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Après trois décennies à diriger l’un des plus puissants fonds d’investissement mondiaux, un influent président canadien décide de rompre avec les dogmes établis. Conseillé par un jeune cabinet de consultants, il remet en question l’ordre politique, dénonce la corruption généralisée et bouleverse les équilibres économiques. Mais au sommet de Davos, alors que ses prises de position commencent à faire trembler les sphères du pouvoir, un AVC brutal met fin à son combat. À sa mort, une lutte acharnée s’engage : son fils et sa seconde épouse affrontent ses plus proches alliés, dont le stratège à la tête du cabinet-conseil. Qui héritera de cet empire aux multiples secrets ? Et surtout, que reste-t-il des convictions d’un homme quand l’argent et l’ambition prennent le relais ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marc Vanghelder a longtemps conseillé de hauts dirigeants et figures politiques à travers le monde. Une fois retiré de la scène publique, il choisit de se consacrer à l’écriture. Après "Malin pour quatre" et "Échec et mat au 55", il revient avec "Au nom de l’argent", un nouveau récit haletant, riche en suspense et rebondissements.
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Seitenzahl: 486
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Marc Vanghelder
Au nom de l’argent
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marc Vanghelder
ISBN : 979-10-422-7637-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– Un spin doctor dans l’ombre, Éditions Vérone ;
– Malin pour quatre, Le Lys Bleu Éditions ;
– Jules d’enfer, Le Lys Bleu Éditions ;
– Échec et mat au 55, Le Lys Bleu Éditions.
Le boulevard René Levesque à Montréal n’est certes pas Manhattan, La City de Londres ou plus modestement le quartier d’affaires de la Défense à Paris, mais toutes les personnes qui vivent et respirent le business au cœur de la Belle Province savent que cette avenue est le centre névralgique des grandes sociétés privées et institutionnelles de la place du Québec.
Ce matin, deux associés d’un jeune cabinet-conseil s’y retrouvent. Depuis bientôt quatre années, ils en rêvent, sans se l’avouer réciproquement.
Tous deux fébriles n’osent se regarder et encore moins s’adresser la parole.
Ils attendent d’être reçus par un membre éminent du directoire du plus grand fonds d’investissement canadien.
Les deux ont quitté des situations stables et fort rémunératrices pour un défi, celui de créer leur entreprise de conseil, face aux plus grands cabinets anglo-saxons, qui sont les références dans tous les milieux d’affaires.
Leur quotidien depuis quatre ans se résume à une suite ininterrompue de surprises et d’inquiétudes, plus en rapport avec leurs banquiers, fournisseurs ou collaborateurs qu’avec leur savoir-faire, ou leurs compétences.
En leur qualité d’associé, ils gèrent au plus près leurs clients et surtout consacrent un pourcentage de temps non négligeable à la prospection.
Personne ne les attend dans ce métier où la jungle est féroce.
Depuis leur installation, ils ont géré en qualité de bon père de famille, comme diraient les juristes, leurs premiers clients, au demeurant fort satisfaits.
Leurs références restent modestes avec des noms de sociétés plus en devenir que confortablement installées sur la place économique du Québec.
Dans ce laps de temps, cinq collaborateurs ont rejoint la jeune entreprise et les accompagnent dans le suivi, la production et l’administration.
Cette convocation, ce matin, représente pour les deux compères un immense espoir.
Séparément, puis de concert, ils ont révisé depuis quarante-huit heures, afin que leur présentation d’agence soit la plus claire et la plus convaincante.
Pas trop de chiffres, mais quelques exemples montrant leur méthodologie, leurs axes de travail et surtout les résultats obtenus conformément aux aspirations des clients.
Ils sont redevenus des étudiants sages et consciencieux, mais fébriles avant de se retrouver face à leur examinateur, un peu comme des artistes envahis par le tract, avant de se produire.
Soit cette entrevue les propulse vers des contrats conséquents et les installe dans le paysage économique provincial, soit elle les coule par la rumeur et le qu’en-dira-t-on, si par mésaventure leur prestation est jugée passable.
L’attente est le pire moment.
Que faire ? Que dire ?
Ils ont pris place dans de confortables fauteuils en cuir de la marque Knoll, autour d’une immense table en marbre blanc.
De grandes baies vitrées longeant le boulevard Levesque baignent de lumière la pièce tout en éclairant à cette heure, quelque peu matinale, divers tableaux contemporains aux couleurs vives accrochés sur des murs d’un blanc immaculé.
L’un des associés observe ses chaussures, pour une fois parfaitement cirées, quant à l’autre il ressasse dans sa tête le petit speech argumenté susceptible de convaincre le potentiel client.
Le directeur du marketing et des investissements, membre du directoire, se fait attendre.
Il ménage le suspense tout en soignant l’image d’un homme qui aime se faire désirer en arrivant régulièrement en retard à tous ses rendez-vous.
Certaines personnes, souvent imbues d’elles-mêmes, souhaitent par ce geste établir symboliquement une infériorité.
Pierre Caron, 38 ans, ancien élève de HEC Montréal, est réputé impatient, ambitieux. Certaines personnes le décrivent comme arrogant et quelque peu prétentieux.
Marié à la très charmante et souriante patronne de la boutique Hermès, rue de la Montagne, ils forment un couple en apparence uni, très attentifs à l’éducation de leur fille, âgée à ce jour de 10 ans.
Dans les grandes entreprises internationales, les managers avec ce profil sont légion. L’un des deux associés du cabinet-conseil connaît bien ce type d’individu pour l’avoir souvent rencontré dans sa précédente vie professionnelle.
Le rendez-vous aurait dû débuter depuis une petite dizaine de minutes, fixé unilatéralement par Madame Gauthier, la secrétaire de Mr Caron, pour 11 h précises.
À ce propos, la « dame », a eu l’amabilité d’inclure dans son invitation, le petit additif suivant :
« Mr le directeur attache beaucoup d’importance à l’exactitude, vous avez un créneau d’une heure, et pas une minute de plus ».
Très obligeamment, la jeune stagiaire qui les installa à leur arrivée passe et repasse dans la salle de réunion, excusant à chaque fois le sieur Caron, en leur proposant un odieux café allongé, pour patienter.
De sa place, l’un des deux hommes perçoit un peu d’agitation et quelques propos échangés dans le couloir avant l’ouverture de la porte.
Polis et respectueux d’une certaine hiérarchie, les deux associés quittent leurs sièges et saluent la personne entrant, comme la bonne éducation d’autrefois l’enseigne.
« Bonjour, messieurs, ravi de faire votre connaissance. Nous avons une heure à passer ensemble, tâchons de la rendre la plus efficace possible ».
Le ton est donné, aux deux associés, de performer.
L’un deux reste debout afin de présenter l’entreprise, son historique, leurs profils, avant de présenter leur équipe, certes restreinte, mais de grande qualité et très dévouée.
À ses côtés, son associé appuie sur la bonne touche du « Mac », pour agrémenter et appuyer par quelques images et croquis les propos tenus.
Les minutes s’écoulent.
Un certain agacement transparaît chez le directeur marketing et investissement qui presse l’homme resté debout d’aller à l’essentiel, de développer leur méthodologie de travail.
« Vous me faites perdre mon temps. Quand notre fonds d’investissement, mondialement connu, sollicite une entreprise, c’est évidemment après avoir pris un grand nombre de renseignements de tous ordres la concernant. Puisque j’en suis à mettre les points sur les “i”, sachez que c’est le profil de Mr Duroc, bien silencieux au demeurant depuis le début de notre rendez-vous, qui nous intéresse et dans une moindre mesure, votre cabinet dans son ensemble.
Mais je vais y revenir.
Travailler pour nous c’est partager notre ambition. Le fonds Lavoie private Equity a des objectifs ni discutables, ni interprétables ».
À ce moment, Mr Caron saisit l’un des téléphones fixes présents sur la table de réunion et enjoint une personne à les retrouver.
Pendant cette mise au point un peu sèche, l’associé, resté muet depuis les débuts, observe en détail ce monsieur bien indélicat qui rabroue son collègue, de surcroît ami de longue date.
Le moment lui paraît opportun pour sortir de son silence.
« Monsieur le directeur, ma discrétion aux côtés de Mr Tremblay n’est due qu’au partage des rôles fixés pour cet entretien. Nous sommes conscients de l’honneur que vous nous faites en nous mettant en concurrence, avec vos habituels partenaires.
Avec votre permission, je souhaite rebondir sur votre propos, qui s’attache à accorder plus d’importance à ma personne, qu’à tout autre, au sein de notre agence : Stratégic.
Votre mise au point, je pense qu’on peut la qualifier ainsi, me surprends, car Mr Tremblay est depuis de nombreuses générations Québécois, alors que je ne suis qu’une pièce rapportée dans la belle province, venant de l’autre côté de l’atlantique et d’un vieux pays, la France.
Si toutefois, le sujet qui nous rassemble ce matin se rapporte directement à mon pays de naissance, qui laisse toujours perplexe un investisseur étranger par son administration très jacobine je comprends que mon parcours professionnel et mes antécédents comptent dans votre choix. »
La personne sollicitée au téléphone précédemment fait son entrée, remettant divers dossiers à Mr Caron, avant de connecter son ordinateur à un central informatique.
« Mr Duroc, notre fonds compte d’excellents collaborateurs à travers le monde et celles et ceux basés dans nos bureaux parisiens savent, avec talent, gérer nos acquis et procéder à diverses veilles stratégiques. Ils sont, j’en conviens, moins à l’aise et éprouvent même quelques difficultés à travailler sur de nouveaux investissements. »
À ce moment de l’entretien, l’éminent Mr Caron se lance dans un long et soporifique développement sur Lavoie Private Equity, assortit d’une projection, sur les multiples écrans muraux, de chiffres reprenant en détail les investissements actuels en milliards de dollars.
Comment ne pas être admiratif à la lecture des données et à l’écoute des propos du patron du marketing du parcours et de la réussite du fondateur Pierre-André Lavoie ?
L’autodidacte d’une soixantaine d’années, devenu l’une des grandes figures et fortunes du continent nord-américain, dirige depuis sa création et jusqu’à ce jour d’une main ferme « son » fonds d’investissement.
Le talent ou le génie de cet homme fût, avant beaucoup d’autres, de regrouper des financements venant de banques, d’institutionnels ou de personnes physiques, possédant un patrimoine et des liquidités disponibles. Fort de ces pactoles, il les transforma en actions au sein de certaines entreprises industrielles ou commerciales en devenir, pour en tirer des dividendes substantiels au bénéfice de son fonds et de ses partenaires.
Au fil des tableaux projetés des trente dernières années d’exercice, il apparaît que le fonds s’est spécialisé dans plusieurs domaines, tous aujourd’hui extrêmement porteurs.
Les énergies fossiles demeurent au centre de leur stratégie avec un intérêt marqué depuis cinq à six ans au profit des énergies décarbonées.
Il faut vivre avec son temps et anticiper les besoins de demain des nations industrialisées.
Le second volet du fonds Lavoie porte sur plusieurs médias radio et télévisions privées. Le big boss du fonds fait partie de cette génération d’hommes d’affaires, qui pense que détenir des organes de presse lui permet « d’échanger » plus facilement avec des élus de premier plan.
La promotion immobilière dans cette énumération n’est nullement anecdotique même si en comparaison avec d’autres secteurs elle apparaît plus faible, mais comme le précise Mr Caron :
« La pierre reste un placement sûr qui ne saurait être négligé. Un fonds a des engagements financiers à tenir à l’égard de ses actionnaires et une image à préserver.
Notre groupe est devenu une valeur sûre, observée, respectée, écoutée. Les grands noms du monde économique et les politiques sont très admiratifs de notre réussite et inquiets de notre puissance financière. »
Le dernier chapitre qui est présenté concerne les cosmétiques et les produits parapharmaceutiques.
« Avec ce sujet, nous en venons, à ce qui nous réunit.
Nous réfléchissons à de nouvelles opportunités qui semblent se faire jour dans plusieurs entreprises de cosmétiques en France, avec un rayonnement européen.
Un dossier complet, comme il se doit, vous sera remis à la fin de notre entretien par ma collaboratrice, vous y trouverez toutes les informations et précisions nécessaires à votre réflexion.
J’attends de vous une réponse stratégique claire, un tableau de marche très précis et bien entendu un engagement garantissant une confidentialité totale pour les cinq années à venir sur cette mission, que vous en ayez la charge ou pas.
Il va de soi que vous avez une obligation de résultat, si d’aventure à l’examen de votre copie rendue, votre cabinet dont j’ai oublié le nom, était retenu.
Dans ce cas, nos bureaux parisiens seront votre point de chute garantissant la plus grande confidentialité.
Notre partenaire financier est la banque de Tocqueville, comme pour toutes nos recherches en France. Leurs coordonnées sont dans ledit dossier.
Cette banque d’affaires a toute notre confiance, elle est efficace, rapide, d’une compétence exceptionnelle et surtout elle connaît notre de mode fonctionnement et nos attentes.
Si j’ai un conseil à vous prodiguer c’est de vous en faire des alliés, ils vous seront d’une aide précieuse. »
Tout en écoutant cet homme pontifiant et donneur de leçons, l’associé Duroc observe sa montre et s’inquiète de cette heure qui tourne et de leur créneau horaire qui touche à sa fin.
« Puis-je Mr le directeur, vous demander si le comité de direction, que vous représentez, a d’ores et déjà pris une décision de principe visant une certaine acquisition, ou est-il en phase exploratoire à la recherche de la bonne entreprise voir d’un développement audacieux dans divers domaines.
Notre mission, vous en conviendrez, dans le premier cas de figure, se résume à déterminer votre possible champ d’acquisition et les modalités qui vont de pair. Dans le second cas, notre intervention me paraît plus large avec de plus lourdes contraintes et un enjeu plus conséquent. »
La question interpelle clairement le directeur du marketing.
« Votre interrogation est très légitime et fort à propos. J’apprécie votre sagacité, dont certaines personnes m’avaient touché un mot.
Le fonds est en phase exploratoire. Votre mission, clarifier un éventuel investissement dans l’une des sociétés ciblées, bien que de tailles différentes, elles sont toutes détenues par des capitaux familiaux.
Toutes disposent d’une croissance intéressante et d’un profil de clientèle à fort pouvoir d’achat.
Votre boulot à nos côtés consiste à cibler la bonne société, définir les investissements nécessaires à court terme avec une participation significative, qui nous permette de peser dans toutes les décisions managériales, et ressortir dans trois à quatre ans avec de solides bénéfices. Mais cette dernière analyse est davantage de la compétence de la banque de Tocqueville plus rompue aux chiffres et aux analyses comptables et budgétaires.
J’en ai fini.
Prenez connaissance du dossier.
Vous avez 48H, un laps de temps suffisant, pour nous remettre votre offre de service intégrant votre ébauche stratégique, l’équipe que vous attacherez à cette mission et votre planning de travail. La date butoir pour votre recommandation conclusive ne devant pas aller au-delà de trois mois, à compter de notre acceptation.
Encore un mot messieurs, je m’appuie depuis ma prise de fonction dans le groupe Lavoie sur les plus grands cabinets-conseils, vous voyez ceux auxquels je fais référence.
Vous interroger n’est pas de mon fait.
Je tenais à vous le dire, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté entre nous.
La décision est venue de plus haut.
Il va de soi que l’intérêt du groupe prime et que je déciderai sans aucun parti pris ou toute autre considération.
La balle est dans votre camp, ne vous ratez pas !
Madame Gauthier, mon assistante personnelle et Madame Pelletier ici présente sont à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions, dans les 48 h. »
La tranche horaire arrivée à son terme, l’interlocuteur se lève, salue rapidement par une poignée de main bien molle, chacun des associés présents avant de tourner les talons.
Mr Tremblay échange les cartes de visite avec la chargée de mission, Suzanne Pelletier qui prend congé à son tour, sans un mot de plus.
Dire que les deux associés du cabinet Stratégic aient besoin de respirer un grand coup est un euphémisme.
Ce « Caron », les a tellement agacés que Duroc a presque envie de hurler pour évacuer sa colère.
La nature humaine l’étonnera toujours, malheureusement pas dans le bon sens, celui de l’amabilité, de la compréhension, la gentillesse, le respect d’autrui.
Un point toutefois positif ressort.
Ce directeur obéit à un supérieur, qui a demandé expressément leur consultation.
Les deux associés : Tremblay et Duroc saisissent mieux ce ton, cette agressivité verbale et mise au point.
L’ascenseur ne descend pas assez vite pour une fois et le trottoir du 97 Boulevard René Lévesque, se fait attendre.
Une fois sur la chaussée, les deux compères reprennent à la fois, souffle et calme.
« Qu’en penses-tu Charles ? Ce type est conforme en tous points au portrait-robot que nous avions de lui ».
Leur
chance d’emporter cet énorme client relève simplement du miracle, ce directeur entend bien poursuivre sa collaboration avec ses amis traditionnels.
« La seule question qui trotte dans ma tête, mon cher Léon, concerne l’identité de la personne qui nous a introduits dans cette consultation.
Tu connais le tout Montréal, mets-toi à la recherche de ce bon samaritain ? »
Tremblay fronce les sourcils, avant de se frotter les yeux. Un tic une habitude chez lui quand il veut paraître aux yeux des autres en pleine réflexion.
L’urgence pour les deux associés, c’est de rentrer à l’agence, d
’un pas rapide, ils rejoignent leurs modestes, mais harmonieux bureaux.
À la création du cabinet-conseil, sans gros moyens financiers, ils ont trouvé refuge au premier étage d’un immeuble, appartenant à la Banque CIBC, située rue Peel.
Deux beaux bureaux aux larges baies vitrées avec une vue sur le cœur commercial de la ville, le tout, pour un prix très modique.
Pour les tester, ou leur être agréable, l’institution bancaire leur confia une mission sur ses propres pratiques commerciales.
Ils s’en acquittèrent avec célérité.
Un large satisfecit de la direction de la banque relayée par quelques mails leur ouvrit dans la semaine suivante pas moins de dix contacts sérieux.
L’agence dénommée : Stratégic était sur les rails.
Le plus dur était devant eux.
Deux associés aux profils tranchés, venant de deux univers et pays différents, pouvaient-ils réussir leur pari un peu fou d’imposer dans le paysage québécois une agence-conseil aux antipodes des cabinets conservateurs ?
Léon Tremblay, 45 ans, ancien journaliste au « Devoir » à Montréal, féru de politique, proche du parti québécois, réputé pour ses prises de position indépendantistes, reconnu comme un fin observateur du paysage montréalais, mais plus globalement de la province de Québec, constitue la pierre angulaire de cette collaboration.
Marié depuis une vingtaine d’années à Laurence, cadre dans le groupe financier Desjardins, ils forment un couple heureux, devenu une jolie famille avec leurs deux filles adolescentes de 17 et 14 ans.
En bon journaliste d’investigations, Léon développa un solide réseau dans la sphère politique et le petit monde institutionnel des collectivités et des gouvernements successifs de la belle Province. Son tissu de connaissances au fil des enquêtes l’a conduit à se rapprocher aussi du monde économique québécois, où l’on parle croissance, bénéfices, mais aussi grèves, plans sociaux et faillites.
Cet homme de presse, source quasi inépuisable d’informations, aux multiples contacts et ramifications, a fait gagner à son ami venu d’Europe, un temps considérable dans son installation locale.
Après dix années dans le droit au sein de divers cabinets en province puis à Paris, Charles Duroc se rend compte que les multiples dossiers qu’on lui confie, correspondent nullement à ses attentes.
Pour être honnête, il est simplement las de servir de larbin à quelques associés moins travailleurs et talentueux, que lui.
Ses origines modestes, son compte en banque timide et l’absence de réseaux amicaux de première importance lui interdisent durablement une ascension vers le statut d’associé.
Une rencontre, lors d’un colloque à la Défense, avec l’un des directeurs de la première agence de publicité en Europe, le conduit à changer sans regret d’orientation.
Le tout nouveau consultant sénior découvre un autre monde.
Des personnes qualifiées de « créatifs » côtoient des rédacteurs, des producteurs, des acheteurs d’espace et bien d’autres fonctions au siège.
Un point clairement le surprend, voir le choque. Une réflexion stratégique manque cruellement à la base du dossier client.
A l’agence ,on disserte beaucoup, on fume toutes sortes de produits, on boit pas mal et l’on est toujours ou presque à la bourre pour rendre les copies aux clients, qui soit dit en passant, confient des budgets conséquents, voire indécents, aux yeux du grand public non averti.
L’étonnement fait rapidement place à l’agacement le conduisant dans le bureau de son recruteur, qui lui explique que pour vendre un produit, deux méthodes s’affrontent. La germanique qui se contente de mettre en valeur une marque et un prix, ou la latine, via des campagnes décalées. Celles-ci perturbent généralement le client, qui ne reconnaît ni son produit ni sa marque, mais les approuve venant de la première agence en Europe.
Toutefois, Duroc obtient gain de cause. Dès sa première année de présence il oblige la mise en place d’un axe stratégique, véritable colonne vertébrale à toute campagne de publicité. Dorénavant
le « créatif » intervient après la fin des études et l’analyse, traduisant le concept en images.
La satisfaction marquée des plus gros clients de l’agence amène le président du conseil d’administration à lui confier la direction générale de la stratégie pour tous les dossiers à l’échelle mondiale.
Une décision qui impose un recrutement au fil des ans de jeunes filles et garçons partageant sa vision, sa démarche intellectuelle.
À la tête de cette entité, Charles Duroc parcourt le monde, accompagne les clients et développe à leurs côtés leur business.
Sa première rencontre avec Léon Tremblay a comme décor u
ne conférence internationale à Rome et un thème :
« Quelles ressources pour faire grandir le continent africain. »
Charles n’a plus le souvenir qui amena sa participation à cette manifestation, au sujet vu et revu, sans jamais de résultat final.
Las des prises de paroles successives jugées inutiles, Léon Tremblay intervient pour dénoncer les faux-semblants, les discours aux accents mensongers et les promesses non tenues.
Des paroles pleines de vérité qui jettent un froid dans la réunion des « faux culs ».
Duroc qui s’apprêtait à rejoindre son hôtel, mourant d’ennuis, quitta
la salle en sa compagnie.
Ils prirent un verre au palais des congrès. Au fil de leurs échanges, Charles constate nombre de points communs avec « ce cousin de la belle province » sur l’économie réelle et le développement des pays trop souvent oubliés par les grandes nations et groupes industriels mondiaux.
Pendant plusieurs années, les deux hommes partagent déjeuners ou dîners.
Lors d’un souper au domicile montréalais, en présence de son épouse, Léon Tremblay fit part à son « ami Charles » de son projet d’ouvrir un cabinet-conseil, pour rayonner sur le Québec, avant de conquérir l’ensemble du Canada.
Laurence, en femme avisée marqua une réserve, connaissant les qualités et défauts, de son cher et tendre, tout en considérant l’aventure réaliste si un autre « pilote (Duroc) était aux commandes ».
Quitter la France, ses amis européens, une rémunération et des stock-options conséquents pour créer une petite entreprise, dans un pays glacial pendant 6 mois de l’année, n’enchante guère le patron monde de la stratégie de la première agence européenne.
Charles décline cette offre, mais ce québécois aussi têtu qu’un Breton ou un Corse, revient régulièrement à la charge, sous couvert de prendre simplement des nouvelles.
Rien ne prédispose Duroc à changer d’avis, jusqu’au refus émis par son président du conseil d’administration, de lui attribuer le titre d’associé à part entière.
Charles Duroc a oublié, encore, le mode de fonctionnement de l’élite française.
Depuis sa prise de fonction, il a manqué à tous ses devoirs, boycottant les dîners mondains et très parisiens, où les convives passent leur temps à dire une montagne de sottises et surtout du mal de tous les autres.
Une bien lourde erreur de sa part dans un pays où les réseaux et le copinage comptent bien davantage que la valeur, le travail et les résultats.
Le refus de son président entraîne immédiatement son départ de l’agence et dans la foulée de toute son équipe, qui n’entend pas se mettre au service d’un autre boss.
Les adieux aux clients, regrettant tous sa décision, les formalités administratives accomplies, le désormais ex-publicitaire met en vente son appartement sur l’île Saint-Louis et acquiert un loft rue Rachel à Montréal, dans un quartier jeune et branché.
Tourner la page de la France et changer de vie à 45 ans, s’inscrire dans le rôle d’entrepreneur, tels sont ses objectifs.
Il découvre une population québécoise volubile, quasi méditerranéenne, mais très en réserve face aux donneurs de leçons, que sont les Français.
Il apprend à vivre à un autre rythme, sans rapport avec son passé.
Terminé les réveils à 5 h 30, les aéroports tous les deux à trois jours pour des destinations aux décalages horaires à répétition.
Fini les agendas bloqués trois mois à l’avance et la centaine de collaborateurs dans le monde à coacher, écouter, consoler parfois.
Oublier les centaines de millions d’euros à gérer pour le compte de clients internationaux.
Duroc a échangé ce passé remuant contre un petit bureau, aux côtés d’un nouvel ami, avec pour objectif la construction d’une entreprise de A à Z et l’ambition de changer en profondeur les approches stratégiques des groupes québécois.
Avec le recul, Charles concède avoir tout sous-estimé, en premier son impatience, très dure à supporter pour un hyper actif.
Quatre années ont passé et les clients sont devenus leurs ambassadeurs et répondants.
Leur cœur de cible est constitué de petites entreprises aux capitaux familiaux, quelques startups, et des institutionnels démarchés par Léon.
Leur banque, propriétaire immobilier, continue de les accompagner, leur louant aujourd’hui cinq bureaux afin de loger les nouveaux collaborateurs.
Une équipe est née, fonctionnant avec célérité le tout dans une belle ambiance collective.
Un nouveau nom : Stratégic prend place doucement dans le cercle restreint du conseil, une marque s’installe, en attendant de s’imposer.
La consultation de Lavoie Private Equity correspond-elle à cette reconnaissance ?
Chaque membre de l’équipe l’espère et forme le vœu que ce premier rendez-vous en appelle beaucoup d’autres.
Stratégic est à la croisée des chemins. C’est la croyance partagée par toute l’équipe à ce moment.
Tremblay débrief, comme toujours après une visite client, mais l’attitude et les visages des membres de l’équipe montrent plus d’inquiétude que de confiance.
Après le préambule, Léon attribue une partie du travail à chacun au mieux de sa compétence.
Un travail collectif à mener tambour battant, le temps de réponse leur étant compté.
Trois heures accordées à chaque membre pour tirer une première synthèse de sa propre partie avant de rejoindre l’équipe et dessiner une esquisse stratégique, répondant à la problématique.
Des sociétés de taille moyenne, implantées dans trois régions françaises, avec chacune ses propres spécificités, dans son mode de fonctionnement, son management ou son implantation internationale, telles sont les cibles du fonds d’investissement.
L’élément singulier, pour le béotien Duroc, c’est l’absence de cohérence du fonds dans son approche globale à l’égard des sociétés françaises.
La comparaison avec d’autres investissements consentis par le même fonds en Europe, dans le même secteur d’activités, l’interpelle.
Comme d’habitude, Charles partage son regard critique avec l’ensemble de l’équipe.
D’analyses en hypothèses puis en projections, il dessine une réponse à géométrie variable, manifestement surprenante pour plusieurs collaborateurs, en particulier son associé Léon, inquiet de la réponse audacieuse qui se dessine.
« Pourquoi ne pas se satisfaire d’une réponse classique, identique à n’importe quel cabinet, en pareille situation, comme celle quasiment écrite dans le dossier remit par le fonds ! » clame Léon.
Tous les regards se tournent vers Duroc qui s’interroge. Est-il trop audacieux, trop culotté, sa réponse ne risque-t-elle pas de tout gâcher, avant de trancher.
« Je vous propose d’aller là où personne ne nous attend. N’y voyez pas de la provocation ou un brin de folie de ma part, mais je suis convaincu que la marque de fabrique de Stratégic nous l’impose. »
Le doute lisible sur chaque visage des autres participants, le conduit à suspendre la décision, jusqu’à demain.
La nuit porte conseil, comme dit l’adage.
Pour le moment, les collaborateurs consacrent leur temps à répondre point par point aux questions d’ordre technique du cahier des charges, aussi complexe et administratif que pour un marché public.
Tard dans la soirée, les uns après les autres quittent l’agence, laissant Duroc seul à leur étage.
Incapable de rester en place, il passe de pièce en pièce, avant d’enfiler son manteau pour rejoindre l’extérieur.
Aucune envie de rentrer à son domicile et encore moins de dormir.
Il descend vers la rue Sainte-Catherine, l’axe commercial historique du centre de la ville.
Marcher sans destination, le long des boutiques encore toutes éclairées, un petit coup d’œil à certaines vitrines tout en repensant aux différentes craintes évoquées par l’équipe et à la frilosité de son associé.
Il poursuit sa marche jusqu’à la rue St Laurent avant de remonter vers son appartement.
Une marche salutaire,
un argumentaire s’impose, ses idées se clarifient, le puzzle s’installe.
Le dossier remis par le client n’a ni queue ni tête. Les suggestions proposées sont grossières, les pistes envisagées trop directrices.
Le directeur du marketing, hostile à leur participation dans cette consultation, ne veut pas leur mâcher le travail, mais les piéger.
Le « Starbucks » au coin de St Laurent et Rachel est encore ouvert. Charles commande un grand latté et une petite pâtisserie, avant de monter à son loft.
Pas de temps à perdre, une douche salvatrice, considérant son état de fatigue, avant d’enfiler une chemise blanche, puis un costume bleu, une cravate de la même teinte et ses « Lobb » parfaitement cirées.
Il est fin prêt pour retourner au bureau, où il sera le premier arrivé, comme toujours.
Installé derrière son Mac book, Charles dessine son plan d’attaque, avec une ligne directrice pour la réponse au fonds Lavoie, qu’il souhaite adresser avec 24 h d’avance au directeur, Mr Caron.
Les collaborateurs de l’agence exceptionnellement matinaux ce jour prennent chacun leurs places, tout en jetant un coup d’œil appuyé en direction de leur patron français.
Dès l’arrivée de son ami et associé, Charles déclenche une nouvelle réunion, exposant point par point sa proposition.
Une stratégie fluide, limpide, claire dans laquelle il croit à cent pour cent, avant de conclure, dans un silence de plomb :
« Les amis, avec Léon nous avons voulu une agence différente.
Cela ne veut pas dire que Stratégic doit aveuglément et par principe s’opposer à la norme et se situer systématiquement en marge de l’establishment.
De ces bureaux, aucune recommandation n’est copiée sur une autre.
Ces cabinets anglo-saxons existent par leur ancienneté et leurs noms flattent bien des entreprises incapables de réfléchir mais fières d’avoir les moyens financiers de s’offrir leurs services.
Mettez-vous cela une bonne fois dans la tête !
Les personnes, comme Mr Caron, jouent la sécurité envers leur supérieur, comité de direction et président du conseil.
Je l’ai vécu dans ma précédente vie.
Ces petits directeurs, quel que soit leur titre, s’appuient sur les agences de publicité et les cabinets-conseils réputées ouvrant par ce moyen leurs propres parachutes.
Si un résultat n’est pas conforme aux prévisions ou attentes de l’entreprise, ils n’auront rien à se rapprocher ayant fait confiance à un partenaire aux références mondiales.
Depuis quatre ans, nous avons pris le contre-pied de ces pratiques.
Notre démarche audacieuse est appréciée par nos clients, pour ses résultats. Je sais que vous en êtes toutes et tous convaincus.
Poursuivons dans cette direction. »
Cette dernière envolée plus ou moins lyrique a-t-elle fini de les convaincre
« Charles, je constate que tu as mis à profit la nuit dernière pour étayer sérieusement ce qui était déjà ta conviction première.
Tu es persuadé de ta démarche stratégique et tu nous invites à prendre le plus gros risque commercial depuis le début de notre association.
Certes, je préside aux destinées de notre cabinet, bien que tu en sois le premier actionnaire et notre stratège.
Ma tendre épouse, Laurence, me répète régulièrement que tu es la tête pensante de notre association. Elle l’a réitéré lors de notre déjeuner ce matin, m’incitant à suivre ton orientation « les yeux fermés ».
Depuis quatre ans tu as vu juste, pourtant je t’implore, une dernière fois, de bien mesurer ce que tu nous demandes d’adouber collectivement.
Un échec peut entraîner la fermeture du cabinet et balayer nos espoirs à tous. »
Six paires d’yeux se tournent vers Duroc.
Est-il irresponsable, prétentieux, suffisant, persuadé d’avoir la science infuse, de détenir la vérité, ou simplement conscient que tout bon entrepreneur doit prendre des risques pour avancer et s’imposer sur un marché concurrentiel ?
« Léon, chers collègues, vos doutes sont légitimes. Je mesure le risque. Un échec est malheureusement impossible à nier. »
Reprenant sa respiration, Duroc fixe dans les yeux, chaque membre de la team :
« Si ma préconisation se révèle fausse, je prends devant vous l’engagement de quitter le cabinet, de céder mes parts à Léon et de verser sur mes deniers personnels une indemnité équivalente à trois mois de fonctionnement de l’agence-conseil, le temps de vous retourner.
Si mon raisonnement est le bon, vous aurez seulement à me supporter encore et nous trinquerons ensemble à notre victoire. »
Dans le silence, chaque collaborateur scrute l’autre, s’interroge, ce dernier engagement va-t-il être déterminant.
Aucun consultant, même junior, dans la bande des cinq, ne bouge. Personne ne semble convaincu.
« Je suis avec vous à 200 %, Mr Charles.
Ma fonction de comptable ne m’autorise peut-être pas à prendre la parole, mais je suis convaincue par vos arguments. Nous devons affirmer notre différence… enfin, je crois ! » dit Marie Couture.
Les quatre autres collaborateurs se regardent avant que Catherine Loiseau, consultante séniore, rejoigne cette position et entraîne dans son sillage les adhésions de Jérôme Roy, julien Bergeron et Christian Levesque.
« Alors, au travail les amis, partons à la conquête de Lavoie Private Equity », lance Charles avec un sourire retenu.
Durant quatre bonnes heures, la proposition stratégique est rédigée par Duroc en personne, soulignant entre les lignes, avec culot et esprit frondeur, que Stratégic ne peut se contenter d’une recommandation conventionnelle.
Tremblay supervise la présentation de l’agence produite conjointement par Catherine Loiseau et Jerome Roy. Le dossier administratif, bancaire, avec les justificatifs fiscaux et normes internationales est réservé à l’administrative de service, la première supportrice, Marie Couture.
Les deux derniers membres de l’équipe, volontairement soustraits à ce dossier, poursuivent le suivi des clients actifs, tout en répondant aux appels téléphoniques.
Le soir même, Léon, en sa qualité de président de l’agence, dépose l’intégralité du dossier, au 97 Bd Levesque.
Un joli volume d’une bonne quinzaine de kilos, entre les huit copies réclamées à la réponse stratégique et l’ensemble des pièces justificatives liées à l’agence-conseil.
Comme un athlète après l’effort, le taux d’adrénaline retombe,
Ce soir, chaque membre de l’agence rentre plus tôt à son domicile, les deux associés compris.
Les deux jours suivants, le quotidien reprend le dessus.
Un déplacement à Québec est de longue date programmé, pour Léon et Charles. Une rencontre de première importance, avec le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, est à l’ordre du jour.
Les deux associés ont convenu par précaution de prendre l’avion de ligne, pour gagner du temps et être de retour rapidement à Montréal, si le fonds Lavoie se manifeste.
Une mesure qui s’avère inutile.
Pas de nouvelle implique classiquement dans le subconscient une mauvaise nouvelle.
Personne n’ose évoquer, en présence de Duroc, l’éventualité d’un échec.
Charles ressent chez chacun, y compris son associé, un doute à son endroit. A-t-il fait le mauvais choix et conduit l’agence vers une fausse route ?
La peur l’étreint.
Madame Gauthier, assistante du directeur marketing, se manifeste 72 heures après la remise de leur copie fixant un rendez-vous exclusivement à Charles Duroc, pour « 11 h 30 précises » ce jour.
À l’agence, rue Peel, chacun retient son souffle.
À l’heure dite, au siège de Lavoie private Equity, une jeune assistante accueille l’associé de Stratégic avec un sourire discret, le priant de prendre place directement dans le Desk de Pierre Caron tout en lui proposant, pour patienter, une grande tasse de mauvais café américain.
Avec ses traditionnelles minutes de retard, le directeur du marketing fait son entrée, visage fermé, posture rigide.
Une exécution en bonne et due forme se prépare-t-elle ?
Le bourreau est face à sa victime, conforme à sa fonction, froid et prêt pour ne pas dire heureux de passer à l’action.
« Monsieur Duroc merci pour la promptitude de votre réponse et la clarté de la stratégie suggérée. J’ai transmis une copie à la personne de notre board, qui souhaitait votre participation à cette consultation sur cet investissement français et l’ai également informé de notre rendez-vous ce jour.
Ceci acté, votre proposition m’a beaucoup surpris par le choix stratégique assez éloigné des pistes envisagées ou suggérées dans le dossier, que j’ai personnellement étudié… »
La guillotine se rapproche !
Sauvé, Madame Gauthier pousse délicatement la porte capitonnée du bureau.
En bonne assistante de direction précautionneuse et attentive, elle se penche vers son patron pour lui glisser un papier plié soigneusement en quatre, avant de se retirer aussi délicatement qu’elle est rentrée.
Le responsable du marketing en prend connaissance, se redresse dans son fauteuil, regarde son invité et se lève.
« Cher Monsieur Duroc, je vous prie de me suivre ».
Charles s’exécute, heureux de ce retard dans sa fin programmée. Les deux hommes passent différents bureaux et salles de réunions avant de se retrouver face à une autre charmante dame.
« Messieurs, le vice-président Loiseau vous attend, merci de me suivre. »
Ce qu’ils font.
Un grand bureau de coin, de larges fauteuils visiteurs en cuir légèrement en contrebas de la longue table de travail, où les dossiers colorés s’entassent avec ordre.
« Ravi de faire votre connaissance, Mr Duroc.
Je confesse être le responsable de votre venue dans nos bureaux.
J’espère que vous avez été bien traité. Une tasse de café ou quelque chose de plus fort, compte tenu de l’heure ? »
Charles décline les deux offres avec politesse, s’interrogeant sur ce contretemps.
« Votre mémoire stratégique a retenu toute mon attention et je souhaite échanger avec vous si toutefois vous avez un peu de temps à me consacrer. »
Changement de ton et d’attitude avec un vice-président plus avenant que le « pitbull » du marketing.
« Merci, Pierre, vous pouvez nous laisser ! » ajoute Mr Loiseau.
Cela ressemble assez à un « allez vous faire voir Mr le directeur du marketing ».
Charles ne sait plus à quoi s’attendre, mais il savoure l’instant présent avec l’éviction de ce donneurs de leçons.
Le vice-président du fonds, sans attendre que son subordonné tourne les talons et les laisse en tête à tête, se verse deux doigts de bourbon avec un peu de glace.
« Avouez, Mr Duroc, que notre appel à concourir sur ce dossier vous a surpris. J’espère agréablement.
Voyez-vous, j’ai une confession à vous faire.
Le travail j’aime le couplet avec le plaisir. Dans mon cas, je consacre des heures sur divers parcours de golf durant lesquelles non seulement je m’assure de battre mes adversaires, bien conseillé par mon caddie et je traite des affaires pour le compte du fonds, en échangeant avec de grands patrons ?
J’espère que vous jouez ? »
Où veut-il en venir ?s’interroge Charles.
« Il y a quelque temps j’ai fait un 18 trous, non loin de Montréal, avec une relation professionnelle du groupe Bombardier, pour lequel vous avez œuvré le mois dernier.
Il ne tarissait pas d’éloges à votre égard, tout en me signalant l’audace de vos préconisations.
J’ai pris quelques renseignements, passé quelques coups de téléphone, échangé divers mails avec des relations en France et en Europe, où vous avez beaucoup œuvré et me suis entretenu de mon idée avec Pierre-André, notre fondateur.
La lecture de votre prose ne m’a pas désorienté. Elle m’a enchanté.
Votre préconisation n’a guère de lien avec ce que Pierre Caron et son éternel cabinet anglo-saxon vous ont suggéré, et j’aime cela.
Votre manière de penser, votre audace me plaisent et je suis favorable à sa mise en application rapidement. »
Charles peut reprendre sa respiration. Il était bel et bien en apnée, depuis plusieurs minutes.
« Mais laissez-moi vous dire deux ou trois mots sur ma mission au fonds, puisque nous sommes appelés à collaborer.
J’accompagne notre président depuis plus de quinze ans. Je suis juriste de formation, tout comme vous.
J’ai occupé la fonction de ministre des finances québécois durant un mandat, dans un passé si lointain que même ma femme ne s’en souvient plus.
Les gens qui me connaissent vous diront que j’ai trois passions.
Le golf, vous l’avez compris, à égalité avec l’aviation. Je ne laisse à personne le soin de piloter mon Challenger 350 et j’aurais d’ailleurs le plaisir de vous emmener à Paris après-demain pour le début de notre mission.
Vous verrez Bombardier sait construire de très bons appareils et l’entreprise canadienne n’a rien à envier au français Dassault ou au brésilien Embraer.
Mais ma grande passion consiste à accompagner notre président fondateur dans tous ces challenges.
Alors Charles… vous permettez que je vous appelle par votre first name ! Toujours partant pour cette mission ? »
« Je suis sans voix, Monsieur le Vice-président… »
« Je vous en prie, appelez-moi Jacques, nous allons bosser ensemble et maintenant vous êtes dans le même navire que moi, celui de la famille Lavoie.
Mon assistante vous passera un coup de fil et un mail avec tous les détails de notre programme français.
L’heure et le lieu de départ de Montréal, votre hôtel réservé dans la capitale française, car je crois que vous n’avez pas gardé de pied terre dans votre pays de naissance et la liste des personnes qui nous accompagneront.
Bien, ceci posé si vous me parliez de votre proposition. »
« Avec plaisir… Jacques, combien de temps m’accordez-vous ? »
« Le temps nécessaire Charles, faites de moi un auditeur attentif, afin que je sois demain en mesure de parler savamment de votre stratégie, sans trahir votre pensée. »
Quel bonheur de voyager, confortablement installé dans un siège convertible en un véritable lit, avec sa douce couette, de vrais oreillers, sans oublier une charmante hôtesse, qui s’occupe de vous, servant de délicieux mets, accompagné de grands crus.
Un petit peu moins de sept heures de vol, avec un léger vent favorable au-dessus de l’atlantique, comme d’habitude, avant de se poser à l’aérodrome du Bourget, réservé à l’aviation civile du monde des affaires.
Un lieu incontestablement chic et snob, tout le monde peut en convenir.
L’autre bonheur de l’aviation privée consiste à débarquer sur le tarmac sans crainte d’avoir égaré ses bagages ou de perdre un temps précieux au contrôle de la police de l’air et des frontières sans omettre le service des douanes.
Un vol tout en douceur en compagnie du vice-président de Lavoie Private Equity, devenu comme par magie le commandant de bord Jacques Loiseau, aux petits soins des trois passagers, Charles Duroc, Claire Boucher, chargée de mission du vice-président et le directeur financier du fonds : Alexandre Couture.
Un HEC de Paris, installé à Montréal depuis une quinzaine d’années, marié à Philippe Leblanc, professeur à l’université, UQAM.
Ce quarantenaire paraît sérieux, appliqué, méthodique et particulièrement mesuré sur ses appréciations, concernant les membres du board.
Après l’accord du fonds d’investissement Lavoie, Charles Duroc n’a eu que quarante-huit heures pour prendre congé de son équipe montréalaise. Une absence d’un bon mois qui s’annonce déstabilisante pour tous et principalement pour ses clients.
Heureusement, la visioconférence est devenue chose courante, elle lui permettra de suivre les dossiers en cours.
Par prudence et tranquillité d’esprit, Duroc a chargé Catherine Loiseau et Julien Bergeron, les deux consultants séniors au cabinet de coacher directement ses propres dossiers.
Deux d’entre eux le soucient principalement.
La refonte d’un « Mall » avec 400 boutiques sur la rue Sherbrooke, pour lequel Duroc formula de nombreuses idées très novatrices, engageant de gros investisseurs dans cette aventure.
L’autre « bébé » concerne l’entreprise Bombardier, à l’origine de sa convocation chez Lavoie. Le plan RSE new-look mis en place donne aujourd’hui d’excellents résultats, toutefois il n’en est qu’à ses débuts.
Les deux prochaines années seront déterminantes pour démontrer le bien-fondé des mesures originales socialement et économiquement parlantes, dans l’univers industriel.
Un dossier sensible qu’il confie à son associé Léon, président en titre du cabinet, mais prudent, il enjoint la dernière recrue, Jérôme ROY, garçon inventif et dynamique, d’avoir un œil sur « le patron », trop conservateur et souvent frileux dans les prises de position.
Deux précautions valent mieux qu’une, comme le dit l’adage.
Pendant le survol de l’atlantique, le cerveau de Duroc est déjà à Paris et anticipe son retour en France.
Comment va-t-il réagir ? Quelles sensations éprouvera-t-il après quatre années d’absence ?
En foulant le goudron du Bourget, il ne ressent aucune émotion. Aucune nostalgie ne l’envahit.
Les petites formalités accomplies, le chauffeur de la limousine noire prend la direction de l’autoroute A1.
Une autoroute saturée, des murs antibruit et des ouvrages d’art plus colorés que jamais, résultat d’un travail souvent bâclé par de mauvais tagueurs. Cette voie rapide c’est aussi le lieu choisi par de nombreux sans-abri, qui trouvent refuge entre les axes de circulation et les immeubles de bureaux ou d’habitations.
Ce spectacle, inchangé depuis des lustres, défile sous les yeux de Duroc. Une situation dénoncée par tout le monde, sans remède de la part des pouvoirs publics, incapables de mettre fin à ce capharnaüm indécent.
Le périphérique apparaît, tandis que le chauffeur de la limousine indique aux passagers, un changement d’itinéraire, via « les maréchaux » au vu du temps affiché sur les panneaux lumineux, pour rejoindre la Porte-Maillot.
Après une bonne heure de circulation, l’avenue Kléber est enfin atteinte.
A l’origine la charmante et attentionnée, assistante de Jacques Loiseau, souhaitait installer au Royal Monceau, tout ce petit monde, mais Duroc insista pour que son hébergement se fasse à l’hôtel Raphaël.
Un établissement passé de mode, face à ces nouveaux palaces, propriétés de grandes familles du moyen orient, à l’image du Péninsula, justement de l’autre côté de la rue des Portugais.
Le programme défini par le fonds Lavoie accorde à l’associé de « Stratégic » cette journée pour souffler, récupérer du voyage.
Tôt demain matin, il découvrira les partenaires de la banque de Tocqueville, avant d’aller à la rencontre des entreprises, objet de sa mission.
En attendant, n’ayant nul besoin de dormir et ne souffrant pas de jet lag, Charles file directement vers Montmartre et le Sacré-Cœur.
Un petit café place du tertre au « Sabot Rouge » avant de renouer avec le parvis de la basilique.
Voir en un seul coup d’œil, l’opéra Garnier, les Invalides et son dôme tout d’or vêtu, la tour Eiffel, la sublime verrière du Grand Palais, des monuments emblématiques pour des millions d’étrangers, décernant à Paris le titre de plus belle ville du monde.
Des lieux simplement chargés de petites histoires personnelles et de souvenirs pour Duroc.
En touriste, il descend vers la modeste place St Pierre, rien à voir avec la très célèbre qui trône à Rome, puis la rue Yvonne Le Tac et retrouve ses anciennes habitudes, dans le quartier des Abbesses.
Toujours plus de touristes et de moins en moins d’authenticité.
Le temps où le village de Montmartre vibrait au son de ses petits commerces de bouche, de ses artisans avec leur gouaille de titi parisien à chaque coin de rue, est définitivement perdu.
Aux oubliettes cette ambiance bonne enfant, cette relation très personnelle entre voisins, aujourd’hui on s’ignore mutuellement, et comme le chante si bien Gilbert Bécaud :
« Ce qui détruit le monde, c’est l’indifférence. »
Duroc déjeune rapidement dans une brasserie autrefois accueillante, arrête un taxi au passage et lui indique le quai d’Orléans, sur l’île Saint-Louis.
Encore et toujours des touristes, qui déambulent en ces lieux chargés d’histoire.
Flâner d’hôtel particulier en hôtel tout cours, avant de pénétrer dans l’église Saint-Louis en île, s’asseoir à la terrasse d’un café bien parisien, pour y déguster une glace Bertillon.
L’immeuble qui fut son domicile est là, immuable face à la Seine et au quai de la Tournelle. Sur l’autre rive, la gauche, celle des penseurs, des artistes, aujourd’hui des bobos.
Nourrit-il des regrets par rapport à sa vie d’avant ? Aucunement.
Charles est devenu un français de l’étranger, heureux de vivre autrement avec des habitudes différentes et de nouvelles connaissances dans un pays qui lui a ouvert ses portes et à l’égard duquel il entend se comporter avec respect et gratitude.
De plus, le bruit constant, la saleté persistante, l’agitation excessive, l’impolitesse d’un grand nombre de Parisiens, le sans-gêne de beaucoup de femmes accrochées à leur cellulaire, qui oublient ostensiblement que la galanterie masculine va de pair avec la courtoisie féminine, t
out cet environnement l’invite à tourner définitivement la page.
Après une petite nuit et un léger footing très tôt vers le bois de Boulogne, Duroc retrouve pour un solide petit déjeuner, à 8 h Jacques Loiseau.
« A priori, je n’avais pas prévu de me joindre à vous ce matin à la banque de Tocqueville, mais je me suis laissé dire que vous souffrez d’une petite allergie envers la profession de banquier et qu’elle remonte à votre période de publicitaire parisien. »
Charles ne peut démentir.
« Je vous propose de présider cette première réunion de travail.
L’un de mes amis, associé dans cette banque, sera à nos côtés. Je pense que vous trouverez rapidement un bon mode de fonctionnement et une belle écoute en sa personne.
Oubliez les jeunes freluquets qui ressemblent à s’y méprendre à notre Pierre Caron et pour l’instant prenons des forces », ajoute Jacques Loiseau, le sourire aux lèvres.
Duroc l’accompagne au buffet, sans le rejoindre dans ses choix gustatifs composés d’œufs brouillés, saucisses, tranches de lard, légumes, une salade de fruits et deux muffins, le tout accompagné d’une cafetière et d’une carafe de jus d’orange.
Une montagne de calories à cette heure matinale, que le consultant Duroc ignore en choisissant simplement un fromage blanc à 0 % accompagné d’un peu de miel, d’un thé vert et de quelques fruits frais.
Quarante-cinq minutes d’échanges sur l’actualité du moment, avant de monter dans la limousine qui attend.
Direction la rue François 1er, où le vice-président de Lavoie Private Equity est attendu avec beaucoup d’égards.
Loiseau s’amuse, sans dire mot, de ces politesses excessives et ridicules.
Une réunion avec des banquiers, qu’ils soient spécialisés dans le monde restreint des « affaires » ou votre banquier personnel, c’est du pareil au même.
Seuls leurs intérêts comptent.
Tous ces gens de la finance ne prêtent avec facilités qu’aux personnes qui ont déjà de gros moyens et avec lesquelles ils peuvent sans risque faire de substantiels profits.
Les mots sont choisis, polis et toutes les formules de courtoisie sont bonnes pour vous amadouer.
En l’espèce, la réunion qui les regroupe autour de trois dossiers, pour autant d’équipes attitrées, représente trois fois plus d’honoraires.
Après deux heures et demie de réunion, la superbe bande de conseillers financiers conclut par une première phrase
: « trop tôt pour prendre une décision » avant d’ajouter de suite que les trois sociétés sont à l’évidence « de belles opérations à court terme. »
En résumé, on peut investir dans n’importe laquelle, le fonds en retirera dans trois à quatre ans de jolis bénéfices, avant la revente de sa participation.
Quid de l’entreprise après ce passage, le sujet n’est pas d’actualité.
Heureusement, Jacques Loiseau a vu juste. Son pote, Bernard Cheron l’associé, remet comme dirait le bon paysan français « l’église au centre du village ».
« Mes chers collègues, les chiffres ne sont pas tout dans une opération. Le fonds se propose d’accompagner par un choix stratégique clair l’une de ces sociétés, et Monsieur Charles Duroc est mandaté pour cela.
Il nous revient de lui apporter tout notre concours, notre éclairage technique et les petits tuyaux que nous découvrirons au fil de nos investigations financières. »
Le banquier principal semble du bon côté de la démarche voulue tout en sifflant la fin de cette première réunion vers 13 h.
Les deux compères invitent Duroc à les suivre pour un déjeuner chez Apicius, le restaurant étoilé, rue d’Artois.
Après une pause aussi gastronomique et savoureuse, il est fort à craindre que les protagonistes ne disposent plus d’idées très claires pour la suite de l’après-midi. Travailler en compagnie de fins gourmets comporte quelques obligations, avec lesquelles il faut composer.
Le vice-président de Lavoie affirmait lors de leur première entrevue qu’il ne parlait de ses affaires qu’en parcourant les fairways.
Il a manifestement un autre terrain de jeu pour parler business.
En bon élève studieux, Charles écoute attentivement tout en observant ces deux personnalités bien différentes.
Jacques, le Canadien volubile, au moins en apparence, et Bernard le financier très parisien atteint d’une petite rigidité.
La cinquantaine, tiré à quatre épingles, il s’exprime dans un phrasé pointu, aucun rapport avec l’accent du sud de la France, mais plus avec celui du « Versaillais ».
Un snobisme désuet, avec une pointe de catholicisme fervent et une conversation où chaque mot semble soupesé.
Le silence prudent de Duroc finit par attirer son attention.
« Monsieur la France ne vous manque pas depuis toutes ces années d’exil de l’autre côté de l’atlantique ? »
Charles a l’habitude de cette question, qui lui est systématiquement posée quand il croise une relation ou simplement un français de souche.
Pourquoi serait-il nostalgique ?
La France n’est pas le paradis, mais comme toute personne attachée à sa culture, à ses racines, son pays reste très présent dans son cœur.
Pour autant la terre qui l’a vu naître et grandir, souffre de bien des maux : des dirigeants politiques sans projet ni vision dans des domaines cruciaux, comme l’économie, l’enseignement l’aménagement du territoire, l’industrialisation et ce qui le navre le plus, l’absence cruelle d’éducation civique, où le respect de l’autre chez les jeunes générations s’est envolé.
À son tour, il pourrait pousser la chansonnette :
« Non, je ne regrette rien ! »
Montréal et le Québec, il connaissait déjà avant son installation définitive, lors de ses déplacements en sa qualité de publicitaire.
Depuis son installation, il y a quatre ans, il découvre « La Belle Province », tout au long de l’année.
« Mon premier hiver a été difficile, avec des week-ends interminables, concède Duroc, mais on apprend tous de ses erreurs dans tous les domaines. L’année suivante, de novembre à avril j’ai loué un chalet dans les Laurentides, afin de pratiquer un grand nombre d’activités sportives. Depuis je pratique le ski de fond, de la motoneige et le soir venu je lis ou comme au bon vieux temps, au coin d’un bon feu, je visionne de vieux films classiques. »
« Moi je ne supporte pas votre télévision, trop de publicités, trop de coupures », reprend l’associé banquier.
« Qui vous parle des programmes diffusés, Mr Cheron.
Arrivé au village, je m’arrête chez mon dépanneur, ouvert 24 h/24 comme dans beaucoup de petites communes, et parmi tout son bric-à-brac je farfouille dans sa collection de DVD et lui loue de grands classiques américains et français, dont je me délecte.
L’an passé, j’ai acheté dans la petite commune de Rivière-Rouge un chalet traditionnel en bois. Dès que je le peux, je m’y réfugie. J’aime ces moments de solitude ».
Cette mise au point cordiale terminée, Jacques ramène les deux compères vers leur sujet business.
« Charles après cette première réunion de travail quel est votre programme d’actions ? ».
Point par point, le consultant expose sa méthodologie puis les différentes étapes de son itinéraire à la rencontre des sociétés ciblées par le fonds Lavoie.
Les bilans avec les chiffres d’affaires, les marges brutes et nettes, l’endettement de chacune, les marges de progression, il les laisse bien volontiers analyser par les petits requins financiers croisés dans la réunion matinale.
C’est leur mission grassement rétribuée.
Comme hier dans la stratégie publicitaire, Duroc s’intéresse à la marque, à l’entreprise avec ses produits, ses employés, ses méthodes de management en allant à la rencontre des personnes chargées de conduire l’entreprise.
Prendre le temps de les écouter, comprendre leurs choix industriels et commerciaux, percer la finalité de leurs actions.
Cette méthode, contestée par certains, est la sienne et il n’entend pas en changer. Tant pis pour le temps ainsi pris, mais non perdu.
« Vous allez sérieusement, Mr Duroc, parcourir la France et des régions aussi éloignées à la rencontre de ces entreprises ! Nous avons les chiffres comptables, leurs business plans pour les cinq prochaines années, l’état de leurs trésoreries, ces données suffisent à la prise de décision pour un investissement à court terme et un profit dans 4 à 5 ans.
Le reste c’est du cinéma, ou bien c’est une façon de les amadouer et de leur faire accepter nos exigences ? »
« Mr Cheron vous et moi avons le même objectif, servir au mieux les intérêts du fonds Lavoie.
Notre divergence porte sur notre apport respectif.
Vous recherchez un investissement facile et le plus fructueux possible sous quatre années.
Ma mission telle qu’elle m’a été assignée consiste à trouver le meilleur partenaire industriel, qui verra dans l’arrivée des capitaux du fonds Lavoie, non seulement de l’argent frais, mais un moyen d’accélérer son futur, de prendre une autre dimension commerciale et produire plus et mieux.
Aider une marque à grandir et démontrer à l’extérieur que les fonds d’investissement sont aussi présents pour développer des entreprises sur le long terme en parfaite intelligence avec les fondateurs, tel est l’objectif fixé.
Mon obligation de résultat demeure.
Ma démarche n’est pas d’opposer la recherche de profits avec l’épanouissement durable de l’entreprise dans toutes ses composantes, mais de les réunir dans une cohabitation intelligente et partagée dans les objectifs. »
« Cette démarche, bien utopique, nous fait perdre du temps et risque de voir ébruiter nos intentions. Notre métier s’exerce dans la plus grande confidentialité et votre petit jeu peut tout faire capoter », conclut Bernard Cheron.
« Allons, les amis, un peu de calme, intervient fort à propos Jacques Loiseau.
Nous allons mener comme prévu les deux missions en parallèle. Chacun tiendra l’autre informé de ses avancées dans une démarche professionnelle et confidentielle.
Chers amis, nous appartenons à la même équipe, détendons l’atmosphère, tout le monde s’en portera mieux, moi le premier, qui vous apprécie tous deux et pour commencer appelons-nous par nos prénoms. »
Duroc fait le premier pas dans ce sens, sans effort.
Le tutoiement et l’usage du « first name » sont familiers et courants dans le milieu de la publicité et du conseil.
L’associé banquier marque un peu de réticence.
Son côté vieille France, les divergences d’approche ou plus simplement les deux personnalités aux antipodes, freine son élan. Mais le client est roi et les honoraires conséquents finissent par le conduire sur la bonne voie, celle de la conciliation.
La « paix retrouvée », Duroc précise son planning.
Les entreprises visées sont basées dans trois régions différentes l’obligeant à suivre un cheminement élaboré scientifiquement par son consultant, Christian Levesque, depuis Montréal.
Tout est calé au millimètre, aucune place laissée à l’improvisation, voiture louée, hôtel réservé et tous les rendez-vous programmés à la cadence d’une mitraillette.
« Les deux fins gourmets que vous êtes, allez m’envier. Dès demain, je pars pour le sud-ouest. Une terre synonyme de bonne table et de grande qualité d’accueil. Pas de confusion les amis, je n’ai pas échangé ma mission contre une autre au profit du guide Michelin ! »
Une petite plaisanterie, qui détend l’ambiance autour de la table.
« Ma seconde étape sera bretonne, où j’ai plusieurs sites à découvrir et divers responsables à auditionner. »