par ambulance vers l’hôpital, et ce d’urgence. La clinique où je venais d’accoucher n’avait pas de service de réanimation ni de couveuses. Paul suivit le convoi jusqu’à destination, il resta plusieurs heures afin d’être rassuré et attendit que le médecin lui démontre qu’il n’y avait plus rien à craindre. Il est sauvé, vous pouvez rentrer et rassurer la maman.

Oui, notre petit bonhomme, notre petit prince, Jules, est enfin avec nous. Nous voilà quatre, l’appartement devenant trop petit, Paul avec tout son dynamisme nous trouve un appartement rue Lacordaire dans le XVe. Au dernier étage avec une terrasse, une grande chambre pour nos deux poupons, une salle de séjour donnant sur la terrasse et notre chambre que nous créons dans l’espace de la salle de séjour. Entre Paul et moi, tout se passe bien, on n’a pas tellement de désaccord. Il est à fond dans son travail, il évolue avec aisance, de mon côté j’ai l’impression de stagner. J’ai des difficultés à me voir rester à la maison, entre les courses, les biberons, les premiers pas de Céline, mais c’est mon rôle et j’assume. Je lis beaucoup dans mes heures creuses, j’apprends beaucoup sur la vie, l’amour, le sexe au travers de mes lectures, l’ésotérisme, la graphologie. Une boulimie de livres pour apprendre, je me sens tellement hors circuit de la société, tout a été tellement vite, me voilà à 22 ans avec deux bambins, sans carrière sociale en vue, avec pour objectif les enfants, la maison, la routine exerce chez moi un début de lassitude, il faut que j’en sorte, mais comment ? Une amie me dit avoir fait des croquis de silhouette pour vendre des idées de style de vêtement. Elle parcourt la rue du temple et se fait ainsi un peu d’argent, en vendant ses croquis au confectionneur. J’avoue que cette idée m’interpelle et me voilà en train de dessiner des manteaux, des imperméables, des vestes, mais sans avoir trouvé la bonne silhouette pour les mettre en valeur. En feuilletant des journaux de mode, j’ai essayé de copier une silhouette qui me permettrait de soumettre mes modèles, à force de crayonner des formes, j’ai fini par trouver enfin le mannequin idéal de ma composition. Il s’avère que ce n’était pas d’un grand talent, mais ça avait au moins l’allure d’une silhouette féminine à vêtir à volonté.

Je dessinais une collection de manteaux, j’adore le manteau sous toutes ses formes, il faut dire qu’à Paris on met beaucoup le manteau et ce n’était pas les idées qui me manquaient. J’avais moi-même des difficultés à trouver ce vêtement, le vêtement que je rechignais d’acheter, car les modèles en vente ne me plaisaient pas. Alors c’est avec plaisir que je constituais ce dossier. Pour chaque modèle, je proposais une matière et indiquais également les tailles. Pourquoi les tailles ? parce que pour moi certains modèles convenaient mieux à des tailles entre 36 et 42 et pour autres modèles 44 et 46. En réalité, je ne pense pas que les confectionneurs prenaient en compte mes annotations. Mon premier jour d’exploration dans la rue du temple, le dossier sous le bras, j’arpentais le trottoir au même titre que les prostituées, j’avoue que je n’en menais pas large. J’étais intimidée et devant chaque porte, j’hésitais un moment, faisais quelques pas, puis revenais et enfin je me décidais à entrer.

Mon premier client fut assez sympathique, il a dû certainement voir que je n’étais pas très à l’aise, mais j’ai pris mon courage à deux mains en ouvrant mon dossier pour montrer mes modèles, il a regardé chaque modèle avec insistance, il me dit c’est pas mal, c’est combien ? - Lesquels vous voulez prendre ? il en choisit quatre et me dit voilà – ces 4. Prise de cours, je lui réponds 20 francs, Ok ! En fermant mon dossier, il me dit – c’est la première fois que vous présentez vos modèles, alors un conseil, mettez un prix pour chaque modèle et je pense que vous pouvez les mettre à 10 Frs par modèle, il se retourna et partit en me disant à la prochaine, pensez à passer par chez moi.

Ce jour-là je suis rentrée aussitôt, j’étais tellement contente, j’avais vendu 4 modèles, c’était pour moi une réussite, je pouvais et devais continuer. Je suis rentrée rapidement pour libérer une dame qui gardait les enfants. Le soir même je montrais mes dessins à Paul et cela l’amusa de me voir si heureuse. Ce fut une prise de conscience, j’avais besoin de me réaliser et par le biais de cette démarche, je me sentais pour la première fois, enfin libre. J’allais m’organiser, dessiner et passer juste un après-midi dans le quartier et ainsi montrer un dossier conséquent. Ce n’était pas l’argent qui m’incitait à créer, c’était cette liberté d’exister par moi-même.

Cette expérience m’est très salutaire, je m’organise entre mes enfants et cette nouvelle occupation me permet de ne plus me voir prisonnière dans mon appartement, et ce, malgré les allées et venues entre petite école pour Céline et le bien-être de Jules. Je suis très heureuse, on se croise un peu avec Paul, mais il ne me manque pas, tout est simple entre nous, peut-être un peu trop simple.

Anne Marie Beretta, 1974, Paris 6, rue Saint-Sulpice

Depuis près de 6 mois, j’ai traîné dans le quartier pour vendre mes croquis, mais cela commençait à ne plus m’apporter de satisfaction ; je devais me plier à ce que les confectionneurs me demandaient. J’ai fini par trouver un job à mi-temps chez un fabricant de patrons (papier), mon rôle n’était pas d’une grande importance, mais cela me permettait de rencontrer des stylistes qui commençaient à être connus. Cette société fabriquait les patronages des modèles en croquis que les stylistes lui confiaient et il réalisait également le prototype. J’avais donc la possibilité de voir les croquis et d’essayer le modèle, cela me passionnait. J’étais dans l’antre de la fabrication.

Justement, un jour je croise un homme, porteur de croquis d’Anne Marie Beretta, styliste que j’adorais. Je comprends en écoutant la conversation avec mon patron que ce monsieur est Sandro Beretta, donc le mari. J’attends impatiemment sa sortie du bureau, je le vois prendre l’escalier, je me précipite et je lui dis combien j’admire sa femme. J’avais entendu dire qu’il devait ouvrir une boutique dans le 6e arrondissement. Et avec toute ma foi, je lui dis que je peux être libre très rapidement, que je suis prête à travailler pour rien pendant 2 mois et au bout de cette période me donner ce qu’il pensait être mon salaire.

Je l’ai regardé descendre l’escalier jusqu’à ce qu’il n’y soit plus. J’étais heureuse d’avoir eu l’audace de parler, mais je me sentais un peu vide et peut-être un peu ridicule. Je n’ai pas attendu plus d’une semaine, je retrouve ce monsieur chargé de croquis, il me fait signe et me dit : c’est possible, vous pouvez passer rue Saint-Sulpice pour rencontrer Anne Marie.

Bien sûr, bien sûr… J’ai le cœur qui bat la chamade tellement je suis heureuse. Ce soir-là, j’ai l’impression que ma vie sociale va enfin commercer. Je rentre de ce rendez-vous avec déjà en tête tout ce que je dois faire pour être libre, et ce toute la semaine. Je suis très organisée, je veux que mes enfants ne soient pas mis de côté, l’école, les horaires pour l’un et pour l’autre, c’est vrai que Céline est réellement une grande fille, elle a vite pris le rôle de grande sœur. C’est elle qui devra prendre son frère à la sortie de 17 h. Nous avons une chance incroyable l’école est en bas de notre immeuble, et pour comble de bonheur pas besoin de traverser une rue, tout se passe à l’intérieur de l’immeuble. Il me restait à trouver une solution pour l’après-sortie d’école. Au début j’avoue avoir mis à contribution une amie voisine de notre immeuble, elle passait une heure et Paul étant de retour vers 18 h 30 tout rentré dans l’ordre.

Pour ma part c’était 19 heures.