Arthur, le petit prince d’Égypte - Antoine Bordier - E-Book

Arthur, le petit prince d’Égypte E-Book

Antoine Bordier

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Beschreibung

Arthur, le petit prince est une trilogie qui retrace les périples fascinants d’Arthur de La Madrière, un jeune journaliste français. Âgé de 21 ans, orphelin depuis le tragique accident de voiture ayant emporté ses parents, il est l’aîné d’une fratrie de sept enfants. Dans ce troisième opus, Arthur, surnommé « le petit prince d’Égypte », poursuit son destin hors du commun. Après l’Arménie et le Liban, il s’envole pour Le Caire afin d’y établir l’antenne de son journal mais son voyage dépasse les limites de la simple mission professionnelle, l’entraînant à travers les âges. Des splendeurs des pharaons aux campagnes napoléoniennes, jusqu’à nos époques contemporaines, Arthur se lance dans des aventures qui mêlent le journalisme à l’humanité la plus profonde. Laissez-vous transporter dans une fresque palpitante où s’enchevêtrent exploration historique et exploits fantastiques et surnaturels.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Écrivain-journaliste-voyageur, Antoine Bordier a découvert sa passion pour la littérature dès son enfance en Afrique de l’Est. En 2021 et 2022, après des débuts dans le journalisme et diverses expériences en finance et dans l’entrepreneuriat, il séjourne en Arménie pour développer ses activités de conseil et de communication. Il y écrit son premier roman, "Arthur, le petit prince d’Arménie", paru aux éditions SIGEST. En 2024, après ses voyages au pays du Cèdre, il publie son deuxième opus : "Arthur, le petit prince du Liban" chez Le Lys Bleu Éditions. "Arthur, le petit prince d’Égypte" vient couronner cette trilogie.

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Seitenzahl: 475

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Antoine Bordier

Arthur, le petit prince d’Égypte

Après l’Arménie et le Liban,

les aventures du jeune journaliste français

en Égypte

Roman

© Lys Bleu Éditions – Antoine Bordier

ISBN : 979-10-422-5321-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préambule

Ce 7 septembre 2021, il est 18 h, quand mon avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Alors que je récupère mes bagages, je relis la lettre de la reine Anahit :

Cher Arthur, mon petit prince,

Le Liban est le berceau de l’humanité et de la paix. Son unité et ses valeurs ont été menacées. Son peuple martyr a été si souvent attaqué, convoité, persécuté. Les Libanais sont, encore aujourd’hui, debout. Nous allons continuer à les aider. Comme pour l’Arménie et l’Artsakh, vos missions lui ont permis de recouvrer sa pleine souveraineté. Nous sommes, à la fois, leurs gardiens et leurs protecteurs. Nous sommes leurs libérateurs.

Merci pour tout ce que vous avez fait.

Petit prince, la prochaine fois, vous aiderez l’Égypte à devenir la Nouvelle Égypte. Longtemps, trop longtemps, l’Égypte a sombré. Oubliée, elle est restée dans l’ombre. Elle va de nouveau prospérer et être le phare de l’Afrique. Ce ne sera plus un rêve, cela deviendra une réalité. Ce sera votre prochaine mission dans ce pays rempli de promesses.

N’oubliez pas, vous êtes le petit prince d’Heradis !

À bientôt,

Reine Anahit

Je la relis une troisième fois. Je rentre du Liban, et, déjà, une nouvelle mission m’attend, dans ce grand pays des pharaons.

Je n’y pense pas. J’ai hâte de retrouver mes grands-parents, Hubert et Elisabeth. Je ne sais pas, cette fois-ci, si j’irai voir mon oncle Jacques. Si je vais rester dormir chez lui. Oui, je veux vite me rendre en Anjou et revoir mes frères et sœurs, Joseph, Marie, Pierre, Sophie, Gabriel et Sarah.

Ah, mon Anjou, avec le petit château familial perdu au milieu de ses bois, de son lac, et de sa petite rivière… Quelle joie !

À l’aéroport, la sirène me sort de mes pensées et m’annonce l’arrivée de mes bagages. Deux valises, dont l’une est remplie de cadeaux et de souvenirs libanais.

Je les récupère et je passe tous les contrôles. Cette fois-ci, je n’ai pas vu Ara, Scarlett et Tondor. Tant mieux, car j’aspire à une vie normale, basique, bien terrienne. Je ne veux pas les voir débouler à l’improviste. Ils sont tellement imprévisibles. Même si je me suis habitué à eux et qu’ils me sont familiers, ne pas les voir pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, me ravirait.

Je me méfie quand même d’eux. Je regarde une dernière fois dans mon sac à dos. Ils ne sont pas là. J’ai juste le bâton de Moïse, que j’ai décidé d’appeler Bamoï.

À la douane, je n’ai rien à déclarer. Mais, un agent me fait signe de m’arrêter, et il fixe avec son doigt mon sac à dos. Je blêmis, car il va mettre la main sur Bamoï, qui peut s’apparenter à une antiquité.

Il ouvre mon sac à dos, fouille et ne le trouve pas. Incroyable, car il est devenu invisible, à l’instant même où il plongeait la main dans le sac. Tant mieux.

Je sors, finalement, de la salle de débarquement. J’emprunte le long couloir que je commence à connaître par cœur. Je suis à l’air libre. Je tourne la tête dans tous les sens. Je ne vois aucun de mes grands-parents. Mes frères et sœurs ne sont pas là non plus. Ils ne sont pas venus me chercher, cette fois-ci. J’aperçois, néanmoins, oncle Jacques qui me fait un grand signe de la main. Il est seul. Il a l’air un peu triste. Je lui réponds d’un signe de la main.

Je passe le portillon.

— Bonsoir, Arthur. Alors, ton voyage s’est bien passé ?
— Oui, très bien. Tu es seul ? Les autres n’ont pas pu venir ?
— Non, c’était compliqué. Et puis, je ne sais pas comment te le dire, mais nous avons eu un souci. Ta grand-mère a fait une chute de cheval. Elle est à l’hôpital d’Angers. Et ton grand-père aussi.

Cette mauvaise nouvelle me laisse sans voix. Depuis l’accident mortel de mes parents, le fait de prononcer ce mot « accident » me fige et me rend totalement muet et sourd. Je le regarde, il continue de me parler, mais je n’entends plus rien. Le silence le plus total m’a envahi. Autour de moi, des gens se parlent, mais là encore je n’entends rien. Je reprends mes esprits au moment où mon oncle me serre dans ses bras.

— Mais, ne t’inquiète pas. Ils sont sortis d’affaire.
— Ah ! Ouf ! Tant mieux ! Que s’est-il passé ?
— Ils faisaient leur petite balade avant le déjeuner, comme d’habitude. Puis, en arrivant aux étangs, les chevaux se sont cabrés lorsqu’une horde de sangliers est sortie des bois devant eux. Ils sont tombés à terre presque au même moment. Ce n’est pas trop grave. Ils ont juste une jambe cassée. Ils sont à l’hôpital depuis une semaine.
— J’imaginais le pire.
— Non, plus de peur que de mal.
— Tant mieux, tant mieux !
— Allez, on y va. Tu restes à Paris toute la semaine ?
— Oui, et je descends ce week-end à La Madrière. Tu viens avec moi ?
— Non, je ne peux pas. J’ai des amis qui débarquent d’Asie. Ils avaient prévu de venir depuis longtemps.
— Ah, très bien. Une autre fois.

Nous sortons de l’aéroport avec de grandes difficultés. J’avais oublié la circulation parisienne. Nous allons mettre une heure de plus que d’habitude. La raison essentielle ? Une manifestation monstre. Les manifestants ont bloqué toute la circulation périphérique.

— Arthur, il est impossible de rejoindre Paris par la route habituelle. Nous allons prendre les chemins de traverse, que je connais comme ma poche.
— Oui, vas-y. Je ne suis pas pressé. Ils manifestent pour quoi ?
— Ils manifestent contre la réforme des retraites. Les Français n’ont pas compris qu’il fallait travailler plus longtemps, non pas pour gagner plus, mais, simplement, pour continuer à vivre. Ce sont des enfants gâtés. Ils pensent que la génération suivante pourra assumer le paiement de leur retraite par leurs cotisations. Mais ils se trompent. Nous sommes dans le mur…
— Oui, tu as bien raison. À Beyrouth, les Libanais se moquent des Français qui ne pensent qu’à ça : à leur retraite. Ils ne comprennent pas que l’on puisse partir à l’âge de 60 ans. Eux, ils n’ont pas le choix. Ils doivent travailler jusqu’à la fin.

Nous arrivons, enfin, avenue Suffren, devant le numéro 13. Il me tarde de dîner et de me coucher. Cette dernière semaine au Liban a été harassante. Je retrouve avec joie son appartement, un triplex situé aux trois derniers étages, avec ascenseur.

— Arthur, prends les clefs et monte. Je vais garer la voiture. Je te retrouve là-haut.
— D’accord, à tout de suite.

J’aime beaucoup oncle Jacques. Il me rappelle mon père. Il était plus voyageur que lui. D’ailleurs, il continue de voyager. Il enchaîne ses tours du monde, comme d’autres enchaînent les balades de 50 km à bicyclette. Je pressens qu’un jour, il viendra me voir soit au Liban, soit en Arménie, soit ailleurs. En Égypte ?

Il porte toujours sur la tête sa fameuse casquette bleue. Avec sa barbe blanche, qui arrondit son visage carré surmonté de ses petits yeux verts toujours rieurs, il ressemble vraiment à un vieux loup de mer. Son surnom de Capitaine Haddock résonne en moi, alors que je prends l’ascenseur. Direction le 5e étage.

Au 5e, je fouille dans les poches de mon manteau pour attraper les clefs. Sur le palier, je les fais tomber, malencontreusement. Les lumières s’éteignent à ce moment-là. J’allume alors la lampe de mon smartphone, puis j’entre. Le grand couloir est dans le noir le plus complet. Je recherche à tâtons le bouton de l’interrupteur. Je le fais fonctionner, mais rien ne s’éclaire. Les plombs ont dû sauter.

Je continue à avancer vers le grand salon. Je fais dix pas, et toujours à l’aide de la lampe de mon smartphone, j’éclaire la double porte. Je l’ouvre lorsque, soudain, tout s’éclaire et j’entends derrière moi des voix crier :

— Coucou, Arthur. Surprise ! nous sommes là !

Je me retourne stupéfait. J’ai reconnu les voix de mes frères et sœurs. Incroyable ! ils sont tous là. Il n’en manque pas un : Joseph, Marie, Pierre, Sophie, Gabriel et Sarah. J’entends des bouchons de champagne sauter. L’un d’eux me touche en plein front. Tout le monde s’esclaffe de rire. Je vois toutes ces gorges déployées riant aux éclats. Comme il est bon de retrouver les siens ! Cela fait du bien.

— Alors, Arthur, tu ne t’y attendais pas, n’est-ce pas !

Oncle Jacques vient de rentrer et me donne une bonne tape dans le dos. Je l’embrasse affectueusement.

— Tu es trop fort pour les surprises !

Tous mes frères et sœurs me tombent alors, littéralement, dessus. Et nous finissons en atterrissant dans le grand divan bleu nuit.

— Allez, chers neveux, venez. Passons tout de suite à table. Georges vous a préparé des hamburgers, les plus fameux de Paris. Vous lui en direz des nouvelles.
— Je file dans ma chambre. Et j’arrive. C’est toujours la même ?
— Oui, elle n’a pas bougé d’un pouce. Sauf une chose, tu verras !
— Ah, bon ?

De quoi parle-t-il ? Il m’intrigue. Du coup, tout le monde vient avec moi. Direction ma chambre, en courant.

Tout au fond du couloir, j’ouvre la lourde porte en bois massif. Ma chambre est située à côté de l’un des escaliers qui mènent à l’étage. Sur sa porte a été ciselé le mot Tonkin. Au-dessous du nom, une carte sculptée représente ce pays où j’ai toujours rêvé de mettre les pieds, depuis ma plus tendre enfance. Je lis sur le post-it placardé dessus : « Attention à la surprise ! » Je suis plus qu’intrigué, presque excité, malgré la fatigue. Mon adrénaline est de nouveau remontée à la surface. Je respire un bon coup et entre le premier en essayant de contenir tout ce petit monde qui s’accumule comme un jeu de dominos derrière moi. À l’intérieur… un énorme cadeau trône au beau milieu de la pièce. J’en rougis. Puis, je me laisse déborder. Et tous se précipitent pour ouvrir le cadeau.

— Stop, c’est à moi de l’ouvrir.
— OK, à toi l’honneur, Arthur !

À peine ai-je attrapé le ruban bleu que le cadeau explose en mille morceaux de confettis et laisse apparaître mon petit aigle Tondor, ma petite licorne Scarlett et mon petit perroquet Ara. Et dire que je pensais ne plus jamais les revoir. Qu’ils étaient rentrés définitivement avec la reine Anahit. Non, ils sont bien là.

— Quelle surprise, mes chers amis ! Comme vous m’avez manqué. Je croyais ne plus vous revoir.
— Eeeh, siiii. Nous rrrevoilà.

Ara est en forme. J’ouvre la porte-fenêtre de la terrasse. Nous nous y précipitons. La nuit est tombée sur Paris. Un rayon de lumière tournoie dans un ciel pur, étoilé, habillé de noir. C’est celui de la tour Eiffel. Je pense à Aroso et à la reine Anahit. J’espère vite les revoir.

— Alors Arthur, cette surprise ?
— Formidable, oncle Jacques. Mais, comment est-ce possible ? C’est eux qui sont venus te voir ?
— Oui, juste avant que je parte te chercher à l’aéroport. Même tes frères et sœurs n’en savaient rien. Allons manger.

Nous filons tous à la cuisine où nous attend Georges.

— Régalez-vous avec mes hamburgers, les enfants.
— Merci, Georges !
— Ne sont-ils pas les meilleurs ? Et mes frites, qu’en pensez-vous ?
— C’est extra bon, Georges. 20/20, répondent Joseph, Marie et Pierre d’une seule voix.
— Moi, j’en veux un autre ! s’écrie Sarah la bouche pleine.

Le dîner terminé, il est 1 heure du matin, quand je retrouve ma chambre et mes amis du royaume d’Heradis. Ils dorment tous sur le grand tapis. Je les enjambe pour ne pas les réveiller. Leur présence devient des plus naturelles. Est-ce moi qui m’habitue à eux, ou le contraire ?

Aurais-je réussi à les apprivoiser ? Ou ne serait-ce pas le contraire ? Quoi qu’il en soit, je me couche rapidement dans mon lit à deux places. Je regarde le vieux plafond, les vieux meubles, ramenés d’Asie. Je ferme les yeux, et je me mets à voyager dans mes rêves.

— Arthur, réveille-toi !

J’ai reconnu la voix de Georges. Je me lève d’un bond. C’est déjà le matin. La nuit m’a paru si courte. Je regarde dans ma chambre, les amis d’Heradis ne sont plus là.

— J’arrive, Georges. Quelle heure est-il ? Je ne retrouve plus mon portable.
— Il est resté dans la poche de ton manteau. Tu as rendez-vous à quelle heure ?
— À 11 h. Oncle Jacques n’est pas là ?
— Non, il vient d’emmener tes frères et sœurs au train. Il n’y a que Sarah. Il ne te reste plus qu’une heure pour aller au journal.
— Ah, très bien. Merci. Cela ira.

J’ouvre la porte-fenêtre de ma chambre et respire un bon coup. Il fait encore chaud, en ce mois de septembre. Le thermomètre tutoie les 15 °C.

Je passe rapidement sous la douche. Je m’habille en quatrième vitesse. Je me surprends à être en forme et rapide, moi qui suis habituellement lent au démarrage matinal.

Je m’arrête 10 min dans la cuisine où Georges m’a préparé un mug de café noir et une tartine de pain brioché, grillée et beurrée à merveille.

— Ah, qu’est-ce que c’est bon, Georges !
— Merci. Tu mangeais quoi là-bas à Beyrouth, le matin ?
— Des fruits, du labné, une sorte de yaourt, et je buvais un bon café noir avec quelques petits pains libanais au sésame, le kaak bi semsum. Et j’avalais mon jus d’orange. Mais, je bois de plus en plus de thé.

Je regarde Georges. Il commence à blanchir des cheveux. J’admire cet homme si discret qui est resté fidèle à mon oncle. Ce sont les meilleurs amis du monde.

Rendez-vous au journal

À peine, suis-je entré dans l’ascenseur que je retrouve Ara, comme par magie.

— Tiens, te revoilà. Vous étiez où, tous les 3 ?
— Nous sommes allés chez nous, au Rrroyaume d’Herradis.
— Ah, d’accord. Tout va bien là-bas ?
— Oui.
— Et les autres, où sont-ils maintenant ?
— En bas.

Arrivés au rez-de-chaussée, je vois, effectivement, Scarlett et Tondor qui m’attendent derrière la grande grille.

— Vous m’emmenez, comme la dernière fois ?
— Oui, cher petit prince.

Ni une, ni deux, je bondis sur la croupe de Scarlett. Et la voilà qui galope en direction de la tour Eiffel. Cette fois-ci, elle ne passe pas par l’Arc-de-Triomphe.

— Tu passes par les quais de Seine, c’est ça ?
— Oui, regarde comme elle est belle, cette Seine.
— Mais tu es à contresens.
— Ce n’est pas grave, je vais éviter les voitures. Tu veux que l’on fasse comme la dernière fois ? Que je passe à travers des véhicules ?
— Allez, oui, mais une seule fois, car…

Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase qu’Ara nous crie :

— Attention, saperrrlipopette…

Un camion fonce tout droit sur nous. Scarlett ne peut pas l’éviter et passe à travers. Nous restons invisibles, nous absorbons la matière comme si elle s’était réduite en un instant à l’état moléculaire. Cependant, nous provoquons le freinage instantané du camion. Le chauffeur a eu peur et a donné un coup de volant sur sa droite, ce qui a pour effet de percuter le parapet. Il est stoppé net. J’ai cru un moment qu’il allait tomber dans l’eau. Plus de peur, que de mal ! Les quais sont bloqués. Je regarde en arrière, et j’aperçois le chauffeur descendre de sa cabine. Il n’est pas blessé, tant mieux. Il a dû avoir la peur de sa vie. Les klaxons fusent.

— Scarlett, bravo ! tu as vu ce que tu as fait ?
— Oui, pardon.
— Heureusement que nous restons invisibles.

Scarlett reprend son galop, comme si de rien n’était. Nous passons devant le musée du Quai Branly qui porte, depuis peu, le nom de Jacques Chirac. Puis, sur notre droite, la grande étendue verte soudaine de l’esplanade des Invalides attire machinalement notre regard. Sur notre gauche, le pont Alexandre III, toujours aussi majestueux. J’aime ce quartier qui dit quelque chose de Paris, de la France, de son histoire.

— Arrête-toi devant l’Assemblée nationale, le Palais Bourbon, j’aimerais que Tondor m’emmène le survoler pendant quelques minutes.
— Mais, je peux voler, aussi !
— Ahahah, oui, je sais. Mais je préfère Tondor.

Je lui fais signe. Il se pose devant nous. En un battement d’ailes, nous survolons la capitale. Elle est céleste. Tondor fait un 360° et je distingue tous les monuments importants de Paris.

— Ouah, c’est génial. C’est beau, Paris, vu du ciel. Je ne m’en lasse pas.
— Ne gigote pas trop, prince Arthur, je ne suis pas aussi imposant qu’Aroso.
— Oui, tu as raison. J’oublie à chaque fois que tu as une taille normale. Regardes-en bas, dans l’enceinte du palais, qu’est-ce que c’est que cet attroupement ? Dépose-moi. Il y a un grand drapeau arménien qui est déployé… Bizarre, bizarre…

Nous atterrissons en plein milieu de l’un des jardins, celui des Quatre Colonnes. Il n’y a personne. Je redeviens visible. Je ne pensais pas me retrouver au cœur même du Palais Bourbon. Je me dirige vers l’attroupement. Je comprends alors que la centaine de personnes sont des députés. Ils se sont donné rendez-vous dans ces jardins et ont organisé un évènement pour accueillir les nouveaux députés. Parmi eux, un député d’origine arménienne, Jean Kerkian.

Je me dirige vers lui.

— Bonjour monsieur Kerkian, je suis Arthur, du Monde des Bonnes Nouvelles. Que se passe-t-il ?
— Ah, bonjour, ça alors. Quelle surprise ? Comment saviez-vous que je faisais mon entrée aujourd’hui à l’Assemblée nationale, le jour de mon anniversaire ?

Je rougis, car j’ai beau regarder autour de moi, je suis le seul journaliste présent à ce moment. Que lui répondre ? J’ai l’impression d’être un intrus.

— Euh, vous savez, je suis, toujours, très bien informé. Et l’Arménie me tient toujours à cœur…
— Oui, vous avez raison. J’ai suivi tous vos exploits en Arménie. J’imagine que vous êtes le premier journaliste de France à être informé de ce qui se passe sur le sujet arménien. Surtout que vous devez, maintenant, avoir vos entrées partout. Allez, suivez-moi. Je vais vous présenter aux autres.

Jean Kerkian m’entraîne avec lui, en montant trois à trois les marches du perron du Palais Bourbon.

— Mes amis, mes amis, écoutez-moi. Faites silence. J’ai avec moi le jeune Arthur, qui vient d’arriver comme par enchantement. Accueillez-le comme il se doit, s’il vous plaît.

Les députés se mettent à m’applaudir en disant :

— Soyez le bienvenu !
— Oui, merci. Mais, ne m’applaudissez pas… Vous me gênez.

Des députés s’approchent de moi.

— Que devenez-vous ? Vous avez vécu de près la grande victoire des Arméniens en Artsakh, m’interpelle une jeune femme député blonde, que je ne connais pas.

Je me tourne vers Jean Kerkian.

— Qui est-ce ?
— C’est la plus jeune députée de France. Elle n’a que 20 ans. Elle s’appelle Jeanne Ghazarian.

Je lui réponds :

— Oui, j’ai couvert tous ces moments historiques. Comme vous le savez, cette libération de l’Artsakh et cette paix retrouvée dans le Caucase sont très importantes. Là, je viens de rentrer du Liban, où nous avons ouvert une antenne de notre journal à Beyrouth…

Jean Kerkian reprend la parole :

— Vraiment nous sommes très honorés de vous avoir avec nous. Allez, mes amis, allons visiter ensemble le palais.

Je m’arrête net, alors qu’il est en train d’ouvrir la grande porte d’entrée. Je viens de me souvenir de mon rendez-vous avec mon rédacteur en chef, Paul Roderre.

— Je suis vraiment désolé, cela aurait été avec joie, mais je ne peux pas rester. J’ai justement rendez-vous au journal. Je dois, hélas, déjà vous quitter.
— Mes amis, Arthur doit nous quitter. Il ne peut pas rester avec nous. Son passage était furtif. Je crois que c’est sa spécialité. Remercions-le de nous avoir honorés de son passage.

Je file à la française, sous les applaudissements de ces députés français amis de la cause arménienne. Ils viennent de s’engouffrer dans la salle des Quatre Colonnes. Je jette un coup d’œil, dans cet immense hall qui porte bien son nom. Je suis, soudain, happé de l’intérieur et je me retrouve dans cette salle.

Je visite en accéléré le salon Delacroix, la salle Casimir-Périer, le salon Pujol, la salle des conférences.

Et je rentre dans l’hémicycle, toujours pris dans cette aspiration. Personne ne m’a vu. Je suis redevenu invisible. Ce phénomène s’arrête lorsque je me retrouve sur le perron du jardin de la présidence, où m’attend Tondor. J’entends les grandes portes vitrées se refermer avec fracas.

Tondor m’invective.

— Ah, te voilà. Tu as oublié ton rendez-vous ? Tu veux devenir député ? Allez, monte, tu es en retard à ton rendez-vous.
— Oui, que d’émotions ! C’était un moment très intense. Cet endroit est majestueux. Devenir député ? Ah, tu me fais rire. Pourquoi pas ? Dans une autre vie !

Tondor s’envole. Et, 5 minutes plus tard, il me dépose au pied de l’immeuble du journal. J’ai 15 min de retard.

En entrant dans le hall, l’hôtesse d’accueil me salue de la main.

Au passage du tourniquet, mon badge d’accès ne fonctionne plus. Comme la dernière fois, quand je suis rentré d’Arménie. Quand je m’absente plus d’un mois, il se désactive automatiquement. J’aperçois Paul au loin qui marche dans ma direction.

— Ah ! enfin, te voilà, mon cher Arthur. Habituellement, tu es très ponctuel. J’ai cru que tu avais eu un accident.
— Non, tout va bien. Mais, j’ai dû m’arrêter à l’Assemblée nationale. Ils accueillaient les nouveaux députés. Parmi eux, il y avait Jean Kerkian. Tu connais ?
— Oui, il fait beaucoup parler de lui en ce moment. Surtout depuis que l’Arménie et l’Artsakh ont retrouvé leur souveraineté.
— Oui, c’est bien. Il faut continuer à défendre l’amitié franco-arménienne. Et la Francophonie !
— Arthur, tu sais que le lancement de l’antenne au Liban et tes reportages ont fait beaucoup de bruits. Jusqu’à l’Élysée. Le président Macron voudrait te voir. Il t’invite à dîner en tête à tête avec quelques amis. Qu’en penses-tu ?
— Ouah, c’est dingue, Paul. Depuis que je suis rentré, je vais de surprise en surprise. Comment est-ce possible ? Il y aura qui ?
— Je serai là avec le grand patron, et il y aura d’autres invités. Tu viens ?
— Je ne peux pas refuser une telle invitation. C’est dingue ! Mais il faut que je prévienne mon oncle et ma petite sœur.

Nous prenons l’ascenseur, direction le 5e étage où se trouve toute la rédaction. À l’ouverture des portes de l’ascenseur, j’entends le début d’un refrain qui ne m’est pas inconnu :

« Il est vraiment, il est vraiment phénoménal… »

Tous les collègues sont là, debout, en train de chanter ce refrain. Ils m’applaudissent à mon passage. Il me semble qu’il y a plus de monde que d’habitude. L’immense plateau en open-space est comble.

— Je vois à ton visage que tu t’interroges sur toutes ces nouvelles têtes que tu ne connais pas. Nous sommes maintenant à l’étroit à cet étage. Avec notre place de numéro 1, que nous te devons en partie, les ventes sont toujours en forte croissance. Elles ont plus que doublé. Nous vendons maintenant près de 500 000 exemplaires tous les jours, sous format papier. Et sous format on-line, nous avons plus de 9 millions d’abonnés. Nous avons dû recruter. Mais ce n’est pas suffisant.
— Je ne sais pas quoi te dire. Tout cela me dépasse encore. Moi qui pensais que la presse quotidienne allait chuter et boire le bouillon de la révolution numérique. C’est tout le contraire.
— C’est la Francophonie, Arthur, la Francophonie. Nos lecteurs sont très touchés par ces pays qui parlent encore le français et qui aiment tant notre culture.

Nous entrons dans son bureau flambant neuf. En un peu plus d’un mois, le siège social s’est transformé. Les baies vitrées, qui courent le long de la façade, ont été remplacées par des baies dites écologiques. Elles produisent toute l’énergie électrique dont a besoin le journal pour fonctionner. Elles sont revêtues de la dernière des technologies solaires.

Il n’y a pas de panneaux photovoltaïques à proprement parler. Mais juste une fine membrane de quelques millimètres d’épaisseur qui courent de chaque côté des baies. Et puis, il y a ces volets en bois, qui automatiquement en fonction du soleil et du vent s’abaissent ou se lèvent complètement.

— Tu vois, Arthur, ces volets mobiles agissent non seulement en fonction du soleil, mais également en fonction du vent. Tu sais que l’avenue est un vrai courant d’air. Eh bien, ce vent n’est pas perdu pour tout le monde. Les volets mobiles, en fonction de leur orientation, permettent de happer le vent. Nous bénéficions ainsi d’une ventilation naturelle constante et fraîche que l’on appelle le free cooling.
— Je rêve. Notre immeuble se transforme en modèle écologique. J’en avais entendu parler.
— Oui. En plus, nous sommes les premiers à nous lancer dans cette aventure. C’est une belle aventure, car nous ne sommes plus énergivores. Nous produisons notre électricité et nous revendons même le surplus.
— Génial.

Quelqu’un frappe à la porte du bureau de Paul. C’est Robert, le responsable de l’administration et du secrétariat général.

— Bonjour Arthur. Paul, je vous apporte votre déjeuner ?
— Oui, nous sommes prêts, Robert. Pose-le sur ma table de salon. Merci.

J’interviens.

— Attends, Robert. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? N’aurais-tu pas perdu quelques kilos ?
— Oui, tu as l’œil, Arthur. Je viens de passer en dessous des 100 kg. J’ai profité de ton départ au Liban pour commencer un régime. J’ai perdu 1 kg tous les deux jours…

Il referme la porte du bureau.

— Allez, viens, Arthur, assieds-toi. Tu veux quoi comme apéritif, de l’arak ?
— Très bonne idée. Comment sais-tu que je bois maintenant un peu d’alcool à midi ?
— J’ai entendu dire que tu t’étais bien acclimaté au Liban et que le temps des jus de grenade était terminé.
— Ah, ah ! pas totalement, Paul. Pas totalement.
— Allez, maintenant, raconte-moi, en off, tes meilleurs souvenirs. Et dis-moi comment tu fais pour vivre tous ces évènements incroyables. Jean Massaud et moi nous nous posons beaucoup de questions sur tes fameuses rencontres. Nous en avons parlé plusieurs fois et nous sommes convaincus que tu as de très bons informateurs. Mais cela ne suffit pas. As-tu un don extraordinaire, que nous ne connaîtrions pas ? Ou, peut-être, serais-tu un magicien ?
— Ah ! ah ! ah ! trop drôle, Paul. De la magie ? Pourquoi pas du fantastique ? Non, non, Paul, soit certain, il n’y a rien d’extraordinaire dans tout ce que je relate pour Le Monde des Bonnes Nouvelles, que ce soit ici ou au Liban. C’est vrai que j’ai beaucoup de chance.
— La chance ? En es-tu certain ? J’ai l’impression que tu ne me dis pas tout.
— Ahahah, tu dois lire trop de romans fantastiques.
— Non, souviens-toi, tu m’avais parlé de la reine Anahit.
— Ah, oui. Mais, c’était le contrecoup de mon retour d’Arménie. Mon imagination m’avait joué des tours. Et nous avions bien ri…
— Ah, tu vois…

Paul me donne une bonne tape dans le dos. Il reprend :

— Bon, ce n’est pas grave. Allez, raconte-moi le Liban.

Un long silence interrompt notre conversation. Puis, nous nous regardons dans les yeux et nous éclatons de rire pendant 5 min.

Au cours d’une demi-heure non-stop, en buvant notre apéritif, je lui raconte le Liban.

À la fin, la porte de son bureau s’ouvre, c’est Jean Massaud. Nous nous levons.

— Non, non, restez assis. Alors Arthur, heureux de te retrouver à la maison ? Tu as vu comme les choses changent ici ?
— Oui, c’est incroyable.
— Allez, suivez-moi tous les deux. Nous allons parler affaires dans mon bureau.

Nous sortons et nous nous dirigeons vers l’ascenseur. Direction le 7e et dernier étage. C’est là que se trouvent les bureaux de Jean Massaud, le propriétaire du journal. Il fait partie de la 5e génération des Massaud qui ont dirigé le journal de père en fils. Le journal a été fondé en 1895, par l’un des pionniers du photo-journalisme, Léonce Massaud. C’était un avant-gardiste, un génie.

Le 7e étage est occupé uniquement par lui. Son étage comprend son appartement privé – il n’est pas marié et vit comme un vieux moine dans ses 200 m2 – où se trouvent en plus sa salle de sport et son bureau.

— Allez, asseyez-vous au salon.
— Arthur, avec Paul, nous avons décidé de t’envoyer dans un autre pays pour faire la même chose qu’au Liban. Nous avons compris que tu étais l’homme-clef de ce genre d’opération. Et tu es jeune. Tu participes déjà, et grandement, à notre croissance.
— Euh, mais le Liban ? Vous m’avez déjà remplacé au Liban ?
— Non, non, pas du tout. Tu resteras le responsable de l’antenne. Mais tu vas en ouvrir une nouvelle.
— Incroyable. Où comptez-vous m’envoyer ?
— Après le Liban, nous avons étudié l’Égypte…
— L’Égypte ? C’est fou… Quel pays !
— Oui, nous t’envoyons, en Égypte, au Caire. Tu vas faire la même chose qu’à Beyrouth.
— C’est une chouette nouvelle. J’accepte de suite. Pendant mes études à Sciences Po, j’ai fait un stage à l’ambassade de France du Caire.
— Oui, nous l’avions noté. Nous te proposons de t’y rendre en novembre/décembre prochain. Tu peux prendre quelques jours de vacances à partir de la semaine prochaine.
— Combien ?
— Deux semaines, si tu veux.
— D’accord, je ne pouvais pas rêver mieux. C’est ma famille qui va être contente.
— Allez, c’est donc officiel. Tu vas lancer Le Monde des Bonnes Nouvelles en Égypte, il s’appellera Les Bonnes Nouvelles d’Égypte. Nous avons pensé à changer le nom pour le Liban, qui s’appellera à partir du 1er janvier 2022 Les Bonnes Nouvelles du Liban. Nous fêterons cela ce soir à l’Élysée, avec le président Macron.
— Trop génial.

Une soirée à l’Élysée

C’est une soirée pas comme les autres que je vais vivre, en présence de mon oncle et de ma petite sœur. J’ai obtenu qu’ils nous accompagnent. Nous nous mettons sur notre 31. Le rendez-vous est à 20 h. Cette fois-ci, il n’y aura pas d’Ara, de Scarlett et de Tondor. Je leur ai demandé de nous laisser seuls, afin d’éviter toute gaffe. Ara pourrait apparaître en plein dîner et créer un enchaînement de petites catastrophes toutes imprévisibles, qui seraient dès le lendemain à la une des… journaux : Un perroquet qui parle à l’Élysée !

Il est 19 h 30 quand nous montons tous dans la nouvelle voiture d’oncle Jacques, une Tesla bleu nuit.

— Cette voiture est formidable, Arthur. Je ne l’utilise que pour la ville.
— Incroyable, cette accélération !
— Oui, c’est le Model Z+. C’est la plus performante. Elle passe de 0 à 100 km/h en moins de 2 secondes. Il faut avoir une licence « pilote de course » pour la conduire. Sa vitesse de pointe frôle les 400 km/h. Elle est presque aussi rapide qu’une McLaren Speedtail.

Sarah, qui est bien calée dans le siège arrière, pousse un long bâillement et intervient dans la conversation.

— Et ce bouton-là, c’est quoi ?
— N’y touche pas, c’est le bouton-poussoir du siège éjectable.
— C’est quoi ça ?
— Non, je rigole, Sarah. Il n’y a pas de siège éjectable ici. Nous ne sommes pas dans un avion de chasse. En cas de panne, le pilote appuie sur le bouton du siège éjectable, ce qui provoque l’extraction de la verrière du cockpit et la poussée de son siège vers le haut, à l’extérieur de l’avion. Tu comprends ?
— J’aimerais bien en avoir un, moi, un siège éjectable.

Nous partons dans un fou rire, alors que nous arrivons, déjà, devant les grilles de l’Élysée. Nous avons droit à la cour d’honneur. Nous sommes tous salués et contrôlés par les gendarmes de la Garde républicaine, avant de passer le grand portail. Puis, nous suivons les indications et nous nous garons sur le côté, à droite. Nous traversons la grande cour. Sur le perron, nous sommes accueillis par le Secrétaire général.

— Le Président de la République va vous rejoindre dans le jardin d’Hiver. Suivez-moi.

Après le vestibule d’honneur décoré avec des œuvres d’art contemporaines chinées par madame Macron, nous passons devant le grand escalier.

— Je veux monter, je veux monter, insiste avec force Sarah, prête à gravir la première marche.
— Non, mademoiselle, c’est impossible.

Dans le haut de l’escalier, une voix se fait entendre.

— Si, si, Alexis, laissez-la. Je viens à sa rencontre.

Sans attendre, Sarah se précipite et on la voit sautiller de marche en marche, sur le grand tapis bleu roi. Elle rejoint Brigitte Macron, tout essoufflée à mi-parcours.

— Bonjour petite fille ! Alors comment t’appelles-tu ?
— Bonjour Madame, je m’appelle Sarah.
— Ce sont ton oncle et ton frère que je vois en bas ?
— Oui, oui, c’est eux.

Brigitte Macron descend tout doucement les marches en tenant bien par la main Sarah.

— Bonjour Messieurs, alors c’est donc vous le jeune Arthur ?
— Bonjour Madame. Oui, oui, c’est moi.
— Venez, je vais vous montrer quelque chose, puisque j’ai cru comprendre que vous partiez bientôt en Égypte.

Nous la suivons. Et, nous nous arrêtons devant le salon Cléopâtre.

— C’était le bureau de Louis-Napoléon Bonaparte. Nous l’avons renommé, ainsi, car nous aimons beaucoup la rencontre d’Antoine et de Cléopâtre. Cela vous plaît ?
— Oui, il est très beau.

Elle se tourne alors vers mon oncle.

— Alors vous aussi, vous êtes un grand aventurier ? Les eaux d’Asie du Sud-Est ne vous manquent-elles pas ?
— Ah, Madame, vous avez bien raison. L’Asie me manque. J’y retourne de temps en temps.

Nous arrivons dans le jardin d’Hiver où la quinzaine d’invités a déjà pris place.

— Ah, voilà enfin Arthur !

Paul Roderre vient à notre rencontre, suivi d’un serveur qui nous apporte des flûtes de champagne. Une voix protocolaire se fait entendre :

— Mesdames et Messieurs, je vous prie de bien vouloir accueillir le Président de la République, Emmanuel Macron.

À cette annonce, tous, nous nous tournons vers l’entrée de la pièce chapeautée d’une verrière. Le président nous rejoint tout sourire.

— Avec Brigitte, nous sommes très heureux de vous accueillir dans cette grande maison, qui est la vôtre. Je ne vais pas faire de discours. Je vais simplement saluer et remercier Arthur, car c’est grâce à lui, à ses aventures, à son amour pour la Francophonie, et à son journal, que nous apprécions tout particulièrement, que nous sommes réunis ici. Brigitte ?
— Oui, je vous invite tous à nous suivre et à passer à table.

Quelques applaudissements nourrissent ses propos. Des « vive Arthur » fusent. Puis, nous suivons le couple présidentiel. Brigitte se retourne.

— Nous nous rendons dans le salon des Portraits. Vous allez voir, il est majestueux.

Il porte bien son nom. Décorée par Napoléon III, cette pièce était celle de son conseil des ministres. Huit régnants étrangers y sont représentés : l’empereur François-Joseph d’Autriche, le pape Pie IX, les rois Victor-Emmanuel d’Italie, Frédéric-Guillaume IV de Prusse, Guillaume Ier de Wurtemberg, la reine Isabelle II d’Espagne, la reine Victoria du Royaume-Uni, et le tsar Nicolas Ier de Russie.

— Mesdames et Messieurs, je lève mon verre à Arthur ! Cheers.

Nous nous étions tous assis autour de la grande table. Nous nous levons d’un coup, notre coupe de champagne à la main. Et nous trinquons les uns avec les autres.

Au moment où je trinque avec Brigitte Macron, au cliquetis du bruit qui s’échappe de l’entrechoquement des deux flûtes, je me retrouve, soudainement, ailleurs, dans une autre pièce de l’Élysée.

Le général de Gaulle

— Alors, jeune Arthur, que pensez-vous de cette idée ?

J’entends une voix typique, que je reconnais facilement. Et, je le vois, là, devant moi, en chair et en os. Mon ubiquité me fait rencontrer, de nouveau, le général de Gaulle. La première fois, je l’avais rencontré pour fêter son anniversaire. C’était au Liban, le 22 novembre 1930. Il y était avec toute sa famille, depuis un an. En tant que commandant, il dirigeait les renseignements militaires et le service opérations. J’avais bénéficié, là encore, de mon don d’ubiquité. C’était incroyable.

Et là, de nouveau ! Comment est-ce possible de le revoir ici à son bureau de Président ? Je me retrouve face à lui, devant ce monument de la Ve République, devant ce héros aux deux étoiles de la Seconde Guerre mondiale, qui a sauvé les Français du Nazisme et du Stalinisme. Devant, le grand homme qui a redonné à la France son indépendance et sa souveraineté, tout en sauvegardant son histoire et ses racines.

— Alors Arthur, vous me répondez ?

J’avoue que je ne sais pas quoi lui répondre. Je comprends que je suis son conseiller personnel en communication. C’est exactement cela. Je le lis dans la lettre qu’il vient de me remettre et qui est adressée à Arthur de La Madrière, Conseiller personnel du Président en Communication. Nous sommes dans le salon Doré, et avec sa stature il m’impressionne. Mais, il ne me domine pas de sa phrasée, de sa gestuelle et de ses hausses de ton. Il a gardé son caractère et son style militaire. Notre conversation reste assez simple et directe, même si le sujet est grave. Nous sommes en mai 1968. La révolution estudiantine gronde. Le vieux président se demande ce qu’il doit faire. Dois-je envoyer ou non la troupe contre les étudiants et les ouvriers, si les choses devaient empirer ?

— Mon général, c’est prématuré. La patience n’est pas une faiblesse, elle est une vertu. Je comprends votre projet. Mais, il est hâtif. Vous devriez prendre du recul. Vous éclipser, en quelque sorte. Vous êtes trop exposé.
— Quoi, vous me demandez d’abandonner le combat, de laisser le terrain à nos adversaires manipulés et pilotés par le Kremlin ? Hors de question. Vous m’entendez, ce n’est pas envisageable.

Il faut voir le général se lever d’un trait. Il hausse maintenant le ton. Fait les 100 pas entre son bureau et la grande porte-fenêtre qui donne sur le parc. Il tourne autour et pose ses mains sur mes épaules, en répétant : « Capituler face à ces jeunes, qui ne connaissent rien de la vie, jamais. Vous m’entendez, Arthur ? JAMAIS ! »

Il me regarde droit dans les yeux pour m’impressionner. Il ne crie pas pour autant. Il n’en a pas besoin. Avec ses grands bras, ses grands gestes, la diction de ses mots, lente et précise, il sait qu’il n’a pas d’autre choix, s’il veut éviter un bain de sang, une mini guerre civile. Il doit partir.

— Mon général, il ne s’agit pas de fuir. Il s’agit de ne plus donner de résonance aux grèves, aux manifestations violentes, aux révoltes estudiantines et ouvrières. Prenez du recul. Montrez que cela ne vous impressionne pas. Et, revenez avec une idée forte pour le pays, quand il sera un peu plus apaisé. Revenez avec un projet exceptionnel, une vision, un cap. On va le faire ensemble.
— Et dois-je prévenir de mon départ ? Dire où, et pour combien de temps ?
— Non, il ne faut rien dire, mon général. Aucune communication sur le sujet.
— Je dois faire le mort, en d’autres termes.
— Oui, c’est ça. Ne dites rien.
— Et à ma femme ?
— Si, mettez-la dans la confidence. Elle est habituée.
— Combien de temps ?
— 7 jours, 7 nuits !
— 7 jours, 7 nuits ? Vous aimez les bons mots, vous. Bon, c’est d’accord.
— Où dois-je partir ?
— Si j’étais vous, je prendrais l’hélicoptère dès ce soir pour Baden-Baden, retrouver Massu.
— Mais, j’ai mon Conseil des ministres demain matin.
— Annulez-le.
— On s’en souviendra de ce 29 mai 1968.
— Oui !
— Et, mon projet ?
— Un référendum, tout simplement.
— C’est une très bonne idée, mon cher Arthur. Je suis ravi de vous avoir à mes côtés. Vous êtes sorti de vos gonds au bon moment, et vous m’avez donné la meilleure idée qui soit. Allons dîner.

Le général de Gaulle se lève. Je lui emboîte le pas. Nous nous retrouvons dans sa salle à manger familiale. Nous ne sommes que tous les deux. Il débouche une bouteille de champagne. Puis, il lève son verre et dit :

— Rendez-vous à Baden-Baden…

C’est, en effet, là qu’il se rend dès le lendemain matin, à l’aube. Il est parti en Allemagne rejoindre le quartier général des forces françaises, où il retrouve Massu…

— Alors, Arthur, racontez-nous le Liban.

En même temps, mon don d’ubiquité me permet d’être pleinement à la soirée des Macron. Comment leur dire que je suis, aussi, en tête-à-tête avec le général ? Impossible, il me prendrait pour un fou.

— Euh, les Libanais ne vous ont pas oublié, Monsieur le Président. Et la communauté arménienne de Bourj Hammoud non plus. Tous, ils vous attendent. Ils ont besoin d’une voie forte et de nouveaux engagements. Ils n’aiment pas les politiques qui viennent en coup de vent…
— Oui, oui, Arthur, ils ont raison. J’ai promis d’y retourner. C’est vrai, Arthur. Je suis en train d’y réfléchir avec toute mon équipe, l’ambassadrice et le ministre des Affaires étrangères. Je pense y retourner en force, plus longtemps, sur une semaine, avec des entrepreneurs qui m’ont promis d’investir au Liban. Les Libanais de France sont très dynamiques sur le sujet. La France va multiplier par deux son aide et sa présence au Liban. Cela va être significatif, mon cher Arthur. J’espère que vous serez des nôtres. Rendez-vous dans l’avion présidentiel le 4 août 2022. C’est un scoop, mais comme vous le comprendrez, il est trop tôt pour diffuser cette information. N’est-ce pas Messieurs Massaud et Roderre ?

Jean Massaud et Paul Roderre se regardent et répondent ensemble.

— Oui, oui, mon général… Euh pardon, président !

Tous éclatent de rire. Moi, le premier !

Parmi la quinzaine de personnalités, Brigitte Macron a invité dans un souci d’équilibre 4 Arméniens et 4 Libanais. Parmi les 4 Arméniens, il y a le fils de Charles Aznavour, Nicolas et son épouse. Il y a, également, le bienfaiteur que j’avais rencontré en Arménie, Tigran Gazadirian et son épouse. Parmi les 4 Libanais, il y a le célèbre homme d’affaires, Ibrahim Sharouy, accompagné de l’égérie d’une grande marque de luxe française.

Il est, toujours, très bien accompagné. Et ce fameux grand professeur Sfeir. Ah, comme nous avons bien ri ensemble, lorsque nous nous sommes revus ! Le couple Macron n’a pas manqué d’inviter Maya Mahhad, cette jeune orpheline propriétaire de la célèbre librairie qui porte mon prénom Arthur.

À table, elle est à ma droite. Je tombe de nouveau sous son charme. Nous avons juste un an de différence.

— N’est-ce pas génial de se retrouver ici, à l’Élysée ?
— Oui, c’est inespéré.

I

De retour en Anjou

Le dîner à l’Élysée s’est terminé avec une annonce personnelle du Président de la République.

— Arthur, j’y ai beaucoup réfléchi. Vos aventures en Arménie et au Liban, et bientôt en Égypte, m’ont inspiré. Elles sont remplies de l’esprit français. Cet esprit, qui épouse les contours de la littérature, qui invite au voyage et à la rencontre d’autres cultures, qui orchestre et redonne son souffle à l’amitié franco-arménienne, à l’amitié franco-libanaise, et redore le blason de la Francophonie, ne peut laisser indifférent. Mieux encore, il doit être célébré, écrit dans le marbre de nos vieilles institutions, donné en exemple au plus grand nombre. On ne peut le garder pour soi. L’entre-soi est, d’ailleurs, notre pire ennemi. C’est pour cela que j’ai pensé à vous remettre les insignes de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur. Est-ce que vous l’acceptez ?

Cette annonce inattendue est une vraie surprise. Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai plus de voix. Je rougis. Un silence sort de ma bouche bée. Nous nous regardons en souriant.

— Oh là là ! Vous me faites trop d’honneur, président. Il faut que je réfléchisse. J’ai combien de temps pour vous donner ma réponse ?
— Prenez votre temps, Arthur. Discutez-en avec votre oncle et votre grand-père, qui sont tous les deux Grands officiers.
— Oui, je le ferai. Tout cela est si nouveau pour moi, ces distinctions, ces honneurs. J’aimerais plutôt que vous vous engagiez davantage pour ces pays.
— Je vais le faire, je vais le faire, également, mon jeune Arthur, ne vous inquiétez pas.

Nous nous sommes salués sur le perron. Brigitte m’a embrassé. Puis, une longue nuit de sommeil a suivi.

Le vendredi, nous partons avec Sarah, juste après le déjeuner.

C’est oncle Jacques qui s’est mis aux fourneaux. Avec Sarah, nous le retrouvons dans la grande cuisine.

— Est-ce que vous voulez m’aider à préparer le déjeuner ?
— Nous allons faire quoi ?
— Sarah, toi, tu vas préparer une petite entrée avec des tomates. Georges les a, déjà, prédécoupées. Il ne te reste qu’à les assembler avec les miettes de thon. Et, on rajoutera un peu de poireaux.
— Toi, Arthur, tu vas m’aider à préparer les brochettes de poisson à la Tonkinoise.
— Beurk, j’aime pas le poisson.
— Sarah, fais-moi confiance. Pour toi, je vais te préparer une toute petite brochette pleine de saveurs. Tu verras, tu vas te régaler.
— Et, j’aurais des frites ?

Nous éclatons de rire, car au moment où elle pose cette question, elle vient de découper une tomate qui l’a éclaboussée en plein sur le visage.

— Tiens, prends du Sopalin. Oui, je te fais une portion de frites, également.

Nous déjeunons vers 13 h sur la terrasse. Le soleil est, en effet, radieux. La température dépasse les 20 °C.

Puis, nous partons vers 14 h. De nouveau, oncle Jacques me prête sa vieille Alpine Renault 130 RTS.

— Tu feras attention, car j’ai changé complètement la batterie de la voiture. J’ai augmenté, ainsi, son autonomie. Tu n’auras pas besoin de la recharger. Elle fait la route jusqu’en Anjou. Tu t’arrêtes toujours chez tante Angèle ?
— Oui, nous dormons chez elle, comme la dernière fois.
— Elle a un nouvel animal de compagnie.
— C’est quoi ?
— Un chat !
— Ah, c’est vrai que tu n’aimes pas les chats. Tu sais, en Égypte, ils sont très vénérés. Enfin, ils étaient. Je ne sais pas si c’est, toujours, le cas.

Oncle Jacques nous salue de la main. Plus je voyage, plus je l’aime. Lui, le grand aventurier. J’aime bien passer le voir à Paris. Il me rappelle mon père. Ils se ressemblent tellement, comme de vrais jumeaux.

Oui, c’est un grand aventurier, car outre l’Asie, il a fait, également, l’Afrique. Il aime beaucoup retourner en Afrique du Sud. Après le décès de papa, il avait mis entre parenthèses tous ses voyages. Puis, un an après, il les a repris. Mais il voyage moins qu’avant.

Je prends la direction du périphérique aussi bruyant que pollué. La capitale s’éloigne. Nous empruntons l’autoroute A6. Nous dépassons souvent les 130 km/h. Il faut que je fasse attention, car cette voiture est un petit bolide.

Je la conduis depuis mes quinze ans. Je profitais des vacances d’été à La Madrière pour me glisser dedans et faire le tour du village. À l’époque, la voiture avait l’ancien moteur thermique, qui faisait beaucoup plus de bruit.

Je n’avais pas peur de la vitesse. Et, quand j’accélère, je pense à mon père. Dès le plus jeune âge, vers 5 ans, il m’avait mis dans un mini-kart. Il m’a, ainsi, transmis sa passion pour le sport automobile, pour la vitesse.

Les souvenirs remontent à la surface alors que nous nous approchons de Chartres.

C’est vrai, mon père était un pilote hors du commun. Il a remporté plusieurs fois le Paris-Dakar. Mes yeux s’embuent à son souvenir.

Pour mes 10 ans, il avait décidé de faire les 24 h du Mans. Et, il a terminé sur le podium. Je m’en souviens très bien, car nous avions fêté mes 10 ans sur place.

Arrivé 3e, il avait déclaré :

— J’offre cette place de bronze à mon fils Arthur, qui fête aujourd’hui ses 10 ans !

J’étais dans ses bras, et tous les frères et sœurs étaient au pied du podium. Sarah et Gabriel n’étaient pas encore nés. Ce jour-là, j’ai eu droit à ma première flûte de champagne, juste un fond, un doigt.

Ah, comme il me manque.

— Sarah, tout se passe bien derrière ?
— Oui, je lis une BD de Martine.
— Laquelle ?
— Martine à l’école.
— Ah ah, tu aimes bien l’école toi. Surtout quand tu fais l’école buissonnière pour être avec ton frère.
— C’est quoi l’école bison-air ?
— L’école BUISSONNIÈRE, c’est quand tu prends des vacances non autorisées en période scolaire. Tu ne vas pas à l’école. Tu pars au soleil… Comme maintenant. Mais, c’est exceptionnel.
— C’est quoi, essaissionel ?
— EXCEPTIONNEL, cela veut dire que ce n’est pas comme d’habitude.
— C’est vrai ça. Avec toi, c’est jamais comme d’habitude.

Ah, comme je l’aime, ma petite sœur. Avec elle, le monde ressemble à un conte pour enfants. Un monde merveilleux où brillent, dans les yeux des êtres aimés, les lueurs de l’espièglerie, de l’innocence et de la tendresse.

La route est facile. C’est étonnant, il y a peu de circulation. Je roule entre 130 et 135 km/h sur l’A11, qui vient d’être refaite. Les paysages de la Beauce sont magnifiques. Ils ont revêtu leur manteau d’automne. Les champs de blé, de colza, de maïs, d’orge et de seigle sont dénudés. Ils ne sont plus que des tapis de semences, qui attendent le printemps et l’été pour s’éveiller, grandir et germer…

J’emprunte la sortie numéro 2 vers Chartres. 10 min après nous nous arrêtons devant la cathédrale.

— Alors Sarah, cela ne te rappelle pas de bons souvenirs ?
— Si, si. Tu m’as dit que c’était là où les parents se sont mariés.
— Oui, c’est ça.
— Et, la dernière fois, il y a eu cette histoire avec la Vierge.
— Oui, c’est vrai. Tu as une bonne mémoire.

En sortant de la voiture, je la prends dans mes bras et nous nous faisons un gros câlin. Avec sa petite robe mousseline, elle me fait penser à Sissi l’impératrice.

Je regarde les flèches de la cathédrale, et je me souviens qu’au mois de juin nous les avions survolées avec Tondor. Tiens, cette fois-ci, ils ne sont pas là, Ara, Scarlett et Tondor.

Ils n’ont plus donné signe de vie. Je les ai oubliés. Je ne sais même pas si j’ai pris avec moi le fameux bâton de Moïse, Bamoï.

De nouveau, et je ne sais pas pourquoi, je pense en regardant les flèches, à celle du mémorial du génocide arménien. À Tsitsernakaberd, à Erevan en Arménie. L’Arménie me manque, comme le Liban. J’y ai vécu des moments inoubliables. Ah, comme les Arméniens et les Libanais se ressemblent, finalement. Ils ont vécu tant d’épreuves. Ils sont toujours là. Ce sont des survivants. Plus que résilients, ils sont des combattants.

— Arthur, à quoi tu penses ?
— Excuse-moi. Allez, on y va.

Nous entrons dans cette cathédrale majestueuse. Dire qu’elle existe depuis 1230. Elle a été construite sur les bases de l’ancienne cathédrale carolingienne, détruite par le feu. Quelle durée ! Elle en a vu des femmes et des hommes prestigieux. Je pense notamment à Henri IV. Il y a été sacré. Habituellement, les rois étaient sacrés à Reims, mais là non. Est-ce lié à la religion protestante qui s’étendait comme l’huile sur le feu dans le Royaume de France ? Je m’interroge.

Je pense également à un autre personnage célèbre que j’ai étudié pendant mes études supérieures, je pense à Noël Parfait. Quel nom et quel prénom ! C’était un député des années 1850, qui s’est opposé à Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, il a dû s’exiler en Belgique. Il est devenu le secrétaire d’Alexandre Dumas. Il a pu revenir en France. Il est devenu journaliste et puis, il a été de nouveau député. C’est pour cela que je l’aime beaucoup. Sans lui, Alexandre Dumas n’aurait pas été le grand Alexandre.

Et puis, en franchissant la grande et lourde porte de la cathédrale, je ne peux m’empêcher de penser à Péguy. Ah Péguy ! Dans la pénombre de la cathédrale, je pense à ce priant-poète, à sa vie, à ses engagements politiques, à ses écrits poétiques. Il est étonnant cet homme de gauche qui s’est converti. Et qui, ensuite, a fait de la cathédrale son palais préféré. Il aimait souvent marcher entre Paris et Chartres. Pendant ses deux ou trois jours de marche, il écrivait. Sa plume devenait lyrique.

Dans l’un de ses poèmes, Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres, il fait virevolter sa plume :

Un homme de chez nous, de la glèbe féconde

A fait jaillir ici d’un seul enlèvement,

Et d’une seule source et d’un seul portement,

Vers votre assomption la flèche unique au monde.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,

Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix,

Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,

La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.

Tour de David, voici votre tour beauceronne.

C’est l’épi le plus dur qui soit jamais monté

Vers un ciel de clémence et de sérénité,

Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute,

La plus haute oraison qu’on ait jamais portée,

La plus droite raison qu’on ait jamais jetée,

Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.

Je connais ce poème par cœur. Je le récite souvent, comme s’il devenait une sorte de prière.

— Arthur…

Je sors de ma rêverie, et j’entends Sarah qui m’appelle en chuchotant fortement. Elle me fait de grands gestes. Elle est du côté de l’autel. En la rejoignant, je regarde les magnifiques rosaces aux couleurs bleu, rouge et violet, qui me fascinent toujours.

Je me rapproche de l’autel.

— Arthur, c’est bien là que les parents se sont mariés ?
— Oui, Sarah. Exactement.

Je vois une petite larme rouler sur sa joue. Je la prends dans mes bras, lui fais un gros bisou et la serre très fort.

— Ils sont là-haut maintenant Sarah. Ils nous regardent.
— Arthur, on fait une prière à Marie ?
— Oui, pourquoi pas !

Elle me prend la main. Et, m’entraîne vers la statue de la Vierge Marie, Notre-Dame du Pilier.

— Tu commences le Je vous salue Marie, car je ne le connais pas par cœur.
— Euh, oui. Je vous salue Marie, pleine de grâces…

En commençant cette prière, je me souviens que c’est à cet endroit-là que j’avais vu, lors de mon dernier passage avec Sarah, des rayons de soleil illuminer la statue de la Vierge.

— Tu te souviens, Sarah, de ce qui s’était passé en juin dernier ?
— Oui, les rayons ! Et, nous avons cru voir les parents en forme d’anges.

Cette fois-ci, rien d’extraordinaire ne se passe.

— Allez, on va repartir pour ne pas arriver trop tard chez tante Angèle.
— D’accord !

Je ne lui ai jamais raconté cette histoire de la Vierge, avec le prénom de la reine Anahit qui s’était inscrit comme par magie sur le front de la statue.

Sur la route de tante Angèle

Nous filons en direction de Tours. Il est 16 h. Nous serons chez tante Angèle dans moins de deux heures. Nous empruntons les routes de campagne, via la nationale 10. L’Alpine va parcourir les 200 km en moins de deux heures. J’évite les excès de vitesse. Nous passons Châteaudun, Vendôme et Monnaie. Nous arrivons dans le nord de Tours vers 17 h 30. Je rejoins la route de l’aérodrome. Oncle Jacques s’y est souvent posé. Nous passons devant la BA 705. C’est là qu’il a appris à piloter. Il n’avait pas 17 ans. C’était le plus jeune pilote de sa génération. Il était un as des as. Comme j’aurais aimé le connaître dans ces années-là.

— Regarde Sarah, tu vois l’avion sur le rond-point.
— Oui !