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Betty est la troisième et dernière fille d'une sororerie où la venue d'un fils était attendue comme celle du Messie. Dans ce récit, Betty raconte le chemin parcouru pour chercher sa place et exister comme fille. Elle retrouve son regard d'enfant et partage son ressenti sur ce qu'elle a subi, au nom de l'alcool, au nom des choix et des non-choix de son père, elle raconte son quotidien, détricote croyances et tabous, pour enfin se libérer, retrouver sa vraie personnalité et suivre sa propre voie. "Betty - Chronique d'une enfance écorchée", c'est une tranche de vie et c'est aussi une belle histoire d'amour filial, plus fort que tout.
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Seitenzahl: 135
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À toi, Papa.
À mes enfants, Lucie, Jonas, Robin & Hannah.
« Chaque seconde qui passe, est une seconde naissance… » - Michel Jonasz
« Grandir n’est pas s’enrichir de quelque chose de nouveau, mais découvrir ce que l’on a déjà à l’intérieur » - Alexandre Jollien
« Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu. » - Jules Renard
Afin d’éviter tout malentendu, il est important de préciser que les faits qui sont relatés dans ce livre sont basés sur des situations que j’ai réellement vécues et qui ont marqué ma mémoire, ma vie.
J’y ai parfois apporté des éléments fictifs afin de donner de « l’épaisseur » à mon récit.
Des faits qui ne sont cependant que le reflet de ma propre perception et de ma sensibilité ; ils n’engagent que moi.
PROLOGUE
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
EPILOGUE
Avec le recul, je pense pouvoir dire que je n’ai pas eu une enfance malheureuse.
Une enfance bouleversée, certes, mais malgré tout une enfance heureuse.
Vivre malgré tout.
Malgré l’absence d’un père en souffrance.
Un père qui cherche le merveilleux et l’amour…
Mes parents ont eu 3 filles en 3 ans. Je suis la troisième et je suis arrivée comme un cheveu dans la bière…
Trouver ma place.
Comment les choix et les non-choix, les forces et les faiblesses, les qualités et les défauts de mon père ont-ils pu guider et influencer ma vie ?
Prendre ma place.
NAÎTRE Venir au monde - Commencer à exister - Voir le jour
20 septembre 1967.
J’ai décidé de venir au monde.
Neuf mois plus tôt, j’ai été conçue dans l’ivresse et l’abnégation : l’ivresse de mon père et l’abnégation de ma mère pour qui l’envie de faire l’amour n’est déjà presque plus présente.
Ma mère est, comme on dit, résignée. Elle se tait pour ne pas faire naître la colère un soir de plus où mon père s’est laissé aller à boire des bières à n’en plus pouvoir pour oublier. Pour le calmer, elle a décidé de se taire et de céder à son besoin de chair qui est presque aussi grand que celui de l’alcool. Deux addictions qui ont pour effet d’apaiser, en apparence du moins, son mental torturé.
Je ne suis pas, à proprement parler, une enfant désirée. Toutefois, je sais que je suis attendue dans la joie… et l’inquiétude. La joie de ma mère qui veut une famille nombreuse ; l’inquiétude de mon père qui désire un fils.
Il faut dire que j’ai déjà deux grandes sœurs, que l’échographie n’existe pas encore et qu’il n’a donc pas su se préparer à la venue éventuelle d’une nouvelle fille. Cela est suffisant pour qu’il en soit préoccupé.
Barbara a eu 2 ans en juin dernier, et Blanche vient de souffler sa première bougie il y a une quinzaine de jours. J’ai hâte de les rencontrer, elles qui vont grandir et partager leurs jeux avec moi ! Trois nanas ensemble, ça va déménager !
Pour l’heure, je suis toujours bien au chaud, blottie dans le ventre de notre maman et j’hésite à franchir le pas… Pourquoi ? Est-ce que je devine ce qui m’attend ? J’ai pourtant bien fait le choix de cette famille-là. Mon chemin sera-t-il semé de nombreuses embûches qui me détourneraient de ma trame initiale ?
Durant ces derniers mois, j’entends régulièrement en sourdine depuis le ventre de ma mère, la Suite n°1 pour violoncelle de Bach qui s’invite telle une musique d’ambiance dans un hôtel de luxe. Les dernières notes me donnent l’impulsion et sont le signe qu’il est temps de montrer qui je suis ! J’arrête de me poser des questions ; je m’en poserai bien assez plus tard ! J’y vais !
C’est moi, Betty ! Je viens de naître et je suis heureuse qu’enfin mon âme ait pris corps. Aujourd’hui est un grand jour : je vais pouvoir, grâce à cette enveloppe charnelle, mettre en pratique ce pour quoi j’ai décidé de venir mettre un pied sur cette Terre. Je connais la mission qui est la mienne !
La première personne que je peux voir et qui me prend dans ses grandes mains, fermes et douces à la fois, est le docteur Salomon. Merci de m’avoir aidée à faire le grand saut ! Cet élégant gynécologue, aux cheveux grisonnants et tombants sur les épaules, me met directement sur le ventre de celle que je peux affirmer, grâce au cordon qui nous lie encore, être ma maman. C’est elle qui, pendant ces derniers mois, m’a fait grandir dans les antres de son corps déjà tellement fatigué par ses précédentes grossesses vécues à un an d’intervalle chacune…
Elle se prénomme Marie comme la maman de Jésus. D’ailleurs on pourrait penser que c’est elle en personne tellement le premier regard qu’elle pose sur moi témoigne d’un amour déjà grand. J’espère que nos pensées se rejoignent car l’envie de la remercier d’être celle qui va continuer à veiller sur moi, maintenant que je suis de ce monde, est forte. On dirait que cela fonctionne : dans l’instant, elle met ses bras frêles autour de mon petit corps, me pose un baiser sur le front et me souhaite la bienvenue… Je suis aux anges !
Un grand gaillard, qui jusqu’alors se tenait un peu en retrait, l’air angoissé, s’approche d’elle et vient vérifier le verdict prononcé par le docteur dès la sortie de mon nid douillet : oui je suis bien une fille. Encore une ! Lui doit être Léopold, mon papa, et il aurait tellement aimé entendre que j’étais un garçon… Il dépose un baiser sur la main de sa chérie, lui sourit gentiment, me caresse la joue du bout des doigts et leurs regards se croisent sans rien se dire… Ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Le regard de maman est une demande de pardon, la désolation se lit dans celui de mon père.
Mes parents se sont rencontrés il y a environ 5 ans, alors qu’ils avaient tous deux 20 ans. À l’époque, Ernestine, ma grand-mère maternelle, tenait un café dans une partie de la maison familiale. C’est là, accompagné de ses frères, que mon père a fait sa connaissance et qu’ils se sont parlé pour la première fois. Elle donnait un coup de main et faisait sourire les clients qu’elle battait fièrement au kicker qui trônait au beau milieu du troquet. Le juke-box leur soufflait à l’oreille une chanson qui restera « leur chanson ». « Elle était si jolie, que je n’osais l’aimer… » chantait Alain Barrière.
Maman a un seul frère, de 6 ans son aîné. Par contre, mon père est le sixième d’une famille nombreuse et a onze frères et sœurs. Il est arrivé trop vite après le décès d’une petite fille qui a vu le jour quelques mois avant lui, pour se faner à la même vitesse qu’un coquelicot une fois qu’on l’a déraciné de sa mère la Terre. Je sais qu’il a dû se faire une place, élevé par Léopold (1er du nom) père idolâtré et imposant par sa prestance et son rôle d’instituteur au sein du village, et par Jeanne, mère, comment dirais-je… dépassée… qui n’a sans doute pas su percevoir, et lui donner, toute l’attention et tout l’amour dont il avait besoin. Il porte le même prénom que son géniteur, et je pense que ce n’est pas un cadeau pour prendre sa place lorsqu’on a une personnalité fragile comme la sienne. Incompris, il n’a pas été estimé à sa juste valeur. Il aurait aimé devenir psychologue, mais il n’a pas eu la chance de naître dans les premiers. Ses parents avaient déjà mis beaucoup d’argent dans les universités pour les aînés, alors il a décidé de devenir instituteur, comme son père : même prénom, même métier, mais pas même combat. Mon père en a souffert et leur en a voulu, mais, à cette époque se souciait-on du bien-être de l’enfant, de l’adolescent ? C’était ainsi…
Une fille (presque unique) et un fils parmi d’autres : un monde de différence. Assez rapidement, maman a décelé son mal-être, mais une personne éperdument amoureuse pense toujours que cela va s’arranger, que tout l’amour qu’elle va donner va lui permettre de pallier ses manques, de panser ses blessures, d’adoucir ses rancœurs !
Lorsqu’ils se sont mariés, mes parents ont quitté leur petit village de campagne pour venir vivre à Daenen, ville d’environ 25.000 habitants, où de nombreux commerces ont trouvé leur place. Notre appartement est justement situé dans une rue commerçante et est entouré de part et d’autre de boutiques diverses. Au premier étage se trouvent la cuisine, le salon et la salle de bain. Trois pièces qui seront le théâtre de moments de colère, de tristesse et parfois aussi, de joies. Au deuxième, il y avait trois chambres : une pour mes parents, une pour les amis, la troisième pour Barbara, Blanche et moi. C’est là, qu’à maintes reprises, enfouies sous les draps, nous attendrons le moment de savoir si les portes claqueront ou pas… Le rez-de-chaussée est occupé par « le Chas perché », la mercerie de maman. Chaque jour, elle y travaille sans laisser percevoir à ses nombreuses clientes, le moindre désarroi sur ce qu’elle vit au quotidien. Chez elle, le sourire est de mise en toutes circonstances. C’est ce lieu qui nous permettra, à elle et à nous, de garder la tête hors de l’eau. Maman s’occupe des autres, elle porte de l’attention et apporte de l’aide à ceux qui l’entourent : nous, mais aussi, ses amis et amies, ses voisins et voisines, ses clientes. Papa aussi s’occupe des autres. Les blessés du cœur comme lui ont droit à ses faveurs dans les effluves d’alcool, de tabac et la plupart du temps, dans des lieux tristes et sombres. Mon père ne boit pratiquement jamais à la maison ; il a un alcoolisme que l’on dit « social ». Est-ce une chance ? Je ne sais pas. Son but est de rencontrer du monde et de faire et refaire le monde. Lorsque l’horloge indique 17h30 et qu’il n’est pas à la maison, je sais pertinemment qu’il a pris la direction du café…
Maman est une mère courage ; elle fait partie de cette catégorie de femmes qui résistent aux difficultés et qui se battent, telle l’héroïne de Bertolt Brecht, pour nous éviter des ennuis. Elle prend sa place à sa façon et nous laisse penser qu’elle ne perd jamais pied. Maman est une sainte. D’ailleurs, papa le dit souvent lorsqu’il rentre tard : « Votre mère la sainte Église ! ». Est-ce qu’il pense ce qu’il dit ? Se moque-t-il ou est-ce une vérité pour lui ? Lui est un père déserteur ; il fait partie de cette catégorie d’hommes qui se trompent de combat. Il baisse les bras face aux responsabilités qu’il a envers nous et même envers lui-même. Sa devise pourrait être « Courage, fuyons ! » Peut-être, faut-il avoir du courage pour fuir ?
Aujourd’hui, il se retrouve face à une triste réalité pour lui : il n’a toujours pas de fils ! Trois filles en trois ans… Belle performance même si cette annonce n’est pas celle que mon père espérait. Va bien falloir qu’il s’y fasse ! Je ne deviendrai pas un garçon manqué pour la cause… Telles les majorettes que j’admirerai plus tard au carnaval de Daenen (qui sont pour moi de parfaites représentantes de la féminité), je veux devenir l’antipode de ce qu’il désire puisque je ne saurais rien y changer. Mon ambition est de devenir une fille accomplie parfaite en son genre.
INSOUSIANCE État d’une personne qui ne se préoccupe pas de quelque chose, ne s’en inquiète pas.
Un dimanche de l’été 1971.
J’aurai bientôt 4 ans.
Nous sommes en famille, chez mes grands-parents maternels, « Parrain et Marraine d’Andouin », qualificatifs qui leur sont donnés en référence au village où est posée leur belle demeure toute en pierre du pays. La douceur et le soleil du jour nous font prendre l’air dans le jardin qu’entretiennent, avec une passion sans limites, Ernestine et Félix, les parents de maman. Le potager est le territoire de mon grand-père. Les rosiers, les azalées et autres merveilles qu’elle a posés en terre sont bichonnés par les mains érodées de ma grand-mère.
Le temps est radieux et propice à l’insouciance. Il est certain qu’à ce moment de ma vie, haute comme trois pommes, je ne me préoccupe de rien, la vie est encore légère. Je n’ai pas conscience de la pression que je vais m’imposer et je profite de ce moment où nous sommes tous réunis. J’ai encore bien le temps de me charger de l’anxiété qui fera bientôt partie intégrante de mon être et de ma personnalité. J’entends une petite voix en moi me suggérer : « Profite Betty, profite ! » Et je profite !
Dès notre arrivée à Andouin, j’enfourche le tricycle couleur ciel sans nuages, qui fait le bonheur de mes sœurs et moi. Il a déjà bien vécu, mais est toujours opérationnel. C’est avec ferveur que je me mets à parcourir les allées du jardin, les boucles au vent, emplies de cette légèreté propre à l’enfance.
Apparu comme par enchantement, je devine mon père dans l’antre de la porte sur le haut du majestueux escalier de pierre qui, depuis la maison, donne accès à ce jardin extraordinaire. Il est entouré d’un halo mauve pâle, légèrement bleuté, celui de l’imposante glycine qui encercle la porte tels des bras amoureux. Il descend les marches de manière détachée et désabusée, s’assied sur l’avant-dernière d’entre elles et allume une cigarette. C’est certain, à cet instant précis, ce n’est pas chez ses beaux-parents qu’il aimerait être. Venir jusque-là est loin d’être une partie de plaisir pour lui. C’est plutôt un sacerdoce. Il les nie presque constamment. Surtout les soirs que je nommerais « sans noms », quand ses paroles ne sont plus en accord (c’est ce que je penserai plus tard) avec la véritable considération qu’il a pour eux : « Tous des cons, ces bigots de première ! » À même pas 4 ans, je suis à mille lieues de comprendre pourquoi il tient de tels propos.
J’arrête ma course folle et je viens le rejoindre pour un moment privilégié avec lui. Je « sais » déjà ces moments rares et, tout comme pour mon insouciance, je décide d’en profiter. Je l’observe et, afin d’attirer son attention exclusivement sur moi, je lui demande innocemment de me montrer comment tenir cette chose fumante et intrigante qu’il porte à ses lèvres avec délectation. Il est évident qu’il ne va pas me faire fumer, mais cela l’amuse de braver l’interdit, et il se prend au jeu. Ensemble, nous rigolons beaucoup et ce n’est que du bonheur. Pourtant de manière sournoise et inconsciente, un processus s’enclenche… Il va falloir aimer ce qu’il aime pour qu’il m’aime…
Maman, coiffée de son inséparable chignon haut, est restée dans le fond du jardin et pousse, machinalement à la manière d’un métronome, mes sœurs assises chacune sur une balançoire. Barbara et Blanche s’amusent follement. Maman à l’air ailleurs. Elle sourit sans sourire et ressemble à une statue animée. Elle pense déjà au retour vers Daenen (qui va très certainement arriver bientôt) alors qu’elle aimerait tant rester auprès de ses parents, lieu qui la rassure et où elle se sent protégée. Comment va se terminer la journée une fois arrivés chez nous ? C’est à cela qu’elle songe… Elle profite des dernières minutes de répit et, comme elle l’a pressenti, mon père vient la rejoindre pour sonner le rappel. Il crie qu’il est temps d’y aller ! Ma mère le connaît par cœur… Une fois la décision prise par mon père, il ne faut surtout pas traîner. Il ne faut pas l’énerver… J’ai eu la chance de bénéficier des quelques minutes qu’il m’a accordées ; j’en suis ravie.
Nous replions bagages et montons dans la VW Coccinelle aussi verte qu’une olive de Provence.