Au bal fleuri - Pierre-François Ranucci - E-Book

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Pierre-François Ranucci

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Beschreibung

A l’orée du deuxième millénaire, Bosco, jeune lusitanien d’origine lapone, embarque à bord du Fringant. C’est le début d’une succession d’aventures renversantes qui vont le mener de la Toscane à la Vénétie, de l’Angleterre à l’Occitanie. Il y rencontrera des personnages attachants et hauts en couleur, grands de ce monde ou anonymes de passage...

Dans ce roman historique foisonnant et documenté, avec humour et élégance, Pierre-François Ranucci nous fait découvrir une Europe médiévale en pleine mutation.




À PROPOS DE L'AUTEUR



Pierre-François Ranucci a été directeur de l’Alliance Française de Catamarca (Argentine).

Il a visité ou séjourné dans plus de cinquante pays. Les plus curieux et les plus exotiques servent de décor à ses romans et ses nouvelles et de matière à ses conférences.

Il partage son goût de la rédaction avec les participants aux ateliers d’écriture qu’il anime en région parisienne et dans ses terres d’adoption du Quercy.



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Seitenzahl: 307

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Pierre-François Ranucci

AU BAL FLEURI

A mes enfants, Marie-Frédérique, Sandrine et François-Nicolas.

« Il y a encore bien des coins du monde où mon imagination n’a pas conduit mes héros. »

–Jules VERNE

PRÉAMBULE

–Encore un nom lapon, viens voir, cria mon fils tout excité en me tirant par la Manche.

–Ici aussi, regarde, insista ma fille en me tirant l’autre manche.

–Arrêtez, calmez-vous les enfants, vous allez finir par déchirer le blouson depapa.

Singulière visite du cimetière de ce petit village côtier au nord du Portugal. À défaut de curiosités touristiques remarquables, nous avions choisi cet endroit isolé, sauvage, battu par les vents et tout proche des rochers qui entouraient la plage. À deux ou trois reprises, l’écume des vagues avait franchi les murs d’enceinte du cimetière et surpris les enfants qui attendaient bravement la prochaine attaque de l’océan.

Les deux garnements n’avaient pas grand mérite à découvrir les noms à consonance lapone inscrits sur les tombes car ma femme s’était donnée la peine de traduire l’inscription gravée sur une plaque à l’entrée. Elle évoquait une bataille navale et la victoire éclatante et inattendue remportée vers l’an 1100 par une petite flottille portugaise contre des troupes lapones aguerries et bien supérieures en nombre. Les Laponnes et Lapons survivants faits prisonniers obtinrent l’autorisation d’enterrer leurs morts dans le cimetière communal. Au fil du temps les prisonniers une fois libérés convolèrent avec des habitants du village puis essaimèrent dans lepays.

De retour en France, la visite du cimetière prit place parmi tous nos bons souvenirs de vacances, ni plus ni moins. Pourtant en cours d’année un évènement anodin me la remit en mémoire.

J’aidais mon fils à répertorier les différentes techniques de fabrication des cerfs-volants, un travail demandé par son maître. Sur un site, nous étions en train d’explorer la rubrique « Réalisation d’un cerf-volant » lorsqu’il poussa un cri à la vue d’un encadré qu’il s’empressa de me signaler. Il s’agissait d’une relation de la bataille navale évoquée dans le cimetière. Ma curiosité piquée, je me plongeai également dans plusieurs documents mentionnant maintes aventures vécues par les descendants de ces lapons à la suite de la fameuse bataille.

Trois d’entre elles figurent dans le présent recueil, je vous souhaite autant de plaisir à les lire que j’en ai éprouvé à les découvrir.

I Par vents et marées

CHAPITRE 1

Légende ou réalité ? Les Lapons auraient émigré en masse à partir du Xème siècle à cause des persécutions des trappeurs finnois qui les traitaient comme des esclaves et s’enrichissaient en pratiquant la traite des plus valides. Ce peuple a souffert constamment à travers les siècles. Les pays scandinaves voisins ont harcelé, morcelé, dépecé cette pauvre Laponie qui a dû subir pour finir le joug de la Russie. On ne parle plus de Laponie tout court mais de Laponie danoise ou finlandaise… Les lapons qui ne sont plus que quelques milliers dans l’extrême nord ont été éparpillés dans les pays prédateurs comme par le souffle d’un cyclone.

Afin d’éviter de servir de proies, un fort contingent de Lapons décida donc de quitter ces territoires hostiles. Ils se rassemblèrent à proximité du cap Nord dans le port d’Alta qui leur servit de point de base pour préparer leur périple maritime. Dans un premier temps ils se firent bûcherons pour couper les arbres de différentes essences qui leur serviraient à construire leurs navires, se muèrent ensuite en charpentiers pour bâtir les coques et dresser les mâts, ce qui leur prit plusieurs saisons. Les trappeurs finnois, leurs pires tortionnaires, ne s’aventuraient heureusement pas dans cette région inhospitalière, balayée par des vents glacés et des tempêtes de neige continuelles qui retardaient l’avancement des travaux. Les premiers voiliers sortis des chantiers servirent à former des navigateurs dont les meilleurs furent choisis comme capitaines. Au cinquantième bateau mis à l’eau la fabrication cessa, le chef de la troupe qui se révéla également le plus doué des capitaines et répondait au nom de Bagdadi Bagdada, fut nommé amiral de la flotte qu’il soumit à plusieurs sorties en haute mer toutes parfaitement exécutées malgré le manque d’expérience des marins improvisés. Dès lors son autorité et son pouvoir ne furent plus contestés s’ils l’avaient jamaisété.

Le conseil des sages formé par l’amiral estima qu’il valait mieux se diriger vers des contrées au climat tempéré car pousser plein nord aurait été de la folie à cause des monstrueux icebergs et des températures polaires. Une fois les navires terminés, les marins durent s’aventurer sur les mers en se fiant à leur instinct et aux témoignages des rares navigateurs qui les avaient précédés et connu la fortune de revenir sains et saufs. Toutes les familles qui avaient gagné la région purent embarquer sous réserve de se tenir seulement dans les endroits du bateau autorisés, ceux où ils ne gêneraient pas la manœuvre.

Leur flotte ne s’éloigna guère des côtes qu’ils devaient longer pour s’approvisionner en nourriture. Au fil des incursions dans les terres où ils prélevaient les provisions nécessaires à leur survie, ces hommes traqués auparavant comme du gibier, apprirent à combattre et à s’approprier par la lutte les biens qui leur faisaient défaut. Ils allèrent jusqu’à capturer des chevaux lors de leurs expéditions à l’intérieur des terres pour disposer d’une cavalerie apte au combat en cas de besoin. C’est donc cette flotte puissante et redoutable qui se positionna en ordre de bataille en face du port de Vila da Conde au nord de la Lusitanie.

Depuis le début de leur périple Les Lapons guignaient une terre où ils pourraient s’arrêter pour y démarrer une nouvelle vie, une première exploration menée par l’amiral Bagdadi Bagdada leur fit penser qu’ils touchaient au but.

Les Lapons, persuadés d’avoir enfin trouvé leur lieu propre, celui que tout être humain recherche, poussèrent un soupir de soulagement, leur longue quête prenait fin !

CHAPITRE 2

La flotte entière criait sa joie. Au-delà du port, par-delà les collines, s’étendait une plaine immense où poussaient à l’envi des fruits divins, des légumes en abondance, des fleurs le long des chemins. Ces habitants du grand nord habitués à des températures éprouvantes croyaient avoir atteint le paradis.

Restait à mesurer la qualité d’accueil des autochtones. Jusqu’ici, à chacune des arrivées, les premières chaloupes mises à l’eau avaient été criblées de flèches et les rameurs forcés de souquer ferme pour revenir au flanc du navire protecteur. À maintes reprises il avait fallu faire usage de la force pour débarquer, s’imposer, lâcher la cavalerie qui taillait en pièces les opposants. Jamais les forces de l’amiral n’avaient été en mesure de nouer un contact avec les natifs. Cette fois serait peut-être la bonne car Il y avait bien présence humaine sur ce littoral, celle-ci étant attestée par la présence de barques de pêche amarrées à des barres de bois fixées sur un des quais. Ces barques disposaient d’une voile carrée coupée dans de la mauvaise toile, leur peinture s’écaillait, rien de bien réjouissant pour les yeux. Aucun pêcheur n’était visible autour des barques ni sur lequai.

Plus étrange encore, la vigie du navire amiral signala une fuite générale des habitants que l’on voyait courir au loin à travers la campagne, s’éloignant le plus vite possible du port. Il est vrai que la flotte composée de cinquante navires occupant tout l’horizon projetait une ombre immense sur les eaux de l’océan, de quoi impressionner de pauvres villageois qui ne connaissaient en fait d’embarcations que de méchantes barques en piteuxétat.

L’amiral Bagdadi Bagdada tint conseil avec ses officiers, la plupart témoins de la fuite sans gloire des habitants optèrent pour un débarquement immédiat. L’amiral prêt à se ranger à leur avis allait donner des consignes en ce sens lorsque pour une raison qui resta ignorée des humains, Zeus irrité, brandit son sceptre, le tonnerre gronda précédant une série d’éclairs spectaculaires, de lourds nuages noirs se postèrent comme un fait exprès au-dessus des navires de la flotte, l’océan prit une vilaine couleur d’encre noire. L’amiral convoqua immédiatement son conseiller météo, lequel péremptoire à son habitude déclara qu’il s’agissait d’un grain passager et que le reste de la journée serait magnifique avec une température ressentie égale à celle de la veille.

Cinquante bateaux superbes portés par les vents favorables cinglaient droit sur Vila da Ponte au son des tambours tendus de peaux de renne. En tête venaient les avisos fins comme des lames de dague, les imposants navires de transport des soldats et montures les suivaient de près tandis que le navire amiral donnait la cadence pendant que Bagdadi Bagdada debout sur la dunette saluait le bras tendu l’ensemble des équipages. Ah ce n’était pas une flotte d’opérette que cette armada, ils allaient s’emparer sans coup férir de Vila da ponte et de la région riche et magnifique toute proche à présent.

Parmi les habitants de Vila da Ponte, contrairement à ce qu’avaient estimé les vigies, tous n’avaient pas fui en apercevant l’impressionnante flotte surgie des flots comme un animal marin malfaisant. Les pêcheurs étaient restés par nécessité professionnelle plus forte que la peur suscitée par l’apparition de la puissante armada. En effet, la veille, les équipages embarqués à trois ou quatre sur leurs felouques dérisoires s’étaient échinés à poser des nasses au large dans des endroits de l’océan connus d’eux seuls. C’étaient des lieux privilégiés où ils attiraient, grâce à leurs appâts disposés dans les nasses, quantités de langoustes, homards et accessoirement loups de mer et baudroies dont ils tiraient de substantiels revenus. Par expérience ils savaient que certaines espèces capturées ne pouvaient y séjourner ensemble longtemps et qu’après s’être observées elles se battaient comme des gamins dans une cour de récréation avec une telle fureur qu’elles détruisaient les nasses qu’il fallait alors remplacer. Les pêcheurs demandèrent poliment aux équipages des premiers avisos dépêchés en reconnaissance par l’amiral la permission d’aller récupérer leurs nasses. Ils manifestaient une telle soumission que l’autorisation leur fut accordée séance tenante par les lapons amusés par les manières dociles des pêcheurs craintifs. Pauvres pêcheurs, quand ils croisèrent les navires géants de la flotte, leurs dérisoires embarcations furent agitées si fortement par les remous qu’ils devaient agripper le mât pour éviter de tomber à l’eau. Leurs efforts pathétiques faisaient beaucoup rire les familles de Lapons privées de distraction pendant leur périple maritime. Accoudés au bastingage, marins et passagers assistaient au spectacle en applaudissant les pêcheurs quand ils parvenaient à retrouver leur équilibre. Exercice assez délicat car ils étaient vêtus de tenues de pêche quasi hermétiques et encombrantes qui devaient les protéger des embruns mais les rendaient quelque peu patauds.

Les mamans lapones encouragèrent bientôt leur progéniture à manifester leur joie en jetant des présents aux pêcheurs : fruits, friandises, graines de tournesol, parvinrent aux felouques en si grand nombre que les pêcheurs reconnaissants, tout en louvoyant au milieu des bateaux de la flotte, lancèrent dans les airs de petits jouets légers à armature, retenus par de longues ficelles. Les enfants du grand nord voyant pour la première fois des cerfs-volants décrire des arabesques dans les airs s’extasièrent ainsi que leurs parents. Habiles, les marins profitaient des courants ascendants pour multiplier les évolutions des cerfs-volants et en lâcher de plus en plus dans le ciel en se livrant à une compétition amicale à qui atteindrait la plus grande hauteur. Sur les ponts des voiliers, les parents se joignirent à leurs rejetons pour désigner le gagnant. Piqués au jeu, les pêcheurs enjolivèrent leur prestation en faisant monter le long des ficelles, à l’aide des courants ascensionnels, des boîtes en terre cuite de petites dimensions, tant et tant de boites qui grimpaient si vite qu’elles venaient se fracasser à l’arrivée contre les structures des cerfs-volants. Sur les ponts des navires, les Lapons applaudissaient chaque ascension de boite en riant aux éclats.

Soudain ce fut l’enfer !

Les boites en terre, pulvérisées au contact des cerfs-volants, étaient en fait des essaims de guêpes ouvrières que le choc faisait jaillir dans les airs puis redescendre en volant à la recherche d’un support où pouvoir se poser. Elles prirent appui instinctivement sur les ponts des navires et sur les épaules des spectateurs piqués bientôt sur le visage et le corps. Tous subirent l’attaque féroce sans pouvoir se défendre : femmes, enfants, hommes d’équipage, nourrissons, peu importait, les guêpes acharnées ne pratiquaient pas la discrimination.

Les hommes de barre subirent le même traitement simultanément et les mains piquées, abandonnèrent leurs gouvernails, ce fut le commencement de la fin car depuis le début du périple, en respectant les règles de navigation, tous les capitaines de la flotte maintenaient la distance réglementaire entre les bateaux qui avançaient ou viraient de concert dans un ordre parfait. En l’occurrence, sans personne à la barre pour les diriger, les navires se rapprochèrent dangereusement les uns des autres, sur le pont c’était un sauve-qui-peut généralisé, courant en tous sens pour échapper aux dards des guêpes déchaînées la plupart se jetaient à l’eau croyant y trouver leur salut. Les guêpes ayant piqué tous ceux qui se trouvaient sur le pont ainsi que les vigies immobilisées en haut des mâts explorèrent les cales et trouvèrent une autre pâture en découvrant les chevaux parqués dans l’attente de l’attaque sur la terre ferme. Elles s’en donnèrent à cœur joie, excitées par l’affolement des pur-sang qui frappaient tant et plus la coque des bateaux de leurs sabots frénétiques.

L’amiral avait déjà vécu des situations périlleuses et mené ses troupes à l’assaut au péril de sa vie mais jamais il ne s’était mesuré à des essaims de guêpes ouvrières, il tenta de rallier les plus vaillants, s’aperçut rapidement de la vanité de ses tentatives. Personne ne l’écoutait, chacun dans son coin essayait de sauver sa peau boursouflée. Autour de lui, attirés peut-être par les dorures brillantes de son uniforme, les insectes se massèrent davantage en attaquant partout à la fois. Bagdadi Bagdada, fait du même bois que ses compagnons, finit par céder, ne trouvant son salut que dans la fuite. Terrorisé il courut se réfugier dans le carré des officiers dont il ferma la porte sur les guêpes agressives. Hélas, il n’avait pas été assez prompt pour les éloigner toutes et encore moins celles qui tentaient de le piquer à travers son uniforme. Le remède fut pire que le mal, certes peu de guêpes se trouvaient enfermées dans le carré, mais se sentant prisonnières et ne pouvant plus sortir à l’air libre elles concentrèrent leur fureur meurtrière sur le seul être humain présent.

L’amiral succomba aux piqûres rapidement ce qui lui épargna le spectacle affligeant du désastre subi par sa flotte. Il n’entendit pas non plus les bateaux s’entrechoquer, les craquements sinistres des coques, les plaintes de ses compagnons, les hennissements affolés des chevaux. Et surtout lui fut ainsi épargnée la joie des pêcheurs protégés des piqûres par leurs tenues d’apiculteurs.

Les habitants de Vila da conde qui avaient fait croire aux vigies qu’ils s’enfuyaient par peur de la flotte s’unirent aux pêcheurs et firent leur part de travail en ligotant les malheureux lapons survivants dès leur sortie de l’eau. Quant aux bateaux qui n’avaient pas coulé, ils furent intégralement vidés de leur contenu, le bois fut prestement récupéré ainsi que les voiles dont les pêcheurs avaient grand besoin.

À la décharge des autochtones, il faut souligner que le sort des lapons faits prisonniers fut nettement plus heureux que celui qu’ils avaient enduré sous le joug des trappeurs finnois, leur libération intervint rapidement, ils contractèrent des unions solides avec des natives et natifs du pays et leurs descendants se sentirent chez eux dans ce pays tolérant et accueillant. Il n’empêche que tous les ans au solstice d’été la victoire d’une petite flottille à l’apparence inoffensive contre une flotte titanesque est célébrée dans la région de Vila da conde sous le nom de « Bataille des cerfs-volants ».

CHAPITRE 3

Les enfants de Vila da conde et des environs n’en peuvent plus d’attendre le solstice d’été jour de la commémoration de la bataille des cerfs-volants. Pendant que les petits rongent leurs freins tous ceux qui sont en âge de faire fonctionner ces jouets s’exercent pour être fins prêts le jour de la commémoration. S’ils ont bien travaillé en classe et se sont correctement tenus à la maison, ils reçoivent un cerf-volant de compétition en ce jour férié. Les familles les accompagnent à la plage en face de l’endroit où fut vaincue la grande armada. Pendant qu’ils font voler le plus haut possible leurs jouets, les mères préparent un pique-nique géant qui sera dévoré plus tard. Les familles généreuses sur les quantités se partagent les beignets de poisson, les pâtisseries et le vin cuit.

Les années passèrent sans heurts ni traumatismes, la plupart des Lapons s’intégrèrent parfaitement à la vie locale au point que nombre de leurs descendants issus de croisements divers et variés fêtaient dorénavant le jour du cerf-volant comme s’ils avaient occulté la cuisante et humiliante défaite subie par leurs ancêtres. Une partie non négligeable pourtant ne participait pas à ces fêtes et lui substituait une cérémonie dédiée à la mémoire des ancêtres courageux et entreprenants qui avaient secoué le joug de leurs tortionnaires finnois.

Parmi de nombreuses familles se perpétuait donc le culte de celui qui avait réussi à soustraire à la main de fer des odieux trappeurs finnois leurs ancêtres persécutés, le glorieux amiral de la flotte vaincue par un malencontreux coup du sort, l’incomparable Bagdadi Bagdada, dont le portrait ornait les entrées des logements. Une niche en regard permettait de brûler des bougies à la mémoire du héros en contemplant son portrait. Chacun gardait ainsi gravés comme dans le marbre les traits virils et volontaires du héros, mâtinés d’un brin de fantaisie perceptible dans le regard.

À l’orée du deuxième millénaire advint un évènement extraordinaire qui laissa pantois les descendants qu’ils fussent partisans des cerfs-volants ou voués au culte de l’amiral. L’une des mères d’une famille qui cultivait la mémoire du héros légendaire donna naissance à un bébé braillard qui pesait l’équivalent de dix oranges et mesurait sous la toise la taille moyenne des enfants de Carélie à la naissance. Jusque-là rien de notable à signaler, pas de fée au-dessus du berceau, ni de rois mages venus apporter la myrrhe ou l’encens, non aucune de ces fables merveilleuses transmises à la veillée par les grands-mères pour faire briller les yeux des enfants.

Dans ce cas précis, ce qui frappa toutes les personnes qui se penchèrent sur son berceau, ce fut la ressemblance frappante entre le nouveau-né et l’amiral prestigieux disparu des lustres auparavant. Dans la maison du petit enfant, à l’entrée dans une niche se trouvait un portrait du regretté Bagdadi Bagdada, tous les visiteurs frappés par la ressemblance faisaient la navette entre la chambre de l’accouchée et l’entrée pour se persuader qu’ils ne rêvaient pas. Dès la naissance l’enfant se présentait les traits bien dessinés, le visage énergique et semblait regarder les visiteurs les yeux teintés d’ironie. Par égard pour l’Amiral qui avait commencé sa carrière maritime en tant que bosco, autrement dit maitre de manœuvre, sur un navire hauturier, ses parents, sans tergiverser, le nommèrent Bosco.

Le garçon grandit entouré de l’affection des siens. Alerte, délié, vif d’esprit il était d’une compagnie agréable et apprenait facilement sans avoir besoin de se faire répéter deux fois les explications des maîtres. Doué pour la course à pied il surpassait des concurrents renommés et pouvait rattraper une antilope ou un oryx lancé au grand galop. Le seul ennui, mais il était de taille, résidait pour les nostalgiques de l’œuvre colossale de l’Amiral dans le fait que Bosco s’il ressemblait au portrait physique du héros ne manifestait aucune appétence pour le métier des armes ni les exploits guerriers.

Ceux qui étaient persuadés qu’un nouveau héros de la trempe de l’Amiral allait reprendre le flambeau, et glorifier les équipages de la fameuse flotte disparue, furent déçus par le comportement du jeune Bosco. Leurs amis et connaissances avaient beau leur répéter qu’ils tenaient des raisonnements absurdes en croyant que l’on pouvait faire renaître la gloire d’un passé lointain sur la simple constatation d’une ressemblance physique, les nostalgiques n’en démordaient pas. À la longue, déçus et n’observant aucun changement dans la façon d’agir du jeune homme, ils cessèrent de l’importuner et ne purent faire autrement que de le laisser s’exprimer comme il l’entendait.

Dès lors Bosco se consacra exclusivement à des activités ludiques, développa ses capacités artistiques, notamment la peinture sur soie et s’initia, sans pitié pour les oreilles du voisinage aux chansons polyphoniques. Telles qu’il les interprétait, elles s’apparentaient à des braiments, mais personne n’osant lui en faire la remarque par égard pour ses efforts, il persista en s’accompagnant au tambour tendu, produisant ainsi des sons à tout le moins originaux et surtout insupportables. Il s’adonna ensuite au grand désespoir de ses parents au tressage de couronnes de fleurs dont il se coiffait en se regardant de longs moments dans le miroir monumental du salon.

–Tu finiras par mal tourner, lui répétait sa mère attristée en le regardant se pavaner face à la glace.

–Je ne tourne pas si mal pourtant, répondait-il en la prenant par la taille et en esquissant quelques pas de danse.

Elle riait, indulgente au bout du compte, ce que le père désapprouvait car Bosco rajoutant l’impertinence à la désobéissance se montrait rebelle à toute éducation qu’elle soit administrée de façon autoritaire ou plus mesurée. Ses fréquentations désolaient ses parents, sa mère les considérait comme des hurluberlus et le père les taxait de propres à rien.

Complètement dépassés, les parents réunirent selon la coutume lapone un conseil de famille destiné à statuer sur le cas du jeune homme. Y furent conviés les membres de la famille aptes à donner les conseils les plus pertinents. Réuni sous la présidence du doyen d’âge, le conseil s’ouvrit par un tour de table, le président invitant chacun à fournir une suggestion d’orientation. L’oncle Jacobik fut le premier à s’exprimer, réputé pour ses avis tranchants il se racla la gorge, signe chez lui d’une profonde réflexion, et préconisa une vingtaine de coups de fouet. Marcus le forgeron plus mesuré opta pour coincer les doigts du chenapan entre le marteau et l’enclume ce qui fit frémir la mère de Bosco. À les écouter tous, seules les solutions radicales et violentes pouvaient convenir à redresser le caractère et à corriger notablement le comportement de l’intéressé. Les parents regrettaient d’avoir suivi la tradition en convoquant le conseil de famille. La dernière personne à prendre la parole était la tante Adja, d’un âge vénérable et dont ils redoutaient d’avance le discours interminable. Instruit par l’expérience le doyen la prévint, dûment approuvé par l’assemblée :

–À vous la parole ma tante, je vous en prie, soyez brève, pas de digressions, pas de détails inutiles, formulez vos idées après les avoir bien ordonnées dans votre tête. Nous n’avons plus beaucoup de temps, la nuit va tomber.

–Si je comprends bien tu me traites de sénile, espèce de vaurien sans cervelle !

–Pas du tout ma tante, loin de moi cette pensée, je vous suis tout dévoué.

–Crapule misogyne, tu ne perds rien pour attendre, et vous tous également, vous avez proféré un nombre d’inepties ahurissant depuis le début de ce conseil, à se demander si vous voulez le bien de Bosco ou le supplicier jusqu’à ce que mort s’ensuive.

–Au fait ma tante, au fait, je vous en conjure !

–J’y viens canaille. Bosco se comporte comme un mauvais sujet, c’est évident, mais son entourage porte une grande part de responsabilité : ses pauvres parents n’ont pas été assez attentifs, ses fréquentations sont déplorables, quant à vous tantes, oncles et cousins vos suggestions pour le tirer d’affaire sont à l’image de ce que vous êtes, stupides, inutiles.

–Je vous en supplie ma tante au fait !

–J’y viens, pauvre larve, vermine ! Voici : pour se défaire de ces influences néfastes et devenir un homme Bosco doit s’éloigner de la région. Un séjour à l’étranger le mettra à l’épreuve et lui fera le plus grand bien. Je n’en dirai pas plus. Ai-je été assez concise cancrelat ?

Un silence de cathédrale ponctua l’intervention énergique de la tante Adja. S’abstenant de répliquer à ses insultes, le Président poursuivit son office et invita l’ensemble des membres à voter en faveur de la proposition de leur choix. Celle de la tante Adja recueillit la totalité des suffrages, les parents de Bosco l’approuvèrent sans réserve. Bosco ayant manifesté quelque goût pour la peinture et la musique le choix se porta sur une ville d’art suffisamment éloignée de Vila da conde pour que le jeune homme ne soit plus soumis aux influences néfastes de son entourage, Florence fut élue à l’unanimité.

Le premier bateau en partance fut le bon car, par une heureuse coïncidence, sa destination était la ville portuaire de Pise d’où un individu ingambe pouvait gagner Florence aisément. Le nom du navire plut d’emblée à Bosco : il s’appelait Le Fringant. Restait à le découvrir !

CHAPITRE 4

La plupart des bateaux à quai dans le port de Vila da conde ressemblaient à de grosses tortues pataudes, de vulgaires coquilles de noix qui devaient se traîner sur les mers. Bosco, déçu, arpentait les quais l’air maussade : ces voiliers de forme et d’allure grossière ne lui disaient rien qui vaille, le voyage se présentait mal. Il rajusta son balluchon, se sentit seul, abandonné, il avait bêtement dissuadé ses parents de l’accompagner. Rageur il pressa le pas pour dépasser la charrette qui lui masquait une partie des quais. Dès qu’il l’eut fait, il découvrit le Fringant juste en face de lui, éprouva une telle émotion qu’il sentit son cœur battre dans sa poitrine et s’approcha du quai, déjà conquis par la beauté du navire.

Le voilier majestueux comptait trois grands mâts qu’il apprendrait à nommer plus tard, de forme élancée il semblait taillé pour fendre les flots, fin et racé, il dégageait même immobile une impression de puissance irrésistible. Subjugué, le jeune homme aurait souhaité monter à bord dans l’instant et entendre l’ordre de larguer les amarres. Il en fut tout autrement ; le navire accueillait d’autres passagers et le chargement des marchandises était loin d’être terminé. Bosco vit des ouvriers chargés de ballots de tissu les transporter en prenant mille précautions. Observant mieux la scène il aperçut des hommes en armes proches de la passerelle. Attentifs, ils semblaient assurer la protection des ouvriers et couvaient les tissus des yeux. Intrigué Bosco put questionner un des ouvriers qui consentit à le renseigner partiellement : « Ce sont des tissus de soie très chers, toujours sous surveillance… » Avant d’être interrompu par un garde armé qui conseilla au jeune homme de s’écarter s’il voulait éviter des ennuis.

Peu après les passagers furent invités à monter sur le bateau pendant une brève interruption des travaux de chargement. Ils attendirent qu’on leur montrât leurs quartiers en se tenant sur le pont près de la dunette à l’arrière du Fringant, là où ils ne gênaient pas les opérations de chargement ni les manœuvres de l’équipage. Bosco depuis qu’il avait éprouvé tant d’émotion à la vue du grand voilier était curieux de tout savoir, il se déplaçait sans cesse à la recherche d’autres sensations. Bosco observait la vie agitée du pont traversé sans cesse par les marins et les dockers commandés par des chefs hargneux qui aboyaient leurs ordres. Bosco en écoutant les conversations de passagers habitués à ces voyages en apprit beaucoup en peu de temps. Les « aboyeurs » appartenaient en fait à la hiérarchie du navire, ils étaient les seconds du capitaine du bateau, les passagers les appelaient soit officiers, soit quartiers maîtres, soit maîtres d’équipage, sans être sûrs de leur titre exact. Ils venaient prendre leurs ordres auprès du capitaine du navire, « le capitaine Darkan », répétaient les passagers en baissant le ton, impressionnés par la stature majestueuse et le port altier du capitaine. Il est vrai que cet homme, plus grand que la moyenne, mince et droit comme le grand mât, dominant tout le pont et donnant ses directives calmement alors que l’agitation provoquée par l’imminence du départ était à son comble, inspirait le respect.

Désireux d’en savoir plus, Bosco, en faisant mine de chercher quelque affaire dans le balluchon préparé par sa mère continuait à écouter les conversations. Il apprit ainsi que le bateau appartenait pour moitié au capitaine, l’autre moitié étant détenue par ses associés, des armateurs qui équipaient le navire et confiaient à Darkan des cargaisons de produits de luxe très prisés dans les contrées avoisinantes, charge au capitaine de les acheminer jusqu’au pays demandeur et de les vendre au plus offrant. C’était un type de commerce dit à capital-risque ce qui signifiait que le capitaine et ses associés investissaient une fortune sur une seule cargaison en risquant de tout perdre d’un seul coup si le bateau coulait en mer ou était attaqué par des pirates. Bosco se demanda si le passager qui semblait tout connaître de ces voyages n’exagérait pas afin de se rendre intéressant, l’autre rajouta face à son auditoire attentif que si le capitaine Darkan mettait tant de soins à vérifier toutes les opérations de départ, c’est qu’il pouvait tout perdre car aucun banquier, aucun usurier ne proposait de système d’assurance permettant de se faire rembourser en cas de perte ou de vol ou de destruction de la marchandise par un fléau quelconque.

De là d’ailleurs ce terme de capital-risque ajouta le passager en clôturant sa péroraison. Intarissable il allait poursuivre en contant une anecdote de mer lorsqu’un chant commencé d’une voix grave et profonde par l’homme de barre fut repris par tout l’équipage ; le Fringant sortait du port salué comme il se doit par tous ceux qui se trouvaient sur le quai. Bosco sans regret tourna le dos au port, courut d’une traite au bout du bateau et fit corps avec lui en tenant ferme dans ses bras une partie du dos de la figure de proue. L’équipage se garda d’intervenir, le jeune homme ne causait de tort à personne et les embruns n’avaient pas l’air de le gêner, après tout chacun est libre de vivre sa vie de mer comme il l’entend.

***

La plupart des passagers s’ennuyaient du matin au soir, un bateau est un espace clos dont on a vite fait le tour, au bout du premier jour « les terriens » se lassent du clapotis des vagues sur la coque, l’horizon se révèle désespérément plat, quelques dauphins daignent venir de temps à autre sauter hors de l’eau pour distraire les voyageurs accoudés au bastingage, mais très vite l’ennui vous reprend et l’on n’a plus envie de refaire la sempiternelle promenade autour du pont. Tous les passagers, y compris le bavard impénitent éprouvaient la même sensation, tous sauf un, le jeune homme au balluchon, celui qui avait embrassé la figure de proue en provoquant l’hilarité puis la sympathie de l’équipage, le dénommé Bosco lui ne s’ennuyait jamais.

Dès les premiers jours, profitant d’un accord tacite du capitaine Darkan, le jeune homme explora le navire de fond en comble à sa guise, se prit d’amitié pour le coq et les deux moussaillons qui aidaient à la cuisine, entra dans la cambuse et d’autres endroits interdits aux passagers, notamment les pièces où étaient entreposés les nombreux tissus de soie destinés à être vendus si tout se passait comme prévu aux belles dames du comté de Toscane qui comptait des villes prospères comme Florence, Pise et Sienne.

Bosco poursuivit ses explorations, visita la cale de fond en comble mais se vit interdire la porte close de l’arsenal où étaient entreposées des armes telles que lances et poignards. À force de questions il finit par apprendre que ces armes pouvaient servir en cas d’attaque de pirates. Le jeune homme sympathisa avec plusieurs marins qui lui apprirent à monter jusqu’au poste de vigie et à en descendre à toute allure. Quelques jours après son initiation il descendait et montait plus vite que n’importe quel marin à bord sous les yeux du capitaine Darkan qui le félicitait d’un geste cordial. Quand il accomplissait ces prouesses, en prenant des risques fous, Bosco avait toujours une pensée pour sa mère qui se rongeait les sangs en le voyant sauter une volée de trois marches d’escalier !

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La plupart des passagers affichaient un sourire sceptique lorsque les marins évoquaient les attaques des pirates. Pour eux ces histoires sortaient tout droit de l’imagination fertile des gens de mer qui les inventaient pour impressionner les passagers, comme les conteurs à la veillée qui évoquent des animaux mythiques, monstres et dragons crachant le feu. Le plus incrédule, celui qui emportait l’adhésion générale, était le passager bavard qui haussait les épaules à chaque histoire terrifiante rapportée par les hommes d’équipage.

–La preuve j’ai fait cinq fois la traversée jusqu’à Pise sans voir une seule fois la barbe noire d’un pirate. Vous savez, barbe noire, foulard autour des cheveux, jambe de bois, épée rouillée et un méchant rictus sur les lèvres… Tout ça, c’est pour faire peur aux enfants, le méchant pirate qui viendra te tirer les oreilles si tu n’es passage.

–Vous ne devriez pas monsieur prendre ces récits à la légère, certains ont pu réaliser dix ou vingt traversées sans voir l’ombre d’un pirate mais je peux vous en citer d’autres qui les ont rencontrés pour leur malheur à leur premier voyage rétorqua un marin passablement agacé.

« Quand on parle du loup », dit le dicton parfois avéré. Ce fut le cas cette fois-là, à la grande confusion du passager bavard qui en trois bons courut s’enfermer dans sa cabine.

–Alerte, pirates à l’horizon, ils ont hissé le drapeau noir, criait la vigie.

Le capitaine Darkan jaillit de l’entrepont, pivota dans la direction indiquée bras tendu par la vigie, évalua la distance qui séparait le Fringant du bateau pirate et appela son équipage au branle-bas de combat. Le bateau pirate arrivait soleil dans la poupe ce qui lui donnait un avantage initial, les marins du fringant étant gênés par les rayons rasants.

–À l’arsenal ! ordonna le capitaine à son second chargé des opérations de défense.

La manœuvre répétée tant de fois pour parer efficacement à une telle attaque fut exécutée promptement. Chaque marin désigné pour se battre prit son poste de combat. Juste à temps, déjà le bateau pirate fondait sur eux, bord à bord avec Le Fringant.

La tactique des pirates éprouvée consistait à lancer des filins munis d’un crochet autour des mâts du navire attaqué puis de se projeter sur le pont en effectuant un mouvement de balancier, en même temps qu’ils s’élançaient les pirates criaient sauvagement et agressaient les défenseurs à grands coups de hache et de sabre. Sur Le Fringant les piques des lances étaient positionnées de façon à blesser au corps les assaillants. De la capacité de la résistance initiale dépendait l’issue du combat. Si les assaillants parvenaient à lâcher leurs cordages et à engager un combat au corps à corps dont ils sortaient en général vainqueurs grâce à leur plus grande expérience, c’en était vitefini.

Pas besoin d’être grand devin en l’occurrence pour prévoir une issue fatale, la supériorité des pirates était flagrante. L’équipage ployait sous le nombre et l’ardeur combattante des agresseurs. Au moment où tout semblait perdu le capitaine Darkan joua son va-tout en rassemblant une petite troupe de marins auxquels il enjoignit de se saisir des filins utilisés par les pirates et de se lancer à leur tour à l’assaut du bateau pirate. La contre-attaque, pour désespérée qu’elle fût, désorienta les agresseurs qui avaient tous quitté leur bateau et assistèrent impuissants à la destruction du grand mât et du gouvernail menée par le capitaine Darkan et son commando, qui s’empressèrent, besogne faite, de regagner le Fringant pour venir prêter main forte à leurs compagnons.

Cloitrés dans leurs cabines aveugles, les passagers assistaient au combat sans le voir. Les vociférations des pirates, les chocs des armes, les appels au secours, les cris de ralliement leur fournissaient suffisamment de renseignements pour leur faire craindre le pire. Bosco avait refusé de descendre en compagnie des autres passagers pour se mettre à l’abri ; il ne participait pas à la bataille pour autant. Depuis le début des affrontements, il s’était volatilisé, personne ne l’avait aperçu, pourtant en se donnant la peine de garder les yeux levés au ciel on aurait pu apercevoir une partie de son visage, pour être plus précis : une cascade de cheveux ébouriffés, son front large et ses yeux vifs qui dépassaient du poste d’observation en haut du grand mât qu’il partageait avec la vigie. En y montant Bosco avait récupéré un des filins laissés à terre par les pirates. Sur le pont du Fringant le combat se poursuivait, acharné, indécis, le mât détruit par le commando de Darkan gisait abattu entre les deux ponts des navires, il fallait se tenir en équilibre sur une partie de la voilure désormais horizontale avant de songer à porter son coup de hache ou de sabre.