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Sur une Terre plongée dans la guerre des Autonomies depuis des siècles, Credentes Stelliger, un vétéran désenchanté, entreprend un voyage vers les mondes des Constellais pour offrir une vie meilleure à sa famille. Cependant, il ignore que la folie humaine s’est étendue au-delà de la galaxie et que son fils Edward est voué à un sombre destin. Si l’enfer est sur Terre, le luxuriant jardin de Dieu ne scintille pas dans le ciel.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Gilles Rouvière narre des histoires extraordinaires dans des mondes fantastiques, accordant une attention particulière à leur cohérence afin de permettre aux lecteurs de s’y projeter facilement. Le Cycle de Fondation d’Isaac Asimov ou encore Le Cycle d’Elric de Michael Moorcock sont autant de références majeures qui ont inspiré Ante-Millenium – Tome I – Les prémices de l’humanité, un récit qui se déroule dans un univers proche du nôtre.
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Seitenzahl: 330
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Gilles Rouvière
Ante-Millenium
Tome I
Les prémices de l’humanité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gilles Rouvière
ISBN : 979-10-422-0446-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je dédie ce livre à mes enfants, Gabriel et Alice
Ante-Millenium, dernière station orbitale d’une humanité anéantie, vestige d’une incroyable évolution. Rien n’aurait pu prédire l’épouvantable chute que connut le règne de l’Homme en l’an 2762. L’univers devint haine, rage, frénésie. Toutes les forces de la nature réunirent leurs puissances dans la destruction de la seule espèce intelligente connue. L’espace si silencieux, si mystérieux, bouillonna. Des météorites s’abattirent par milliers sur l’habitat humain. L’atmosphère, déjà sur le déclin, constituait une bien dérisoire défense comparée à la colère de la Nature. Frappée de toute part, la Terre sombra dans une torpeur dont elle ne se relèverait jamais. Un nombre incalculable de cicatrices déchira le ciel grisâtre. Les terriens assistèrent, impuissants, à leur fin. Certains furent écrasés sous les impacts des météorites, d’autres se noyèrent dans les raz de marée. La plupart, encerclés par les tempêtes de poussières, moururent de faim. Une vingtaine de milliards de vies s’éteignirent dans les ténèbres d’un berceau devenu cercueil. Une fois la source de la vie humaine dévastée, la nature abattit sa faux sur les Habitants des Étoiles : les Constellais. Des boules de feu jaillirent des entrailles du soleil dans un rayonnement aussi dévastateur que splendide. Les Cités Célestes se défendirent comme elles le purent. La magnifique baie vitrée de la Cité De Dieu, qui remplaça le Vatican lors de la Dégénérescence de la Terre, explosa en éclat et la cathédrale Saint-Pierre fut détruite à jamais. La vertigineuse Maison De Dieu, de ses sept cent cinquante-deux mètres de haut, scintillait avec grâce tout près de l’anneau de Saturne. Malgré les prières du Pape et de ses Cardinaux, l’éclatant hommage à la lumière divine agonisa dans l’obscurité de la fatalité. L’Alexandre, le plus grand casino jamais bâti, vécut quelques minutes de plus. Les spots lumineux et agressifs de l’antre dédié au conquérant grec s’assombrirent et laissèrent la place au chaos. La station où les joueurs venaient de tout le système solaire fut percutée par un astéroïde, avant de mourir dans le brasier d’un nouvel enfer. Toute l’infrastructure des bonds spatiaux et les longs canaux de ravitaillement reliant les Cités Célestes devinrent débris. Une seule station survécut à l’Apocalypse : Ante-Millenium. Son armada sophistiquée et la parfaite maîtrise technique de l’Ante Corp. permirent la mise en place d’une défense infranchissable. Dans un tourbillon enragé de drones, de robots et de lasers, Ante-Millenium lutta sans repos contre l’omniprésent ennemi. Toute sa haine n’eut jamais raison du symbole de la modernité. Les astéroïdes éclatèrent sous le bouclier magnétique enrobant avec fermeté la station. Les boules de feu se brisèrent sous les canons de refroidissement. L’Ante Corp. adaptait son joyau au moindre événement, enchaînant dans la plus impeccable fluidité les différentes fonctions de la Cité. Ante-Millenium, unique rescapé d’un incompréhensible destin.
Sur Terre, avant la destruction presque totale de l’Humanité…
Le son brutal et soudain d’une explosion envahit la petite chambre où dormait jusque-là paisiblement le jeune Eddy. Il se réveilla le visage noyé sous la transpiration. Ses bras eurent de violents spasmes nerveux, comme s’ils essayaient instinctivement de protéger le corps d’un enfant pourtant accoutumé à la peur. Dans un élan de panique, Credentes Stelliger, le père d’Eddy, ouvrit la porte.
Eddy, encore fatigué, mit un instant à réagir. Au moment où il posa lentement les pieds sur le froid plancher de bois, il se sentit happé. Credentes le porta d’un pas précipité hors de la pièce. Avec toute la brutalité d’une guerre, des tirs de laser résonnèrent un court instant, puis reprirent pour ne plus cesser. Il se figea et regarda tristement son fils, puis reprit la cadence sous les pleurs désespérés de sa femme qui se trouvait à quelques mètres. Ils pénétrèrent dans le modeste salon. Eddy vit sa mère, Pyrrhonée, tenir par-dessus sa tête la planche renfermant le sous-sol. Son père s’approcha rapidement et, avec une immense délicatesse, déposa Eddy dans les bras anxieux de sa mère. Après un dernier tendre sourire, adressé à sa femme comme à son fils qu’il aimait de la même passion, il se retourna et courut en direction de la rue. Avant que la trappe ne se ferme, Eddy eut juste le temps de voir son père saisir une arme et disparaître dans les méandres de l’Autonomie.
Credentes détestait ces moments où il devait abandonner sa famille pour rallier les rangs de l’Armée de l’Eclatante Irlande, plus connue sous le sigle A.E.I.. Il savait qu’il ne s’agissait pas d’un abandon puisqu’il allait combattre pour les protéger. Il le ressentait malgré tout comme tel. Son cœur devait encore subir la crainte de ne jamais revoir sa famille. Credentes se rassurait en se disant qu’Eddy, du haut de ses 6 ans, n’appréhendait que succinctement le danger de la situation. Il ne pouvait cependant mettre de côté la détresse de sa femme qui ne supportait plus cette interminable guerre opposant toutes les Autonomies du globe : couleur de peau contre couleur de peau, religion contre religion, sexe contre sexe, village contre village. La société humaine s’était divisée en une inimaginable multitude de sous-groupes. Le sigle A.A.E., Armées des Autonomies Étrangères, était devenu le premier mot que les enfants apprenaient à l’école. Lorsqu’à quatre ans et demi, Eddy avait demandé à son professeur la définition d’une A.A.E., son sage maître lui répondit très calmement : « C’est très simple Edward, les A.A.E. englobent toutes les personnes habitant par-delà nos frontières. Rappelle-toi notre dicton : “ Nous contre tous, tous contre tous” ». Edward n’oublia jamais cette phrase, comment l’aurait-il pu ?
Credentes et sa famille faisaient partie de l’Eclatante Irlande, une Autonomie regroupant plus de mille trois cents individus de tout sexe et de tout âge. L’Eclatante Irlande n’était qu’une des vingt mille quatre-vingt-sept Autonomies dénombrées sur le sol irlandais et non des plus puissantes. Credentes avait le grade de Flamboyant, ce qui lui valait le respect de ses frères d’armes. Seuls six combattants possédaient ce grade et une seule personne les dominait dans la hiérarchie : l’Éclatant Commandant, le chef de l’armée et le dirigeant politique. Personne n’était pour autant dupe de ces grades ridicules. Les Autonomies ne possédaient pour la plupart aucune organisation structurée, ni dans les armées ni dans la gestion de la vie quotidienne. Credentes en avait particulièrement conscience. Une bombe explosait, il saisissait son laser dépassé de deux cents ans et fonçait sur le champ de bataille. Il savait très bien qu’il ne devait son grade qu’à son imposante et rassurante corpulence, ainsi qu’à son visage aux traits ciselés. En période de guerre et en l’absence d’une véritable éducation, la puissance physique déterminait la valeur et le statut social des Hommes.
Une fois dehors, Credentes vérifia que la jauge d’énergie de son fusil laser était pleine. La petite aiguille s’agitait de gauche à droite dans un tremblement presque humain, ce qui rendit la lecture impossible. Peu importait, il avait appris à ne pas se fier à ces vieux modèles de laser qui, sans mécanicien compétent au sein de l’Autonomie, s’enlisaient peu à peu dans les marasmes du temps. Relevant son regard vers le lieu de l’explosion, il contempla au loin les immenses usines laissées à l’abandon dans les Zones dites Neutres. La Guerre des Autonomies mobilisait l’âme et le cœur des Hommes depuis si longtemps que le progrès technique ne représentait plus qu’un vague et lointain souvenir. La technologie s’était figée vers la fin du 24e siècle et n’avait de cesse de reculer. Aucun habitant de la Terre ne savait comment fonctionnaient ces usines dont les cheminées colossales semblaient chatouiller le ciel.
Credentes regardait ces reliques du passé avec tristesse. Il se considérait comme un humain régressif. Il était le seul à utiliser ce terme, terme qui déplaisait fortement à Pyrrhonée. Il ne trouvait aucune autre expression témoignant aussi bien de son sentiment. Un combattant de grade inférieur tira Credentes de sa rêverie.
« Canarder tant que tu peux et crever », pensa-t-il. Le bleu était un jeune homme taillé trop fin pour espérer devenir un jour officier. Son uniforme vert foncé avait été ajusté avec le plus grand soin. Quant aux écussons représentant le Trèfle à Quatre Feuilles vert clair sur fond bleu ciel, cousus sur l’épaule gauche et sur le cœur, ils brillaient de mille lasers. À ses yeux noirs presque fermés, Credentes sut qu’il mourrait d’envie d’aller au combat. « Pauvre idiot », ajouta-t-il à ses pensées.
À la dernière question, Credentes ne regardait plus le jeune soldat. Il cherchait des réponses à des questions qu’ils se posaient depuis bien longtemps.
« Jargon de soldat ! Quelles valeurs ? Quel peuple ? Et la famille… effrayée et traumatisée ». Il avait dû exister une période où l’Eclatante Irlande rassemblait des personnes animées par la même vision et les mêmes valeurs. Aujourd’hui, tous ignoraient la raison même de la Guerre des Autonomies. Deux maximes s’imposaient à la conscience générale, l’Extérieur est dangereux, l’Autre est un ennemi. Le bleu hocha soudainement la tête.
« Si jeune… ». Credentes reprit quelque peu ses esprits et remercia le ciel que ce soldat ne soit pas plus intelligent. Ce qu’il prit pour un test aurait aisément pu passer pour de la haute trahison. Son aigreur dépassa sa raison. Il se jura de ne plus se laisser aller à ce genre de divagation devant ses soi-disant frères d’armes.
Le novice obéit dans la seconde. Ils partirent aux pas de course vers le front où les combats se poursuivaient.
Équipé de son kevlar et de son fusil laser, Credentes se dirigea vers le front, suivi de près par la jeune recrue dont il avait, entre temps, appris qu’il s’appelait Jack Novel. Ils longèrent Sandman Street, l’artère principale de l’Eclatante Irlande. La rue était déserte. « Personne pour nous encourager », songea rageusement Credentes. De très nombreux soldats n’allaient même plus se battre. Ils se cachaient dans les sous-sols. Des lâches, se disait-il. Pour l’instant, la Guerre primait. « Une bataille de plus, encore une de plus, toujours une de plus jusqu’à… ? Jusqu’à quoi ? ».
Le combat avait déjà commencé depuis un certain temps. Jack Novel ne comprenait pas l’attitude désinvolte de son supérieur. Il commença à se demander le sens des questions que Credentes lui avait posé cinq minutes plus tôt. Il ferma aussitôt son esprit à toute critique. Ce n’était pas le moment. Cela ne le serait d’ailleurs jamais. Un puissant tir de laser jaillit soudain au loin et finit sa course sur la maison de pierres se trouvant juste derrière Jack. La maison s’écroula sous l’impact. Credentes saisit Jack et sauta au pied de la barrière en verre anti-laser qui dessinait la frontière. Les quinze soldats firent de même. Ils toussèrent sous les assauts répétés de la poussière. Les tirs cessèrent, un silence terrifiant s’en suivit. Au bout d’un instant, Credentes prit la parole avec fermeté. Le guerrier se réveillait en lui.
« Faites que je me trompe ». Après le départ de ceux qui venaient de prendre le statut d’éclaireurs, Credentes poursuivit.
Les soldats se regardèrent les uns les autres. Ces grenades n’avaient jusque-là jamais servi. Elles étaient bien trop dures à trouver, les secrets de leur fabrication ayant disparu en même temps que leurs inventeurs. Tout juste savait-on que les dégâts qu’elles provoquaient promettaient d’être redoutables.
« Faites que je me trompe ». Au bout de quelques minutes durant lesquels aucun tir ne fut tiré, le Téléco de Credentes se mit à crépiter.
« Mon Dieu!» À cette nouvelle, les treize soldats fixèrent Credentes avec angoisse. Les Destroyers représentaient le fleuron des armées humaines du 24e siècle, juste avant la scission de l’Humanité en deux groupes. D’un côté, les habitants des étoiles, les Constellais, qui avaient laissé la Terre à ses divisions. De l’autre, les terriens qui avaient gardé un monde appauvri et en guerre. D’un côté les riches et la technologie, de l’autre les pauvres et la peine. Toutes les machines de guerre, Vaisseaux et Destroyer, avaient été confisquées par les Constellais. Un Destroyer n’avait donc pas sa place sur ce champ de bataille. Ce bipode de métal aux pattes imposantes disposait sur sa face avant d’un canon laser d’une capacité destructrice unique sur Terre. Aucun métal connu ne pouvait lui résister. Le modèle possédé par l’A.Q.F. avait beau être seulement de classe 3, sur les 7 existant à l’époque de la scission de l’Humanité, les lasers de l’A.E.I. se trouvaient bien impuissants.
L’unique réponse fut le brouhaha d’une technologie agonisante. Credentes jeta au sol son Téléco et l’écrasa d’un puissant coup de pied. Jack, croyant bien faire, lui tendit le sien. Son Téléco connut le même destin.
Credentes salua de la tête. Ces hurlements étaient cette fois-ci les bienvenus. Jack Novel sourit.
Credentes Stelliger regroupa les treize grenades à particules ioniques dans son sac à dos qu’il tenait de la main droite. Il se plaça dos à la barrière anti-laser. Au contact de celle-ci, il comprit immédiatement qu’elle serait bien incapable de freiner les tirs du Destroyer. Il inspira profondément tout en tapotant sa tête contre la barrière. Le regard fixé sur la maison en ruine, il lança le signal.
D’un bond, Credentes se trouva de l’autre côté. Un frisson glacial parcourut sa colonne vertébrale. Il était à l’Extérieur, face à l’Autre. Pour la première fois, ses chaussures s’enfoncèrent dans la fine couche de terre des plaines désertiques des Zones Neutres.
Les soldats exécutèrent à la perfection l’ordre de leur supérieur. Après s’être relevés, ils tirèrent avec une telle rage que Credentes, lui-même, fut impressionné par tant de fougue. Les lasers jaillirent les uns à la suite des autres. Les membres de l’Armée des Quatre Feuilles se regroupèrent aussitôt derrière le bouclier énergétique du Destroyer. « Cela devrait suffire à retarder le chargement du canon laser », pensa Credentes qui courut aussi rapidement qu’il le put. Certains lasers effleurèrent sa tête et ses épaules. Loin de l’effrayer, cela le motiva encore plus. L’Autre se trouvait à deux cents mètres, visiblement effaré par le déferlement infernal de laser s’abattant sur le bouclier. Une chose lui échappait. L’Armée de l’Eclatante Irlande ne respectait pas les règles de base de la Guerre des Autonomies. Elle semblait gaspiller inutilement ses batteries. Où voulait-il en venir ?
Bien caché derrière le Destroyer et son bouclier, l’A.Q.F. ne s’aperçut pas de l’avancée d’un officier portant son sac à dos d’une main. Credentes n’était plus qu’à trente mètres de l’énorme machine de guerre.
« Mais comment diable ont-ils eu accès à une telle technologie ? » Credentes se trouvait maintenant à une quinzaine de mètres des pieds du Destroyer. Il admira brièvement cette machine à l’allure de petit homme trapu, un petit homme de plus de huit mètres de haut et de près de cinq de large. Son étonnement se dirigea vers l’absence totale de raffinement du Destroyer dont la coque de métal n’avait fait l’objet de presque aucun travail, pas même de peinture. Sur son flanc droit, Credentes distingua une gravure, un triangle avec à l’intérieur la tête d’un homme et celle d’un robot dos à dos, chacun de profil, sur un fond étoilé. Le vieux soldat ignorait la signification de cette gravure, ainsi que son origine. L’A.Q.F. n’avait pas posé sa marque, le Trèfle Aux Quatre Feuilles Dorées. « D’où vient ce Destroyer ? Les grenades à particules ioniques paraissent bien dérisoires face à ce monstre d’une autre époque ».
Credentes saisit de sa main gauche sa grenade restée, impatiente, attachée à sa ceinture. Il ouvrit le clapet renfermant le bouton d’activation de son pouce et activa la grenade qu’il fixa sur son sac à dos. « Plus que quinze secondes avant d’être réduit en atomes ». Au moment où il leva son bras droit afin d’assurer un jet assez puissant pour atteindre le Destroyer, un soldat de l’A.Q.F. le repéra. Le jeune homme, à pleine plus vieux que Jack Novel et au physique athlétique, jaillit soudain de derrière le Destroyer, un pistolet laser à chaque main et le désespoir dans le regard. Le temps se figea pour Credentes. Il eut été impossible de déterminer lequel des deux avait le plus peur. Le gamin de l’A.Q.F. pressa la détente du premier pistolet. La balle siffla le long du bouclier protecteur du Destroyer et frôla le sac à dos rempli de grenade du vétéran de l’A.E.I.. « C’est la fin ! Je suis navré Pyrrhonée. Je suis navré Eddy. Nous ne tarderons pas à nous retrouver dans l’Autre monde ». Une seconde balle gicla de l’autre pistolet. Ce tir, plus inspiré, finit sa course sur l’épaule gauche de Credentes. Une joie éphémère, mais au combien inespérée, remplit son cœur. Malgré la douleur de la peau carbonisée, il parvint à achever son mouvement. Il lança de ses forces amoindries le dernier espoir de l’Eclatante Irlande, un simple sac à dos renfermant des grenades à particules ioniques jamais expérimentées.
Le sac s’envola sous le rythme du compte à rebours de la grenade et sous les tirs de laser de l’A.E.I.. Un de ces tirs réduit en cendre le valeureux soldat de l’A.Q.F.. Le Flamboyant courut aussi vite qu’il le put vers sa si rassurante Autonomie. « Il y a encore une chance… Pyrrhonée, Eddy ! » Sa perception des choses se troubla progressivement tandis que, dans son dos, le cliquetis final de sa grenade résonna. Un cliquetis suivi d’un lourd bruit de machine. « Non… ce n’est pas possible… les batteries sont rechargées ! Vite, explose foutue grenade, vite ! » La dernière parole du Destroyer s’abattit sur la barrière anti-laser, qui ne porta jamais aussi mal son nom que ce jour. La grenade explosa enfin, entraînant l’explosion de ses treize jumelles. La patte droite du Destroyer décolla du sol sous la violence des hurlements ioniques. Le colosse bascula en arrière et écrasa plusieurs soldats. L’unique survivant s’enfuit aussitôt dans la direction opposée à l’Autonomie.
Credentes s’écroula de fatigue. Allongé sur le désert des Zones Neutres, le sable le cernait de tous les côtés. Au bout de plusieurs minutes, il parvint péniblement à se relever et contempla ce qu’il n’osait imaginer. Le terrifiant laser du Destroyer ne visait pas la barrière en elle-même, mais le groupe de soldats se trouvant derrière. La brutalité de l’impact ne laissait guère de place au doute. Personne ne pouvait survivre à cette supériorité technologique. Credentes voulut pourtant y croire.
La détresse effaça un court instant sa douleur. La barrière était pulvérisée sur une dizaine de mètres, remplacée par un cratère de sang. Treize corps déchiquetés, treize jeunes vies anéanties. Un vieux soldat blessé debout, l’unique survivant. Ses genoux cédèrent sous le poids de la souffrance qui se rappela à sa conscience.
Les trois soldats envoyés en éclaireur s’effondrèrent en larme devant les cadavres calcinés de leurs compagnons. Leur peine fut d’autant plus forte qu’ils comprirent que, sans l’ordre de Credentes d’aller aux renseignements, ce serait leurs corps qui s’enfonceraient paisiblement dans la boue. À quelques minutes d’écart, un ordre avait sauvé trois vies et un autre en avait condamné treize.
Credentes laissa les jeunes soldats, vivants et morts, entre eux. Il rentra chez lui. Il s’assit sur le vieux canapé du salon et soupira violemment. Le moment arrivait où il allait tapoter trois fois, puis une fois, sur la trappe du sous-sol. Pyrrhonée et Eddy allaient se jeter dans ses bras épuisés et la terreur s’estomperait pour le moment, un bref moment. Un nouveau cycle d’angoisse prendrait ensuite son envol. « Pas encore… je n’en peux plus ». Il sut que la trappe ne s’ouvrirait qu’à l’issue d’un choix. Tout en restant assis, il saisit son laser et plaqua le bout du canon sur son front. « Que faire ? Mon Dieu, que faire ? Je ne suis plus capable de défendre ma famille. Je ne peux pour autant me résoudre à devenir un lâche, un planqué se cachant dans les sous-sols. J’ai tant besoin de repos. J’ai trop de fois frôlé la mort pour pouvoir lui échapper cette fois-ci ». Le vieux soldat donna de légers coups de tête sur le canon du laser, puis reprit ses réflexions morbides. « Eddy, je m’en veux de t’avoir offert cette vie. Nous n’avons pu te faire que deux promesses : vivre dans le tourment et mourir dans la peine. Je m’en veux tellement, tellement, tellement, tellement… » Des larmes coulèrent le long des joues de Credentes.
Un puissant vent se leva soudain. Les fenêtres de la petite pièce claquèrent si violemment que le verre se fissura par endroit. Les nombreux papiers disposés de manière anarchique sur le bureau de bois volèrent dans tous les sens. Credentes souffla dans un murmure « Même les éléments saluent mon départ. Il est temps. Je suis navré, infiniment navré de n’avoir trouvé aucune autre issue ». Ses doigts se resserrèrent lentement sur la détente du laser. Au moment où ses yeux allaient se fermer pour ne plus jamais s’ouvrir, un papier se glissa entre l’arme et son ventre. Sans qu’il ne se l’explique vraiment, Credentes retira ses doigts de la détente et libéra sa main droite qui déroula le papier sur le canapé : un dessin d’Eddy représentant un ciel étoilé et de multiples stations orbitales, les Cités Célestes comme les Constellais les appelaient. Une petite phrase, écrite avec un stylo de couleur vert, disait : « Un jour… ». Credentes pleura à nouveau, beaucoup plus fortement cette fois-ci. Il lâcha le laser qui s’écroula de tout son poids sur le plancher. Ses yeux ne purent s’arrêter de fixer ce dessin d’enfant, ce geste inespéré de la vie. Un nouvel espoir au cœur, Credentes frappa trois fois, puis une fois, sur la trappe et serra sa famille avec une vigueur inconnue jusqu’à maintenant.
***
Eddy avait les sous-sols de l’Eclatante Irlande en horreur. Ce lieu était à jamais lié au départ de son père et aux pleurs de sa mère. Il haïssait ces murs en béton renforcé, ces meubles rudimentaires et, par-dessus tout, cette trappe qui le séparait de la réalité et lui faisait imaginer des scènes insupportables dans lesquelles son papa luttait contre des démons et souffrait mille supplices.
Credentes installa tendrement sa femme sur une chaise. Il la connaissait trop bien pour ignorer qu’elle allait être sa réaction.
Restée attentive et compréhensive jusqu’à ces derniers mots, Pyrrhonée sentit l’ensemble de ses muscles se crisper. Elle avait conscience que les sous-sols, tous reliés les uns aux autres, ne pourraient les protéger efficacement si l’Autre venait à gagner et elle comprenait mieux que quiconque la lassitude de son mari. La dernière phrase de Credentes, quant à elle, demeurait un vrai mystère.
Pyrrhonée ne mentait pas. L’Eclatante Irlande, comme l’immense majorité des Autonomies, sanctionnait avec la plus grande sévérité les déserteurs : la mort pour le soldat et sa femme, le bûcher pour leurs enfants. La désertion était, de fait, un sport très peu pratiqué. Les soldats préféraient se suicider plutôt que d’entraîner leurs familles dans leur chute. Credentes avait bien failli faire ce choix.
Le ton brutal des paroles de Credentes s’était progressivement accentué. Il avait entrevu une autre vie et rien ne pourrait l’en dévier. Eddy regardait ses parents sans bien comprendre le sujet de la discussion. Il ne savait pas que l’accès aux Étoiles était verrouillé. Seul le rêve pouvait ouvrir le portail du Ciel.
Pyrrhonée glissa de sa chaise et s’effondra en sanglots. Elle plaça ses deux mains devant ses yeux, se refusant d’accepter l’inévitable départ. Quelque chose en elle venait pourtant d’évoluer radicalement. Elle s’ouvrait à l’idée de quitter la Terre. Credentes le comprit et réconforta sa femme qui se résignait chaque minute davantage.
Eddy souriait effectivement. Ce témoignage de gaieté n’était guère fréquent sur son visage d’enfant. Ses parents le fixèrent affectueusement. Son sourire laissa soudain place à une moue inquiète.
Les pensées de Credentes s’étaient attelées à trouver un plan pour atteindre les Étoiles et s’étaient par la même focalisées sur le positif, oubliant les limites physiques d’Eddy. Pyrrhonée songea « Oh mon trésor, tant d’espoirs qui s’effondre en un battement de paupière. Credentes, tu aurais dû y penser ».
Eddy souleva la trappe du sous-sol et remonta jouer dans sa chambre. Credentes en profita. Il devait parler sérieusement à sa femme. Quitter le sol nauséabond de la Terre sans argent et avec un enfant malade n’était guère concevable. Autant jouer à la roulette russe, c’était moins risqué, infiniment moins risqué.
Credentes prit le temps de la réflexion et intégra ce nouvel élément dans son raisonnement. Edward souffrait d’une maladie assez récente. Son organisme sécrétait une bactérie qui venait fragiliser l’ensemble de ses muscles. Sans traitement adéquat, ses muscles pouvaient lâcher à tout moment, saisis par une insurmontable fatigue. Fort heureusement, un remède existait. Lors de la naissance d’Eddy, aucun échantillon de ce remède ne se trouvait au sein de l’Eclatante Irlande. Credentes avait usé de son autorité pour mener une attaque contre une Autonomie voisine, la Sainte Irlande. Il en avait gardé secrète la véritable raison : atteindre le laboratoire et récupérer le précieux antidote en grande quantité. L’opération avait été un succès. Aucun mort ne fut compté dans les rangs de l’A.E.I. Credentes y veilla. Il n’aurait pu supporter de remplacer la vie de son fils contre celle d’un de ses soldats. Les morts avaient été, à l’inverse, nombreux du côté de l’A.S.I.. Credentes n’y avait pas prêté la moindre attention. L’Autre n’avait pas d’importance.
Pyrrhonée retourna s’asseoir sur sa chaise tout en poussant un profond soupir.
Credentes se leva subitement et tourna le dos à Pyrrhonée.
Soulagé et ému, Credentes Stelliger attrapa une chaise qu’il plaça à côté de Pyrrhonée et s’assit. Sur l’instant, il ne prêta guère attention à la portée des propos de sa femme. Elle était d’accord pour fuir. Le reste ne comptait pas. Credentes pensa « Enfin, elle a foi en l’avenir ! » Il se trompait lourdement. Elle avait foi en son amour pour lui, non en l’avenir. Aux tréfonds de son être, le scepticisme refaisait surface, moins perceptible, mais toujours aussi vivace.
Credentes reprit :
***
Le lendemain matin, Pyrrhonée se réveilla de bonne heure et s’aperçut que Credentes n’était plus là. « Où est-il ? » songea-t-elle. Elle passa sa main sur le côté du lit où son mari dormait d’ordinaire. La peur agrippa son être. « Où est-il ? » répéta-t-elle à haute voix cette fois-ci. Instinctivement, elle sortit de sa chambre et se précipita le cœur serré vers le salon. Son regard se posa timidement sur l’armoire. Elle ouvrit du bout des doigts les battants qui renfermaient d’habitude le fusil laser de Credentes. « Mon Dieu ! » s’écria-t-elle. L’arme de guerre était là, se reposant dans l’attente d’une nouvelle attaque des A.E.E..
Pyrrhonée s’était trop de fois levée seule pour ne pas savoir ce que cela signifiait. Pour la première fois, sa peur n’était pas fondée. La vie de Credentes n’était pas en danger. Il n’avait pas été appelé au front. « Peut-être dit-il vrai… les choses sont en train de changer. Trois jours ! Nous n’avons jamais connu une telle période de paix. Et ce laser, tranquillement rangé dans l’armoire. L’habitude m’a conduit à penser que Credentes ne pouvait être qu’en plein milieu d’un énième combat… Pas cette fois-ci ! L’habitude m’a égaré… »
Des petits bruits de laser résonnèrent dans la chambre d’Eddy. Pyrrhonée écouta attentivement. « Piou piou … BOOM », entendit-elle. Elle s’approcha de la porte de la chambre. « Vaisseaux des Étoiles à Edward Stelliger. Nous vous accueillons avec honneur dans notre Cité ». « Eddy! » pensa-t-elle tendrement. Tout en inspirant profondément, elle ouvrit la porte. Eddy était en train de s’amuser. L’intégralité de ses jouets avait été réquisitionnée pour l’occasion.
Il mit un instant avant de découvrir que sa mère le regardait, un sourire aux lèvres. Il s’arrêta de jouer et lui rendit son sourire.
Pyrrhonée ignorait que son fils possédait une telle imagination. Elle le voyait si souvent tourmenté et inquiet. Un mot qui jusque-là n’avait aucun sens s’imposa. Heureux, Eddy avait l’air heureux. Un détail l’intrigua lorsqu’elle examina plus précisément la voiture qui avait joué le rôle du vaisseau dans cette formidable anticipation de l’avenir.
Le visage d’Eddy se figea soudainement. Heureux n’était plus le mot qui convenait. Il caressa, l’air peiné, ce petit tissu noir. Pyrrhonée ne comprenait pas la réaction de son fils. Sentant que le chagrin s’était immiscé à nouveau dans son cœur, elle s’assit à côté de lui et murmura :
Cette question n’avait pas lieu d’être devant le spectacle qu’offrait la chambre d’Eddy, transformée en Monde des Étoiles. Pyrrhonée n’en avait pas conscience, elle désirait plus que tout que son fils lui dise « Je ne veux plus partir. Restons ici ! ». Ce ne fut pas sa réponse.
Les mots de Pyrrhonée dépassaient de loin ses pensées. Elle croyait en son mari, mais pas de là à être convaincue que quitter la Terre ne poserait aucun problème.