Au-delà de ma vie - Pauline Priolet - E-Book

Au-delà de ma vie E-Book

Pauline Priolet

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Beschreibung

Et vous, qu’est-ce qui vous anime lorsque vous vous réveillez chaque matin ?

Pour Gabriel, c’est un rêve : celui de faire le tour du monde. Mais rien ne se passe comme prévu. Le jour du départ, Gabriel rate l’avion. Honteux, il part se cacher loin, très loin de sa propre vie. Il entame alors, sans le savoir, une toute autre aventure…

Ce roman initiatique est un hymne à la liberté, au courage et à la joie.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Pauline Priolet

Au-delà de mavie

À Claire S.

Introduction ManonUn an avant le jourJ

Ne. Pas. Tomber.

La déchirure de la perte provoque des élans de douleur jusqu’au plus profond de mon cœur. Je me sens vaciller, écrasée par ce poids énorme qui comprime ma cage thoracique. J’ai du mal à respirer.

Mais la vie est belle. La vie est magnifique. Le soleil reviendra. J’ai tout pour être heureuse. Rien ni personne n’a le droit de me priver du bonheur.

Les épreuves sont mises sur notre chemin pour mieux nous apprendre à vivre. Celle-là est juste particulièrement compliquée à gérer. Mais tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. J’ai la force en moi, pour tout surmonter. Du temps. De la confiance. C’est tout ce dont j’ai besoin.

Assise dans la salle de bains, je lève lentement la tête, et me regarde dans le reflet de la glace. Les larmes ont assombri mon regard. J’ai les yeux d’un bleu profond, profond comme l’océan un soir d’orage.

Mais qui peut savoir ce qui se cache dans les profondeurs de l’océan... ?

Chapitre 1 GabrielJourJ

Le Jour J est là.

Enfin, il est arrivé.

Je ne parviens pas à le croire. L’adrénaline coule tel un torrent dans mes veines. Je me sens euphorique… Mais en même temps tellement terrifié !

Aujourd’hui est le jour où mon rêve se réalise. Dans quelques heures, je me mettrai en route.

Et ce sera pour voyager un an et demi autour du monde !

Je n’ai pas vraiment eu le temps de me réjouir cette dernière semaine. Il faut dire qu’elle n’a pas été incroyablement palpitante : faite d’appels téléphoniques, de bureaucratie et de paperasses… Quitter la colocation, mettre fin aux différents contrats (téléphone, Internet, etc.), prévenir les impôts, les assurances, demander un passeport, faire les démarches auprès de ma commune…

Ces derniers mois étaient consacrés à la préparation du voyage : prévoir l’itinéraire, me renseigner sur les visas, sur les climats, sur les risques à connaître dans chaque pays. J’ai couru les magasins pour acheter tout le matériel nécessaire. Mon sac pèse 22 kg, mais je pense que je ne manquerai derien.

Préparer ce voyage fut un long travail. Mais tout cela est terminé, maintenant. Tout est fait, je n’ai plus besoin de me préoccuper de rien. Il ne me reste plus qu’à le vivre.

Hier soir, j’ai passé la soirée avec Irène, ma meilleure amie. Malgré la perspective de ne plus nous voir pendant un an et demi, nous avons discuté joyeusement et ri comme des enfants.

Au moment de nous quitter, elle a enlevé son collier. Une tortue. Je sais combien il est important pour elle. Lentement, elle me l’a donné.

–Tiens, emporte-le avec toi, fais-lui faire le tour du monde. Mais, surtout, tu me le ramènes, hein ! J’y tiens beaucoup !

Ce geste me touche particulièrement. Je lui promets d’en prendre le plus grandsoin.

Ce matin, j’ai embrassé une dernière fois mes parents. Ce n’est pas évident pour eux. Mais ils me soutiennent, ils sont heureux et, je le sais, ils sont très fiers.

Et voilà, tout est prêt. Pour la première fois, je me retrouve seul face à cette aventure. Et j’ai peur. Terriblementpeur.

Mais c’est normal, non ? Qui n’aurait pas peur dans cette situation ?

Alors je prends mon courage à deux mains, et enfile mon sac sur les épaules.

Juste avant de quitter la chambre, je prends le carnet de voyage que je me suis acheté.

Sur la première page, j’ai écrit une célèbre citation d’Antonio Machado: « Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant. »

Chapitre2 Daniel

Il est 6 h lorsque j’arrive vers le bois du Chalet-à-Gobet, dans les hauteurs de Lausanne. Lentement, je me parque sur une des nombreuses places vides du parking. Il y a peu de monde à cette heure matinale. Seuls quelques coureurs et autres promeneurs de toutous osent braver le froid et la neige.

Je suis en avance. D’une demi-heure, en plus. C’est toujours pareil… je stresse à chaque fois que je fais cela. Parfois je me demande pourquoi je continue de me l’imposer. Faire du covoiturage à monâge…

Mais voilà, économiquement, c’est une aide toujours bonne à prendre. Et, avec les grèves de ces derniers jours qui entraînent de nombreuses suppressions de trains en France, ces trajets en voiture rendent service à beaucoup de personnes. Il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver un passager jusqu’à Paris.

Il n’empêche qu’on ne sait jamais sur qui on va tomber…

Je me gare et me prépare mentalement à attendre en luttant contre le froid lorsque je le vois. Pas de doute, ce doit être mon passager !

Il faut dire qu’il ne passe pas inaperçu, avec son immense sac à dos ! Vêtu d’habits de randonnées visiblement flambant neufs, rasé de près, un bandeau autour du cou, il est la parfaite caricature de l’aventurier. Je crois que l’espèce de chapeau de cowboy sur sa tête est censée parfaire le tableau. Je lui trouve un air un peu ridicule et peu couvert pour un mois de février, mais, enfin, je suis surtout content de le voir, c’est toujours cela de gagné sur le temps de trajet.

Je sors de la voiture et m’approche de lui pendant qu’il lit et relit des papiers, l’air visiblement stressé.

–Hey, c’est vous, heu… Docteur Gab’s ? dis-je en jetant un œil sur l’application.

Il se redresse et me regarde, avant de crisper l’ensemble de son visage dans le but de me sourire.

–Bonjour ! Vous devez être Danni ?

–Daniel, effectivement, enchanté, dis-je en lui serrant lamain.

–Gabriel, tout le plaisir est pourmoi.

Je me tourne alors vers son sac à dos et peine à cacher mon inquiétude. Je ne pensais pas que mon voyageur serait autant chargé.

–Malheureusement… avec mes propres bagages, votre sac n’entrera jamais dans mon coffre. Et à l’avant, il y a ma plante. C’est le meilleur endroit pour elle, au soleil et avec de l’espace. Je ne voudrais pas qu’elle meure pendant le trajet.

–Pas de problème, me répond-il, plein d’entrain. Je me mettrai à l’arrière.

–Mais votresac ?

–Je le prends surmoi !

–…Très bien, comme vous voudrez. Dites-moi, vous n’auriez pas un petit accent ? D’où venez-vous ?

–Je suis Neuchâtelois, je vis… enfin je vivais à Lausanne pour mes études. Et vous ?

–Je viens d’ici. Mais à présent je suis à la retraite, alors je vis en Bretagne.

–Très belle région.

–Merci.

Il est poli et gentil. Son air enjoué cache mal une profonde sensibilité. Je suis soulagé de partager ma route avec un garçon si sympathique.

Il passe plusieurs minutes à batailler pour entrer dans la voiture avec son sac. Je ne peux m’empêcher de penser que je suis tombé sur un drôle de phénomène.

Quelques minutes plus tard, nous roulons à pleine allure. Gabriel est assis à l’arrière, derrière le siège passager. La colonne qui lui sert de sac prend toutes les places et vient encore empiéter sur lui. Mais il se laisse écraser sans perdre son ton enjoué.

–Vous vivez en Bretagne depuis longtemps ?

–Cinq ou six ans. J’avais acheté une petite maison là-bas. C’était il y a plus de vingt ans maintenant. Nous y passions les vacances, avec mon ex-femme et nos enfants. À présent j’y vis toute l’année.

–Et qu’est-ce qui vous ramène du côté de Lausanne ?

–On m’a demandé de faire un discours lors d’une remise de diplômes.

–Vous êtes quelqu’un de connu ? demande-t-il en m’observant, comme s’il essayait de deviner s’il m’avait déjà vu quelquepart.

Je souris :

–Non, on ne peut pas dire ça. Mais j’ai eu une longue carrière dans la psychothérapie. J’ai écrit quelques livres sur ce que l’on appelle la thérapie familiale et quelques autres sur la systémique.

–Jamais entendu parler.

–Ce sont d’anciens collègues à moi qui m’ont offert ces fleurs. Ils connaissent ma passion pour l’horticulture.

Gabriel y jette un coup d’œil.

–Elles sont magnifiques, dit-il poliment.

–Et toi ? Que fais-tu ? Tu es étudiant ?

–Moi ? me répond-il vivement. J’ai fini mes études il y a quelques mois seulement. Et maintenant, je pars faire le tour du monde !

–Ouah ! Eh bien, ça, c’est courageux… et impressionnant. Où pars-tu maintenant ?

–J’ai un vol depuis Paris à 14 h, pour Medellín, en Colombie. C’est par là-bas que mon voyage commencera !

Il parle fort pour cacher, me semble-t-il, un ton mal assuré.

–C’est magnifique, je te félicite, dis-je autant parce que je le pense que pour le mettre à l’aise.

–Merci.

Il se tourne vers la route, toujours écrasé par son sac, mais visiblement soulagé.

Chapitre3 Manon

Ma vie est bien, ma vie est géniale !

J’ai fait le bon choix. Arthur est une personne formidable. Il est beau, doux, gentil, drôle… et par-dessus tout, il m’aime ! Encore aujourd’hui, il m’a offert des roses ! Au moment où il me les donnait, il m’a soudain attrapée par la taille et m’a embrassée, avant de me murmurer « je t’aime, Manon » à l’oreille.

Comment ai-je pu penser un instant à le laisser tomber ! Après toutes ces années passées ensemble ! Quelle ingrate, quelle égoïste je fais ! Rien que d’y repenser, je ressens de la honte…

Nous sommes allés au cinéma hier soir. Nous avons bien ri devant le dernier film de superhéros hollywoodien. On en parlait pendant tout le trajet du retour, sauf au moment de commander les burgers. Puis on est rentré, on a mangé notre fast-food et on est allé se coucher. On a même fait tendrement l’amour avant de s’endormir.

Enfin… avant qu’Arthur s’endorme. Moi, je peinais à trouver le sommeil. Voilà comment je me suis retrouvée à passer et repasser le fil de cette soirée dans ma tête. Et j’avais beau chercher, je ne trouvais rien à en redire. Cette soirée était parfaite. Elle m’a comblé de bonheur.

Si tout était formidable alors… pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à dormir ? Pourquoi me suis-je retrouvée à faire une insomnie ?

En y repensant aujourd’hui, je ressens comme un vide, immense, dans la poitrine. Comme si ma vie n’avait aucunsens…

Je suis si bête, je devrais être heureuse et arrêter de cogiter ! J’ai tout pour être épanouie, alors pourquoi me poser des questions ? Je vais faire des études, travailler, me marier puis avoir des enfants avec un homme gentil qui m’aime et qui fera tout pour me rendre heureuse. Notre couple est magnifique, nous nous entendons à merveille.

Que vouloir de plus ?

Mon couple est formidable et je ne laisserai jamais rien le menacer…

Ou plutôt : plus jamais rien…

Ma vie est bien, ma vie est géniale !

Chapitre 4  Gabriel

Nous roulons depuis plus d’une heure. Mon cœur bat violemment… je respire pour calmer mon angoisse…

Et voilà que nous ralentissons… Nous sommes pris dans des bouchons. La neige qui s’est mise à tomber peu après notre départ a sans doute provoqué un accident.

Je change de position toutes les trente secondes, inquiet.

–Cesse donc de te tortiller comme ça, mon garçon.

–Excusez-moi… mais vous comprenez ma situation, c’est un peu stressant tout de même !

–Oui, mais enfin… ça ne fera pas avancer les gens plus vite. On aurait dû s’y attendre… Il existe un club d’optimiste rempli de membres qui veulent garder leurs pneus d’été toute l’année.

–Mon Dieu… quelle horreur, je ne peux pas être en retard, le billet coûte affreusement cher et mon budget est serré… Déjà que j’ai perdu le prix du billet de train…

–Ahbon ?

–Oui, ils voulaient me placer dans un train qui partait une heure et demie plus tard. Je leur ai dit que c’était trop tard pour moi. Mais la demoiselle du guichet jugeait que ce n’était pas une différence d’heure suffisante pour me rembourser. Elle m’a dit que je pourrais encore prendre mon avion. En arrivant à l’aéroport une heure avant… je ne voulais pas prendre le risque. Alors j’ai pensé au covoiturage, et comme votre profil me semblait fiable…

–Et tes parents, ils ne pouvaient pas t’emmener ? Tu as quel âge au fait ?

–J’ai 24 ans. Mes parents seraient bien venus, mais ils sont très occupés. Ma mère est médecin et mon père est dans les ressources humaines. Moi, j’ai fait un Bachelor en économie. Je viens de terminer une année de stage. C’était long et pénible, mais j’ai mis suffisamment d’argent de côté pour partir dix-huit mois autour du monde. Alors j’ai quitté ma collocation, mes amis, ma famille, j’ai même retiré officiellement mes papiers de la Suisse. Et je vais maintenant réaliser le rêve de mavie !

–Ouah…

Il me regarde, impressionné.

Je sens une vague de fierté m’envahir.

Oui, ce que je fais est incroyable.

Et il y a intérêt à ce que ce le soit.

Car, ce que je ne lui dis pas, c’est le prix que cela m’a couté pour en arriverlà.

Chapitre5 Daniel

–Attention ! crie soudain mon passager

Je plante les freins. Absorbé par mes pensées, je n’avais pas remarqué le brusque ralentissement.

–Il ne manquerait plus qu’on fasse un accident.

Je ne réponds rien. Mais de temps à autre, je jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Le jeune homme sue à grosses gouttes. Il garde les yeux fixés sur les papiers qu’il serre étroitement entre ses doigts. De temps à autre, il jette un regard à la fenêtre. Il donne l’impression d’être au bord de la crise de nerfs.

–Tout va bien ?

–Oui… oui, je suis tellement heureux, je suis impatient d’y être, c’est tout. Je vais vivre des choses incroyables, manger des choses nouvelles, rencontrer des gens d’autres cultures, voir des paysages magnifiques…

Au ton de sa voix, je me demande un instant s’il me raconte tout cela pour m’informer ou pour se convaincre lui-même.

Son regard croise le mien dans le rétroviseur.

–Qu’est-ce que vous regardez ?

–Eh bien, pour être tout à fait franc, pour quelqu’un qui réalise le « rêve de sa vie », tu ne sembles pas au comble de lajoie.

Son regard s’assombrit, il se tourne vers la fenêtre.

Je n’insiste pas, concentré sur le trafic qui se fluidifie lentement.

–J’ai… fait de grands sacrifices pour faire ce voyage, finit-il par murmurer. C’est toute ma vie qui m’a mené là. Il y a de grands enjeux.

–Des grands enjeux… pour qui ?

–… Moi, j’imagine. Je ne veux pas décevoir les gens qui m’aiment.

Plusieurs réponses me viennent spontanément. Déformation professionnelle. Mais ce jeune homme n’a pas l’air en état de parler. Alors je ne dis rien et me concentre sur la route. Il faut que je perde l’habitude de me mêler de la vie des autres. Je suis à la retraite aprèstout.

Quelque temps plus tard, je regarde l’heure, inquiet. Nous sommes en retard, très en retard… Je regarde à nouveau dans mon rétroviseur et aperçois mon passager qui halète, le regard vitreux, en sueur.

–Eh, gamin, tout va bien ?

–Non, non, je crois que je vais vomir…

–Ah ! mince, alors ! Je vais tout de suite m’arrêter, il y a une aire d’autoroute dans trois kilomètres.

–C’est que… je ne voulais pas être en retard… mais je crois qu’il vaut mieux s’arrêter… je ne vais plus tenir très longtemps…

Je roule à toute allure, prends la sortie à une vitesse bien trop élevée et me gare prestement.

La porte s’ouvre et Gabriel s’éjecte de la voiture, aidé par son sac qui le compresse contre la porte. Il a juste le temps de faire quelques pas, avant de balancer l’équivalent de trois repas complets sur la neige.

J’attends en frissonnant, sachant bien qu’il ne sert à rien de le brusquer. Le pauvre garçon est bien malade.

Il lui faut dix minutes supplémentaires pour se remettre d’aplomb.

–Écoute, jeune homme, je ne voudrais pas te presser, mais je suis inquiet pour ton avion… Il faut absolument que nous partions tout de suite, sans quoi tu risques vraiment de le rater.

Le voilà alors repris de spasmes. Je crois qu’il va se remettre à vomir. Il me faut quelques minutes pour comprendre qu’il n’en est rien. En réalité, ce sont ses nerfs qui ont lâché, et il pleure toutes les larmes de son corps.

J’attends un moment, puis je lui murmure :

–Allons, mon garçon, il n’y a pas de quoi pleurer, tu vas avoir ton vol, si on part maintenant.

Ce n’était apparemment pas les bons mots, car ses sanglots redoublent. Sa respiration se fait soudain bruyante et hachée. Le voilà submergé par une crise d’angoisse. Il hoquète, halète, étouffe.

Je m’accroupis à ses côtés et lui dis doucement :

–Si tu veux reprendre le contrôle de tes émotions, commence par maîtriser ta respiration. Inspire sur cinq temps…

Il tente une inspiration, secouée par quelques hoquets.

–Voilà, maintenant bloque ta respiration, encore sur cinq temps.

Il s’immobilise, les yeux fermés.

–Puis souffle, encore une fois sur cinq temps. Recommence autant de fois que cela sera nécessaire. Tu verras, ton corps se calmera automatiquement.

Il recommence plusieurs fois et parvient lentement à se détendre. Il lui faut encore plusieurs minutes pour retrouver un rythme cardiaque normal.

–Ça va mieux ? Je ne voulais pas te mettre dans un tel état, je suis désolé.

–Non, non, vous ne comprenez pas, articule-t-il avec peine. Ce n’est pas vous… ce n’est pas ce que vous avez dit… non, ce n’est pas ça… la vérité c’est que… que… que j’ai la phobie de l’avion !

Et il s’effondre à nouveau, en larmes dans mesbras.

Chapitre6 Manon

Ma vie est bien, ma vie est géniale. Ce soir encore, je passe une petite soirée tranquille à la maison, avec mon amoureux.

Arthur joue aux jeux vidéo, je prépare le souper en révisant mes notes.

Un cours en particulier m’a beaucoup touchée aujourd’hui. En sociologie nous avons abordé la domination masculine. Jusqu’à ce jour, je n’avais même pas pris conscience de son existence et pourtant elle est là, constamment.

Je pensais que le droit des femmes était acquis. Nous pouvons voter, travailler, nous habiller comme nous le voulons… Que demander de plus ?

En fait, la domination masculine est bien présente, mais de façon plus subtile.

Ce sont des postes à responsabilité que l’on nous accorde moins. Ce sont des salaires qui continuent d’être plus faibles, pour un travail égal. Ce sont des tenues vestimentaires que l’on continue de commenter. Ce sont des opportunités qui sont plus rares. Ce sont des portes qui ne s’ouvrent pas, ou bien plus difficilement. C’est une pression plus importante sur le corps que l’on devrait avoir, les qualités que l’on devrait développer, la famille que l’on devrait fonder.

Et ce qu’il y a de plus choquant, c’est que je suis directement impactée par tout cela ! Et je ne m’en étais jamais rendu compte ! Cela me limite dans ma carrière bien sûr, mais également dans ma vie privée. Tout cela à cause d’une immense culture sociale qui continue de se déployer aujourd’hui : le patriarcat.

Je suis outrée. Je ressens de la colère contre cette société, qui ne fait rien pour que cela change. Contre l’État, qui est incapable de faire voter des lois pour qu’enfin l’égalité ne se trouve pas que dans les discours. Et contre moi, qui me soumets à ce système depuis vingt-deux ans sans même en avoir conscience, et sans y opposer de résistance.

J’ai essayé de parler de tout cela à Arthur. Il a fait semblant de s’y intéresser, pour me faire plaisir. Il est tellement gentil. Il me répète d’ailleurs que ce sujet l’intéresse beaucoup. Mais… il ne réagit pas vraiment. Cela ne le touche pas émotionnellement comme moi. C’est peut-être normal, puisque c’est un homme.

Alors j’ai fini par relancer la discussion sur le film d’hier. Là, il s’est animé. Il était adorable àvoir.

Je sais que nous n’avons pas toujours des discussions très profondes, mais dans le fond, on s’aime, alors quelle importance ?

Ce qui me dérange plus, c’est le ménage. C’est vrai qu’Arthur n’aide pas beaucoup. Mais ce n’est pas de sa faute, il ne voit pas les choses à faire.

Parfois je m’inquiète pour l’avenir, si un jour nous avons des enfants… mais je me dis qu’au pire, on n’aura qu’à prendre une femme de ménage pour nous aider. Plein de gens le font. Pour la cuisine, cela ne me dérange pas… j’aime bien cuisiner, et si vraiment je n’en ai pas envie, on pourra acheter tout prêt, ou commander. Et puis, il y a plein de bons restaurants.

Les spaghettis sont prêts. J’ouvre le placard pour prendre les assiettes. Mince, il n’y en a plus. Visiblement, Arthur les a utilisées lorsque je n’étais pas là, mais il ne les a pas lavées.

Je sens la colère m’envahir.

–Arthur ! Tu n’as pas fait ta vaisselle ! Le plat est prêt et nous n’avons plus d’assiettes ! Viens les nettoyer, s’il te plaît !

–Tout de suite, mon cœur !

Voilà ce n’était pas compliqué, il me suffisait de demander.

Sauf que les minutes passent, j’ai toujours la casserole entre les mains.

–Arthur, tu viens ?

–J’arrive, mais je dois sauvegarder ma partie, tu comprends.

Je soupire, excédée. Un instant, j’hésite à franchement m’énerver. Puis je pose ma casserole et me mets moi-même à faire la vaisselle. Franchement, c’est plus simple. Pourquoi entrer en conflit lorsqu’on peut l’éviter ?

En quatre ans de vie commune, Arthur et moi ne nous sommes jamais disputés, et cela grâce à nos caractères arrangeants.

Alors oui, ce n’est pas exactement dans le courant du féminisme… mais bon, si nous sommes heureux ainsi… Et nous sommes heureux. Nous sommes très heureux et très amoureux.

Un instant, je repense à… non ! non ! Il ne faut pas y penser. Nous sommes très heureux et très amoureux.

Ma vie est bien. Ma vie est géniale.