Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Après une paisible sortie en famille, Fabrice et Carole se retrouvent piégés dans un village étrange. Leur rêve de passer un bon moment se transforme vite en cauchemar et entraîne leur inquiétante disparition. L’adjudant Dominique Vérant et son collègue Théodore Boiteau, chargés des investigations aux tumultueuses péripéties, sont loin de se douter des surprises que cette enquête leur réserve. La région de la Brenne, avec ses forêts profondes et ses étangs marécageux, sert d’écrin à ce récit.
À PROPOS DE L'AUTEUR
À travers ses écrits,
Laurent Bobinet veut, avant tout, emporter ses lecteurs dans des aventures divertissantes, mêlant suspense, amour et fantastique. Il débute son premier roman en 2019 et avec "Bienvenue au village des rêves", il en est à présent à son sixième.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 422
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Laurent Bobinet
Bienvenue au village des rêves
Roman
© Lys Bleu Éditions – Laurent Bobinet
ISBN : 979-10-422-1482-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité.
Antoine de Saint-Exupéry
Il faut savoir se prêter au rêve lorsque le rêve se prête à nous.
Albert Camus – « Noces »
On ne naît pas femme, on le devient.
Simone de Beauvoir,
« Le Deuxième sexe », 1949
Les hommes sont des femmes comme les autres.
Groucho Marx
Du même auteur
Le Souterrain, CoolLibri, 2020 ;
Le Collier de Belle-Assez, Edilivre, 2022 ;
Retour à Slano, Librinova, 2021 ;
La Prophétie des Cinq Lunes, Edilivre, 2022 ;
Où cours-tu, Charly ?, Librinova, 2022.
Parc naturel régional de La Brenne, département de l’Indre
Dimanche 3 mars 2019
Les phares éclairaient faiblement la petite route de campagne et ce n’était pas ce qui inquiétait le moins Fabrice qui n’osait plus mettre ses feux de route depuis qu’il avait détecté des signes de faiblesse dans le système d’éclairage de sa Peugeot 407 SW qui n’affichait pourtant que cent vingt-trois mille kilomètres au compteur.
Il leur fallait quasiment deux heures de route pour rejoindre Sammarçolles, dans le département de la Vienne où ils habitaient, depuis Arthon, petite commune de l’Indre où résidaient les parents de Carole. Le trajet n’était qu’une succession de routes départementales relativement étroites qui traversaient de part en part le parc régional de la Brenne. La portion sur laquelle il roulait prudemment ne comportait pas de lignes de rives, et même si la route était rectiligne, Fabrice aurait bien aimé pouvoir activer les pleins phares afin d’être mieux guidé pour ne pas trop frôler l’accotement lorsqu’il croisait de rares véhicules en sens inverse. Il ne prenait même pas le risque de faire des appels de phares aux voitures d’en face, lorsque celles-ci l’éblouissaient en oubliant de passer des feux de route aux feux de croisement, ce qui l’agaçait particulièrement.
Dans cette nuit noire, la succession des prairies qui se devinaient de part et d’autre de la route donnait l’impression de rouler dans un tunnel noir. Puis, des taillis de saules et des rangées de chênes têtards s’étaient échelonnés au long du trajet démontrant la présence de zones humides à proximité. Enfin, les grands arbres s’étaient, petit à petit, rapprochés de la chaussée lorsque le véhicule avait pénétré dans l’imposante forêt domaniale de la Brenne. Hormis dans les zones où des coupes de bois avaient été réalisées, les hautes branches des arbres se rejoignaient presque de part et d’autre de la route.
Fabrice surveillait son tableau de bord, qui, de façon inquiétante, s’éteignait par intermittence.
Fabrice et Carole s’étaient rencontrés il y a onze ans au Festival Ludique International de Parthenay, dans les Deux-Sèvres. Tous deux, amateurs de jeux de plateaux et de stratégie, avaient eu l’occasion de jouer sur plusieurs stands avec leurs amis respectifs et étaient restés ensemble jusque tard dans la nuit. Ils étaient immédiatement tombés amoureux l’un de l’autre. Ils s’étaient installés à Loudun où Carole travaillait et avaient rapidement eu envie de fonder une famille. Leurs difficultés pour avoir leur premier enfant avaient renforcé leur couple et leur bonheur familial faisait plaisir à voir.
La lune n’était pas encore montée dans la voûte céleste et ne se montrait pas encore. Des nappes de brume s’invitèrent sur l’asphalte lorsque la voiture arriva vers la zone des étangs.
Il faut dire que ce grand parc régional de la Brenne rayonnait sur plus de cinquante communes et disposait de plus de trois mille étangs et zones de marais. Fabrice et Carole avaient l’habitude de cette route qu’ils empruntaient plusieurs fois par an, mais rarement de nuit.
Au vu de ces langues de brouillard éparses, Fabrice ralentit un peu plus l’allure. La zone, éclairée par les phares, paraissait rétrécir au fil des kilomètres, obligeant Fabrice à écarquiller les yeux.
Et puis, ce fut le trou noir !
La voiture poursuivit sa route en roue libre, n’étant plus alimentée par le moteur. Le tableau de bord s’était éteint en même temps que les phares.
Il freina et guida sa voiture vers l’accotement qui, heureusement, était assez large sur cette portion de route.
Fabrice, qui avait mis la boîte de vitesse au point mort pour profiter de l’inertie, parvint à guider la voiture vers l’endroit indiqué. Après le silence soporifique de la première partie de trajet, le bruit et les secousses surprirent les occupants.
Les enfants, soudainement ballottés, se cognèrent le crâne contre les vitres latérales arrière et se réveillèrent en sursaut.
Fabrice avait arrêté le véhicule dans le chemin à quelques dizaines de mètres de la chaussée. Des lambeaux de brume entouraient la voiture.
Malgré l’obscurité, il vit les gros yeux que roulait Carole en lui faisant un signe de tête désignant les enfants qui n’avaient pas besoin d’être apeurés.
Carole fouilla dans son sac à main et prit son smartphone qui refléta une lumière bleutée sur son visage lorsqu’elle l’activa.
Fabrice sortit de l’habitacle et ferma doucement la porte. Il contourna la voiture et en ouvrit la porte du coffre pour attraper son manteau posé sur la plage arrière. Puis, il alla se poster sur le bord de la route. Il sortit son paquet de cigarettes de sa poche et s’en alluma une.
Il n’était plus le grand fumeur qu’il avait été et se contentait désormais de deux paquets par semaine. Tout juste âgé de quarante ans, Fabrice, autrefois sportif, s’était légèrement arrondi après avoir complètement arrêté de fumer à la naissance de Ghislain, son petit dernier de quatre ans. Celui-ci avait contracté une infection pulmonaire quelques semaines après sa naissance, et Fabrice en avait nourri un sentiment de culpabilité.
Il avait cependant renoué avec la cigarette au début de l’année dernière lorsqu’il avait perdu son emploi de responsable d’une ligne de production dans une usine de chaussures aux Trois-Moutiers, commune située à une quinzaine de kilomètres de Sammarçolles. La marque avait délocalisé toute sa production au Maroc et la plupart des salariés avaient bénéficié d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui n’avait de sauvegarde que le nom pour ne pas le désigner tel qu’il était vraiment : un plan de licenciements.
Des formations avaient été proposées à la plupart des salariés tandis que pour certains chanceux, un reclassement avait été trouvé. C’était le cas de Fabrice qui travaillait, depuis, dans un entrepôt logistique à Savigny, dans le département voisin d’Indre-et-Loire, fort heureusement pas très loin de son lieu de résidence. Mais ce changement avait été source de stress et du retour de la cigarette dans sa vie. Il avait perdu aussi quelques cheveux, mais conservait encore une belle tignasse brune. Ses yeux foncés et sa barbe lui conféraient une allure posée et rassurante.
Carole, qui l’apercevait dans le rétroviseur, se mit à fredonner doucement une chanson enfantine, autant pour rassurer ses enfants qu’elle-même. Romain, les yeux grands ouverts dans cette obscurité angoissante, resta muet, mais Ghislain se mit à chanter avec sa mère, tout en gardant son pouce dans sa bouche et son doudou collé sous son nez.
Carole allait, dans quelques mois, avoir le même âge que son mari et était, contrairement à lui, très sportive. Elle était Atsem1 à l’école maternelle de Loudun, chef-lieu de canton du nord du département de la Vienne, situé tout près de Sammarçolles. Ses cheveux châtains et mi-longs s’accordaient parfaitement avec ses yeux bleus qu’elle marquait d’un petit trait de crayon noir pour souligner son regard.
Au bout d’un moment, lassée de chanter, elle s’arrêta en voyant Fabrice, découragé lui aussi par le silence pesant de la nuit, revenir vers la voiture.
Carole enfila son gros manteau en tricot et vêtit les enfants de leur blouson fourré. Fabrice voulut verrouiller les portes par la fermeture centralisée de sa clé, mais cela ne fonctionna pas. Il en fut quitte pour fermer sa voiture en introduisant la clé dans chaque serrure. Et ils se mirent en route.
Après une centaine de mètres de trajet, Fabrice et Carole aperçurent, en retrait de la route, une vieille pancarte mangée par les ronces et dont les inscriptions disparaissaient sous la mousse et le lichen. Carole prit son smartphone et en activa la lampe de poche.
Effectivement, quelques dizaines de mètres plus loin, une petite route, introduite par un panneau mentionnant une impasse, s’enfonçait dans la forêt. La voie tenait presque plus du chemin forestier que d’une route tant les herbes la recouvraient. Les racines des arbres les plus proches soulevaient le bitume, qui ne datait pas d’hier, en de multiples endroits, de nombreuses branches le parsemaient, obligeant Carole à laisser sa lumière de téléphone constamment allumée pour assurer la bonne marche de la troupe.
En suivant la petite route, ils arrivèrent bientôt à un large portail métallique qui fermait une haute clôture de grillage. Un panneau mentionnait « Entrée interdite – Propriété privée ».
Fabrice suivit le grillage sur quelques mètres.
Fabrice et Carole attrapèrent chacun un bout de grillage et tirèrent dessus de toutes leurs forces. Quelques mailles cédèrent, laissant une ouverture suffisante pour s’y faufiler.
En se glissant à quatre pattes dans l’interstice, Carole resta accrochée par son manteau de laine à un crochet de grillage.
Il la dégagea, en tirant sur les mailles du manteau, puis passa à son tour.
Après avoir marché durant un moment qui leur parut très long, et alors que la lumière vacillante leur paraissait pourtant s’éloigner toujours plus, des maisons, masquées par la brume nocturne, se dessinèrent bientôt devant eux. En s’avançant, ils eurent une drôle d’impression. La lueur qui les avait attirés était celle d’une lampe qui se balançait sous une pergola dont la verrière était cassée. La plupart des maisons avaient des formes bizarres, comme sorties d’un rêve. La lumière vacillante leur donnait presque vie et les ombres créées serrèrent les estomacs des deux adultes qui, chacun d’eux, entourèrent leurs enfants de leurs bras en guise de protection.
De petites maisons s’échelonnaient de part et d’autre de cette rue en retrait de trottoirs envahis d’herbes et de ronces qui habillaient sinistrement les réverbères éteints et comme guillotinés de leur réflecteur pour certains d’entre eux.
Ils étaient dans une rue d’un village semblant inhabité… un village fantôme !
Fabrice et Carole se regardèrent tout à coup. Une odeur particulière montait à leurs narines. Ils se questionnèrent du regard pour tenter d’identifier cette fragrance, pas désagréable au demeurant, qui les enveloppait de plus en plus.
Bientôt, les candélabres s’allumèrent un à un tout au long de la rue. Même ceux qui leur avaient semblé étêtés au premier coup d’œil avaient retrouvé leur bec de lumière. Les trottoirs s’éclairèrent et retrouvèrent par la même occasion un bel aspect propre et entretenu. Les maisons semblèrent soudainement habitées d’une vie intérieure puisque de la musique émanait de certaines d’entre elles et, depuis d’autres, des discussions transpiraient des murs de pierre.
Fabrice et Carole se regardèrent et respirèrent un grand coup, voyant la vie animer ce village providentiel. Ils partirent d’un grand rire, entraînant leurs enfants dans leur hilarité. Ils se sentaient à la fois soulagés et heureux, déchargés de toute tension, oubliant presque la raison de leur présence.
Oui, cela leur sauta à l’esprit. C’était bien une odeur de chocolat chaud qui leur chatouillait les narines depuis quelques minutes.
Ils s’approchèrent, mais virent rapidement que le monsieur en question n’était, en fait, qu’un automate, dont le tronc, surmonté d’une tête affublée d’une perruque de valet du dix-huitième siècle, était fixé à une fontaine disposée sous une pergola éclairée d’une guirlande multicolore. Ses gestes fluides reproduisaient à la perfection ceux d’un humain.
La bonne odeur de chocolat faisait saliver toute la petite famille. Il tendit un gobelet du breuvage tiède aux enfants qui s’en emparèrent et burent avec délectation. Fabrice et Carole se laissèrent tenter aussi.
La panne était oubliée, ainsi que leur situation précaire. Ils avaient envie de goûter l’instant présent et des rires d’enfants qui montaient depuis le bout de la rue les remplissaient de gaieté et de contentement.
L’automate tendit le doigt vers l’entrée de la maison, et, lui rendant leurs gobelets, ils suivirent son invitation. Un panneau coloré mentionnait « Rêves de Gourmandise » au-dessus de la porte.
Dès le seuil, Fabrice et Carole s’aperçurent que Romain et Ghislain étaient affublés d’un déguisement de Superman pour le premier et de pirate pour le petit. Des buffets étaient servis avec opulence et chacun put, à satiété, combler le petit creux qui s’était ouvert dans leurs estomacs. Les magnifiques desserts étalés devant eux appelaient leurs désirs gourmets. Des flèches les orientaient dans le dédale de la maison, dont chacune des pièces présentait une profusion de nourriture sur des thèmes différents. Ils arrivèrent bientôt dans une coursive annonçant l’entrée dans une autre maison, un nouvel univers.
Loin d’imaginer un quelconque souci dans un lieu si bienveillant et sympathique, Fabrice et Carole laissèrent leurs deux enfants retourner dans la première maison et accédèrent à la seconde.
L’ambiance n’avait plus la couleur joyeuse et rose de la précédente. Une nouvelle odeur chatouilla leurs odorats dès qu’ils en franchirent le seuil. La luminosité était faible et leurs yeux eurent du mal à s’y habituer. La première pièce était dépouillée de tout meuble et l’on entendait des portes grincer à l’étage. Ils voulurent retourner vers le corridor qui les avait amenés jusqu’ici, mais en parcourant la pièce des yeux, ils s’aperçurent avec appréhension que la seule issue était désormais un vieil escalier en colimaçon qui montait vers l’étage et semblait craquer de peur. Ils ne retrouvaient plus le passage vers le corridor par lequel ils étaient entrés.
Fabrice, comme Carole, sentirent une angoisse sourde nouer leurs gorges, mais tout autant, un agacement bouillir dans leur crâne, sans avoir la capacité d’analyser d’où leur venaient ces émotions déplaisantes.
Fabrice regarda Carole avant de s’engager dans les marches. Le rimmel de celle-ci avait coulé affreusement sur ses joues et de ses cheveux complètement décoiffés, tombaient des lambeaux de toiles d’araignées. Fabrice détourna le regard de ce visage qui le remplit d’effroi.
Carole s’exécuta. L’escalier n’en finissait pas de tourner et de grimper.
Ils n’étaient même pas surpris eux-mêmes de leur langage grossier et inhabituel.
Ils arrivèrent alors dans une nouvelle grande pièce ressemblant à une cuisine. Le sol était comme un miroir et les quatre murs tapissés d’un vieux papier peint, jauni, sale et tâché. De grandes auréoles de moisissures le maculaient, mais surtout un liquide visqueux rouge, tel du sang, dégoulinait d’un pan de mur. Un rat fit entendre le bruit rapide de sa course sur le miroir du sol ainsi que son couinement sinistre alors même que son ombre, excessivement agrandie, filait sur le mur par le jeu de lumière d’un spot opportunément placé. Une chaleur incommodante faisait suffoquer le couple depuis qu’ils avaient pénétré dans la pièce.
Fabrice en perdit l’équilibre et s’affala lourdement en se cognant la tête sur le meuble de l’évier.
Deux portes mentionnant chacune leur prénom se tenaient à l’opposé l’une de l’autre de la pièce. Carole se précipita vers la sienne et l’ouvrit. Par réflexe, Fabrice fit de même. Ils savaient parfaitement ce qu’ils y trouveraient. L’atmosphère était électrique et des rires démoniaques diffus leur parvinrent aux oreilles puis devinrent de plus en plus assourdissants.
Au dos de la porte portant son prénom, Fabrice découvrit une maxime dont l’écriture en lettres de sang coulait encore fraîchement : « C’est elle ou toi ! ».
Carole lut la même phrase au masculin derrière « sa » porte.
Chaque placard renfermait un véritable arsenal de couteaux de cuisine et de feuilles de boucher. Dans la pièce, au-dessous d’une pendule abandonnée par ses aiguilles, trônant tristement au milieu du mur principal, était accrochée une ardoise sur laquelle était peinte soigneusement la mention « Au menu du jour ».
Dessous était écrit à la craie : « Cauchemar en papillotes ».
Loudun, département de la Vienne
Lundi 4 mars 2019
En ce lundi matin de rentrée scolaire, après les vacances de février, Sophie était inquiète et regardait sa montre au moment où Josiane, la directrice de l’école maternelle de Loudun passait dans la cour pour aller ouvrir le portail aux enfants qui, accompagnés de leurs parents, se pressaient devant, attendant l’heure fatidique de l’ouverture.
Sophie avait déjà tenté en vain d’appeler Carole à plusieurs reprises. Elle lui avait laissé un message sur sa messagerie vocale et adressé un texto. Elle fit une nouvelle tentative d’appel lors du temps de récréation.
Elles se connaissaient bien toutes les deux et les deux couples s’étaient reçus à plusieurs reprises pour des barbecues à la belle saison. Sophie n’avait pas le téléphone de Fabrice. Aussi, à l’heure du repas, elle décida de se rendre à Sammarçolles, chez Carole et Fabrice.
Ils résidaient à l’entrée du petit bourg et Sophie stationna sa voiture devant la maison clôturée d’un muret peint en blanc et surmonté de briquettes rouges. Tous les volets étaient ouverts, semblant indiquer la présence récente des propriétaires. Elle sonna au portillon et attendit un moment, mais ne perçut aucun mouvement.
La voisine de la maison juste en face ouvrit sa fenêtre :
La voisine la regardait faire depuis sa fenêtre. Sophie l’entendit parler à quelqu’un derrière son épaule. Elle appuya sur la sonnette de la porte d’entrée et se retourna face à la voisine qui la guettait.
Sophie fit quelques pas sur sa gauche pour se porter à la hauteur de la porte-fenêtre dont les rideaux cachaient la vue sur la pièce. Elle appuya son oreille contre la vitre.
Elle se retourna vers la voisine en lui faisant un signe négatif de la tête. Appuyée sur le montant de la fenêtre, celle-ci lui fit signe de venir. Lorsque Sophie referma le portillon, la voisine lui dit :
Sophie suivit les indications de la voisine et arriva dans la cuisine où de bonnes odeurs de cuisson embaumaient la pièce.
***
Sophie avait regardé le film du soir d’un œil distrait en sirotant sa tisane. Dès le générique, elle prit son manteau et chaussa ses bottines.
Vingt-cinq minutes plus tard, Carole coupait le moteur de sa voiture dans le garage de son sous-sol.
Parc de la Brenne, département de l’Indre
Dimanche 3 mars 2019
Une alerte se déclencha sur son ordinateur portable. Il se leva du vieux canapé au cuir craquelé et alla jeter un coup d’œil sur son écran. C’était le plus souvent un renard, une martre, un lapin ou tout autre animal qui déclenchait les alarmes, dans cette partie de la forêt.
Il fit quelques manipulations sur son clavier et contrôla les informations qui défilaient sous ses yeux.
Il replia l’écran de son PC, le glissa dans sa sacoche, enfila sa veste de pêche et sortit en direction de la zone abandonnée du parc.
Le noir avait envahi la nuit depuis plus de trois heures et l’humidité froide des étangs faisait monter des langues de brouillard envahissant la forêt qui les entourait. La température fraîche et l’ambiance spectrale de cette nuit brumeuse étaient idéales, pensa-t-il. Lui savait parfaitement se repérer, même sans lumière, au milieu de ces bois qu’il avait souvent arpentés depuis toutes ces années.
Il calcula qu’il disposait de cinq minutes au maximum pour mettre le piège en place. Il se mit donc au petit trot, car le local en question était à l’intérieur de l’enceinte du parc, contrairement à la petite ferme délabrée où lui et Rosa vivaient incognito plusieurs mois par an. Il y avait un peu plus de trois cents mètres jusqu’au bunker étanche renfermant la salle de commande et enterré au milieu d’un épais taillis de thuyas. Un étroit interstice entre les branches enchevêtrées permettait de s’y faufiler et, au beau milieu des troncs serrés les uns contre les autres, un tapis de broussailles, disposé fort à propos, masquait l’accès à ce local secret. Pour y pénétrer, il actionna la petite télécommande qu’il gardait en pendentif sur lui et ouvrit la trappe métallique à l’aspect rouillé. Puis il la referma derrière lui. La lumière s’éclaira automatiquement au-dessous de lui. Il descendit quelques marches pour arriver dans une pièce étroite, propre et cimentée du sol au plafond. Ce local, situé en contrebas de l’ancien « Village des Rêves », était autrefois, le cœur secret du système de distribution des gaz hallucinogènes.
Le mur du fond était entièrement recouvert d’une plaque de métal aux motifs « grain de riz ». Il appuya sur l’un d’eux à un endroit précis, complètement anonyme par rapport à l’ensemble, et le panneau entier glissa sans bruit, laissant apparaître une autre pièce plus importante. De nombreux tubes et flexibles multicolores montaient depuis le sol, puis s’étageaient le long des murs pour rejoindre un autre local rempli de bonbonnes de gaz et de petites citernes. Au centre de la pièce, un pupitre de commandes hérissé de boutons et de diodes prenait une place imposante. Il sortit son ordinateur portable et le posa sur une tablette. Puis il le relia à des cordons périphériques qui émergeaient du pupitre pour le connecter au système.
Ses connexions s’établirent et son PC réafficha la mosaïque d’images vidéo, issues de la dizaine de microcaméras disposées discrètement autour et à l’intérieur de l’ancien « Village des Rêves ». Elles étaient suffisamment perfectionnées pour lui permettre de parfaitement visualiser les déplacements des personnes en pleine nuit grâce à leurs capteurs infrarouges.
Il manœuvra une série de vannes sur certaines des tubulures présentes et enclencha certains boutons. Il attendit quelques instants, puis il appuya sur quelques touches de son PC. Les candélabres de la rue s’illuminèrent au rythme de la progression du petit groupe. Il joua à nouveau du clavier afin d’attirer leur attention et de les amener exactement là où il le souhaitait… vers Jojo l’automate et le pavillon dont il marquait l’entrée.
Il entendit son talkie-walkie émettre un chuintement, indiquant que Rosa était en place et s’apprêtait à lui parler. Elle était moulée dans une combinaison noire des pieds à la tête et chevauchait un gros quad électrique auquel était attelée une remorque. Elle se stationna au pied des grands thuyas entourant le bunker et actionna son talkie.
En attendant le signal de sa sœur, Marcus ouvrit le tiroir du pupitre devant lui. Il ne contenait qu’une unique enveloppe décachetée. Il en sortit une photo qu’il regarda ainsi qu’il en avait l’habitude. Il s’apprêtait à déplier la lettre qui les accompagnait, quand il entendit le « Bip » émanant de sa sœur. Il ne s’aperçut pas qu’une des deux photographies était tombée sur le sol en repliant machinalement le tout. Il remit rapidement l’enveloppe dans le tiroir avant de le refermer.
Rosa, depuis l’extérieur, à l’arrière de la maisonnette de « Cauchemars en cuisine », venait d’entendre une série de cris étouffés, et puis rapidement, le silence était revenu. Elle avait donc actionné une touche de son talkie-walkie, pour prévenir son frère. Elle avait, ensuite, enfilé un masque de protection respiratoire afin de pénétrer dans le pavillon adjacent où les vapeurs hallucinogènes concernaient les « Rêves de Gourmandise ».
Les deux enfants étaient allongés par terre, sans connaissance. Elle s’aperçut que le plus petit avait vomi. Probablement une indigestion mêlée aux effets du gaz inhalé. Elle était toujours stupéfaite de constater que sans pourtant rien avaler, le simple fait pour le cerveau d’enregistrer une accumulation de pseudo-nourritures avait exactement le même effet que la réalité.
Elle entendit quelques minutes plus tard le faible bruit des roues du quad électrique lorsque celui-ci s’arrêta derrière la petite maison. Elle attendit son complice pour monter à l’étage où la situation des deux adultes serait probablement très différente…
La Brenne
Dimanche 3 mars 2019
La nuit était agitée depuis l’intrusion de la petite famille dans la zone interdite. Il était vingt-trois heures trente lorsque Marcus et Rosa furent de retour dans la vieille bâtisse. Ils vivaient ici le plus discrètement possible une partie de l’année. Cet ancien corps de ferme était délabré et tombait en ruine pour certains de ses corps de bâtiment. Le frère et la sœur avaient aménagé l’ancienne grange et la masure attenante de façon spartiate, pour lui donner l’apparence d’un repaire de pêcheurs. Si tant est que des curieux puissent vouloir y pénétrer, ils n’y trouveraient que du matériel de pêche et une intendance minimaliste pour passionnés endurcis. Située au plus près de nombreux étangs, joyaux du parc régional de la Brenne, et au cœur de sa forêt domaniale, cette bâtisse était une cachette idéale pour réaliser clandestinement leurs opérations.
Les quatre corps des intrus étaient allongés dans la remorque du quad. Pendant que Marcus montait un à un les adultes dans la chambre installée spécialement à l’étage de la masure, Rosa fit de même avec les deux enfants.
Il descendit dans la pièce qui leur servait de cuisine, au rez-de-chaussée, prit son talkie-walkie, chaussa ses bottes et passa dans la grange attenante. Là, il détela la remorque et démarra le quad en direction de la route départementale. Il coupa à travers la forêt. Il roulait à petite vitesse, feux éteints. La lune, depuis, était montée dans le ciel, et lui permettait de se repérer au milieu de ce vaste espace forestier, anarchique et dense en certains endroits.
Il adorait la nuit et les odeurs que la nature sublimait, mélanges de parfums d’humus, de vasières et d’essences végétales. Lui, spécialiste des arômes chimiques artificiels, se reconnectait avec le milieu naturel et la raison de leurs forfaits en inspirant longuement ces agréables senteurs forestières lors de ces escapades nocturnes.
Longeant la haute clôture de grillage, il se rendit en premier lieu au portail sud. Il stationna son quad face à lui et alluma ses phares. Il descendit de l’engin et inspecta les deux vantaux de la lourde porte métallique. Rien ne bougeait malgré ses multiples tentatives pour les ouvrir. Les fausses soudures étaient bien en place et donnaient vraiment l’impression que le portail était clos et inviolable.
Sa priorité était désormais de retrouver le véhicule afin d’avoir une idée du cheminement emprunté par cette petite famille pour atteindre l’entrée sud du village. Il éteignit les phares du quad et attendit que ses yeux se réhabituent à l’obscurité. Puis, il reprit l’ancienne route partant depuis le portail en direction de la départementale. Il stoppa son engin à une cinquantaine de mètres de la chaussée et poursuivit à pied, en suivant de loin la voie bitumée.
Bientôt, il découvrit la Peugeot 407 stationnée à l’écart de la route. Il fouilla dans sa poche pour se munir des clés du véhicule récupérées dans le manteau de l’homme. Il ouvrit la porte, se mit au volant et tenta de démarrer la voiture. Sans succès. Il devina immédiatement que le problème venait de la batterie puisqu’aucune diode ne s’allumait sur le tableau de bord.
Il revint au pas de course vers le quad et actionna son talkie :
Le fourgon en question était en fait un vieux camping-car intégral Hymer de 1992 qui leur servait de résidence itinérante lorsqu’ils ne séjournaient pas dans la masure. Dès qu’il arriva, Marcus rangea le quad et le remit en charge. Rosa venait d’aller jeter un dernier coup d’œil dans la chambre de l’étage où reposaient les quatre corps immobiles et elle se mit au volant aussitôt qu’elle entra dans la grange. Marcus avait ouvert en grand le portail de bois. Elle attendit qu’il prenne place sur le siège passager puis démarra, sous le seul éclairage des feux de position du camping-car.
Vingt minutes plus tard, ils étaient de retour. Rosa retourna aussitôt à l’étage pour voir si la situation clinique de leurs quatre victimes avait évolué et réajuster les dosages des produits anesthésiques, tandis que Marcus poussait la 407 pour la reculer au fond de la grange.
Ils se retrouvèrent dans la petite cuisine du rez-de-chaussée.
Rosa le suivit. Elle n’était pas sereine. Jamais encore une de leurs victimes n’avait eu à recevoir une quantité aussi importante de produits de sa composition.
La Brenne
Lundi 4 mars 2019
La pièce était plongée dans la pénombre et seule une faible ampoule peinte en bleu donnait une lueur un peu glauque à cette chambre d’hôpital improvisée. Quatre lits de camp étaient répartis dans cette salle vétuste, et chacun des membres de la famille Vichot était allongé, le bras relié à une poche de sérum suspendu à son pied à roulettes.
L’un des deux enfants était de plus en plus malade et s’agitait sur son lit de camp.
Marcus avait attendu l’obscurité de cette fin de journée pour se rendre à Châtellerault avec le camping-car, et en était revenu avec une batterie neuve qu’il avait payée en espèces dans un grand magasin de la périphérie. Il en avait profité pour retirer le maximum d’argent possible avec chacune des cartes bancaires des époux Vichot, grâce aux codes extorqués à leurs propriétaires en les mettant inconsciemment devant un terminal de paiement. Dans leur pseudo-rêve, Fabrice et Carole avaient reproduit le parcours habituel de leur index sur le clavier.
Ils sortirent de la chambre et Marcus referma la porte derrière lui. Ils descendirent le vieil escalier de bois, vers la pièce du rez-de-chaussée qui leur servait à la fois de cuisine et de salle de repos. Ils s’assirent autour de la petite table en formica dont le revêtement jaune avait blanchi et gondolait par endroits sous l’effet des années et de l’humidité. Marcus tendit le bras vers la cafetière qui était branchée et se servit dans son verre en pyrex.
***
Fabrice ouvrit les yeux dès que ses ravisseurs refermèrent la porte. Il sortait, peu à peu, des limbes de sa conscience. Il avait de la peine à soulever les paupières. Il avait entendu des voix proches de lui, mais n’avait aucune idée de ce qui avait entraîné cet état de pesanteur d’esprit qui l’empêchait de réfléchir distinctement.
Lorsque le flou s’estompa devant ses yeux, il réalisa qu’il était allongé dans un lit presque au ras du sol et à proximité d’une porte. Une luminosité bleue éclairait faiblement la pièce. Il tourna la tête sur sa gauche et vit trois autres petits lits comme le sien. Les corps de son épouse et de ses deux enfants y étaient allongés. Alors que Carole et Romain ressemblaient à des gisants au faciès de cire, le petit Ghislain gémissait faiblement, les yeux fermés, inconscient lui aussi. Chacun d’eux était relié par l’avant-bras, à une poche de goutte-à-goutte et il s’aperçut qu’il en était de même pour lui. Une odeur fétide de vomissure planait dans la pièce.
Il tenta de faire défiler dans son cerveau les dernières images que ses souvenirs lui renvoyaient pour comprendre la situation. Il se revit tout à coup chez Jean-Paul et Nicole alors qu’ils étaient à table, en famille. Son esprit ne fit qu’un tour et il pensa tout de suite qu’ils avaient probablement eu un accident de voiture en revenant d’Arthon. Il se souleva sur un coude et, entendant des voix derrière la porte de la pièce, tenta de se lever péniblement. Il ne pouvait pas s’éloigner du porte-sérum attaché à l’armature de sa couche, mais, en s’asseyant au bord de son lit de camp, il put s’approcher de l’encadrement. Il réalisa qu’il n’était pas dans une chambre d’hôpital en remarquant la vétusté de la pièce. La pénombre derrière le halo bleuté de la seule ampoule laissait deviner au fond, des cartons éparpillés et une grande bâche en plastique transparent fixée maladroitement au plafond. Il eut un drôle de pressentiment. Il tourna lentement la poignée-bouton de la vieille porte en bois pour esquiver tout couinement intempestif. Les voix étaient plus claires et venaient du rez-de-chaussée…
Rosa le regardait réfléchir intensément. Elle savait qu’il n’était pas à prendre avec des pincettes lorsque le plan ne fonctionnait pas comme prévu.