Bonjour la famille ! - Éric Ferrat - E-Book

Bonjour la famille ! E-Book

Éric Ferrat

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Beschreibung

"Bonjour la famille !" célèbre avec malice et émotion les tribulations d’une famille détonante, à la fois attachante et délicieusement irrévérencieuse. À travers une mosaïque d’anecdotes savoureuses, ce recueil tisse un récit vibrant d’humanité où l’humour, la tendresse et une pointe d’insolence composent un hymne à la vie, aussi drôle que touchant.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Comédien et metteur en scène, Éric Ferrat fonde, il y a une trentaine d’années, à Saint-Sébastien-sur-Loire, le Théâtre du Reflet, une compagnie dédiée à la lecture à voix haute. Au fil du temps, cette pratique l’amène naturellement vers l’écriture.

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Seitenzahl: 129

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Éric Ferrat

Bonjour la famille !

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Éric Ferrat

ISBN : 979-10-422-7299-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Deux marmots dans une Deuche !

C’est Mère qui conduit la Deuche. Pied au plancher. À tombeau ouvert. 70 km/h, 80 dans les descentes avec le vent dans le dos. Retour des courses en ville sur cette départementale qui longe la forêt.

Avec les marmots, 5 et 3 ans, docteurs ès grosses bêtises. Frère aîné et toi. Se mettant une peignée, se grafignant, se disputant : il a pris la place que je voulais ! Faisant du trampoline sur la banquette arrière, attrapant le joli flacon de parfum Femme de Rochas que Mère vient de s’offrir, et le vidant méticuleusement dans l’habitacle, avant de le défenestrer. Par l’odeur brutale alertée, Mère pile le tombeau sur le champ. Trop c’est trop.

Sans un mot, sans un regard, elle nous descend de la voiture et repart en trombe, nous plantant seuls sur le talus au bord de la route, qui borde la forêt, qui regorge de loups féroces, qui mangent les petits enfants, surtout quand ils ne sont pas sages ! Et la Deuche disparaît au loin, pétaradant dans un nuage de Rochas !

Mais quinze minutes plus tard, retour de la même Deuche qui nous ramasse sur le bas-côté, tels deux flaques abandonnées à leur sort, noyés dans les larmes.

Le soir même Mère dira à Père impressionné : « J’ai trouvé un nouveau truc pour les calmer. Je ne les ai plus entendus de tout le retour à la maison. Une paix ! Royale ! »

Mémoire insuffisante

Elle a la carte mère endommagée. Dans sa tête elle a effacé l’historique. Bonne pour la refonte, comme elle disait elle-même il y a encore peu de temps. C’est à Mère qu’elle le disait : sa fille. Elle, c’est grand-mère. On l’appelle Mémé Marie. Mais pour ce qu’elle a, y a pas d’antivirus. On peut pas ajouter de barrettes de mémoire, y en a plus que deux ou trois qui stagnent au fond de son disque dur. Plutôt ramolli, le disque.

Nous, on est jeunes. Qu’est-ce qu’on a ? Sept ans et neuf ans pour les grands, trois pour le petit. Même pas vingt ans à nous trois. Des boutures. Des à qui la vie n’a encore pas joué de mauvais tours. Alors on est joyeux. On se marre pour un oui pour un non, et avec Mémé Marie, c’est mieux qu’à la télé. On a les blagues en direct. On adore quand elle vient passer un mois à la maison parce que Mère et Tante se la partagent pour qu’elle ne soit pas seule, même si dans sa tête il n’y a plus que des morts. Des qui datent de quand Saint-Joseph était jeune homme. L’oncle Henri par exemple, à qui elle parle tout le temps, et qui, aux dires de Mère, est mort en 14. C’est tellement loin que nous, on peut même pas imaginer. Peut-être il a connu Vercingétorix, l’oncle Henri. Faudra en parler à l’institutrice qui nous apprend les rois de France.

Henri II, Henri III, Henri IV. Ça prouve que c’est un prénom de vieux.

Donc, la voilà pour un mois et on sait que pour les bêtises, on va être battus à plates coutures. Pourtant hier on a fait fort en mettant le chat dans le frigo toute la journée parce qu’il avait trop chaud.

Elle est toute menue dans ses habits noirs : deux sous de beurre dans un gros papier, dit Mère, attendrie. Le dentier dans sa poche parce qu’il lui fait mal. Ce qui fait qu’on dirait qu’elle mâche un chewing-gum imaginaire en permanence. Et sa figure ! Ridée comme une pomme reinette. Quand on l’embrasse, c’est tout mou et ça sent bon la poudre de riz.

Elle est là, assise sur sa chaise, la poupée sur les genoux. Enfin, poupée, c’est beaucoup dire. Elle l’a fabriquée elle-même avec de vieux bouts de tissu et des pelotes de laine et toute la journée elle la ficelle comme si elle avait peur qu’elle s’en aille, la poupée. Alors quand on dit qu’on a passé l’âge de jouer à la poupée, c’est qu’on doit être mort, ou paralysé, ou à l’hôpital. Enfin un truc qui n’arrive qu’aux vieux encore plus vieux qu’elle. Ou alors c’est ça retomber en enfance. On sait pas. On subodore. On suppute. Et c’est pas un gros mot.

Toute la journée elle veut aller aux toilettes. Un pipi toutes les cinq minutes. On rigole. On lui dit, mais Mémé tu vas pas passer ton temps à vider la corbeille comme ça. Elle nous regarde toujours comme si elle nous voyait pour la première fois. Elle nous appelle les apaches parce que quand elle nous fait trop rire on court autour du saule pleureur dans le jardin en criant Mémé, elle est folle, Mémé elle est folle, Mémé elle est folle. Et on éclate de rire. Nous aussi on est fous. De joie.

Et plus elle nous fait rire et plus on l’aime, bien sûr. C’est comme une vieille petite sœur qu’on n’aurait jamais eue. À part qu’il faut pas trop la bousculer. Quand elle marche, elle est pas plus solide qu’un château de cartes, faut pas souffler dessus. Ou alors on ferait un Mikado avec ses os.

Elle parle peu, mais à chaque fois ça fait mouche. Quand elle dit à Mère bonjour Madame il me semble vous avoir déjà vue quelque part, dans nos têtes on fait fichier enregistrer pour pouvoir le raconter à tout le monde le lendemain matin à l’école. Y a que nous pour avoir une grand-mère qui n’a pas fait de sauvegarde. Elle a vraiment perdu le cadran. Les copains, ils croient qu’on invente. Qu’on est de faux joueurs. Quand on dit qu’elle a ouvert la portière de la voiture pour descendre en route parce qu’elle voulait rentrer chez sa mère ils nous croient pas. Ils disent elle serait morte. Mais non parce que Mère elle a freiné si fort qu’on s’est tous retrouvés sur le siège avant, cul par-dessus tête, et que Mémé elle est pas tombée sur la route. Y a juste sa poupée qu’est restée coincée dans la portière, et son dentier qui a atterri sur le tableau de bord.

Là on a ri qu’à moitié à cause de la frousse qu’on a eue.

Et puis il y a eu ce matin. La bêtise avec les toilettes. Elle a confondu c’est pas sa faute. Quand Mère a vu les gros besoins qu’elle avait faits dans le bidet au lieu du cabinet, elle s’est fâchée tout rouge. Elle a grondé très fort. Elle a tout nettoyé et pour se calmer elle est sortie faire ses courses, nous laissant Mémé en garde.

À part qu’on n’a pas eu le temps. De la garder. Elle a marmonné : je prends mon sac, pour une fois que j’ai l’occasion de sortir. Je rentre chez ma mère. Encore ! Et elle est partie. Sur la route. Vers la montagne. Comme la chèvre de Monsieur Seguin. Et, comme sa mère, elle est morte avant l’oncle Henri, elle ne risque pas de la retrouver. Et puis la montagne c’est dangereux. L’été on entend les avalanches de pierres, de rochers. C’est pire que le tonnerre. Pauvre Mémé Marie. Toute seule avec son sac et sa poupée. Alors qu’on devait la surveiller. Et que comme Monsieur Séguin on a oublié de fermer la porte à clef.

Erreur fatale.

Qu’est-ce qu’on va faire ? Les apaches n’en mènent pas large. Il faut absolument la retrouver avant que Mère revienne des commissions. Sinon ça va chauffer pour nos matricules. On va encore entendre y a des claques qui se perdent.

Réunion au sommet, autour du saule, encore plus pleureur que d’habitude. On réfléchit tant qu’on a le merlin qui mouline. Ça tourne en rond un bon moment dans nos têtes. Et soudain on l’a, l’idée. Plein écran.

Faut mettre une annonce. À la boulangerie. Scotchée sur la caisse du comptoir. Comme ça tout le monde la verra. Y en a souvent pour les chats du quartier qui se sauvent tout le temps. Eh ben y a toujours quelqu’un pour les retrouver et les ramener à leur propriétaire. Nous, on est un peu comme ses propriétaires à Mémé Marie, puisqu’elle peut plus rester seule. À cause des bêtises dangereuses qu’elle fait parfois. Comme de souffler sur le gaz pour l’éteindre après s’être fait une omelette en laissant les coquilles d’œufs.

Donc, l’annonce, on la rédige sur un bout de papier : Perdu grand-mère avec poupée. Attention fragile. Mémoire insuffisante. Grosse récompense. Faire vite. SVP. Et en dessous on met l’adresse.

Pour la récompense on a nos tirelires. Tant pis. Faut ce qu’il faut. On mangera plus de Carambar ni de cocos, c’est tout. On se distribue les rôles. Grand frère tient le papier, petit frère le scotch, et moi je parle. On fonce.

La boulangère n’en croit pas ses baguettes. Elle éclate de rire et elle nous dit qu’une grand-mère c’est pas un chat et qu’on ne peut pas procéder comme ça. Qu’il faut prévenir tout de suite notre mère qui, elle, sûrement, appellera la police. Mais qu’on doit pas s’inquiéter, on va sûrement la retrouver notre grand-mère.

La police ? On se voit déjà en prison. Y a pas à faire clic droit pour trouver la solution on va aller directement en prison, sans passer par la case départ, c’est sûr. Surtout qu’elle aura jamais la force de se battre toute la nuit avec le loup, Mémé Marie. Et que même si y a pas de loup, elle risque pas de revenir vu qu’elle se perd déjà pour aller de la chambre à la salle à manger. Combien de fois on l’a retrouvée dans le placard à balais, pleurant parce que sa poupée avait peur du noir.

Tout ça, c’est notre faute. On sort de la boulangerie, effondrés, les neurones dans le sac, en traînant des pieds mentalement alourdis par les chaînes qui les attendent en prison.

Et c’est là qu’on la voit. Devant la maison. Tenant la main de Mère qui a dû la trouver sur la route en rentrant des commissions.

C’est petit frère qui aura le mot de la fin trois mois plus tard, quand Mère, les larmes aux yeux, nous annoncera que Mémé Marie est définitivement rentrée chez sa mère où l’attend aussi l’oncle Henri.

Alors c’est qu’elle a aussi oublié de respirer, c’est ça ?

Mon chien gender fluid ?

Punch, c’est son nom. Superbe berger allemand, fauve et feu. Sa couleur rappelle le rhum ambré avec lequel on fait le punch planteur. Mère est folle de son chien, jusqu’au jour où, intriguée de le voir grossir et s’expliquant mal une notoriété grandissante auprès de tous les chiens du quartier, elle traverse la rue jusque chez son voisin et ami, Dédé : Je me demande si mon chien n’est pas plutôt une chienne. Tu peux venir voir s’il te plaît ?

Intrigué et amusé, Dédé fait le voyage de l’autre côté de la rue pour inspecter l’entrejambe de l’animal. Constat immédiat : alors, non seulement c’est une chienne, mais prête à mettre bas, qui plus est. Goguenard et hilare, il entreprend le voyage retour avant de se retourner pour conclure : si ton mari accouche la semaine prochaine, pas de doute possible, c’est une femme ! La rumeur a vite fait le tour des voisins dont les femmes s’en tiennent encore les côtes aujourd’hui, quand elles y repensent !

Ça, bien sûr, c’était en 1960, soit en l’an trente avant Christine and the Queen ! Aujourd’hui, plus personne n’est aussi affirmatif. Avec les enfants pansexuels non genrés et qui vivent en trouple, on se garde bien d’avoir des certitudes, et on chante avec Patrick : « Où sont les femmes, sans les paillettes et sous la barbe ? Où sont les femmes, femmes, femmes ? »

Mère et la rivière sans retour

Et comme on s’y attendait, Punch a mis bas. Un matin, dans sa niche, prouvant définitivement sa « femelitude » !

Quatre jolis petits chiots, boulets de charbon, berger sans doute, mais pas vraiment allemands. Un drôle de croisement. Improbable.

Mère est perplexe. Il faut en garder un pour la mère justement et se débarrasser des trois autres. Qu’à cela ne tienne, un sac avec une pierre au fond plus les trois chiots, d’une main, Petit Frère de l’autre, et la voilà partie sur le pont qui enjambe la rivière, à savoir l’Isère. Et on joue aux petites marionnettes, et hop le sac, trois petits tours et puis s’en vont les chiots. Et plouf, dans la rivière !

Un silence annonciateur de cataclysme, et Petit Frère fait brutalement sa fontaine morveuse, des hurlements et des coups de poing dans le vide, à volonté… Il est vrai qu’il n’a que trois ans.

Mère a un doute. Mais pourquoi il pleure, ce gosse ? Vivre, c’est aussi apprendre la mort, non ? Alors ?

Elle le console et s’en revient auprès de sa chienne parturiente. Et zut, trois chiots de plus. Pas possible, elle le fait exprès !

Cette fois, la rivière sans retour, elle la fera seule.

Rival

Espèce : chien, canis familiaris !

Race : teckel à poils ras et à idées courtes.

Futur surnom : Paillasson Premier.

Signe distinctif : n’arrête d’aboyer que pour reprendre sa respiration.

Pedigree de ministre. Nom du père : Galopin du bois des cailles, nom de la mère : Hautaine d’entre deux roches. D’où son patronyme complet : Rival de la Gauberdière, frère aîné de Rictus de la Gauberdière. Un choix cornélien pour Mère, qui a finalement opté pour Rival. Plus noble et moins mesquin que Rictus, selon elle !

Ce chien, c’est comme le point d’exclamation du bonheur familial. La signature en bas du tableau. La touche de complémentaire qui fait chanter les couleurs.

Un arrêt sur image, avant la catastrophe.

Mère a trois enfants, un mari trompeur (énormément), une grande maison, des domestiques, et bientôt quarante ans. Ne lui manque que le chien.

Pour cet anniversaire à mi-chemin de l’existence, Père vient de lui offrir une voiture. Que dis-je, une voiture ? Un bolide ! La NSU Prinz sport. Rouge vif. Un moteur de hors-bord sous une carrosserie de boîte d’allumettes. La reine du tête-à-queue. Un coup de frein malencontreux et t’es revenu chez toi avant même d’être parti ! Un esprit malsain y verrait sans doute une tentative de Père pour se débarrasser l’air de rien d’une épouse encombrante. Un accident est si vite arrivé ! Et tellement moins cher qu’un divorce. Mais rien à faire, Mère s’est habituée aux tête-à-queue, et c’est avec le bolide tout neuf qu’elle est partie en trombe à l’autre bout de la Sarthe acheter ce chien à pedigree. Dans un chenil de luxe avec domaine et nom à rallonge. Chenil de la clé de la porte de la cave du château !