Anthropie - Marie Bauwens - E-Book

Anthropie E-Book

Marie Bauwens

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Beschreibung

Entre notre dimension, le surréalisme, l’étrange, la fantasy, les animaux et les objets qui parlent ainsi que la science-fiction, ce recueil de nouvelles nous promène dans des univers différents qui semblent disparates au premier abord. Peut-on envisager l’existence simultanée de ces mondes sans que la plupart d’entre nous en aient conscience ? La réponse se trouve au bout de cette aventure pluridimensionnelle.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Comme une thérapie, l’écriture a permis à Marie Bauwens de délier son poignet de gauchère contrariée et de lever un gros handicap : la peur des mots. Après la publication de son premier livre en 2019, le plaisir d’écrire et de partager ses idées ne la quitte plus.

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Seitenzahl: 107

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Marie Bauwens

Anthropie

Nouvelles

© Lys Bleu Édition – Marie Bauwens

ISBN : 979-10-377-7009-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Lilla

Yann s’est levé tôt. Après un petit-déjeuner sur la terrasse fleurie surplombant la ville, en costume d’alpaga crème, longue veste, pantalon à pinces et mocassins noirs, dandy échappé d’un roman d’Arthur Miller, chapeau négligemment posé sur la tête, Yann déambule dans les rues de la ville.

Il se rend à un étrange rendez-vous fixé la veille par un homme rencontré dans un bar. Qui a abordé l’autre ? Il ne le sait plus mais la conversation qui a suivi a aiguisé sa curiosité.

Il marche depuis deux heures, Essaouira, son port et ses remparts, derrière lui. Il pénètre dans une forêt par le chemin que l’inconnu lui a indiqué et se dirige vers le lieu de rendez-vous fixé dans une clairière.

⸺ Vous quitterez le sentier au bout d’un kilomètre, après le vieux tilleul dont le tronc est fendu en son milieu, vous marcherez droit vers le soleil levant pendant dix minutes, puis vous prendrez à gauche et vous vous dirigerez vers le chant du roitelet huppé. N’oubliez pas votre machette, celle qui vous a été offerte lors de votre voyage en Rhodésie. Quand vous serez devant le mur d’aubépine, il faudra vous tailler un chemin.

La chaleur humide perce ses vêtements. Le chemin s’étire devant lui, la marche paraît interminable, la forêt est peuplée de bruits étranges.

Un cri lui glace le sang, il s’immobilise. Après de longues secondes, Yann se retourne, ses yeux s’écarquillent. La forêt a disparu, le soleil est aveuglant, le sable rouge sang. Il est projeté dans « Arizona Dream », un dauphin blanc vole vers lui, ondulant nonchalamment dans les vagues de ce mirage brûlant. La musique de Goran Brégovic emplit l’air saturé d’humidité.

Surtout quoiqu’il arrive, quoique vous entendiez, regardez toujours devant vous, vous verriez des choses auxquelles vous n’êtes pas préparé.

Yann ferme les yeux, se retourne en direction de sa quête, les ouvre sur la forêt dense. Il reprend le chemin, la faim et la soif le tenaillent. Enfin, il aperçoit le vieux tilleul. Le pied de l’hémi-tronc droit est envahi de mûriers portant des fruits charnus, gorgés de jus sucré. Que lui a dit l’inconnu à ce sujet ? Qu’importe, la soif l’emporte. Il en cueille de pleines poignées, emplissant ses poches, mangeant sur place. Plus il mange, plus il y a de fruits, moins il a de volonté, moins il peut résister à cette manne, à ce festin inattendu. Il est vautré sur le sol, le veston à ses pieds, la chemise blanche tachée, le ventre tendu.

Il est bien, il a l’impression de flotter. Une lente mélopée s’élève, rythme lancinant. Son corps tout entier tend vers l’appel mélodieux. Oubliée la quête, le lieu de rendez-vous proche et inaccessible. Il a perdu tout contrôle, il agit en fonction de l’appel de la musique envoûtante, il se traîne, sale, à un univers du jeune homme fringant de ce matin, incapable de partir, retenu par un lien invisible.

Un cri, comme celui de tout à l’heure. Dans les brumes de son esprit, il aperçoit un homme hirsute, gesticulant, dansant nu, le regard de celui qui a traversé l’horreur. Il fredonne un chant aux mots inconnus. Yann est pétrifié. Il ferme les yeux, inspire profondément, l’apparition s’éloigne, s’efface, il garde un léger bourdonnement dans la tête. Le calme revient, il a la nausée au bord des lèvres, le corps secoué de spasmes, recroquevillé. Il fait sombre, quelques bougies éclairent l’ombre. Relents musqués, plongé dans une brume de fumée de kif, percussions, sons métalliques de crotales, rythmes du guembri, Yann ouvre enfin les yeux, la tête tourne. Il a froid, malgré la chaleur humide qui règne dans cette pièce sans fenêtres.

Ses yeux se referment, il n’a pas le désir de quitter ce lieu, il veut retrouver la forêt humide, les fruits juteux, retrouver le film ou en regarder un autre. C’est interdit ? Qu’importe, c’est là qu’il veut être. Inspirant une bonne goulée de fumée de kif, il fait marche arrière et se retrouve près de la manne, celle qui quand on y touche, vous tient prisonnier à jamais.

Cabane en forêt

Ce matin est une banale matinée d’hiver. Une fine couche de neige recouvre le sol gelé. L’air est frais et sec. J’avais programmé hier cette balade en forêt. Dès le début de la promenade, elle tire sur sa laisse, renifle partout, zigzagant d’un côté à l’autre, passant devant et derrière moi, risquant à chaque pas de me faire tomber.

Dès que nous sommes assez éloignées des sentiers battus, je détache sa laisse. Elle se met à courir droit devant, revient vers moi, la gueule ouverte en un sourire dû à la forme de son museau. Toujours ce besoin de se défouler.

Sa course ralentit, elle prend un peu d’avance, revient sur ses pas. Elle se retourne, pour m’encourager à presser le mien. Nous marchons avec plaisir les pieds dans les feuilles, les faisant crisser à chaque pas.

Je ne suis jamais venue dans cette partie du bois, ma veste s’est accrochée dans les ronces, elle est déchirée. Nous marchons depuis plus de deux heures, je commence à me sentir mal à l’aise dans cette forêt épaisse. J’ai envie de faire demi-tour, Lola continue son chemin, indifférente.

À travers la cime des arbres, je vois le ciel s’assombrir, se charger de nuages de neige, Lola n’en a cure, elle continue sa balade les sens en éveil, dressant l’oreille au moindre bruit.

Nous avons débouché dans une clairière. Son excitation est palpable, elle se dirige vers une cabane en ruine, fenêtres cassées, rideaux en tissu vichy déchirés, la porte défoncée. L’endroit est glauque, j’en ai des frissons. J’ai cru voir une ombre à l’intérieur. J’appelle ma compagne à poil, lui conseille la prudence, lui ordonne de venir à mes côtés. Elle n’écoute pas. Elle fonce ventre à terre, ralentit et parcourt les alentours le nez au sol, zigzagant, évitant les obstacles sans les voir.

Son instinct a repris le dessus, elle est devenue incontrôlable. Plus rien ne compte pour elle que le carré de terre recouvert de feuilles, sur lequel elle se roule. Je m’approche, prête à faire preuve d’autorité. Un fumet hostile, odeur de charogne, relent de la chair pourrissante d’un petit mammifère, mort depuis un moment déjà, m’agresse les narines.

Je la rejoins, respirant par la bouche, tentant en vain d’éviter l’odeur pestilentielle de la chair en décomposition, dans laquelle ma chère Lola s’est roulée avec délectation. Elle est imprégnée jusqu’à la peau, elle entraîne dans son sillage l’odeur de la chair morte. Je veux la prendre dans mes bras, je recule, dégoûtée, des asticots grouillent dans ses poils. Je lui remets sa laisse en évitant de la toucher et nous retournons vers la voiture.

Elle semble calmée, j’aperçois quelques vers sur le sol, ils se laissent tomber, comme si leur hôte ne leur convenait pas. Arrivées au véhicule, même si l’odeur persiste, elle semble propre. Je l’emmitoufle dans le plaid en mohair sur lequel elle adore se coucher, sur le siège arrière de ma vieille guimbarde. Elle se couche et ferme les yeux presque instantanément, ça ne lui ressemble guère. Je prends ma place au volant après avoir ouvert toutes les vitres, malgré le froid piquant de février.

Je démarre la voiture et me mets en route. Malgré le manteau, les gants et le bonnet de laine, je tremble de froid, j’ai le nez rouge et les yeux qui piquent. Je regarde dans le rétroviseur pour savoir si ma petite amie tient le coup. Elle est toujours couchée, je l’appelle, lui parle, c’est alors qu’elle soulève une paupière rongée et nécrosée, et que j’aperçois un œil rouge vif qui me fixe intensément.

Emilie

Le bâtiment de pierres calcaire se découpe du reste de la ville en briques rouges. Quelques personnes traversent en courant l’esplanade encore vide à cette heure. Le soleil se montre lentement, illuminant d’une aura dorée le sommet de ce bâtiment inspiré de « la tour de Babel » de Brueghel.

Éternelle recherche d’équilibre, un centre de gravité improbable, dernière œuvre d’un architecte avant-gardiste.

Quand on s’approche du lieu, sa majesté nous étreint. Ensuite, sa blancheur s’efface lentement. Vue de près, la pierre est sale et rongée par la pollution. La magie des reflets dorés s’évanouit.

Cadres et employés arrivent seuls ou par petits groupes. En main, gobelets de café, sacs de croissants ou de chouquettes à partager.

Certains lèvent la tête, réflexe dès que l’on se trouve devant cette merveille dont l’enveloppe a mal vieilli.

Des fenêtres longues et étroites, inclinées pour suivre le mouvement du soleil et capter une lumière douce ajoutent à l’étrange architecture. Tout là-haut la coupole en verre est placée de telle sorte qu’elle ne capte jamais le soleil de midi.

La porte s’ouvre, les pas du personnel résonnent sur le sol en pierre blonde. Petit à petit, chacun rejoint son poste. Des voix, la soufflerie de l’air conditionné, le poste de contrôle de l’équipe de sécurité, chacun sait ce qu’il doit faire avant l’accueil des visiteurs. Le grondement de la machinerie qui mène au saint des saints, antre de la beauté, comme le centre d’un cœur pur qui bat très fort, dans le calme de ce début de journée.

Démarrage en douceur de cet objet merveilleux qui s’amarre au premier niveau, impressionnante cage de verre qui dévoile une vue panoramique, longe depuis sa création le mur extérieur. Ascenseur que l’on bichonne, qui ne se dérègle jamais, mécanique de précision.

Emilie comme chaque semaine a traversé l’esplanade. Comme chaque semaine, elle se trouve devant la porte en même temps que le personnel. Comme chaque semaine, elle rêve d’entrer, de se faufiler au milieu de ces gens, de pénétrer avec eux dans ce lieu magique, de prendre place devant l’ascenseur, seule, avant l’ouverture des portes, avant l’arrivée du public.

Mais, Emilie, dos bien droit et pieds trépignants malgré elle, sait que cela n’arrivera pas, qu’elle devra toujours attendre l’ouverture officielle. Pourtant du haut de son mètre cinquante et de ses quatre-vingts ans, ce rêve ne la quitte pas.

Cette petite femme à l’autorité délicate, qui a vécu tant d’aventures, qui a souvent décidé pour elle et pour les autres, qui a presque toujours atteint les buts fixés, sait que celui-ci lui sera refusé.

Depuis les années qu’elle arpente cette spirale irrégulière aussi désarmante pour les pieds que les marches de la tour de Pise, elle a appris à connaître et à aimer l’art moderne.

Quelques personnes l’ont rejointe devant l’entrée. Les portiers ont installé le labyrinthe de pieds et de cordons pour canaliser la grande foule qui viendra plus tard. Les portes s’ouvrent au public. Elle joue des coudes pour passer la première, montre son abonnement annuel sans s’arrêter et file de son pas le plus rapide vers la cage de verre au premier étage. Elle salue comme chaque semaine, Jean, chef de la sécurité et son voisin de palier depuis dix ans. Marie, la guide, qu’elle a suivie quelques fois, l’inondant de questions. Puis Abdour, un des gardiens, qui lui sourit chaque matin en guise de bonjour. Les autres, depuis des années, ignorent cette personne qui les regarde chaque semaine travailler, indifférents à la beauté de ce lieu magique.

Le concepteur a voulu que la visite commence par le haut du bâtiment et que les visiteurs descendent dans le calme et sans fatigue, prenant le temps d’admirer les œuvres exposées sur les parois légèrement courbées. Des bancs, disposés à des endroits stratégiques, permettent repos et contemplation.

Première comme chaque fois devant les portes vitrées, Emilie marche vite pour arriver seule, regardant le sol. Distraction guidée par l’habitude. Elle s’assomme contre les portes fermées et tombe, assise sur le sol, une légère entaille laisse échapper un filet de sang sur son front. Étourdie, elle demande où elle se trouve, entourée par quelques visiteurs arrivés à l’ascenseur et du personnel appelé à l’aide.

Jean a rejoint les lieux :

— Emilie, que s’est-il passé ?

⸺ Portes… fermées… Elle reprend un peu ses esprits, mais son cerveau danse la salsa et son œil gauche perçoit une coulée rouge.
⸺ Nous allons appeler le SAMU et vous conduire à l’hôpital. Avec un choc pareil, vous risquez la commotion.
⸺