Au nord de Mitro - Jicek - E-Book

Au nord de Mitro E-Book

Jicek

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Beschreibung

Kosovo, 2003. Pour sa première OPEX, le lieutenant Mathieu Mercier est projeté à Mitrovica, zone sous tension et terrain miné des règlements de comptes post-guerre. Chargé de maintenir la paix avec son peloton de gendarmerie mobile, il découvre une réalité brutale : réseaux criminels, manipulations, embuscades. Rien ne s’écrit comme dans les ordres de mission. Dans cet environnement hostile, chaque décision compte – surtout quand la vie d’une femme en danger vient bouleverser la ligne de mire.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Diplômé de l’IEP et de l’université de droit de Toulouse, Jicek rejoint l’École des officiers de la Gendarmerie nationale en 1999. Après dix-huit années au sein des forces mobiles, ponctuées d’interventions en opérations extérieures, il choisit de poursuivre son engagement dans l’administration territoriale. Amateur d’histoire et de mythologie, il nourrit une passion pour les romans d’aventure et d’espionnage, qu’il explore désormais en tant qu’auteur.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

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Jicek

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au nord de Mitro

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jicek

ISBN : 979-10-422-7621-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Au nord de Mitro

 

 

 

 

 

Décidément, ces sacs de couchage militaires étaient vraiment le dernier endroit où le lieutenant Mathieu Mercier avait envie de dormir en cette froide nuit du 2 février 2003.

Humides, probablement à cause d’un mauvais stockage, une belle odeur de moisi, qui devait coïncider avec le peu de soin qui avait dû être déployé pour les ranger, bref le grand luxe.

Même les baraquements dans lesquels les gendarmes mobiles avaient été placés devaient dater de la 2e Guerre mondiale.

On aurait retrouvé un soldat allemand séché sous les planches que cela n’aurait étonné personne.

Mais bon, ça n’était que pour une nuit sur cette base lugubre d’Istres avant le départ dès l’aurore pour le Kosovo.

Cette base était souvent qualifiée de base « hors normes » avec ses deux mille cinq cents hectares de terrains militaires, de pistes d’atterrissage, de bâtiments, d’étangs, de marécages infestés de moustiques et de toutes ces joyeusetés qui aimaient se glisser sous les treillis.

Elle était surtout une immense plateforme de départ vers les missions à l’étranger.

Quatre ans que Mathieu Mercier rongeait son frein et attendait ce départ opérationnel, pour sa première opération extérieure avec ses hommes de l’escadron 23/6 de Grasse.

À 28 ans, quatre ans après ses études de droit à l’université de Sophia Antipolis de Nice, après un service militaire de deux ans, en tant qu’officier appelé, au 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine de Bayonne, la réussite au concours d’entrée à l’École des Officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN), puis les deux années de formation au sein de cette prestigieuse et rugueuse institution, Mercier prenait enfin le commandement d’un peloton opérationnel de gendarmerie mobile.

Sportif dans l’âme, acharné à gagner quel que soit l’enjeu ou la discipline, notamment dans le triathlon et la boxe française, ses sports universitaires, Mercier était de ceux qui ne lâchent jamais, pour les bonnes, mais aussi pour les mauvaises raisons, ce qui lui valait parfois la réputation d’être un emmerdeur de première.

C’était son premier poste de commandement et les aventures qui allaient forcément aller avec.

Mais là, dans ce sac de couchage humide, ce baraquement sinistre et puant, il se disait qu’on pouvait rêver mieux comme première aventure.

Tant pis, contre mauvaise fortune bon cœur, il savait que dès le lendemain à l’aube, avec ses hommes, il s’envolerait vers un endroit où tous ses copains de l’EOGN auraient rêvé d’aller.

Tout était prêt.

Malgré ça, il se refaisait mentalement, encore et encore, le récapitulatif de ce qu’on attendait de lui et de ses hommes.

Les HK MP5, les FAMAS, l’AA52 étaient déjà stockés en soute dans le Transall, les munitions également, tout le matériel destiné au recueil du renseignement, tout ce qui allait permettre à trente-deux militaires de remplir la mission qui avait été transmise deux jours avant par le général Talonne de la 6e Légion de gendarmerie mobile au commandant d’unité : Imposer une présence militaire sur ce théâtre encore sensible de l’ex-Yougoslavie et recueillir le renseignement militaire le plus ciblé possible.

Malgré l’excitation des préparatifs et toutes les questions qui le taraudaient, la fatigue finit par gagner Mercier qui sombra dans un sommeil agité et peu réparateur.

C’est le major Marcel Ursida, son adjoint, qui le réveilla en rentrant brusquement dans son baraquement à 4 h 30, manquant de casser la porte, un grand sourire aux lèvres et deux tasses de café à la main.

— Mes respects mon lieutenant, ça vous dirait un petit vol vers l’aventure ? lui dit-il.

Ursida était ce modèle de sous-officier gradé comme on en fait plus. Un mètre quatre-vingt-dix, solide et rustique comme les chênes de sa région natale, des mains comme des pelles, certains manifestants s’en souviennent, les yeux clairs et expressifs qui vous questionnent et vous cernent sans même vous parler.

Issu du milieu agricole, sixième d’une fratrie de neuf enfants, il s’était sorti de cet univers à force d’études et d’abnégation en gravissant un à un les barreaux de l’échelle professionnelle pour arriver au grade respecté de Major et au poste prestigieux d’adjoint de commandant de peloton.

Il avait cette force tranquille de quelqu’un qui a vécu les épreuves de la vie, qui avait frôlé la mort à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de la prise d’otages des gendarmes à Nouméa en 1988 et qui avait une foi inébranlable dans l’institution.

Un soldat et non pas un militaire comme disaient les anciens de l’escadron, en se moquant des bleus qui arrivaient des écoles de Gendarmerie.

— Bonjour Marcel, le temps d’enfiler mes frusques. Les gars, ça va ? demanda Mercier en s’habillant.

— Oui, pas beaucoup dormi, mais ils se rattraperont dans l’avion.

— OK, major, merci pour le café, on se rejoint comme prévu à 5 h 45 au pied de l’avion pour le rassemblement et le rapport.

— Reçu, mon lieutenant. À tout à l’heure.

Ils étaient tous là, les trente gendarmes mobiles, vêtus de la tenue montagne adaptée aux régions froides, le PA MAS G1, copie du pistolet Berreta 92F, à la ceinture, rassemblés au pied du vieux Transall C-160, sur quatre rangs, attendant l’arrivée de l’officier qui allait délivrer les ordres et les missions.

L’appel terminé, le major Ursida présenta le peloton à Mercier.

— Peloton rassemblé, à vos ordres, mon lieutenant.

Malgré le froid, l’air sentait le kérosène à plein nez et Mercier décida d’écourter sa prise de parole devant son peloton afin de démarrer enfin cette journée.

— Bonjour, messieurs. Je vais faire court. Notre mission du jour est d’embarquer à bord de la relique qui se trouve derrière vous et si cet engin arrive encore à décoller, on devrait alors se poser à Skopje, Macédoine, vers 8 h 30. Là-bas, je veux que tout le matériel soit déchargé rapidement de l’avion et rechargé comme prévu dans nos différents véhicules qui nous attendent pour un départ à 09h00 maxi. Arrivée prévue à Mitrovica, Kosovo, à 12 h. Des questions ? Parfait. Rompez les rangs et embarquez.

Si cet avion avait eu fière allure en 1963, date de sa sortie des usines, il faisait aujourd’hui pâle figure à côté des quatre magnifiques Rafales parfaitement alignées sur le bord de la piste, prêtes à découper le ciel.

En fait, il apparaissait un peu comme un ancien combattant qu’on garde dans les rangs plus par amitié que par choix.

En regardant cette vieille carlingue, Mercier se demandait même si la peinture allait tenir pendant le vol jusqu’à Skopje.

Le vol se déroula sans encombre majeure.

Des trous d’air incessants et d’énormes turbulences, un déroutage d’une heure plus au sud de plan de vol initial à cause d’une zone de conflit au sol et toujours cette odeur pestilentielle de kérosène à bord complétaient ce tableau idyllique.

Il faut dire que dans un Transall, on est assis dans une espèce de tunnel sans fenêtre, dos à la carlingue sur des sièges de toile tendue qui se font face. Le grand luxe, quoi.

C’est souvent dans ces moments qu’on se dit : « Mais qu’est-ce que je fous là ?! »

Un tiers des gars vomissait toutes les dix minutes, les autres prenant des paris pour savoir qui allait être le suivant à dégobiller.

En définitive, un vol tout à fait ordinaire.

L’atterrissage à Skopje fut à l’image du vol, viril.

À croire que par manque de carburant l’avion avait finalement décidé de dégringoler sur la piste pour se vautrer comme un vieux phoque sur son coin de banquise.

Au diable la délicatesse, Mercier se disait intérieurement que la première étape était réussie, arriver en vie à Skopje.

En quittant l’avion pour se diriger vers les véhicules, Mercier aperçut le sourire hilare du pilote qui contemplait les visages verdâtres des gendarmes.

Encore un qui devait aimer la maréchaussée, se dit Mercier.

Il se consola en se disant que le monde était petit et que l’on pourrait peut-être se retrouver sur un contrôle routier au bord de la route et là les turbulences pourraient changer de camp !

Le convoi était composé de quinze véhicules. Cinq TRM200 pour le transport des caisses, cinq Land rover Defender et cinq Peugeot P4 pour les patrouilles sur pistes hors bitume.

D’ailleurs, au sujet des pistes, les consignes du capitaine François de la Dgse avaient été très claires.

Pas de trace sur une piste, interdiction formelle d’y aller.

Marrants, ces gars de la Dgse qui ne donnaient que leur prénom, se disait Mercier, ils doivent se croire dans un film d’espionnage ou je ne sais quoi d’autre.

Donc, beaucoup de mines étaient encore actives et les équipes de déminage progressaient lentement.

Les images projetées par l’officier de la DGSE à l’occasion du briefing avaient montré les corps déchiquetés de soldats après le passage de leur véhicule sur une mine.

Cela avait suffi à convaincre tout le monde. Aucune question n’avait été posée.

Donc prudence.

Le paysage du Kosovo était à la hauteur du conflit qui avait éclaté en 1990 : rude, immense et sauvage.

Les belles collines des Préalpes de la Côte d’Azur avaient été remplacées par un relief très montagneux, particulièrement sauvage, où malgré la déclivité importante, les arbres et la végétation s’entêtaient à gravir les sommets.

La rudesse de la nature, avec ses torrents violents, ses forêts escarpées et sombres, allait de pair avec la rugosité des hommes et des femmes qui la peuplaient.

En traversant les villages à bord de sa P4 de tête, Mercier regardait attentivement les visages marqués des autochtones et ne put s’empêcher de penser que des choses terribles avaient dû se passer ici.

Cette région était une province de la République fédérale de Yougoslavie, composée de la Serbie et du Monténégro. Le conflit qui a débuté en 1989 avait opposé les forces de la République fédérale de Yougoslavie (sous la direction de Slobodan Milošević, président de la Serbie) et les forces indépendantistes de l’armée de libération du Kosovo (UCK), composée principalement d’Albanais du Kosovo.

Après l’échec des négociations de Rambouillet, les massacres opérés par les troupes de Milošević avaient continué, déclenchant l’intervention de l’OTAN par des bombardements sur Belgrade et des projections multiples d’unités au sol afin de stopper les attaques serbes sur les opposants albanais du Kosovo.

Mercier s’était abondamment documenté sur cette région pour essayer de comprendre comment cette guerre fratricide avait pu débuter et surtout comment elle avait pu faire autant de morts et d’exactions, d’un côté comme de l’autre.

Il y avait bien eu le stage préparatoire au détachement Opex deux mois auparavant, au Centre National de Formation au Commandement de Rochefort.

Mais à y réfléchir, les gars avaient passé plus de temps à faire du sport et à manger des huîtres que de s’instruire réellement sur l’histoire et la politique de cette région des Balkans.

Bien sûr, tous savaient que l’effondrement du bloc soviétique en 1989 avait galvanisé les velléités indépendantistes régionales, mais de là à provoquer autant de morts et d’atrocités, personne ne l’aurait imaginé.

La mission qui avait été transmise au peloton de Mercier était triple. Occuper militairement une zone déjà contrôlée par les forces internationales de la Finuk et de l’OTAN, être en mesure de s’interposer en cas d’émeutes et enfin participer activement au recueil du renseignement militaire tactique grâce aux différentes patrouilles qui seraient programmées dans un rayon de 50 kilomètres autour de Mitrovica.

Cette ville avait une particularité importante et hautement stratégique.

Elle était coupée en deux parties par la rivière « Ibar » qui constituait, de fait, une frontière naturelle entre les Kosovars d’origine serbe (Kos) au Nord et les Kosovars d’origine Albanaise (Koa) au sud.

Les Kos étaient des chrétiens orthodoxes et les Koa des musulmans, plutôt sunnites.

Pour que tout soit simple à gérer, l’église orthodoxe de Mitrovica était positionnée côté musulman au sud et le cimetière musulman était, quant à lui, côté serbe au nord de la ville.

Les uns souhaitant la mort des autres et les autres souhaitant trucider les premiers, tout cela dans une ambiance de franche camaraderie, surtout quand il s’agissait du trafic d’armes, de drogues ou de prostitution.

Le convoi de Mercier arriva enfin à Mitrovica-sud et gravit la colline des faubourgs où l’unique route bitumée conduisait au camp français nommé « Le Belvédère ».

 

 

Sur plus de 13 hectares s’étalaient plus d’une dizaine de bâtiments militaires construits à partir de modules empilables destinés à l’hébergement des personnels, aux soins médicaux, à la restauration ou au stockage des matériels et de l’armement.

Aucune place au hasard, tout était bien organisé pour que plus de 1000 soldats cohabitent dans cet espace clos et sécurisé, gardé, jour et nuit, par des patrouilles et les chiens de l’armée de terre.

C’est le lieutenant Denis Clergue qui accueillit Mercier. Pendant plus de quatre mois, c’est lui qui avait accompli la mission et c’était maintenant au tour du peloton de Mercier de prendre la relève.

Ils se connaissaient parfaitement puisqu’ils avaient partagé les mêmes galères au cours des deux années de formation à l’école des officiers de la gendarmerie.

— Salut, Matt, le voyage s’est bien passé ?

— Salut Denis, tu tiens vraiment que je te raconte le vol ?

Clergue éclata de rire en disant à Mercier qu’il fallait le prendre comme un rite de passage.

— Tout est prêt, Matt. Tu peux dire à tes cadres d’installer tes gars, je te fais faire le tour du propriétaire et te montre ta piaule.

Si on aimait le PVC, on était servi. Toute la structure ressemblait à un énorme jeu de Lego géant où tout était pensé à l’économie et à l’utilité.

Mais après tout que viendraient faire un peu de douceur et de beauté dans un camp militaire ?

Deux heures plus tard, les deux officiers accompagnés de leurs adjoints se retrouvèrent au mess des cadres pour un premier briefing de situation.

Clergue expliqua la mission de long en large à Mercier sous l’écoute attentive d’Ursida qui notait fébrilement tous ces éléments sur un petit carnet noir.

Le jour même, Mercier regarda partir le convoi de son camarade Clergue et ses hommes avec une pointe d’excitation, mais également avec cette inquiétude salvatrice qui faisait réfléchir avant de faire n’importe quoi.

Trois de ses gars et l’interprète Albanais avaient eu un accident de la circulation avec un des Land-Rover, à peine dix jours après leur arrivée.

Résultat des courses, un blessé grave avec évacuation sanitaire immédiate vers la France, trois blessés légers et le 4x4 bon pour la casse.

Ceci devait servir de leçon et cette information serait rabâchée aux hommes avant chaque mission.

Mercier savait aussi la responsabilité qui était la sienne concernant la vie de ses hommes. On part à trente-deux, on rentre à trente-deux, c’était sa priorité.

Peu après le départ de Clergue, Mercier fit rassembler ses hommes pour répartir les différentes patrouilles.

L’objectif était de couvrir un maximum de distance autour de Mitrovica, dans un rayon d’au moins 50 km par jour avec des patrouilles composées de trois hommes et d’un interprète serbe ou Albanais.

Mission : Recueil du renseignement d’ambiance auprès de la population, notamment pour tout ce qui pouvait concerner le trafic d’armes, de drogues ou d’êtres humains.

Une fois ses gars partis en patrouille, Mercier démarra sa P4 pour rejoindre « Sdk », chef d’état-major de la Kfor, à 4 kilomètres de là, au centre de Mitrovica.

Chaque quartier, chaque avenue ou artère sensible avait son code géographique afin de situer précisément chaque lieu.

 

 

Serment De Koufra (SDK) était une petite base militaire en plein cœur de ville, au pied d’immeubles de plus de cinq étages.

Un emplacement idéal pour se faire dégommer par des snipers pensa Mercier avant de s’engouffrer dans le bâtiment réservé à la Gendarmerie.

Il fut accueilli par le colonel Bayer, un vieux briscard, habitué des Opex et donc, forcément divorcé, à plusieurs reprises.

— Mes respects, mon colonel.

— Bonjour Mercier, bienvenue à Mitro. Servez-vous un café et prenez place que je puisse vous briefer.

Mercier rentra et observa attentivement le bureau du patron en se servant un café. Les photos retraçant sa carrière le faisaient figurer au milieu de groupes de militaires. L’esprit d’équipe devait vraiment vouloir dire quelque chose pour lui.

Un capitaine se tenait également dans le bureau, en retrait, dans l’angle mort de Mercier, ce qui lui déplut assez rapidement.

— Je vous présente le capitaine Philippe Rémuzat, patron de la compagnie prévôtale de Mitrovica. C’est monsieur renseignement. Même les services du G2 du Groupe de Commandement Terre se demandent comment il fait pour obtenir de telles infos.

— Je paie avec la caisse noire de l’état-major, mon colonel, lança Rémuzat d’un ton provocateur.

Bayer le toisa d’un regard amusé et réprobateur.

— Ça suffit, Bayer, avec vos blagues douteuses de vieux barbouze, vous allez contaminer notre jeune lieutenant. Bon, Mercier, je vais faire simple. La situation s’est compliquée depuis quinze jours. Les milices albanaises de l’Uck recommencent à mener des opérations nocturnes sur Mitro-Nord. Grâce aux gars de la Dgse, et donc à notre caisse noire, on sait que des filles russes arrivent en masse pour alimenter le réseau de prostitution des bars clandestins, en plein quartier Rom.

Le quartier Rom se situait au nord de l’Ibar, juste après le pont, nouvellement construit en 2001.

Les Roms formaient, en quelque sorte, une minorité sans nationalité dans cette ville en conflit et vivaient totalement exclus des autres communautés.

Bien que peu préoccupés par la vie politique de Mitrovica, les Roms avaient subi une répression terrible de la part des deux parties.

Tout d’abord la répression des forces serbes pendant le conflit, mais surtout la vengeance des milices de l’UCK qui leur ont reproché d’avoir été proserbes.

Tout cela avait entraîné la destruction totale et le pillage de leur quartier. Les maisons avaient toutes été détruites à l’explosif, au canon ou à la mitrailleuse lourde.

Le résultat était spectaculaire et faisait penser à une ville fantôme, un peu comme Oradour sur Glane après le passage de la division SS Das Reich.

 

Le colonel poursuivit sur le trafic d’êtres humains lié à la prostitution.

— Ces bars sont une vraie calamité. Ils se mettent en place en deux jours dans les caves des bâtiments détruits. De l’extérieur aucune mention ne les indique, ce sont des ruines. Au sous-sol tout est refait à neuf, on se croirait dans le dernier des bars à hôtesses à la mode de Pigalle.

— Vous parlez en connaisseur, mon colonel ? susurra Rémuzat.

— Rémuzat, vous voulez être muté à Charleville-Mézières à votre retour d’Opex ? claqua Bayer.

— Navré, mon colonel, je la boucle.

— OK, notre mission est donc de les repérer et de les démanteler. Pour cela, vous opérerez de jour pour le recueil du renseignement et de nuit pour les opérations de contrôle. Voici la carte des taules que nous avons déjà repérées. Des questions, Mercier ?

— Non mon colonel, c’est clair, répondit Mercier.

— Parfait, vous travaillerez en étroite collaboration avec Rémuzat. Choisissez-vous un interprète serbe et commencez vos investigations dès demain. Aujourd’hui, mettez votre bureau en ordre et demain on y verra tout aussi bien.

Les deux officiers saluèrent l’officier supérieur et sortirent du bureau. Rémuzat interpella Mercier.

Mathieu, si ça te dit, je t’offre un verre ce soir au cercle des officiers, comme ça on fera connaissance et on pourra parler de la mission.

— Avec plaisir, mon capitaine.

— De grâce, pas de capitaine, moi c’est Philippe. À ce soir.

Mercier s’appliqua à organiser son bureau avant l’arrivée de ses hommes et des rapports de patrouille qu’ils allaient lui remettre.

Journée calme pour les patrouilles.

Hormis deux accidents de la circulation du côté de Svecan au nord de Mitro, en zone serbe et un vol de matériel côté Albanais au sud, la journée fut désespérément calme.

Le soir venu, Mercier et Rémuzat se retrouvèrent au bar des officiers de SDK pour échanger sur la mission et les objectifs qu’ils allaient exécuter ensemble.

Finalement, Rémuzat était un gars sympathique. Ancien sous-officier récemment passé officier à quarante-cinq ans, il lui faisait penser au major Ursida.

Encore un gars du terroir avec des valeurs de la campagne qui avait passé quasiment toute sa carrière dans le monde particulier des sections de recherche. Un fouineur quoi ! Forcément ça serait utile.

Quatre tournées plus tard, Mercier prit congé et regagna le Belvédère par la route qui longeait l’Ibar.

Il faisait maintenant nuit noire et les rares habitants qui traînaient encore dans les rues sombres de Mitro avaient toujours les mêmes visages fermés et marqués.

On sentait une grande pauvreté dans cette population meurtrie par plus de vingt ans de conflits.

L’entrée du camp du Belvédère se faisait obligatoirement par un check-point tenu par des militaires de l’armée de terre qui se faisaient un plaisir de contrôler très consciencieusement les autorisations d’entrée ou de sortie des gendarmes. C’était de bonne guerre.

Arrivé à son bâtiment, le Corimec no 22, Mercier s’assura que tous ses gars étaient bien installés, pris le temps d’échanger avec Ursida qui était revenu d’une patrouille sur le secteur de Mitro-nord et avala rapidement un sandwich avant d’aller se coucher à 23 h 30.

Cette fois-ci, pas d’odeur de moisi, que du bonheur !

Mercier se refaisait le film de la journée et réalisa qu’il n’avait pas appelé Anne-Lise.

Ils s’étaient rencontrés huit mois auparavant au cours d’une compétition de triathlon et avaient flashé rapidement l’un pour l’autre.

Anne-Lise était professeur des écoles à Antibes et avait récemment déménagé dans le logement de Mathieu.

Sportive accomplie, une silhouette élancée, des jambes interminables, une poitrine indécente quand elle était en maillot, elle était ce type de femme vers qui les regards des hommes et des femmes se tournent.

Mercier savait que cette première séparation professionnelle, qui allait durer plus de quatre mois, mettrait le couple à rude épreuve.

Le sommeil finit encore une fois par gagner Mercier. Tant pis pour le coup de fil.

 

***

 

Svetla Mirkovic arrêta son réveil à 6 h 30 et glissa du lit de son appartement de Mitro-nord.

À vingt-trois ans, à cause de la guerre, cette jeune femme brune avait arrêté ses études de psychologie pour devenir interprète auprès de la Kfor afin de gagner ce qu’il fallait pour subvenir à ses besoins et ceux de sa mère.

Elle avait tout de la femme slave. Grande et élégante, dotée d’un regard bleu profond qui vous touche dès la première fois et une façon de s’habiller qui ne laisse jamais indifférent.

Elle connaissait parfaitement ses atouts de femme et savait en user à la perfection.

Cela faisait maintenant deux ans qu’elle travaillait comme interprète serbe auprès de la Kfor.

Une partie de sa famille avait été massacrée par les forces de l’Uck après le retrait des troupes serbes du Kosovo.

Malgré cela et son dégoût pour la violence, elle acceptait de travailler aussi avec les interprètes albanais.

Le point de rendez-vous des interprètes était également à Sdk, dans un bureau en tôle, juste à côté du poste de police qui gardait l’entrée du camp.

En arrivant ce matin-là au camp, Svetla reçut un appel lui demandant d’aller se présenter à un officier nouvellement affecté.

Elle avait l’habitude, tous les quatre mois, de voir défiler ces officiers français, très sûrs d’eux, qui croyaient connaître son pays, sa région, qui se permettaient d’avoir des avis très tranchés sur la question politique ou religieuse, sans avoir la moindre idée du lourd passé ethnique du Kosovo.

Peu importe, c’était son gagne-pain et elle savait qu’un jour elle partirait pour la France pour refaire sa vie.

Mais aujourd’hui, elle était attendue pour 10 h au bureau du Groupe de Commandement Gendarmerie pour être reçue par un nouveau lieutenant arrivé deux jours plus tôt.

 

***

 

La mine antichar que Mirjan Qerim était en train d’installer sur la première des trois piles du pont ferroviaire de Llozishtë, à 13 kilomètres au nord de Mitro, était de fabrication russe.

Le fameux modèle TM-72 à charge creuse des années 80, qui fit merveille lors de la guerre d’Afghanistan, allait encore reprendre du service au nord de Mitro.

Cette nuit-là de février était glaciale avec -8° au thermomètre et un vent à faire tomber les oreilles sur le chemin.

Mirjan avait les mains qui tremblaient, non pas à cause du froid, mais à cause du mécanisme ancien et grippé de cette satanée mine.

En plus de la vétusté, tout était noté en cyrillique bien sûr, pour que tout soit bien facile !

La mine avait été modifiée par son artificier afin de pouvoir la commander à distance avec un téléphone portable ce qui permettrait de la faire exploser quand le véhicule de la cible passerait sur le pont avec son convoi officiel.

Ça y est, la mine était maintenant sanglée à la pile, le détonateur avait été activé et le module téléphonique bidouillé par l’artificier était prêt à se déclencher.

Mirjan se recula doucement et plaça quelques branchages sur la mine pour la camoufler.

Tout était prêt pour qu’un événement majeur recommence à enflammer le Kosovo.

 

***

 

Mercier recevait ce matin-là les interprètes serbes pour la mission que Rémuzat avait baptisée la mission « Pigalle ».

Forcément, ça allait plaire au colonel !

Quatre interprètes se succédèrent dans le bureau de Mercier qui désespérait de leur niveau de langue française.

Il y a eu un qui avait même inventé une nouvelle langue, un mélange d’anglais, d’italien et de français, au demeurant assez mélodieux à entendre, mais complètement incompréhensible.

Mercier avait même appelé ses adjoints afin de détendre l’atmosphère et écouter ce baragouinage immonde.

Finalement, l’interprète ne se démonta pas et demanda à la fin : « C’est buene para moi traduire les mots serb ? »

Mercier ne put s’empêcher de lui dire « désoled toi not top du tout pour working para nous. »

L’éclat de rire général permit d’apaiser un peu l’ambiance de cette matinée.

Plus sérieusement, Mercier raccompagna amicalement l’interprète et lui glissa dans un anglais irréprochable :

— Sorry my friend, but your level in French does not correspond to what we expect. Maybe next time. For the moment we will continue to communicate in english ok ?

Après avoir raccompagné l’interprète, Mercier s’assit lourdement dans son fauteuil et commençait à se demander comment il allait bien pouvoir faire sans un interprète de bon niveau.

La traduction était quelque chose de très important. Chaque mot mal traduit pouvait prêter à confusion et avoir des conséquences désastreuses.

— Marcel, vous êtes là ? demanda Mercier au major.

— Toujours dans le bureau à côté, mon lieutenant.

— Ça vous dirait des cours accélérés de serbe ?

— Oui, et prenez-moi aussi un peu de poudre de perlimpinpin pour que ça aille plus vite encore, répondit Ursida amusé.

— Quelle misère, ce pays, se lamenta Mercier.

— Et pourquoi ? dit une voie féminine venue du couloir.

 

Les deux têtes de Mercier et d’Ursida sortirent en même temps de leur bureau pour voir qui leur répondait ainsi.

Une jeune femme se tenait dans le couloir. Bien campée sur ses jambes, vêtue d’une gabardine molletonnée beige et d’un pantalon moulant noir, elle laissait deviner une silhouette très sensuelle.

— Qui êtes-vous, demanda Mercier ?

Elle lui répondit dans un français impeccable où seul un léger accent slave tintait les mots prononcés.

— Svetla Mirkovic, interprète serbe, j’ai été appelée hier par votre secrétariat pour une demande d’interprétariat. Mais je suis un peu en avance. Je peux repasser si vous le souhaitez.

— Surtout pas. Entrez, je suis le lieutenant Mercier, le nouveau commandant du PGSI. Je vous en prie, prenez place.

— Ça aller good para vous, mon lieutenant ? lança Ursida en riant.

— Vous tenez à ce que je vous réponde, major ? lui dit Mercier en souriant.

— Ne faites pas attention, mademoiselle, le major est comique ce matin.

Le regard de Svetla se fixa dans celui de Mercier qui ne put s’empêcher d’éprouver un trouble. Il y avait quelque chose dans son visage qui le fascinait.

Un visage d’une grande beauté, des yeux d’un bleu intense qui étincelaient comme deux pierres précieuses, une bouche pulpeuse sous un petit nez retroussé et frondeur.

Mercier s’assit également et se pinça la peau du poignet sous le bureau en se disant mentalement de se ressaisir.

Svetla s’aperçut sans difficulté de ce trouble, mais ne le témoigna aucunement.

— Parlez-moi de vous et de votre travail pour la Kfor, lui demanda Mercier.

Svetla expliqua donc à l’officier, pour la centième fois, sa vie misérable au nord de Mitro, ses études de psychologie à l’université de Pristina, qu’elle avait dû abandonner à cause de la guerre, ses espoirs envolés, son père, ses oncles, ses cousins massacrés et son envie de se sortir de tout cela.

— Votre Français est excellent, si ça vous dit je vous prends comme interprète serbe, lui dit Mercier.

— Pour quelle mission ?

— Pour faire interprète serbe.

— Oui, mais que devrons-nous faire ?

— Pour me traduire les conversations en serbe, s’entêta Mercier. Pour le moment, c’est tout ce que je peux vous dire. Si ça peut vous rassurer, nous resterons côté serbe.

Le regard de Svetla changea et Mercier comprit que la personne qui était en face de lui n’était pas née de la dernière pluie.

— Quand partons-nous ? demanda-t-elle.

— Demain. Rendez-vous à SDK devant le bâtiment à 8 h, je vous en dirai plus. Bonne journée, madame Mirkovic.

— Svetla, si ça vous va, lui dit-elle.

— Alors à demain, Svetla.

La fin de la matinée fut employée par Mercier à préparer la mission du lendemain. Ils iraient à Leposavic, commune de 16 000 habitants à 32 kilomètres au nord-est, qui faisait partie du district de Mitrovica.

La mission consisterait à rencontrer quelques officiels de la ville, les directeurs des établissements scolaires et continuer à entretenir les liens avec les autorités civiles, hormis la police locale qui était corrompue jusqu’à la moelle.

L’objectif était de tenter d’avoir des noms ou des infos sur les trafics locaux qui polluaient ou freinaient le retour à une situation normale.

Les conflits ethniques étaient nombreux dans ces coins reculés qui comptaient encore des enclaves musulmanes.

La même problématique se retrouvait au sud de l’Ibar, en zone musulmane où quelques villages et quartiers serbes tentaient de se maintenir.

Cette région faisait penser au conflit israélo-palestinien et Mercier ne put s’empêcher de se demander comment les forces internationales en présence allaient pouvoir faire pour apaiser un conflit politico-religieux qui perdurait depuis des centaines d’années.

 

***

 

Mirjan Qerim attendait avec ses autres collègues interprètes KOA que les patrouilles de gendarmes mobiles viennent les récupérer pour partir sillonner les contrées sud de la ville à la recherche des infos.