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Composé de deux contes, cet ouvrage explore avec finesse la rencontre entre vérité et imaginaire. Le premier relate l’odyssée de Teagi, fils du roi Hotu Matua, qui mena la colonisation de l’île de Pâques. À travers les mythes maoris, cette narration s’immerge dans la spiritualité et les légendes d’un peuple marin, mettant en lumière le concept d’Atua, leur divinité. Le second récit offre une parabole saisissante sur une société idéale façonnée par une secte religieuse, vue à travers le regard d’un immigrant indien. Cette réflexion interroge les notions de gouvernance et les modèles sociétaux. Deux univers distincts se dessinent : l’un imprégné de mythes, l’autre nourri de pensées philosophiques, tous deux porteurs d’une quête d’idéal. Laissez-vous emporter par ces histoires riches en significations, qui invitent à la contemplation et à l’évasion.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean Marcel Beaudoin a longtemps été imprégné par ces deux récits. Il façonne habilement des phrases riches et évocatrices à partir de ses observations et de ses découvertes, car on ne perçoit véritablement la profondeur des choses qu’en les rédigeant.
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Seitenzahl: 798
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean Marcel Beaudoin
Atua
suivi de Lettres d’Utopia
Contes
© Lys Bleu Éditions – Jean Marcel Beaudoin
ISBN : 979-10-422-5165-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À tous les Tahitiens
et Maoris de toute la Polynésie,
leurs ancêtres et leurs descendants.
Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur, celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.
George Orwell, 1984
La Nuit « Po », les Étoiles « Feti ‘a », le Soleil « Mahama ou Raa », la Lune « Ava ‘e ou Marama », le Firmament « Ra’i », la Terre « Fenua »… Comment dire ce que la langue ancienne des Tangata Manu (humains) pouvait dire, même avec la langue actuelle des Maoris ? Nous ne savons presque plus rien des anciennes coutumes, mais cela ne doit pas nous empêcher d’en parler. Nous irons ainsi vers la vérité, car même l’erreur avérée est une source de juste connaissance. Elle pose, du fait même de sa fausseté, les bases de la recherche de la vérité, surtout des faits vérifiés, et crée les fondements d’une discussion positive qui, peu à peu, se rapproche de la vérité. Cela se vérifie, si l’on prend comme base toutes les inepties.
Dans le tahitien actuel, le son k est absent, remplacé par une pause marquée par une apostrophe. La marque du pluriel, le son nga, a presque disparu. L’ancienne langue maorie n’existe plus, bien sûr. Elle était parfaite, bien que de nombreux patois et dialectes subsistaient également. Les initiés utilisaient parfois entre eux une langue mystérieuse, encore plus ancienne et savante, qui leur permettait de comprendre tous les autres langages des îles. L’ancien parler polynésien se rapproche singulièrement de celui de Fenua Enata (les Marquises), de l’ancien pascuan, et des parlers actuels des Maoris de Nouvelle-Zélande. Cette langue maorie, à l’origine, était commune à toutes les tribus, et elle compte parmi les langues humaines existantes qui possèdent le moins de consonnes : douze signes suffisent à marquer les voyelles et les consonnes. Les divers parlers austronésiens qui subsistent en sont très proches.
Un jour, on cherchera sûrement à comprendre pourquoi cette simplification existe, et on trouvera qu’il y a une explication importante. Peut-être que les sons qui n’ont pas été développés sont inconnus dans les lieux où cette langue s’est formée. Ou bien, la langue s’est débarrassée des sons qui n’avaient pas de signification profonde dans l’environnement des locuteurs. Les sons employés dans les langues humaines semblent généralement dérivés de l’environnement et imitent souvent les bruits de la nature, des animaux, des éléments… Nous devons étudier les mythes fondateurs des tribus maories pour saisir quelque chose de cette civilisation extraordinaire.
La pire des choses n’est-elle pas de décréter, sans examiner les faits, que toute vérité issue de croyances, et même parfois de technologies fondées sur ces mythes, est fausse et donc contestable ? Je parle de la vérité officielle, celle qui repose plus sur la foi que sur des preuves matérielles ou scientifiques indiscutables. Pourtant, même les preuves jugées incontestables ne démontrent souvent que très peu de choses, et leur authenticité reste rarement certaine. Nous allons composer un récit mêlant des éléments historiques rapportés dans les légendes, ainsi qu’un événement de rencontre du troisième type avec un extraterrestre nommé Tiki. C’est du moins le nom que Teagi lui donna.
La plupart des dirigeants politiques ont toujours fait rédiger par leurs scribes une histoire destinée à les glorifier, souvent même avec des documents authentiques, mais partiels et modifiés, ou bien fabriqués de toutes pièces. Il en était ainsi dans les îles du Pacifique.
Aujourd’hui encore, des éducateurs zélés, sournoisement persécutés, ceux qui nient les vérités révélées, remplacent les religions anciennes par de prétendues vérités historiques forgées par les colonisateurs, comme autant de chaînes. Il ne faut pas oublier que les preuves peuvent être fabriquées, et que les faussaires de l’histoire existent et œuvrent toujours. Des référents plus sages et plus avertis que moi pourront examiner et corriger les inexactitudes concernant les conquérants de l’Océan Pacifique. Ces hommes du Néolithique, de l’âge de la pierre polie, ont traversé cette immense étendue marine, peuplant toutes les îles habitables, et atteignant sans doute l’Amérique en quelques décennies, avant de revenir. La diffusion de la patate douce, le kumara, une plante développée par les Amérindiens, probablement ceux du Pérou actuel, en est la preuve. Quelle civilisation a donné le signal de cette conquête du Pacifique ? Il s’agit de populations très peu nombreuses à l’origine, qui ont probablement traversé cet océan de part en part en quelques générations, peut-être même en une seule grande traversée initiale, avant de revenir. Le régime des vents permet ces navigations. En période d’El Niño, les vents d’ouest laissent place aux vents d’est pendant quelques mois, facilitant le retour. Des explorateurs maoris ont certainement effectué ce trajet. Mais ces traversées ont cessé, et les populations ont ensuite évolué en vase clos, se mêlant aux civilisations locales existantes.
Certains indices permettent de penser que cela s’est produit 3000 ans avant notre ère, lorsque ces ancêtres mythiques quittèrent probablement les côtes de Taïwan ou de Hawaïki, leur terre d’origine située à une certaine distance. Cette première traversée de l’océan Pacifique n’a laissé aucune trace certaine. Peut-être le kumara, la patate douce, fut-il rapporté à cette occasion, tout comme les ancêtres des poules sans queue, pondant des œufs bleus, trouvées par les Européens au Chili, notamment chez les Araucans, furent-elles apportées par les découvreurs. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour déterminer la période de leur arrivée en Amérique du Sud. Il semble que dans d’autres régions, comme en Amérique centrale et en Amérique du Nord, le poulet domestique n’ait pas été présent avant l’arrivée des Européens. La domestication du coq s’est faite en Inde du Sud-Est vers 4000 avant notre ère, selon les recherches actuelles.
Les études documentées actuelles ne tirent pas encore de conclusions archéologiques démontrant que cette traversée a pu se produire à une époque aussi ancienne. Les spécialistes estiment que le peuplement est bien plus récent, et ils ont sans doute de bonnes raisons de le penser. Nous savons aujourd’hui que l’île de Pâques était autrefois recouverte de forêts, notamment de grands palmiers semblables à ceux que l’on trouve aujourd’hui au Chili, dont les petites graines ont pu être transportées naturellement par les courants marins. Nous savons même quand cette forêt a disparu. Notre récit n’établit pas clairement cette chronologie, mais c’est naturel, car nous étudions et avançons vers la vérité. La vérité d’aujourd’hui repose sur la réfutation des erreurs et des théories d’hier.
Lisons les textes qui ont été compilés, regardons les techniques, les outils, les œuvres d’art qui ont subsisté.
Il était une fois un Peuple de marins, d’arboriculteurs, d’éleveurs, le Peuple des Maoris, qui occupait le vaste territoire polynésien. Ils descendaient des Austronésiens (la civilisation nommée Lapita par les archéologues) qui s’étaient aventurés dans l’Océan Pacifique et y avaient rencontré d’autres Peuples : les Australiens, les Papous, les Mélanésiens déjà installés dans ces contrées depuis des siècles (au moins 30 siècles d’après nos documents fossiles). Ils étaient aussi allés vers l’Afrique, s’installant à Madagascar, et jusqu’en Amérique. Ils partirent de plusieurs zones continentales de l’Asie, puis sans doute de Taïwan, et peut-être aussi du Japon. Ils étaient de diverses origines, mais possédaient en commun une culture particulière et s’exprimaient dans une langue commune, le maori, qui a généré les patois locaux actuels de Polynésie, d’où provient le tahitien devenu langue littéraire avec la traduction de la Bible par les missionnaires anglais, puis par les écrits des Polynésiens eux-mêmes dans leur langue locale. Qui étaient-ils ? Quelles étaient leurs vies ? De leur histoire, nous ne connaissons que les légendes et les généalogies transmises oralement, puis transcrites. Ceci fut avéré lorsque l’écriture arriva dans ces contrées. Une saga transmise oralement par les Pascuans, recueillie par ceux qui étudièrent ce peuple, sera la source principale, le fil rouge de ce récit.
Le langage maori ancien était paradoxalement fort complexe, différent des langages actuels ; il était magique par nature et les mots avaient souvent une signification sacrée. Ainsi, les tabous mis sur les mots forgèrent principalement les différences linguistiques qu’on peut observer. Nous savons aussi que les langues se forgent et divergent par les habitudes et fautes de prononciation, à partir d’une langue originelle. Pour un locuteur de France, le langage d’un Canadien français, ou même d’un Marseillais, est difficilement compréhensible. Il y a ainsi le « k » qui s’exprime en marquisien et en maori et qui est absent du tahitien, remplacé par une sorte d’apostrophe, car il s’agit d’une sorte de voyelle muette, ou de quelque chose d’intermédiaire. Mais tous les Maoris s’entendent facilement d’un bout à l’autre de cet immense domaine qui leur fut réservé par la Providence pendant très longtemps. On peut penser qu’ils furent les seuls possesseurs de l’Océan Pacifique pendant presque trois millénaires, partageant cette possession avec les peuples d’origine du Pacifique, moins attirés par la navigation, qui en se mêlant à eux formèrent les groupes appelés Mélanésiens ou Kanaks. Les Maoris ont hérité des Mélanésiens certains caractères et des parties de leur culture, l’inverse est également vrai.
Mes mots sommaires maoris me viennent des nombreux écrits sur l’île de Pâques que j’ai lus depuis des dizaines d’années avec une grande attention. Cette île que les Polynésiens nomment Rapa Nui (Rapa la lointaine, Rapa étant une île des Australes françaises, située à une latitude proche). Ces mots sont bien différents de ceux actuels du tahitien ; ce sont ceux de Teagi, fils aîné d’Hotu Matua, un Ariki Nui (Grand Roi), obligé de quitter son domaine qui s’enfonçait dans la mer et devenait inhabitable. Hawaïki Mataïna (la terre d’origine appelée toujours Hawaïki, car à l’origine « Hawaï ki » est le domaine des Dieux nés de la nuit), un lieu mythologique, qu’on peut situer entre Fidji et la Nouvelle-Guinée, ou peut-être sur la côte nord-est de cette dernière gigantesque île montagneuse explorée, puis colonisée sur les côtes par les Austronésiens.
Hotu Matua était un Ariki d’Havaïki. Teagi, fils aîné d’Hotu Matua, était un homme-oiseau, « un Tangata Manu », et la légende rapporte qu’il s’embarqua de l’île de Pâques un jour pour aller vers l’est, c’est-à-dire vers l’Amérique, qui était son domaine voulu par Hotu Matua, et qu’il ne revint plus alors dans sa patrie. Son père ne lui donna aucune part de son royaume, contrairement à ses autres frères, alors même qu’il était l’aîné et qu’il était un prêtre initié. Il lui montra l’horizon à l’est, au soleil levant, et lui dit : « Au-delà de cette mer est ton domaine. »
Les Maoris ont une classe de nobles qu’ils nomment Ariki. Ils sont plus grands, plus forts, plus savants ; ce sont des chefs descendants des enfants que les Dieux polynésiens eurent sur terre lors de leur descente parmi les Humains. Ceci est souvent inscrit dans leur généalogie, et ce n’est pas différent de ce que l’on trouve dans la Grèce ancienne, à Rome, ou encore dans les Sagas et dans toutes les mythologies. Les Dieux polynésiens sont, pour les religions monothéistes, ce qu’on appelle des Anges, et pour ceux qui ne croient pas, simplement des extraterrestres. Une chose semble établie : ils sont immortels et doués de capacités de mutation en animaux, et peuvent se déplacer d’un endroit à un autre par leur simple volonté.
Les Arikis descendent des Dieux et ont eu des contacts avec eux. C’est la thèse de cette étude sur leur histoire religieuse. Les grands Dieux issus de la nuit (Atua Po) sont Takaroa (Ta’aroa) et son fils Oro, né à Raïatéa. La légende dit qu’il y descendit sur terre par amour pour des Vahinés locales, mais pour les Pascuans, un autre Dieu essentiel est Makemake, le premier homme créé par un Avatara de Takaroa (Avatara : un Dieu prenant forme humaine pour un temps).
Ailleurs encore, le premier homme est appelé Tiki. Lui aussi serait issu d’un Dieu et d’une humaine. Il est l’ancêtre de toute la lignée humaine, avec Hina, son épouse. L’immortalité n’a pas été donnée aux humains, mais il ne sera pas expliqué ici pourquoi. Maui, le demi-Dieu dont les Arikis se disent les descendants, mourut lorsqu’il essaya de voler ce secret en pénétrant dans le vagin de la géante qui le conservait en elle. Un oiseau moqueur fut, dit-on, à l’origine de cette catastrophe pour l’humanité. Makemake, qu’on ne peut confondre avec Maui ni avec Tiki, est l’Adam polynésien. Il était fils de Dieu, créé par lui avec de la boue, puis éveillé à la vie avec tout le mana du souffle de Takaroa. Grâce à cela, il était sans doute primitivement immortel comme son créateur. Il subit toutefois lui aussi le déluge qui détruisit toute l’humanité primitive. C’est par lui que l’humanité fut recréée ensuite, car il se sacrifia pour que le mana s’installe à nouveau dans le monde. Il n’y a pas de faute originelle dans le paradis maori, juste une sorte de perte progressive du mana par les humains à travers des unions illégitimes avec les formes humaines existantes, et l’insulte que ces humains dégénérés firent aux Dieux en ne respectant plus les tabous.
Qui sont les Maoris actuels ? Leur génétique est complexe, en raison des apports des Européens, des Chinois, et des autres populations du Pacifique. Mais il semble bien que les Maoris soient issus de la fusion entre les Austronésiens et les Papous de type négroïde, qui vivaient en bordure de la mer et des grands fleuves de Nouvelle-Guinée. Les Mélanésiens, dont certains parlent des dialectes austronésiens, étant eux aussi un des résultats de cette fusion.
Bien sûr, les faits rapportés sont légendaires. Il s’agit d’une œuvre presque entièrement issue de l’imagination. Les faits sont imaginaires, mais ils décrivent aussi en partie la réalité, tel que la science l’a décortiquée à ce jour. L’Odyssée et l’Iliade sont également des récits mythiques qui rapportent la vérité connue sur les anciens Achéens en la magnifiant, même si ce qu’Homère décrit longtemps après les faits est loin de la réalité historique que nous construisons aujourd’hui à partir des documents fossilisés. L’archéologie du Pacifique est encore trop incertaine. Son développement permettra sans doute de relier entre eux tous les éléments disponibles et de donner un sens aux mythologies locales. Ce sont ces mythes qui nous ont interpellés et qui sont à l’origine de notre désir d’écrire cette histoire et de mieux connaître les Polynésiens, les Maoris actuels qui ont hérité de leurs ancêtres des qualités uniques.
Dans notre récit, il y a des Dieux, comme dans ceux d’Homère. Or, cette vérité humaine n’est plus bonne à dire, n’est plus crédible. Qui croit encore aux Dieux des Grecs d’Homère ? Qui croit encore aux Dieux polynésiens ? Ils ont été effacés par les religions judéo-chrétiennes, qui les ont rangés dans les placards des mythologies, comme les coutumes anciennes, magiques et religieuses de chez nous, devenues des éléments folkloriques récupérés et avilis par la civilisation actuelle. D’anciens mensonges effacent d’autres mensonges. Voici ce récit ; je sais qu’il est en moi, il m’obsède depuis des décennies. Je l’ai rêvé bien avant d’être en mesure de l’écrire. Et les Dieux des Maoris, je les ai vraiment rencontrés dans mes rêves ; ils existent vraiment, eux aussi. Qui pourrait douter de leur existence ?
Il y a des Dieux partout, et pas vraiment de respect pour les vérités historiques. Mais qui peut douter qu’Achille, Hélène, Ulysse, et tous les autres, ainsi que les Dieux de la Grèce antique, aient réellement existé ? Leur mémoire est immortelle. Et voilà, Takaroa, Hina, Tiki et Maui sont présents dans cette histoire, et tout comme les héros de la guerre de Troie, ils ne seront pas oubliés demain. C’est pour cela que cette histoire des tribulations de Teagi a été conçue et rêvée. Le nom de Teagi découle d’une source sûre : il était bien le fils aîné d’Hotu Matua. Tout est un entrelacement de fils rêvés, inventés, et de faits véritables, et ce n’est pas seulement le cas de cette histoire. Les lecteurs spécialistes, mieux informés des faits rapportés, voudront bien excuser les erreurs qu’un Popaa a pu faire. Il voulait réaliser cette fresque depuis longtemps, peut-être n’a-t-il pas eu tous les matériaux nécessaires à sa disposition.
La forme divine nommée Tangata Manu (l’homme-oiseau) habitait depuis toujours l’esprit de Teagi et venait la nuit hanter ses rêves avec le cortège des fantômes des ancêtres. L’homme premier, issu de la divinité, qui s’identifia alors à un oiseau, prit son envol dans l’espace diaphane du ciel bleu éternel.
Le premier homme-oiseau fut le « demi-Dieu » Make Make, un être divin, créé par Takaroa (Takaroa est le Dieu créateur issu de la Nuit : un Atua faare Po) à partir de la glaise rouge, créateur de l’humanité. Ensuite, Maui, l’humain de la race royale, père des Arikis, le merveilleux héros maori, posséda aussi ce pouvoir que lui donna sa naissance mystérieuse. Nous verrons plus loin qu’il fut jeté dans le lagon par sa mère sous forme de fœtus après un avortement, puis recueilli par un Dieu qui l’éleva et lui donna tous ses pouvoirs.
Or, cette nuit-là, il ne parut que quelques instants seulement, venant de l’horizon déchiré par les éclairs d’un orage. Il apparut sous la forme d’une frégate mâle, la gorge gonflée et d’un rouge éclatant, tenant dans son bec une longue ligne au bout de laquelle un poisson volant se débattait furieusement, se transformant soudain en un poisson épineux monstrueux. Cette vision réveilla Teagi. Le jour se levait…
Le cortège des esprits des morts, qui environnent les humains, les fantômes, les « Tupapau » familiers, s’évanouissait à présent, aspiré dans le monde de l’au-delà. Les ombres de la nuit s’enfuyaient vers leur séjour diurne. Les étoiles s’éteignaient. Un grand essaim de nuages se rassemblait à droite du soleil rougeoyant comme un tison. Comme par magie, la brume apparut alors sur la trame scintillante des flots ; longtemps la mer fut grise, puis elle prit insensiblement une teinte outremer. Il y a toujours une respiration de l’océan lorsque le jour se lève, faite de bruits indistincts provenant de la rupture des courants et des tourbillons que la nuit fait surgir des abîmes et descendre de l’espace infini qui nous entoure. Le jour s’installe en mer comme une symphonie joyeuse succédant à un requiem tragique.
Le grand navire polynésien « Te Arawa » (un arawa est une espèce de requin, chaque navire a un nom de cette sorte en Polynésie), venant de Hiwa et transportant le peuple du roi Hotu Matua vers l’est, pour un voyage sans retour, gémissait longuement, de toutes ses jointures et ses membrures cousues de cordages de niau (fibre tirée de l’enveloppe de la noix de coco). Ses deux longues voiles en forme d’ailes d’oiseau, tressées en fibres de pandanus et renforcées de tapa, claquaient au vent d’ouest, leurs câbles vibrant sourdement autour des mâts. Au sommet de celles-ci, les longues banderoles de plumes multicolores indiquaient la direction des sautes capricieuses de l’air, des tourbillons inconstants de l’aube, sautant d’un bord à l’autre, signalant aussi dans un langage particulier connu des initiés les messages des Dieux marins portés par les embruns.
La direction du navire était assurée par deux puissants avirons, solidement amarrés aux poupes. L’embarcation filait vivement, fendant les vagues moutonnantes, sa plateforme lourdement chargée recevait des gifles d’embruns. En gémissant, il traçait un sillage phosphorescent dans une mer sombre. Le grand catamaran mesurait une trentaine de mètres de longueur, sur dix de large. Il comprenait deux coques distinctes, faites pour leur base de deux longues pirogues jumelles taillées dans le même type d’arbre géant multiséculaire, le kaori de Nouvelle-Zélande. Une superstructure faite de planches en protégeait les volumes internes des gros paquets de mer, occupés de place en place par des rameurs chargés d’écoper régulièrement ou d’effectuer des manœuvres avec leur rame. La poupe et la proue de chaque coque étaient relevées verticalement et comportaient une estrade permettant à une ou deux vigies de s’y tenir. Le maître de navigation s’y trouvait lorsqu’il y avait un péril à surmonter, aidé d’un tambour et d’une conque, les chants donnant les ordres et la cadence à chaque marin. Dans ces vastes flotteurs se trouvaient de grands coffres étanches en vannerie, enduite de résine et de latex. Chaque coque était reliée à l’autre par une succession de poutres arquées supportant une vaste plateforme. Chaque élément était assemblé par des liens de cordes, des trous permettant une sorte de chevillage reliant le squelette des coques, composé de membrures fines et souples liées à des traverses et aux bordages, aux poutres de la plateforme. L’ensemble était souple, léger, décoré et sculpté, chaque élément étant régulièrement enduit de résine puis brûlé superficiellement. Des peintures de sèves et d’argile y étaient déposées, et aussi des enduits de monoï servaient à le protéger des intempéries. Une sorte de poix obtenue avec la sève caoutchouteuse ou la résine des arbres, et parfois aussi du sang, servait à entretenir la résistance et à y faire entrer la puissance du mana. Les liens étaient souvent contrôlés et mouillés, protégés par des pièces de vannerie sur les zones de frottement, renforcés et changés chaque fois qu’il était indispensable de le faire. Conçus pour filer en surfant sur les vagues aux allures portantes, virer rapidement, prendre aussi, en s’appuyant sur les dérives, le vent de travers, leur allure la plus efficace, et, si nécessaire, tirer des bords pour remonter au vent. Les grands navires polynésiens pouvaient alors rivaliser avec les embarcations les plus rapides actuelles. Seules les pirogues de guerre, propulsées par des dizaines de rameurs émérites, pouvaient échapper à leur poursuite ou les rejoindre pour les prendre d’assaut lorsqu’il n’y avait pas de vent assez porteur, ou que les lourdes voiles ne pouvaient agir sur un vent suffisant. Pour faire construire une embarcation de ce type, il fallait être un grand roi, avoir des arbres gigantesques dans son domaine, et disposer de constructeurs émérites, des savants dans cet art. Les migrations étaient presque toujours le résultat de l’exil volontaire d’un peuple vaincu, ou d’une partie d’un peuple à la suite d’une surpopulation ayant engendré un chaos économique et social. Ceux qui restaient voyaient généralement d’un mauvais œil la destruction des ressources essentielles, les arbres les plus sacrés, pour construire la flotte d’émigration.
Le départ d’Hotu Matua de Hiwa eut lieu pour des raisons magiques. Il fut précédé d’un voyage d’exploration mené par un groupe de sept initiés, fils de roi (7 Ariki) (Tahunga est le mot maori qui définit les maîtres dans les sciences techniques et magiques, et aussi les découvreurs de terres). Six revinrent à Hiwa, emportant avec eux les témoignages de l’île haute découverte à l’est, qui serait la destination ultime et le royaume d’Hotu Matua.
La légende rapporte ceci :
Hau-Maka, le vieux conseiller du roi de Hiwa, eut un rêve dans lequel son esprit voyagea dans un pays lointain, pour aider à trouver de nouvelles terres pour le roi Hotu Matua. Dans le rêve, son esprit s’est rendu à l’île de Mataki te Rangi (Les yeux qui se tournent vers le ciel). L’île a également été appelée « Te pito o te Henua, qui signifie « le nombril, le centre de la Terre. » Pour nous, il s’agit de l’île de Pâques (Pascua island), possession du Chili actuellement.
Lorsque Hau-Maka se réveilla, il rapporta son voyage astral au roi. Le roi ordonna alors à sept initiés de sa tribu d’enquêter. Ils suivirent les instructions d’Hau-Maka et ont trouvé la terre décrite par le voyant, alors ils sont retournés à Hiwa. Ils se nommaient : Ira, Raparena, Ku'uku'u A'Huatava, Rinirini A'Huatava, Nonoma A'Huatava, Uure A'Huatava, Makoi Rinirini A'Huatava. Le septième mourut accidentellement, la légende précise qu’il fut blessé mortellement par une tortue marine géante qu’il essayait de retourner sur la plage d’Anakela, lieu de leur atterrissage et il fut enterré sous le premier ahu (esplanade sacrée appelée aussi marae à Tahiti) construit par ses compagnons sur cette plage qui devint l’ahu des Rois. Les explorateurs avaient aussi amené avec eux une pierre issue du marae royal ainsi qu’une statue (le premier moai) qui fut érigée sur ce premier sanctuaire de l’île. Ils plantèrent aussi des taros, des ignames, des cocotiers, des bananiers et bien d’autres plantes sacrées comme le santalier. Ils laissèrent aussi sur place les premiers coqs et poules. En ce temps-là, l’île était couverte de grands arbres d’après les études des pollens fossiles, dont une majorité de palmiers sans doute venus par la voie maritime du continent américain par les courants maritimes, mais aussi d’autres espèces plus singulières apportées par les oiseaux et les ouragans comme le toromiro. Il ne semble pas qu’il y ait eu plus qu’aujourd’hui alors des sources abondantes, malgré la végétation assez dense. Les envoyés ne découvrirent aucun cours d’eau, juste une réserve assez importante d’eau douce dans le cratère d’un volcan, et quelques sources à proximité de la mer. Sources qui existent toujours de nos jours et que les Pascuans anciens allaient exploiter jusqu’au rivage. Cette terre n’était pas un paradis pour l’agriculture comme peuvent l’être parfois les autres îles hautes, toutes d’origine volcanique. À Rapa nui, comme aux îles Marquises, il n’y a pas de barrière de corail, pas de lagon. Les courants environnants sont froids. Une vie marine riche qui en découle est présente sur la côte ou à peu de distance de celle-ci. Le poisson y est abondant en toutes périodes. Il n’y a proche que deux petits îlots ou motus, et l’île est isolée et ne fait pas partie d’un archipel.
Après plusieurs mois passés à découvrir les possibilités de cette terre, les explorateurs revinrent à Hiwa presque directement avec les vents portants constants des tropiques qui se dirigent vers l’ouest et ils firent leur rapport. De longues tractations s’en suivirent avec les autorités locales pour préparer l’exode.
Le grand roi (Ariki nui) avait fait préparer l’immigration d’une partie de sa population pour occuper cette terre lointaine, la plus lointaine du domaine maori.
Depuis des siècles, les migrations humaines avaient progressivement pris possession de l’ensemble des îles habitables du Pacifique. D’autres avaient été occupées temporairement et abandonnées ensuite souvent lorsqu’il y avait des populations agressives qui survenaient. Les Maoris étaient allés jusqu’aux divers continents et grandes terres de la zone se fondant parfois même dans les populations locales, ce qui semble être le cas le plus souvent d’ailleurs, ou étant obligés de fuir devant la détermination des populations locales après quelques guerres sauvages. On a souvent opposé les Mélanésiens aux Polynésiens. Ils se sont parfois affrontés durement, mais ont vécu en symbiose le plus souvent. Les langues mélanésiennes, et les coutumes générales de ces peuples diffèrent énormément. Mais ils vivent généralement de mêmes ressources, ils ont même fusionné généralement leurs cultures. Les Maoris sont bien différents des Mélanésiens, des Papous, des indigènes de l’Australie, mais ils ont communiqué avec eux et se sont enrichis de techniques et de cultures diverses rencontrées dans leurs voyages innombrables. Leurs ancêtres étaient des Asiatiques vivant des ressources maritimes.
Venant de Formose, ou du Japon vers 3000 av. J.-C. ils arrivèrent par la mer après de très longues traversées qui ne leur posaient pas de problème alors, car ils savaient construire de grands navires à double coque. Ils apportèrent avec eux une poterie spécifique qui a rapidement disparu jusqu’à Samoa et Tonga. C’est de ce marqueur de leur passage qu’on a appris qu’ils avaient colonisé les Fidji avant d’en être sans doute chassés massivement par les Fidjiens mélanésiens qui sont survenus ensuite eux provenant de la zone des îles et des côtes de la Nouvelle-Guinée. La poterie lapita a été trouvée partout où les ancêtres des Maoris qu’on nomme Austronésiens se sont installés, et notamment en Nouvelle-Calédonie dont la localité de Lapita a donné son nom à cette culture et à ce Peuple. Ensuite tout ceci s’est délité et a subi la déchéance de la vie maritime dans des îles nombreuses, riches de certaines ressources, mais pauvres de civilisation, car difficiles à administrer et à faire fructifier. Ces populations utilisaient aussi à l’origine l’obsidienne provenant de zones mélanésiennes obtenues sans doute alors par des échanges commerciaux. Ils étaient devenus des nomades de la mer pour beaucoup de raisons, certaines sont faciles à imaginer d’autres sont plus complexes à définir.
Il s’agissait en fait d’une toute petite population arrivant dans un espace maritime déjà très peuplé. Ce peuple s’établit et se créa en fait dans un sanctuaire, une île du Pacifique qu’il nomma Hiwa, et de là, il partit à la conquête de son vaste domaine, tout l’océan Pacifique et ses centaines d’îles et d’îlots. Aujourd’hui, on pense que Raiatea pourrait avoir été une Hawaiki, et que Hiwa pourrait être un autre nom de ce centre culturel maori. Ceci provient du culte d’Oro qui venant de Borabora (Porapora prononcé par les Popaas) s’est établi à Raiatea avec l’érection du grand marae Taputapuātea qu’on dit encore aujourd’hui père de tous les maraes. Mais il est probable que le culte d’Oro ne s’est développé ainsi que vers le dix-septième siècle période de l’arrivée des Européens dans ces parages. Et que le marae primordial était sans doute à Hawaiki nui ou Hiwa bien plus loin hors du domaine actuel considéré comme maori. Difficile de définir ce lieu, il est mythique et seule une recherche dans les légendes et les textes sauvegardés pourrait permettre de le retrouver aujourd’hui, ce qui est certain c’est qu’il fut en dehors de la zone maorie actuelle.
Il y a toujours une phase dans chaque civilisation où une culture technique doublée d’une efficacité économique, alliée à une organisation religieuse et politique efficace donne naissance à un peuple dynamique. Ceci nécessite toujours un isolement originel.
La base de toute nation suppose une organisation familiale cohérente et prolifique. Ce point était assez facile à obtenir dans les civilisations anciennes lorsque les ressources alimentaires étaient abondantes. La tribu est un lieu de sécurité et de cohérence. Notre civilisation actuelle occidentale a produit un type de famille désordonné, stérile, qui n’a plus de bases solides. Dans notre monde moderne, les dirigeants ont délibérément détruit la prolificité des membres de la tribu en dévaluant gravement l’organisation sociale patriarcale, en instaurant stupidement l’égalitarisme homme femme, en mettant les femmes au travail, en faisant la promotion d’un système éducatif long bloquant l’entrée des jeunes adultes dans la vie et surtout en ne donnant pas aux jeunes adultes l’obligation d’avoir une famille à eux. Le planning familial a eu pour tâche et l’objectif de supprimer le plus d’enfants possibles. Il s’agissait de concevoir tous les moyens abortifs appelés préservatifs. L’organisation sociale saine doit avant tout organiser les mariages et permettre la sauvegarde des enfants. Le système polynésien de gouvernement, de contrôle des mariages, de castes : noble, sacerdotale, guerrière, et sans mana (gens du peuple) instituant le don et l’échange des enfants entre parents et alliés en est une des bases essentielles. Ceci permit de forger ce Peuple et de le conserver malgré la colonisation souvent très destructive qu’il subit depuis l’arrivée des Européens dans ces parages.
Les Polynésiens étaient et sont d’ailleurs restés généralement très industrieux. Leurs jardins produisaient en abondance des fruits et des légumes. Les ressources de la pêche étaient importantes. Ils possédaient aussi du bétail : cochons, poules, chiens et même rats parfois. Les grandes famines qui sont inscrites dans la tradition orale de certaines îles proviennent plutôt des sécheresses, des cyclones, des raz de marée ou tsunamis, de la destruction par la nature et parfois même les forces volcaniques de leur environnement. La sauvegarde de la société reposait sur le système des tabous permettant généralement aux chefs et aux prêtres de limiter les atteintes graves à l’environnement. Ainsi toutes les tribus possédaient souvent des territoires interdits que personne ne devait défricher. Les arbres sacrés étaient aussi tabous, protégés très sévèrement qu’ils produisent des fruits comestibles ou seulement du bois d’œuvre ou de combustion. Les animaux tabous n’étaient pas rares, comme les oiseaux essentiels pour assister les pêcheurs. Les plantations étaient organisées et soigneusement protégées. L’île de Pâques n’a pas su ou pu conserver ses grands arbres, surtout les palmiers qui n’existaient plus lorsque les Européens y arrivèrent. Les archéologues trouvèrent bien récemment encore des graines de ces grands palmiers cocotiers produisant des noix miniatures dans les cimetières et les grottes secrètes. Leurs racines sont encore présentes dans les sédiments, mais les autorités de l’île avaient été assez inconséquentes pour laisser couper les grands troncs existants sans prévoir au préalable leur renouvellement. Sans doute que les rats avaient aussi préalablement dévoré la grande majorité des graines produites. La reproduction de ces plantes est difficile et leur installation est hasardeuse tant qu’elles ne sont pas parvenues à développer leur système racinaire. Il s’agit du plus grand et du plus gros palmier existant ; dont des forêts existent encore dans les contrées assez froides de l’Amérique du Sud (Espèce : jubalea chilensis).
L’homme vit en symbiose avec son milieu, il est un élément de la Nature, s’il détruit son environnement, il se détruit lui-même. C’est le rôle essentiel du pouvoir politique d’assurer la préservation des ressources naturelles. Il doit le faire avec vigueur. Les réserves de biosphère sont indispensables à notre survie. La Nature n’est pas malthusienne, c’est en la rendant telle que l’homme détruit le plus sûrement sa propre source de vie.
Nous voyons bien que notre soi-disant civilisation supérieure a accouché dans les dernières décennies d’un n’importe quoi en détruisant la famille. L’individualisme sur lequel on a trop modelé les lois et les règles a détruit la base solide de la civilisation, la famille seule est éternelle, l’homme est destiné à mourir, et ceci est programmé. La famille est une construction civilisatrice, la force d’une Nation y réside. Chacun devait entretenir cette richesse essentielle.
La civilisation de la pierre polie nommée parfois néolithique était celle des Polynésiens, elle a pratiquement disparu au contact de la culture européenne. Nos ancêtres d’Europe possédaient eux aussi primitivement cette culture jusqu’à l’arrivée de l’âge des métaux. Le bronze d’abord, puis l’acier s’imposèrent dans nos contrées. Seulement ceci s’est déroulé chez nous il y a plus de trois mille années.
La révolution industrielle nous a mis en danger d’extinction et obligés à des mutations étranges.
Et notre civilisation présente a aussi détruit notre culture en grande partie en éliminant les métiers et les productions artisanales locales. On ne trouve plus guère de forgeron par exemple dans nos campagnes. Et les principaux métiers techniques ont disparu subitement. Les Polynésiens firent cette révolution en un siècle seulement ils passèrent du néolithique à l’ère du moteur à explosion. Curieusement, ils ne gardèrent pas les outils et les œuvres d’art anciens, même en souvenir. Nous n’avons pas fait mieux d’ailleurs, semble-t-il.
Les outils d’acier remplacèrent ceux de pierre dures volcaniques, de nacre, dents de requin et d’obsidienne, les Dieux anciens furent éradiqués, effacés des mémoires, les objets des cultes anciens furent bannis, les « soi-disant » idoles religieuses furent détruites ou brûlées, les prêtres maoris pourchassés, persécutés. À Tahiti ce fut sur l’ordre du Roi : Pomare II que cette stupidité eut lieu après que ce Prince non dénué de sens politique, se fit baptiser dans l’espoir chimérique de conforter son pouvoir et celui de la dynastie qu’il prétendait promouvoir.
Cette colonisation est critiquable. Si on se réfère aux idées assez dévoyées et déviantes colportées aujourd’hui par nos maîtres de philosophie et nos autorités diverses. Les principes des droits des humains que nous mettons en avant aujourd’hui démontrent surtout notre hypocrisie et notre incapacité à être fier de notre civilisation qui a quand même franchi une étape vers le sommet de la connaissance, ce qui a réduit notablement les guerres tribales, supprimé la consommation habituelle de chair humaine. Notre civilisation s’est imposée par la force militaire et par sa théorie religieuse ; qui sont plus efficaces, mais pas supérieures à l’existant polynésien. Même si nous sommes très pauvres de culture authentique désormais parce que le fast-food intellectuel très partiel qu’on nous sert actuellement est une régression lamentable de notre propre identité.
Notre vie actuelle est une transition, une trahison de nos ancêtres et de leurs coutumes.
Le colonialisme s’est incrusté en nous, l’incertitude vient de mauvaises lois et de conditionnements voulus par nos autorités politiques. La séparation de l’Église et de l’État, la sinistre érosion de nos valeurs par une forme dégénérée du socialisme sous toutes ses formes les plus stupides, l’immigration massive de populations allogènes inassimilables sur notre territoire tout ceci nous ronge, nous affaiblit et détruit notre identité. Car en vérité ce qui compte c’est la culture, c’est l’identité. On nous colle une identité qui nous est étrangère et qui ne correspond plus à rien, une identité de melting pot. Nous sommes les « Locaux » du Pays de France, colonisés par des envahisseurs, nos colons arabes avec arrogance nous traitent même de Gaulois. Nous sommes en perte d’identité plus que les Maoris qui eux se raccrochent avec rage désormais aux bribes de leur culture qui ont été sauvegardées par les documents laissés par les explorateurs et quelques collectionneurs. Devons-nous sauvegarder les savoirs néolithiques ici, en prendre exemple, et nous aussi revenir à nos vraies valeurs ? Et nous aussi aspirer à l’indépendance ?
Il reste quelques ethnies papoues et quelques tribus d’Amazonie qui vivent encore au néolithique de nos jours, mais la fin de leur civilisation est programmée. Seule l’Inde, semble-t-il, souhaite encore sauvegarder le dénuement soi-disant heureux des indigènes nommés aborigènes, ce qui est dérisoire, car nous qui sommes issus d’une longue généalogie. Occupant et faisant fructifier ce Pays nous sommes tous des aborigènes, et les colonialistes qu’il y a parmi nous ne le sont pas évidemment eux et le plus souvent ils nous traitent comme des indigènes c’est-à-dire avec mépris et rapacité, ils pillent nos biens et détruisent nos valeurs.
Eux ils se disent ironiquement citoyens du monde, bien sûr ils se fichent de nous quand ils nous sortent cette idiotie, ils savent bien qui ils sont eux, les colonialistes… pas du tout des citoyens du monde.
Les Négritos des îles Adaman, et les aborigènes Veda pourront peut-être sauvegarder leur culture, mais j’en doute, l’État croyant faire bien, prendra leurs enfants et en fera de bons Indiens ou hindous modernes. Partout on suppose encore que les Indigènes que nous appelons et supposons primitifs doivent recevoir notre civilisation que nous supposons toujours bénéfique et que ces humains doivent s’adapter à notre culture. On en fait des clochards auxquels on réserve des terres les plus ingrates de leurs territoires ancestraux qu’on leur attribue parfois avec un certain mépris. Des réserves pour des gens qu’on considère comme des humains inférieurs, ce qu’ils ne sont bien sûr jamais. Il est vrai que leur existence nous paraît misérable en comparaison de nos avantages actuels apportés par nos moyens techniques. Oui nous avons été injustes dans le passé envers nos frères des autres cultures. Ces hommes étaient intelligents, habiles, forts, pétris de principes moraux. Héritiers des civilisations millénaires que nous avons irrémédiablement et délibérément détruites. Ils étaient même parfois heureux dans leur existence si difficile, si précaire.
On parlera bien sûr de leur anthropophagie. Ils se mangeaient entre eux, et la chair humaine était même réservée aux nobles, tout comme l’étaient la chair des tortues et les autres mets de choix.
Leur propension à manger habituellement la chair de leurs ennemis nous semble bien condamnable, mais notre préjugé à ce sujet est idiot. Le cannibalisme est sans doute la meilleure manière de résoudre le problème de recyclage de la matière vivante que l’homme monopolise. Actuellement l’homme est le seul vrai prédateur de l’homme, comme il l’était de tout temps dans les îles. Dans la nature presque tout ce qui se mange sera détruit par et pour l’homme. Si nous voulons sauver la nature, il faudra bien un jour arriver à limiter le nombre d’humains et manger la chair des humains n’est sans doute pas hors de notre portée. Pourquoi est-ce les vers, les mouches et leurs asticots, les bactéries et les champignons qui mangent la chair des humains et la décomposent ? Pourquoi brûler sur des bûchés les bonnes protéines ? L’homme moderne est une vraie catastrophe pour la Nature même lorsqu’il recycle ses déchets innombrables, et il continue à contaminer la terre avec ses cadavres. Les Maoris laissaient les cadavres de leurs morts sur des estrades, souvent protégés des pontes d’insectes par de la fumée, protégés par des tapas à l’abri des éléments et du soleil se dessécher lentement. Puis lorsqu’il ne restait plus que les momies ou les os purifiés par le soleil et les fumées, ils les rangeaient soigneusement dans les cimetières familiaux, les ahus situés sur le marae, ou même dans une partie de la case familiale. Avec les os de leurs ancêtres, ils fabriquaient aussi parfois des armes, des hameçons, des flûtes comme leur ancêtre le demi-Dieu Maui qui fit en partie son hameçon magique à partir de la mâchoire de sa grand-mère.
Les Maoris mangeaient assez souvent leurs ennemis, et peu souvent semble-t-il leurs proches décédés, coutume encore assez fréquente chez les Papous. Ces derniers s’ils étaient destinés à être soignés comme des divinités n’étaient pas enterrés, mais exposés sur des estrades dans des zones taboues de maraes puis remisés dans des lieux sacrés. Le cannibalisme en Polynésie ne fait pas de doute. Il était pratiqué surtout par la caste dominante masculine, et même certaines femmes de haute lignée y participaient parfois. Les victimes dégustées étaient le plus souvent des ennemis courageux et les consommer c’était assimiler leur force et leur mana. Souvent le nom des victimes devenait tout ou partie du nom de celui qui l’avait tué au combat. Mais lorsqu’il manquait de victime et qu’il fallait organiser un festin, le Roi ou les Prêtres désignaient alors un homme du peuple, un manahune (dénué de mana) comme victime, et c’était le plus souvent celui qui avait insulté, fait du désordre ou qui avait transgressé un tabou, il était alors abattu par surprise sur le marae et mangé aussitôt, le plus souvent cuit dans un four, mais aussi dépecé et mangé cru. La chasse à l’homme dans les territoires ennemis ramenait plus souvent des enfants, des vieillards, des femmes que des guerriers qui eux savaient se défendre et étaient sur le qui-vive. Il est difficile de savoir si ce cannibalisme existait primitivement chez les Lapita, ou s’il a été induit par le contact avec les Papous, les Mélanésiens qui semblent même le pratiquer depuis toujours. L’humain sacrifié est appelé partout « le cochon long » dans la terminologie ancienne, ou même le poisson (ika). Il y avait aussi le sacrifice des chiens « kuri » et les souris ou rats polynésiens « kiore » qui servaient de nourriture à l’occasion. Les chiens et les rats polynésiens sont originaires d’Asie. Le chien est proche des races de l’Inde et de l’Australie, qui ont donné le dingo actuel dans ce continent.
Le porc maori pourrait provenir en grande partie de Nouvelle-Guinée, mais c’est en Chine qu’il a été domestiqué, en fait il est commun à toutes les populations des îles. Sa génétique devrait permettre de le définir, car il reste sans doute encore des exemplaires redevenus sauvages qui n’ont pas été fortement croisés avec les porcs européens. On rapporte que les aborigènes de Nouvelle-Guinée castrent presque toujours leurs porcs et s’en remettent aux porcs sauvages pour saillir leurs truies. Le porc sauvage est présent dans presque toutes les îles et ils sont chassés partout. Nous parlerons plus longuement d’un autre gibier, il s’agit du coq polynésien qui a été domestiqué en Inde et qui est présent partout, redevenu sauvage dans presque toutes les îles hautes. Le coq domestique était le seul animal domestique de l’île de Pâques lorsque les Européens y abordèrent. Il n’y avait plus ni porc ni chien.
En ces temps anciens où Makemake était arrivé dans les îles, les hommes ne connaissaient que les radeaux de bambous et de troncs, ainsi que les canots à rames, et c’est Makemake lui-même qui leur montra comment assembler l’un sur l’autre, le doter de voilure et fortifier l’ensemble pour aller au-delà de l’horizon. Make Make utilisa pour tracer sa voie dans l’infini de l’Océan Pacifique (Moana) les frégates apprivoisées qu’il nourrissait de sa pêche, lorsqu’il partait au large, il emportait toujours ses oiseaux qui nichaient même au sommet de son mât dans une sorte de nid. Lorsqu’elles montaient dans le ciel, les frégates pouvaient repérer les terres bien longtemps avant que les hommes ne puissent les distinguer de la surface. Parasitant les autres oiseaux marins, ces animaux foncent aussitôt qu’elles les aperçoivent vers les îles pour y voler le poisson pêché par les autres oiseaux marins. Les Maoris utilisaient parfois cette habitude pour situer les îles et trouver la route à suivre. Le plus souvent les grandes frégates revenaient ensuite vers le navire pour nourrir leur progéniture qui y était restée.
Les découvreurs de terres maoris utilisèrent aussi d’autres espèces d’oiseaux comme les sternes, et les pailles-en-queue pour leur prospection, ils en suivaient les migrations. Chaque grande tribu entretenait des initiés aux techniques de découverte et de survie pour avoir des explorateurs efficaces. Ils parcouraient l’océan tirant toutes leurs ressources de leur pêche et de leur chasse aux mammifères marins. Ils emportaient avec eux des fruits, des boutures d’arbres, et des exemplaires des plantes alimentaires qu’ils avaient trouvées dans leurs voyages. Et aussi et surtout des réserves importantes d’eau douce. Ils se dirigeaient en fonction des courants, de repères situés sur terre, en mer et de la lecture des étoiles, de la lune et du soleil. Cette civilisation néolithique peupla facilement toutes les îles habitables souvent situées à des milliers de kilomètres de leur base de départ, elle survécut jusqu’à l’arrivée des Européens. Au 16e siècle arrivèrent d’abord les Portugais, puis les Espagnols. Au 17e siècle, les Anglais, les Hollandais, les Français. La confrontation des deux cultures (Européenne d’une part, Maorie d’autre part) amena très rapidement la destruction presque totale des bases sacrées de la société maorie. Le plus qui en est resté nous est connu par Tonga, la Nouvelle-Zélande (Ao tea Roa) et surtout semble-t-il par l’île de Pâques ; la terre colonisée par Hotu Matua qu’il nomma le nombril du monde en souvenir du mythe de Make Make. Hotu Matua venait de Hiwa, la terre de la création de l’homme ancien, qui n’est sans doute pas un continent, mais une grande île. Sa description ne ressemble pas à l’Australie, seule la Nouvelle-Guinée semble correspondre à la terre de la tradition, mais les sources archéologiques n’incitent pas à penser à son occupation ancienne par les Maoris, même si une présence constante semble observée depuis l’arrivée des Lapita. Si on se réfère aux animaux domestiques possédés par les immigrants, le coq bankiva qui est originaire du sud de l’Inde jusqu’en Malaisie est emblématique. Ce volatile a donné aussi le nom des Celtes de France pour Jules César, galus est le nom du volatile, Galus celui de l’indigène celtique. Il faut croire que les Celtes sont allés jusqu’en Inde pour en rapporter cet animal domestique, qui semble les avoir caractérisés.
Le coq, longtemps avant notre ère, était présent presque partout en Asie comme en Occident. Les Aryens détruisirent, semble-t-il, la civilisation existante dans la zone de l’Indus vers deux mille ans avant notre ère lors de leur arrivée dans le sous-continent. Une tradition qui semble ancienne en Polynésie prétend qu’une partie de leurs ancêtres vécurent longtemps dans le delta d’un grand fleuve et que leurs voisins cultivateurs cultivaient une céréale poussant dans l’eau des lagunes, sans doute s’agit-il du riz sauvage poussant dans les lagunes et les marais. Ce peuple fabriquait aussi des poteries.
On a prétendu parfois en étudiant l’île de Pasques qu’Hotu Matua serait venu des îles proches, Gambiers, ou Marquises, Mangareva s’attribue même la destruction de la tribu qui construisit les Moais, ceux qu’on nomme les « Longues Oreilles » dans les mythes pascuans. La probabilité serait plus forte pour les Marquises, dont une île porte d’ailleurs le nom de Hiwa Oa qui s’est conservé jusqu’à nos jours. L’archéologie semble indiquer que l’archipel des Marquises fut occupé vers 1500 avant notre ère chrétienne, soit bien avant l’archipel de la Société qui étant pauvre en matériel lapita ne paraît pas même avoir été colonisé lors des premières implantations. Ce serait bien sûr une grande surprise si c’était le cas, il est nécessaire de réaliser des fouilles permettant de retrouver les traces des installations des premiers arrivants. Les foyers de colonisation étaient sans doute nombreux lors de la colonisation, et on peut même penser que des pirogues à rames toutes simples ont pu faire les grandes traversées nécessaires, longtemps avant l’invention des catamarans de haute mer progressant essentiellement par leur voilure. Personne ne croit plus que des Amérindiens vinrent s’établir à l’île de Pâques comme le pensait et voulait le démontrer Thor Heyerdahl avec son voyage du Kon Tiki. Ces explorations venant d’Amérique étaient bien sûr possibles, le fait qu’elles aient eu lieu n’a pas encore été démontré.
Pourrait-on trouver une différence entre les deux races mythiques de l’île ?
Une étude des empreintes génétiques des deux populations anciennes si elle est encore possible à partir des ossements anciens qui se sont conservés dans les grottes et les ahus sacrés démontrerait sans doute l’origine commune de tous les Pascuans. Faire venir Hotu Matua de Nouvelle-Guinée peut sembler aujourd’hui presque improbable. La traversée aurait duré de trop nombreux mois avec plusieurs escales nécessaires dans des îles situées tout au long du périple. Le régime des vents s’y oppose aussi. Il faut savoir que les vents d’est en ouest sont dominants presque toute l’année dans les zones traversées par les migrations et qu’il fallait de préférence utiliser des vents d’ouest en est pour effectuer le voyage de l’Asie vers les îles du centre de l’océan Pacifique. Les grandes pirogues doubles utilisées pour les migrations remonteraient assez mal au vent, d’après les spécialistes de navigation, ce qui est assez peu crédible ; car il semble bien qu’elles pouvaient utiliser correctement les vents de travers et louvoyer avec des vents d’est, leur marche aurait été trop lente pour atterrir à dix mille kilomètres de leur point de départ, une étape de mille cinq cents kilomètres semble le maximum envisageable à couvrir pendant la courte période des vents favorables. Il n’est pas envisageable pour nous qu’une migration ait pu voyager sur la mer pendant trois ou quatre mois. Or l’exode d’Hotu Matua dura d’après la légende neuf mois, le temps d’un enfantement. Il voyagea avec quelques étapes intermédiaires dans des zones habitées, lui permettant de refaire ses provisions en eau et nourritures. La légende explique que lorsqu’il toucha terre dans l’île de Pâques, sa femme, mit au monde le fils conçu lors du départ. Comme on pense aussi sans doute à tort d’ailleurs qu’il n’y avait qu’un navire dans cette migration, il est probable que le vaisseau était divisé en deux parties. La main droite était celle des hommes, l’autre partie celle des femmes et des enfants.
C’est donc ainsi que les choses se passèrent dans notre récit. Sans doute est-ce une faiblesse de notre part de prétendre une chose qui semble si improbable pour nos spécialistes actuels des navires anciens de la Polynésie. Ceux-ci ont une piètre idée des qualités nautiques des voiliers, et font des pronostics assez stupides sur la qualité des navigateurs maoris. Malgré les démonstrations faites par les reconstitutions modernes de ces navires, nous avons encore des doutes qui peuvent être légitimes à ce sujet. Les reconstitutions faites ne tiennent pourtant pas compte de la culture des anciens navigateurs, mais seulement de l’état de cette culture lors des découvertes européennes, alors même qu’il n’y avait plus de grandes migrations depuis des centaines d’années et donc que ces techniques étaient alors ignorées et en sommeil, comme l’usage des poteries qui avait disparu de toute la Polynésie.
Mais aucun doute n’existe pour ce qui concerne la capacité de cette civilisation à former des marins capables d’affronter la mer. Et ceci par une initiation que très jeune ils obtenaient de maîtres techniciens et de savants des étoiles et de la navigation, les Tahungas, qui étaient aussi le plus souvent des prêtres inspirés. Ils avaient des graphiques des cartes du ciel et aussi celles des îles et ils apprenaient par cœur leurs données.
Un adolescent polynésien naufragé qui aboutit dans une île déserte possède la culture nécessaire pour construire de ses mains en quelques semaines de travail une embarcation qui lui permettra ensuite de traverser l’océan Pacifique, de visiter plusieurs îles sur son chemin et d’atteindre l’île du bout du monde dont il ne connaît la situation que par le récit des aventuriers qui ont été l’explorer. Je ne pense pas d’ailleurs qu’il s’agisse d’un grand exploit, et je crois même que n’importe quel Ariki initié savait alors faire ces travaux.
Nous avons tous en mémoire, le livre de Robinson Crusoé. Avec tout le matériel moderne dont il dispose, Robinson est bien incapable de construire un bateau utilisable en plusieurs années pour rejoindre une terre habitée, il ne s’y essaye même pas d’ailleurs, s’il avait été charpentier de marine, il aurait pu facilement en construire un, mais aurait-il su alors naviguer avec précision et trouver son chemin. Un Maori qui ne disposait que des outils les plus simples qu’il fabrique d’ailleurs très facilement avec les matériaux disponibles dans la nature en employant des technologies néolithiques disposait lui des connaissances techniques qui lui permettaient de le faire facilement. Bien sûr l’immensité de la mer fait peur, aux non-initiés surtout et la solitude semble toujours une chose affreuse à vivre, tant qu’on n’a pas acquis les connaissances permettant de s’en accommoder. Et Teagi lors de son naufrage n’y échappera pas. S’il n’avait pas disposé des connaissances techniques de son peuple, il n’aurait pu réussir cette épreuve. En perdant ces connaissances, nous avons aussi détruit nos coutumes et notre rationalité est atteinte dans sa base. L’humain est une partie de la Nature, et la seule chose qui vaille est de rester dans cette liaison. Nos ancêtres traités parfois de barbares avaient aussi des connaissances extraordinaires, même lorsqu’ils ne vivaient que de la chasse, ils savaient survivre fort agréablement dans des environnements dans lesquels nous serions bien incapables de survivre quelques jours actuellement avec nos connaissances. Cette culture ancienne détruite par la civilisation moderne est notre identité véritable, elle repose sur des compétences et des exercices matériels qui ont disparu, mais qui sont sacrés, car il s’agit de nos secrets d’humains vivant en harmonie avec le milieu naturel. Sachons donc les conserver et retourner à l’état de nature. La culture polynésienne peut nous y aider bien sûr, elle aussi est universelle.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les peuples migrants viennent des extrémités du monde pour coloniser la frontière ultime.
La civilisation maorie permettait facilement à un peuple entier de plusieurs centaines d’immigrants de se déplacer dans toute la Polynésie en une seule migration. D’aller d’Hawaï jusqu’en Nouvelle-Zélande aller et retour sur leurs grands vaisseaux utilisés presque exclusivement pour les migrations capables d’emporter chacun plus de cent personnes avec leurs biens essentiels. Des flottes de plusieurs navires progressaient de conserve pour pouvoir se porter secours en cas d’avarie. Mais ceci n’a pas été retenu par la tradition. Même lorsqu’il s’agit de coloniser la Nouvelle-Zélande bien qu’on parle de la grande flotte et que chaque tribu maorie de Nouvelle-Zélande a pris singulièrement le nom d’une embarcation de cette armada.
Traverser tout le Pacifique, ils pouvaient l’accomplir en une seule étape ou en plusieurs si ceci était souhaitable notamment pour refaire les provisions de vivres frais. Mais ils savaient aussi tirer les ressources nécessaires du grand large, y vivre en pêchant, en recueillant l’eau douce des averses. Souvent nous oublions que nos ancêtres pratiquaient quotidiennement sans effort ce que nous apprenons seulement à faire avec grandes difficultés pendant nos stages de survie militaires. Notre civilisation est d’une autre nature. Nous sommes devenus des hommes incapables de vivre dans la nature sans nos outils techniques actuels, et nous sommes bien en peine de créer les outils dits primitifs avec les moyens disponibles sur le terrain, retrouver les techniques nécessaires ne serait pas si facile.
Nous savons que les explorations préalables aux expéditions de colonisation se faisaient avant toute émigration, comme ce fut le cas pour l’exploration de l’île de Pasques.
Des navires bien plus petits, mais tout aussi sûrs, et sans doute beaucoup plus rapides, permettaient aux explorateurs de découvrir les terres éloignées. La rapidité de ces embarcations était telle d’ailleurs que les escadres européennes lors de la découverte étaient distancées à presque toutes les allures par elles malgré la faible surface relative de leurs voilures en pandanus tressé. L’utilisation de catamarans nous est familière aujourd’hui, leur vitesse et leur stabilité supérieures nous sont démontrées tous les jours par les courses sportives autour du monde. Les Polynésiens utilisaient plusieurs types différents de navires. Presque tous se composaient pour l’essentiel de coques construites à partir de pirogues taillées dans un tronc, et de planches reliées entre elles par des liens de fibres de cocotier, calfatés avec diverses gommes d’arbres, le plus souvent par la sève de l’arbre à pain (uru) et même par divers ciments tirés de la chaux produite à partir du corail. Les fibres enduites de poix utilisées étaient forcées, introduites entre les planches. Le tout très solide et très marin. On utilisait les coques profilées pour réaliser les principaux flotteurs. Ces coques étaient renforcées par des armatures et des membrures chevillées. Lorsqu’on manquait de grands arbres, ces coques étaient même surtout construites à partir de planches comme on le voit sur les gravures des pirogues qui subsistaient dans les îles qui ne disposaient pas des grands arbres nécessaires. Ces esquifs étaient alors bien plus fragiles. Les très grandes pirogues étaient souvent construites de deux morceaux reliés au centre par des menuiseries très fortes ou une partie de pirogue bien chevillée aux deux coques.
Pour produire les planches, les peuples du néolithique commençaient généralement à brûler le bout d’une bille de bois choisie sans nœud important. Il faut que l’espèce d’arbre s’y prête. Puis ils inséraient des coins de bois dur ou de toutes sortes de cales qu’ils frappaient régulièrement de chaque côté pour fendre une face de la planche, et de la même manière ils fendaient ensuite ou en même temps l’autre face. De grandes planches d’une dizaine de mètres de long, jusqu’à plus de trente centimètres de large, pouvaient être ainsi produites. Cette technique est connue dans les civilisations néolithiques comme on a pu le constater dans les vestiges des villages établis dans les marais ou les lacs. Les planches ainsi produites étaient ensuite planifiées et rectifiées à l’herminette pour être fixées et aboutées aux éléments des pirogues. Les architectes navals maoris n’étaient pas démunis, ils avaient des éléments solides, légers, flexibles, et ils savaient les ajuster avec précision.