Apocalypse 830 - Hervé Dalverny - E-Book

Apocalypse 830 E-Book

Hervé Dalverny

0,0

Beschreibung

En 1915, les majestueuses montagnes vosgiennes sont soudainement frappées par l’horreur, un cataclysme qui s’étend à une partie de la France. Combats acharnés, déraison, et mort omniprésente : pour certains, c’est une véritable apocalypse. Gabriel, plongé dans ce chaos, se trouve confronté à un dilemme crucial : sombrer, résister ou périr ? Sa décision doit être prise sans délai ni hésitation. Après un assaut d’une brutalité insensée, une seule voie se dessine à travers les brumes du désespoir : fuir, pour espérer retrouver la vie au-delà des décombres. Un récit qui explore les profondeurs de l’âme humaine face à l’adversité, où chaque choix pourrait être le dernier. Embarquez dans cette aventure et découvrez si l’espoir peut vraiment jaillir des cendres.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis toujours, Hervé Dalverny arpente les montagnes vosgiennes à la recherche des traces du passé. Chaque relique qu’il découvre révèle un fragment d’Histoire, s’entrelaçant avec son propre récit. Ce témoignage évoque les échos d’un temps révolu, offrant une immersion émotive dans un monde chargé de significations.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 219

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Hervé Dalverny

Apocalypse 830

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hervé Dalverny

ISBN : 979-10-422-5297-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je dédie ce livre au soldat Gaston,

mort pour la France sur les hauteurs vosgiennes

lors de ce terrible conflit.

Roman historique basé sur la Première Guerre mondiale

Chapitre I

Un dernier réveil

Ce matin-là… C’est un matin tranquille, oui, un début de journée comme tous les autres. J’ouvre les yeux. Les quelques rayons de soleil qui traversent avec parcimonie mes pauvres rideaux troués (que je ne pense jamais à changer) m’aident à imaginer ma future journée. Où est ma montre ? Posée sur la table basse à côté de mon lit, et elle affiche déjà cinq heures trente du matin. Bordel, je dois y aller ! Pas le temps d’engloutir un petit-déjeuner, je vais préparer un café ou deux pour la suite de la journée qui s’annonce fantastique ! Samedi 1er août 1914 ! Saint Alphonse. Voilà ce que je peux lire sur le calendrier qui orne ma petite chambre, dépouillée de tout autre accoutrement ridicule. De quoi dormir, manger, et se laver quand j’en ai le temps. Ou l’envie. Eh oui, il n’y a guère de place pour les choses futiles ici. Saint Alphonse. Je connais un Alphonse, moi ? Pas besoin d’aller réveiller l’égocentrisme de je ne sais qui. Nous sommes en plein été, et il est vrai que ces merveilleuses journées me remplissent de joie. Tiens, il suffit d’écouter les quelques mésanges ou autres passereaux qui commencent à siffler de douces mélodies sur la petite branche du petit pommier pour se sentir pousser des ailes. Allez ! J’enfile mes vêtements de la veille, puis me faufile dans ma toute petite cuisine. Jamais sans mon peigne, pour coiffer ma petite mèche brunâtre. Oui, j’accorde de l’importance à mes cheveux. Ah ! Ma vie dans mon infime marcairerie me satisfait quand même au mieux. Il n’y a rien à dire là-dessus. Le décor y est pauvre, certes, j’ai seulement quelques toiles ici et là et la plupart servent de maison aux arachnides. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe le plus, oh non. Je n’ai jamais aimé la peinture, de toute manière, je ne vois pas pourquoi dessiner alors qu’on peut créer son propre chef-d’œuvre chaque jour en ouvrant les yeux. Et puis, je suis seul, alors à quoi bon chercher plus grande demeure ? Pour finir, s’il faut que je me lève si tôt, pour ensuite rentrer si tard, ça ne sert à rien d’accorder de l’importance à mon logis. Me lever tôt ! Eh oui, comme tous les matins, je dois partir pour la ferme. Celle de mes parents, là où je travaille avec ma sœur, tout bonnement pour gagner ma croûte. Une histoire de famille qui a traversé les générations, et qui demeure depuis des lustres. Je suis fier de la représenter aujourd’hui. Mais avant de partir, je me prends un moment pour apprécier un instant bien particulier. Oh oui, je parle bien de cette agréable odeur du café chauffant qui effleure mon nez, alors qu’une bonne cigarette fraîchement roulée m’attend pour l’accompagner ! Prodigieux ! La première, celle que l’on attend même durant notre sommeil, celle qui réveille nos sens après la nuit, celle qui émoustille notre palais encore endormi. Après, c’est le brin de toilette quotidien, mais je n’insiste pas ! Je ne cherche pas à plaire aux bêtes ou à la nature. Personne ne va me renifler là-bas, si ce n’est une vache ou un mouton, alors à quoi bon ? Allez, ce n’est pas le moment de traîner. J’en étais sûr. Lorsque j’ouvre la porte, le spectacle est somptueux ! On aperçoit à peine, entre les arbres, la lueur du jour qui se dévoile petit à petit. Du rouge, puis du bleu foncé qui devient bleu ciel se dessinent lentement et avec grâce face à moi, comme si l’on peignait petit à petit un décor de rêve éveillé, rien que pour les quelques spectateurs qui sont bien heureux de pouvoir admirer sa constante évolution. La voilà, l’œuvre d’art ! C’est la nature qui s’éveille dans les landes humides de rosée, qui se dévoile grande ouverte, pleine de vie et pleine de tendresse, prête à partager toute sa splendeur parmi les Hommes. Je n’aime pas marcher sur les chemins, alors je préfère errer par les prés fraîchement mouillés. Cette fraîcheur, cette beauté, cette magnificence, c’est bien ça, ma raison de vivre et d’aller au boulot le matin. Sentir l’air pur, vivifiant et revigorant, s’infiltrer dans vos poumons après une nuit dans son cocon. Un regain d’énergie vitale pour passer une bonne journée, sans encombre. Je suis bien plus enchanté aujourd’hui que le reste de la semaine, car je sais que ce soir, comme tous les samedis, je pourrai retrouver ce vieux con de Louis. C’est mon ami d’enfance, mon complice. Ma deuxième couille, en fait. Et nous avons pris l’habitude de nous retrouver chaque fin de semaine pour siroter quelques bières, au troquet du village. Mais pour le moment, mieux vaut ne pas y penser ; laissons l’alcoolisme dans son tiroir avec la bibine ! Je me vide la tête, et je profite de ce silence bruyant de joie. Je reste assez curieux, mais légèrement égaré pour flotter au-dessus de la rosée du matin. Alors que je continue ma petite prière matinale destinée à la nature, j’entends de petits cris humanoïdes qui me font sortir des lourdes somnolences de l’aube. Je quitte donc ma torpeur, et je cherche avec surprise qui peut bien venir à cette heure-ci. Je l’entends à nouveau :

« Gabi ! Gabi ! »

C’est bien ça, c’est presque mon prénom : Gabriel. Je ne rêve donc plus ! Je distingue alors dans l’ancienne pénombre de la nuit un vélo qui arrive à toute vitesse par le chemin du bas. Ah ! C’est Rodolphe, notre bon vieux facteur ! Qui d’autre peut être si matinal et si preste ? Et quand je vois à quelle vitesse il arrive, j’ose imaginer qu’il ne peut s’agir que d’une bonne nouvelle ! Je descends pour le rejoindre, avec une certaine avidité évidemment, pour enfin savoir ce que le bougre va bien avoir à m’annoncer. Toujours le même sur sa bicyclette, avec son air pétillant et sa vieille besace trouée, pleine de lettres qui débordent. Le voilà qui s’approche de moi. Haleté par sa course, il enlève ses petites lunettes rondes avant de parler à travers sa longue moustache transpirante :

« Gabi ! Vindious, je suis crevé ! Eh, mais c’est toujours ton heure, alors je savais que je te trouverais ici ! Bon, j’ai pas le temps de te laisser causer, mais tu devineras jamais ce qui se passe ! On part en vacances ! »

Je me rapproche de quelques pas avec un sourire malicieux aux lèvres, tout en essayant encore de décrypter ses sottises.

« En vacances ? Et en quel honneur Rodolphe ?

— Ha, mais oui ! Tu es trop loin du village, tu n’es pas au courant, hein ? Je te laisse la surprise alors !

Je ne comprends toujours pas. Je le retiens comme je peux :

— Attends ! Et mon courrier ?

— Tu n’as rien aujourd’hui ! Va au village ! »

Et le voilà qui circule avec vélocité. Au village ? Ainsi, il m’annonce avec stupéfaction une surprise, ou des vacances, et maintenant, je reçois l’ordre de partir dans ma bourgade. C’est si calme d’habitude, qu’est-ce qui se trame, par ici ? Bon, il est vrai que venant de sa part, je n’en attendais pas moins : il est capable de faire tout un amphigouri pour un simple loto de quartier ou une fête de la bière. J’hésite. Que faire ? Non, il n’y a pas de raison que je manque à l’appel, il vaut mieux que j’aille à la ferme avant toute chose. Allez, tant pis, je préfère reprendre ma route ; ou plutôt mon pré, qui va me ramener à la ferme. Ah ! Ce qu’il est beau, mon petit village jurassien, entouré de toute part par une immense forêt à la flore et à la faune plus qu’étonnantes ! Montbenoît, qu’il s’appelle ! C’est là que je suis né, alors je connais quand même pas mal de choses ici, du haut de mes vingt années. Enfin, surtout les coins à girolles ! Oui, il y a toujours quelque chose à faire. On ne peut pas s’ennuyer, à Montbenoît. Et puis, il y a tout ce qu’il faut pour subvenir aux besoins d’un gaillard : la boulangerie, la boucherie, l’église, son café du coin. Oui, je pense que les gens estiment que se pinter après la messe reste un signe d’une indéniable foi. Et il y a aussi ses femmes, aussi charmantes que dodues. En revanche, je n’aime pas la ville… Quand il faut aller chercher quelque chose à Pontarlier, la grande agglomération du coin, j’essaye en général de me porter alité pour déjouer le piège. C’est vrai, il n’y a rien de captivant là-bas, si ce n’est les dames, qui sont bien plus fourmillantes. La voilà ! Toujours perchée sur sa petite butte, surplombant la petite commune. Mais… Quelque chose m’interpelle. Oui, c’est étrange, on dirait que je suis le premier à arriver sur les lieux. Je dois me tromper, car d’habitude, il y a toujours mon père qui se tue au travail dès l’aube, dans les trois quarts de son temps. Je ne me pose pas trop d’interrogations, je continue mon chemin. Me voilà devant le seuil. De plus en plus bizarre. Oui, car je ne parviens pas à ouvrir la porte. Et voilà qu’elle manque de céder sous mes essais répétés, je vais me modérer, car je suis déjà bien malhabile. Je n’ai pas vraiment envie de casser la poignée. Eh bien ! C’est donc bel et bien moi le premier. Bon, eh bien dans ce cas, il n’y a plus qu’à chercher la petite clé. Si rien n’a changé, elle est cachée sous le pot de géraniums en fleurs, qui se trouve sur le rebord de la fenêtre d’à côté. Nous devrions peut-être changer de cachette, elle me parait… Trop ordinaire. J’ouvre la porte. Elle grince, mais ça, c’est normal.

« Y a quelqu’un là-dedans ? »

Aucune réponse. Je tente à nouveau ma chance, cette fois-ci avec un peu plus de volonté :

« Bah… Y a personne à cette heure-ci ? » Toujours rien. Quelle bande de fainéants ! Bon sang, il n’y a pas de raison que je ne profite pas d’un peu de liberté moi aussi, alors je cours au village. Curieux comme je suis, je ne tiendrai pas longtemps sans savoir ce qui se trame. Je referme la porte, qui grince toujours. Me voilà comme un gosse qui commence une longue course à travers son pâturage. La rosée rafraîchit mes pieds, et il y en a énormément, à tel point que j’en suis presque imbibé. Il est à peine plus de six heures et je suis d’ores et déjà échauffé comme un gardon qui décampe face à un brochet ! J’implorerai mon père pour une sieste un peu plus tard. Ça y est, j’y suis presque, et je rattrape presque la lumière du soleil qui séduit doucement cette nouvelle journée en éclairant les toitures de Montbenoît. Allez, plus que le pont du Doubs à passer, et je vais enfin savoir tout ce qui se dit dans mon dos depuis cette petite matinée ! Pas le temps de jeter un morceau de miche à mémère la truite, que tout le monde désire tant ! Je commence à entendre plusieurs tonalités, plusieurs cris, en somme, un énorme vacarme pour l’heure qu’il est ! Il me semble que cela vient de la place. Pas de temps à perdre, je reprends mon excursion. Dans quelques mètres, je vais déchiffrer tout ce magnifique désordre. J’arrive dans la rue principale et je retrouve un monde fou, entassé sur plus d’une vingtaine de mètres autour du fabuleux chêne centenaire qui se trouve à côté de l’abbaye, comme des abeilles sur une ruche qui besognent sans répit. Quel espoir, que d’imaginer pouvoir s’engouffrer là-dedans ! Je tente ma chance tout de même, mon indiscrétion me mènera à mon but. C’est incroyable, le bourdonnement qui jaillit est assourdissant, tout le monde tente de communiquer dans un brouhaha incompréhensible. Il faut se faufiler dans les moindres espaces que ces fourmis veulent bien me laisser. Par-dessus le marché, j’essaye de solliciter les personnes que je connais, mais je ne parviens pas à obtenir de réaction. Je reste sans réponse, encore et toujours. Une telle effervescence, je n’avais pas vu ça depuis le concours de pétanque du début de la période estivale. Il faut que je prenne les devants ; coûte que coûte, je dois savoir ! Je me fraye un passage dans tout ce remue-ménage, à la recherche de ma réponse tant convoitée. Je me rapproche de l’arbre, petit à petit, mètre après mètre. Quelle bousculade ! Voilà que je me retrouve violemment projeté en avant, la tête face à une affiche placardée sur le chêne. Qu’est-ce qu’elle raconte, celle-là ?

« Ordre de mobilisation générale. »

Comment ça ? Mobiliser quoi ? Moi ? Je suis quasiment pris de vertige, puis je retrouve mes esprits. Je continue de lire :

« Le premier jour de mobilisation est le dimanche 2 août 1914. »

Quoi ? Mais c’est demain !

« Sont visés par l’ordre de mobilisation : tous les hommes ».

Ah bah, tiens donc ! Et les poules, les vaches et les cailles, aussi ? C’est donc ça, cette foutue nouvelle ? C’est donc ça, ces vacances ? Ce que je vois, devant moi, n’est autre qu’un vulgaire bout de papier ! C’est la guerre ? Je dois divaguer. Et d’ailleurs, je n’irai pas là-bas ! Laissez-la aux autres, cette salope ! Laissez les tensions dans les pays avoisinants, je préfère le lire tous les jours dans les journaux, je ne suis pas prêt ! La guerre ? Vraiment ? Je ne sais même pas comment réagir, je suis abasourdi. Qu’on me laisse sortir de la foule. J’écoute et j’observe, tout en marchant dans le dédale des ruelles. Tout le monde rit, ils rient tous, au point de devenir dérangeants. Il règne une ambiance de folie. Mon village s’est transformé, du jour au lendemain, à cause de cette saloperie de bout de papier. Je continue ma route, et j’attends même avec impatience que l’on m’arrête pour que je puisse parler de tout ce désordre avec quelqu’un.

« Couillon ! Tu fais quoi ici ?

Je me retourne.

— Louis ! Tu m’as fait flipper ! T’as vu ça ?

— Bien sûr ! C’est pas super, dis ? Depuis le temps que j’l’attendais ! Viens, on va au café ! »

Et il repart immédiatement, sans crier gare. Super ? Il m’a vraiment dit que c’était super ? C’est définitif, je ne comprends vraiment plus l’être humain. Bon sang, mais c’est qu’ils ont l’air contents par-dessus le marché ! Ils le sont tous ! Je parviens même à oublier quelques instants la ferme, et je préfère suivre mon ami. Je n’ai même pas le temps de répondre, en fait, j’ai comme l’impression de subir les évènements qui me coupent la langue et me nouent la gorge. Oh oui, tout se succède très rapidement. La claque m’envoie valser vers chez Robi, notre troquet préféré. Peu étonnant de la part de mon pote. Malgré l’heure, il est déjà ouvert, et toutes les chaises sont dehors. J’ai besoin d’un petit remontant. Je fais signe pour deux cafés à la serveuse. Louis préfère nous prendre deux bières :

« Au moins, avec ça, tu prendras confiance ! »

Fêter avec de la bière ? Vraiment ? Plus rien ne tourne rond ici. Mais j’acquiesce, un peu d’ivresse ne pourra pas me faire de mal, et je n’ai jamais su dire non. Je décide de crever l’abcès :

« Merde, qu’est-ce qu’il se passe là ? C’est la guerre ! T’es pas réveillé ou quoi ? T’es encore bourré de la veille ?

— Alors oui, je suis sans doute bourré de la veille. Mais ! Ça y est ! C’est la guerre Gab ! Les Teutons l’ont dit ! » Non, je reste perplexe, tout en attendant mon demi. Des questions me taraudent l’esprit par centaines :

« Je comprends pas, il s’est passé quoi au juste ?

— Hé ben, tu t’rappelles, le gars qui a canné à l’est ? Ben voilà le résultat… Mais tu vas voir, ce sera super. Tout le monde dit que ça durera deux à trois mois, pas plus. »

Je soupire, je regarde autour de moi. Quelque chose cloche depuis ce matin, au plus profond de moi-même. Non, quelque chose cloche lorsque je regarde tout ce monde. Ce n’est pas juste un mauvais pressentiment, mais plutôt une forte intuition qui m’embarque dans des pensées sombres et négatives. En même temps, à mon âge, on ne sait pas trop quoi penser de la guerre, on ne connaît que ce qu’on a appris à l’école, en plus des récits des anciens. Alors que nos demis s’incrustent sur notre table, nous sommes interrompus par un vieillard, attablé juste derrière nous. La créature a une posture très étrange, elle a le corps courbé et les yeux exorbités, avec un visage couvert d’une barbe grisonnante qui n’a pas été coupée depuis trois jours. Sa voix est rauque et usée, semblable à un moteur qu’on ne parviendrait pas à faire démarrer :

« Hé, les deux gamins ! Ça se voit que vous avez pas connu celle de 70 ! Z’êtes bien drôles, vous autres… Savez même pas ce que c’est qu’la guerre, et vous êtes contents comme des passereaux qui viennent de sortir du nid ! Y a anguille sous roche, moi j’vous l’dis et c’est pas avec des demis qu’elle va se gagner ! »

Je sursaute : mon pote me secoue, alors que j’ai les yeux rivés sur le vieillard :

« Ne l’écoute pas, Gab. Ce sont de vieux cons, ils voudront tous nous faire peur. Mais oui, moi j’ai tout vécu, mais oui, moi si, moi ça. Foutaises ! »

Nous trinquons. Si je préfère le croire sur parole, c’est sans doute pour me rassurer comme je peux. Le voilà qui commence à discuter avec d’autres personnes qui se trouvent autour de nous. Louis… C’est un sacré individu. Un grand rouquin teigneux, qui exige toujours d’avoir le dernier mot, et qui cherche toujours à placer une blague pour attirer l’attention sur lui. Il l’a très régulièrement, ce personnage plaît aux femmes et aux gens qui veulent bien l’écouter. Pour ma part, c’est tout l’inverse. Oh oui, malencontreusement, j’ai l’habitude de m’abandonner dans une sourde torpeur psychologique, et je me claustre sur moi-même, jusqu’à réfléchir pendant des heures. C’est d’ailleurs le cas actuellement… Que va-t-il se passer ? Et bordel, mais c’est quoi ça, d’abord ? On a osé m’arracher à mes habitudes pour m’apprendre une chose pareille ? Ce n’est pas à moi que ça doit arriver, je trouve cela trop injuste. En fait, je ne veux pas partir. Du tout. La cohue est encore plus assourdissante, et pourtant, je reste dans ma brève carapace qui me protège comme elle peut. Je ne discerne même plus ce qu’il se dit ici et là, j’ai compris maintenant. J’ai saisi que je vais devoir lâcher ma sœur, mes parents, mais aussi ma terre, ma ferme, mes bestiaux… Ma vie, tout simplement. J’ai compris qu’on ne pouvait pas refuser de partir, c’est inconcevable. On ne peut pas lutter contre une telle force, et c’est bien ça le plus laborieux : ne pas pouvoir donner son petit avis de citoyen. Nouveau sursaut, voilà une autre tape sur l’épaule : tiens, c’est Francine. Ma sœur. Bonté divine, quelle satisfaction de voir son visage d’ange et sans imperfection, et ce sourire qui tranquillise.

« Gabi ! Je t’ai cherché partout, andouille ! Tu vas bien ?

La question de trop.

— Ben oui… Pourquoi ? »

Je lis sur son visage une gesticulation qui semble reconnaître instantanément les facéties. Elle me prend par la main pour me faire quitter la table. Louis ne me retient même pas, pour une fois ! Il est bien trop occupé à se donner en spectacle devant une foule en délire. Toutefois, lorsqu’il s’agit de boire des bières, il est perpétuellement là pour m’inciter à la soûlerie. Nous trottons à vive allure loin de toute cette cohorte de gens. Pas un mot, juste des pas que l’on ne parvient même plus à entendre au milieu de toute cette agitation. Je sais où elle m’emmène, nous voilà en direction de la maison familiale. Nous surgissons à quelques dizaines de mètres de la petite bâtisse enlisée dans son lierre. Je la regarde courir devant moi. Elle surpasse toutes les autres dames, par sa beauté et son intelligence. Vous savez, les bouclettes blondes, les joues roses et la peau de bébé. C’est ça, ma sœur. Évidemment, je fais l’éloge de cette femme comme si j’en étais éperdument amoureux, mais ce n’est pas le cas. C’est ma sœur, tout de même. Non, je suis passionné de quelqu’un d’autre. Divagation ? Qu’est-ce qu’il m’arrive, pourquoi je parle autant ? C’est peut-être parce que je vais abandonner ce que j’ai de plus cher… On passe la porte, et enfin, je peux sortir de mon délire. Ma mère et mon père me reçoivent chaleureusement, avec une immense embrassade. Avec des rires pour mon père :

« Mon gars ! Mon p’tit gars ! T’vas devenir un homme, un vrai !

Ou des larmes pour ma mère :

— Mon enfant ! J’ai peur… Mais toute la famille est derrière toi, toute la famille a déjà fait la guerre, tu sais !

Vite, une réponse !

— Merci… C’est un vrai soutien, merci. » Puis, nous nous enlaçons, tous ensemble, entre rires, joie, et pleurs. Finalement, je ne sais toujours pas quoi penser précisément de toutes ces conneries. Tout est venu si rapidement… Et tout s’enchaîne si brusquement. Le dernier repas, un pot-au-feu. Bon vin, bonne viande, franche rigolade. Dans le village, il y a une fête qui s’organise. Les femmes préparent, les hommes se préparent. Alors, avant de quitter nos foyers, nous allons boire, nous allons glorifier ce passage dans la débâcle. Il y a de l’alcool de poire à foison et un excellent sanglier à la broche finement préparé par notre boucher et sa séduisante fille. Nous allons valser, nous allons glousser. Il y a même un petit orchestre local qui laisse supposer une délicieuse ambiance de fête d’été. Les grillons chantent, le feu crépite. Tout cet amusement, cette chaleur, cette joie de vivre ; et surtout l’alcool, me permettent d’oublier un tant soit peu les mésaventures. Je me retrouve tout de même perdu au milieu de cette foule. Comme dans un songe, un rêve qui ne devrait jamais s’arrêter. Je ne veux pas me réveiller, je ne veux plus connaître l’avenir. Je veux continuer à danser avec la fille du boucher, si belle, si souriante, et aux formes si généreuses. On se regarde dans les yeux.

« Toi aussi, tu pars ? »

Quoi ? Elle me parle ! Allons Gab, du calme. Qu’est-ce que je peux répondre ? Il faut répondre quelque chose ? Mais oui, abruti !

« Heu… Demain ! »

Con ! C’est tout ? Et voilà, elle s’en va… Bravo, monsieur, la foule vous acclame pour votre performance ! Débile profond ! Je sens que je vais le regretter…

« Hé copain ! Viens ! Ramène-toi boire des canons ! »

Tiens donc ! Louis qui veut me faire boire des canons ! Il a bien raison. Mieux vaut picoler un bon coup sec. Oublions, c’est la meilleure des solutions. Les souvenirs commencent à se faire très rares. La nuit est quant à elle très agitée, malgré ma consommation d’alcool excessive et un ventre prêt à exploser pour décorer les murs sans vie de ma petite maison. Comment suis-je rentré, au fait ? Je n’en ai aucune idée. Cette dernière nuit passée, sans véritable inquiétude, n’est pourtant pas placée sous le signe de la plénitude. Beaucoup trop de questions défilent encore dans ma tête, sans même me laisser le temps d’y répondre, tant elles se succèdent rapidement durant la nuit. C’est une de ces longues nuits d’insomnie, à ne savoir que faire pour réussir à fermer l’œil définitivement, à chercher comment procéder pour ne pas penser aux choses qui nous obsèdent. Évidemment, c’est douloureux de quitter les siens et son train-train pour une vie totalement inconnue. Il faut partir. Et là, il faut dormir.

Chapitre II

La côte 830