Anti-mémoires d’un maire - Dominique BLANC - E-Book

Anti-mémoires d’un maire E-Book

Dominique BLANC

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Beschreibung

Anti-mémoires d’un maire est une réflexion décalée sur la fragilité du pouvoir et le sens de l’engagement public qui éveille une nostalgie des temps heureux où tout semblait moins difficile.

En effet, cet ouvrage met en scène le maire de Gratteville-sur-mer, station balnéaire et port de pêche breton. Cet élu du peuple disparaît alors qu’il est en bute à l’hostilité de son conseil municipal. Seulement, cette disparition est perçue comme une mise en scène. Et pourtant…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Maire d’un port de pêche et station balnéaire en Bretagne nord de 2008 à 2014, Dominique Blanc a publié chez l’Harmattan Les personnages célèbres des Côtes-d’Armor, en co-écriture avec son fils ainé, et aux éditions franciscaines, Entre hier et demain. Il récidive à présent avec Anti-mémoires d’un maire, ouvrage dans lequel il traite de la vocation d’un maire.

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Seitenzahl: 131

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Dominique Blanc

Anti-mémoires d’un maire

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dominique Blanc

ISBN : 979-10-377-7166-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

En mars 2001, un patron pêcheur né et travaillant à Gratteville-sur-mer se présente comme tête de liste aux élections municipales après deux mandats de conseiller et d’adjoint.

Battu par un préfet en retraite installé dans une commune voisine, le patron pêcheur s’interroge à la veille des élections suivantes : que faire face à ce maire, incontestable personnalité aux relations puissantes ancrées dans de solides réseaux ?

Car le préfet en retraite compte bien se représenter en 2008.

Un des anciens collègues du pêcheur au conseil municipal évoque l’idée de faire appel à un non-résident pour mener la liste et tenter de faire battre le maire sortant. Attaché à la ville puisqu’il y passe toutes ses vacances en famille depuis plus de vingt ans, ce horsain a des diplômes, a assuré la direction générale d’entreprises à Paris, préside une association locale des amis de Gratteville-sur-mer. Et puis, susurre le collègue aux oreilles du pêcheur, ce non-résident apportera les voix de ses congénères. Si tous les non-résidents ne votent pas sur place, beaucoup le font et ils sont propriétaires de la moitié des habitations de la commune. Le pêcheur réfléchit, demande à son collègue si, une fois élu, il pourra mener les affaires municipales et autres à sa guise et donne son accord pour laisser le horsain mener la liste aux élections avec lui en troisième position.

Après une campagne réussie, le résultat est inespéré. 20 candidats de la liste sur 23 sont élus dès le premier tour, les trois autres le sont au deuxième tour. Carton plein.

Un nouveau conseil municipal sans élu d’opposition prend les manettes de l’hôtel de ville.

Personne ne vous prépare à être maire. On devient maire.

Après un mois d’activité se constitue autour du pêcheur un bloc d’opposition majoritaire – la nature a horreur du vide – pour faire comprendre au nouveau maire, pourtant élu à l’unanimité, où se situe le véritable pouvoir.

À moins de faute lourde, un maire ne peut se voir retirer sa fonction. Il peut toutefois décider de se retirer au profit d’un conseiller qui devra être élu et « prendre le fauteuil ».

Un glissement s’opère alors au sein du conseil. On passe d’une atmosphère studieuse et consensuelle lors des commissions de travail et des conseils municipaux à une ambiance dancing très rock-and-roll.

Le maire innove en invitant la population à venir poser des questions à l’issue des conseils, lesquels sont filmés.

Personne n’a prévu un tel succès pour un spectacle digne du théâtre des deux ânes : des prises de paroles sans filtre des nouveaux opposants rebondissent sur des invectives de bistrot ; des noms d’oiseaux s’échangent à propos d’un projet d’aménagement du cinéma ; des propositions sur le budget dignes du père Ubu sont relayées par des idées sur les sens de circulation routière inspirées des histoires de Raymond Devos sur les carrefours à sens unique ; tout cela dans une ambiance de cour d’école ou de boîte de nuit pour adolescents.

Témoin privilégié de ces ébats entre conseillers convaincus de leur supériorité, le maire ne peut s’empêcher de sourire, ce qui n’arrange pas les choses. Gardant un calme qu’on peut qualifier d’olympien, il préside avec bonne humeur en distribuant la parole à qui veut.

Le public, ravi de passer une soirée de détente (c’est pas tous les soirs comme cela à Gratteville, et puis c’est gratuit…) ou consterné par un spectacle aussi éloigné de l’idée qu’il se fait de la tenue d’un conseil municipal, saura s’en souvenir aux élections suivantes.

Une anecdote parmi d’autres : à l’ouverture d’un conseil, un opposant demande la parole et exprime le souhait au nom de la « majorité » que le maire, lors de ses interventions, livre des phrases simples afin d’être compris par tous.

Le maire laisse tomber la réponse : « oui, dorénavant je prononcerai des phrases courtes avec un sujet, un verbe et un complément d’objet. Sans ajout. » Le rire du public accroît la colère du conseiller et après un brouhaha digne des meilleures séances de l’Assemblée nationale, tout rentre dans l’ordre.

Avec le recul, il y a l’oubli. Et puis il y a le rire, le rire salvateur qui rend l’âme légère.

Le « livre du rire et de l’oubli » est le premier ouvrage que Milan Kundera a écrit après avoir fui la Tchécoslovaquie communiste. Ce beau livre dont la première version fut écrite à Belle-Îlem’a curieusement inspiré pour coucher sur le papier ces anti-mémoires. Il était réconfortant de retrouver le monde de l’absurde pour évoquer ces six ans de mandat dont raisonnablement chacun imaginera qu’ils furent un exercice de sport de compétition.

Il était non moins indispensable de faire appel au sourire, sinon au rire pour évoquer la fragilité du pouvoir, quel qu’il soit, à travers le croisement d’un âne et d’un Président.

Mais l’essentiel n’est pas là. Le prêtre congolais, ami et confident, témoigne par son écoute attentive d’une question lancinante : l’immense pauvreté des hommes, qu’elle soit économique, sociale, humaine ou spirituelle, n’impose-t-elle pas de la part de tous ceux et celles qui sont en situation un engagement pour construire un monde meilleur ?

Au risque de participer à un théâtre de qualité moyenne.

Que faire ?

L’auteur

La disparition

(d’après G. Simenon)

Noirceur de la grève

Ce petit matin, le commandant en retraite Marcel Picot quitte son jardin parsemé de nains multicolores pour le jogging quotidien. Respirant de grandes bouffées d’air iodé, stimulé par le vent du nord, signe de ciel dégagé, il court à de grandes enjambées sur le chemin de ronde depuis la rue des embruns. Il prend soin de ne pas laisser les baskets effleurer les déjections encore fraîches de chiens domestiques qui jalonnent ce chemin, dit autrefois des douaniers, si prisé des promeneurs alanguis et amoureux transis.

Arrivé au-dessus de la plage de la grève noire, sa plage à lui, celle où il offre l’été en caleçon de bain une musculature hors norme aux regards ébahis d’épouses extasiées, ses yeux sont attirés par un tas de couleurs indéfinissables.

Intrigué, Marcel descend deux à deux les marches d’un escalier remis en état par la municipalité quelques semaines auparavant et s’approche du tas en forme de corps recroquevillé gisant sur le sable gris. Oui, il ne se trompe pas, il s’agit bien d’un corps. Celui-ci semble inerte ; des vêtements d’hiver le recouvrent jusqu’au bas du visage qu’on distingue à peine. Le commandant n’ose pas toucher le corps, le retourner afin d’appréhender son identité, tourne à nouveau autour, plusieurs fois, s’approche encore autant qu’il est possible du visage de l’homme, car c’est manifestement un homme étendu sur la grève.

Il pousse un cri d’effroi.

Marcel cherche par réflexe le téléphone dans une poche. Il ne l’a pas. Personne autour de lui. Quelques goélands poursuivent leur danse au-dessus d’une mer calme qui se retire avec prudence d’un si encombrant fardeau.

Plusieurs pensées lui viennent à l’esprit.

Au bout de quelques minutes de remise en ordre d’un cerveau en ébullition, il prend la décision de rentrer chez lui.

Il faut alerter gendarmes et pompiers.

Retourné dans sa maison aux murs de granit gris, essoufflé, il franchit la porte d’entrée, crie son émotion afin de vérifier que son épouse s’est extraite du lit conjugal. Gisèle apparaît dans la cuisine, couverte d’une robe de chambre de couleur jaune pinson présentée dans le dernier catalogue de la Redoute. Le regard du militaire hors cadre exprime de l’effroi. Sa femme lui jette :

— Mais que se passe-t-il, Marcel, tu n’es pas bien ?

— Si, mais sur la plage de la grève noire, il y a un corps sans vie.

— Ah, fait Gisèle avec un pas en avant. De qui s’agit-il ?

— Tu ne le croiras jamais, répond Marcel. J’appelle les services de secours et les autorités.

Il se précipite sur le combiné.

— Mais dis-moi donc, coupe Gisèle. Tu connais la personne ? Qui est-ce ?

— Attends, attends un peu. (Il compose le numéro de téléphone de la gendarmerie nationale.)

Allô, bonjour major, ici Marcel Picot. Un corps inanimé gît sur la plage de la grève noire. Venez vite, c’est quelqu’un d’important. J’appelle les pompiers.

Il raccroche le combiné, fait le 18.

— Ah, bonjour chef, venez immédiatement, un corps sans vie apparente gît sur la plage de la grève noire. Et ce n’est pas n’importe qui.

— Qui donc, demande le pompier ?

Marcel lance sans précaution :

— C’est le maire. Oui, le maire de Gratteville-sur-mer.

— Quoi ? répond le brigadier, je préviens le lieutenant et nous arrivons.

Gisèle n’en revient pas. Trop d’idées lui traversent l’esprit. Elle ne tient plus debout, écroule son corps sur la première chaise à portée d’un fessier qu’elle a puissant, prend sa tête dans les mains.

L’incroyable nouvelle s’imprime dans une mémoire encombrée par la liste des achats à ne pas oublier au marché.

Soudain, elle quitte le siège et court se saisir du combiné. Elle ne peut s’empêcher de contacter ses amies.

— Allô, oui c’est Gisèle. Le maire gît sans vie sur la plage de la grève noire. Oui, Marcel vient de découvrir son corps en courant sur le chemin de ronde. Non, tu es la première à connaître la nouvelle. Reste discrète, on ne sait jamais. Il se passe des choses tellement horribles à Gratteville-sur-mer !

Oui, c’est Gisèle…

Gisèle passe une partie de la matinée pendue au téléphone pour partager avec son entourage – en toute discrétion – une nouvelle qui allait inévitablement faire grand bruit.

La gendarmerie envoie deux estafettes, une 4 L un peu malade et une Clio un peu moins hors d’usage, encore un problème de budget, au cas où la 4 L ne tiendrait pas le coup. Le lieutenant est accompagné du capitaine qui a pris soin d’informer le centre de commandement départemental. Le procureur de la République et le préfet sont avertis.

Arrivés sur place, les gendarmes tombent sur les pompiers déjà présents sur les lieux depuis quinze minutes alors que se pressent déjà les représentants de la presse locale entourés par les premiers badauds. Les gendarmes n’apprécient pas d’être devancés. Ils imposent un périmètre de protection. Les allées et venues des pompiers sur le sable gris traduisent une nervosité inhabituelle.

Les correspondants de presse ne s’imaginaient pas se trouver avec gendarmes et pompiers ce vendredi à 9 h du matin sur la plage de la grève noire au milieu de… rien.

En effet, il n’y a rien. Rien à voir, rien à dire, rien à raconter. Pas de corps. Un corps n’a peut-être jamais été là. Il y a bien une trace légère de quelque chose sur le sable, comme un léger renfoncement qui aurait pu accueillir un tas mais aucun élément qui puisse le confirmer.

Marcel Picot est alors joint au téléphone et prié de se rendre sur place dans les meilleurs délais, ce qu’il fait avec empressement. Arrivé sur les lieux encore vêtu du short noir, il n’est pas rassuré.

— Alors, mon commandant, interroge le chef des pompiers, il est où ce corps ?

Aucun mouvement n’est perceptible dans la bouche du commandant et ses joues deviennent pâles.

— Euh, je peux vous assurer qu’un corps était étendu tout à l’heure à cet endroit précis.

Il pointe de l’index la trace sur la partie haute de la plage dont le sable sec témoigne que la mer s’est retirée plus bas depuis deux bonnes heures.

— Mais quelle heure était-il ? reprend le capitaine de gendarmerie.

— Je suis parti de chez moi vers 8 h ; sans doute entre 8 h 05 et 8 h 10. J’ai reconnu le visage du maire. Je suis certain que c’est lui.

Le capitaine de gendarmerie ne veut en aucun cas offenser le commandant, un militaire comme lui, plus gradé mais à la retraite tout de même… mais il veut savoir.

— Était-il mort quand vous l’avez reconnu ?

Des sourires moqueurs apparaissent chez les badauds tandis qu’un correspondant de presse lance à la cantonade :

— Vous buvez quoi au petit déjeuner ?

— Je ne sais pas dit Marcel Picot à demi-mot, affecté par l’interpellation insidieuse. Je n’ai pas voulu toucher le corps, je n’ai pas pris le pouls.

Parce qu’un mort qui se sauve, même à Gratteville-sur-mer, c’est une rareté, lance un spectateur sûr de lui.

Les autorités estiment que, si c’est une plaisanterie, elle a assez duré. Marcel est de plus en plus mal à l’aise. Il voit défiler devant ses yeux des dizaines de personnes qui vont passer la journée à lui répéter les mêmes questions.

— Vous n’imaginez tout de même pas, dit-il au capitaine de gendarmerie, que je vous ai appelés pour rien. J’ai passé l’âge de faire des blagues.

— Non, bien sûr, mon commandant, coupe le chef des pompiers, mais reconnaissez la bizarrerie de la situation. Un, vous repérez un corps, un corps inerte allongé sur la grève à l’endroit où nous nous trouvons. Deux, vous reconnaissez le maire. Trois, vous nous appelez. Quatre, le corps a disparu.

Le capitaine use du bon sens proverbial dont la gendarmerie nationale nous a habitués. Donc l’homme, puisqu’il s’agit selon vous d’une personne de sexe masculin, a été enlevé ou n’est pas décédé. Il ajoute : allons sonner chez le maire, il habite au-dessus.

Le groupe se déplace en file indienne, remonte l’escalier vers le chemin de ronde, se dirige vers l’allée de la grève, arrive devant la maison du maire dont les volets sont clos. Sa voiture, une super 5 verte du siècle dernier, garée dans l’impasse comme de coutume, n’est pas visible. Le capitaine de gendarmerie sonne à la porte d’entrée. Il sonne trois fois. Pas de réponse. Personne ne vient ouvrir.

— On ne peut quand même pas enfoncer la porte marmonne-t-il.

Rentrons au poste. Nous allons faire un rapport.

Le rapport, c’est l’arme ultime de la gendarmerie nationale. C’est un peu la Table de la loi délivrée par Dieu à Abraham. Sans rapport, pas d’affaire. Sans affaire, pas de rapport.

Pendant ce temps, au marché, chacune, chacun n’a qu’une parole à la bouche : le maire a été trouvé allongé sur la plage de la grève noire, tôt ce matin. C’est Marcel Picot, conseiller municipal d’opposition qui l’a découvert. Les pompiers, les gendarmes sont sur place. Ils n’ont trouvé personne. C’est à ne rien comprendre.

Les opinions s’échangent entre la poissonnière, le boucher, le fromager, la vendeuse de crêpes, sa voisine qui étale ses légumes sur le parvis de l’église face à la pharmacie. Le caviste, l’air goguenard, scrute les visages comme un sociologue en recherche d’un nouveau concept.

— Il s’est suicidé, affirme un ancien de la marine marchande avec un air entendu, c’était prévisible après tout ce qu’ils lui ont mis sur la patate. On l’a tellement vilipendé depuis des semaines. Tous contre lui. Il n’a pas tenu le coup.

— Non, c’est une blague, rétorque une dame encore jeune dans la queue du fruitier, il a plus d’un tour dans son sac notre maire. Vous verrez.

Elle dit cela sans qu’on puisse deviner si elle se réjouit de la malice supposée du premier magistrat de la ville ou regrette qu’un grand malheur soit advenu. Elle ajoute :

— C’est un malin, il s’est mis une fois de plus en scène pour tromper son monde.