Boulevard de la Pugette - Jean-Luc Maero - E-Book

Boulevard de la Pugette E-Book

Jean-Luc Maero

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Beschreibung

24 mai 1993. Jacques Imbert, marié et père d’un garçon de douze ans, se retrouve en garde à vue, soupçonné d’avoir volontairement provoqué la mort de son sinistre beau-père. Durant cette nuit d’interrogatoire, des souvenirs troublants de son passé émergent, révélant une chronique familiale surprenante, où Marseille joue un rôle crucial. Au fil des rebondissements, dans cette toile complexe tissée de secrets et de cadavres, une question persiste : qui est réellement Jacques Imbert ? La réponse pourrait bien changer le cours de cette intrigue haletante…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une riche carrière dans le transport international, Jean-Luc Maero a canalisé son amour pour l’écriture en devenant correspondant sportif et rédacteur pour quelques médias locaux. Son attachement profond à sa ville a inspiré Boulevard de la Pugette, son premier livre publié.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jean-Luc Maero

Boulevard de la Pugette

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Maero

ISBN : 979-10-422-0132-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Garde à vue

— Jacques Imbert, nous sommes lundi 24 mai 1993, il est 10 h 26 et je vous place en garde à vue pour le meurtre de Victor Lepage, votre beau-père.

L’inspecteur principal Leblanc, de la police judiciaire de Marseille, continue son laïus, mais je ne l’écoute déjà plus. Cet homme pas très grand, la bonne quarantaine, qui semble porter sur ses épaules toute la misère de ce monde, parle clairement, mais avec une profonde lassitude, que même son fort accent marseillais ne parvient à atténuer. Sa calvitie précoce et son visage aussi rond que son corps lui confèrent une fausse bonhomie dont je me suis immédiatement méfié.

Il a finalement décidé au bout d’une heure trente d’interrogatoire, et après les auditions de Mathilde, mon épouse, de Michel, mon beau-frère, et surtout de Janine, ma « très chère » belle-mère, que j’étais possiblement impliqué dans le décès la veille, de mon « très cher » beau-père.

Moi, qui ai passé la plus grande partie de mon existence à prendre bien soin de rester invisible, je suis en garde à vue ! L’homme invisible en garde à vue, quelle ironie !

Me voilà désormais dans une des cellules exiguës de l’Hôtel de Police de Marseille, le fameux Évêché. C’est décrépi, sale, déprimant, et pourtant, passé l’instant de surprise, j’ai totalement et très vite retrouvé mes esprits. Alors que d’ordinaire je prévois, planifie et anticipe tout, l’annonce de Leblanc m’a vraiment pris au dépourvu et je ne m’attendais pas à une telle issue. Mais là, malgré les odeurs de pisse et de vomi, les cris des détenus des cellules voisines, ma rationalité légendaire a repris le dessus.

Qu’ont-ils contre moi ? Rien.

Ai-je une quelconque responsabilité dans la mort du vieux ? Non.

Ai-je les capacités intellectuelles, les ressources psychologiques, morales et physiques pour résister à quarante-huit heures de garde à vue ? Aux pièges de l’Inspecteur principal Leblanc ? Oui, cent fois, oui !

Alors, je me délecte des insultes particulièrement fleuries que mes compagnons d’infortune adressent à la maréchaussée et, j’attends sereinement que mon nouveau copain policier revienne à la charge. Je suis d’autant plus tranquille, que j’ai surpris bien malgré moi, alors qu’escorté par deux solides gaillards, je gagnais ma cellule, les bribes d’une conversation entre Leblanc et son adjointe, la sémillante Inspectrice Elodie Vidali.

— Chef, on a rien contre lui, strictement rien.

— Et les accusations de la veuve, tu en fais quoi, Elodie ?

— Ce sont les divagations d’une belle-mère aigrie, rien de plus, Antoine.

— Bon, conclut Leblanc. N’importe comment, si c’est lui, il va craquer, fais-moi confiance. C’est un mathématicien, pas Al Capone ! On va l’essorer, Einstein !

C’est donc bien ce que je pensais, c’est la vieille qui m’accuse. Pourquoi ne suis-je pas étonné ? Mais à part ce « témoignage » que je me fais fort de démonter, leurs charges contre moi sont aussi inexistantes que la neige en été. De plus, Leblanc commet une grosse erreur, il me sous-estime.

Néanmoins, j’ai besoin de comprendre et là, allongé sur ce matelas inconfortable et à la propreté douteuse, je rembobine le film des évènements de ces quarante-huit dernières heures.

Le samedi précédent, soit il y a deux jours, nous étions tous invités chez les beaux-parents, pour célébrer l’anniversaire de belle-maman Janine. Quand je dis tous, le compte est vite fait. Mathilde, mon épouse, et moi, notre fils de douze ans Cédric, Michel le frère de ma femme et sa compagne Francine. Ce que l’on appelle une fête d’anniversaire en petit comité ou, dit moins élégamment, seules les dernières personnes à pouvoir supporter par obligation le mauvais caractère de Victor et la langue de vipère de Janine avaient accepté l’invitation.

Après avoir longé la Promenade de la plage, dépassé la statue de David, nous nous étions engagés sur la Corniche J.F Kennedy. Quelques centaines de mètres après, sur la droite, nous avions emprunté une ruelle pentue qui menait à la villa des Lepage. Dans ce quartier calme et rupin, les pins d’Alep laissaient flotter un parfum délicieux. Nous étions arrivés un peu avant midi, en même temps que Michel qui, lui, finalement était seul. Devant notre surprise, il nous avait expliqué que Francine était souffrante et avait préféré se reposer. Avec Mathilde nous avions échangé un sourire entendu, sachant bien que l’indisposition de la belle était plus diplomatique que réelle.

Néanmoins, la journée était plutôt agréable sous le doux soleil du mois de mai. Il est vrai que la villa cossue que possédaient Janine et Victor, et dont ils étaient à raison très fiers, avait tout pour qu’on s’y sente bien. Une belle bâtisse blanche, pas immense ni trop imposante, mais vraiment charmante. Elle était entourée de palmiers et de pins et Janine avait su rendre l’intérieur aéré et lumineux. Mais le joyau de cette maison, située dans le quartier huppé du Roucas Blanc, était cette immense terrasse depuis laquelle on embrassait toute la baie de Marseille. Cette vue imprenable offrait aux regards des visiteurs un spectacle unique à 180 degrés, sur une mer d’un bleu changeant selon le moment de la journée. Du Petit Nice aux collines de Marseilleveyre, en passant par le minéral archipel du Frioul, je pouvais, pour ma part, rester de longues minutes à contempler ce magnifique panorama. On pouvait même distinguer à droite de l’île de Tiboulen, tout au loin, le phare de Planier. Un endroit paradisiaque donc, si l’on oublie un instant les heureux propriétaires des lieux bien sûr…

Je n’ai jamais su exactement d’où venait la fortune de Victor et, à chaque fois que le sujet était évoqué, ce grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-cinq, à l’allure et au ton très militaires, éludait les questions et passait à autre chose. En général, personne n’insistait. Même Mathilde, que j’avais interrogée plusieurs fois à ce propos, était très peu loquace. Il semblait que la question qui, je le sentais, provoquait une certaine gêne, était taboue.

Une fois, lors d’une réception dans l’usine du beau-père, un ami de la famille, au temps où la famille en avait encore, avait engagé la conversation avec moi. D’un certain âge, ce monsieur Marcel à l’allure très soignée et, qui manifestement savait qui j’étais, avait un peu levé le voile sur cette histoire.

— Vous savez, avait-il commencé avec un grand sourire. Tout le monde est très admiratif du parcours de Victor et de ce qu’il est devenu. Quand on pense qu’avant la guerre, il n’avait pas un sou et qu’il vivait avec ses parents, dans un petit deux-pièces insalubre à Endoume ! Aussi, tout le monde a été très surpris lorsqu’en 46, il a créé son entreprise sans faire aucun emprunt à la banque.

Monsieur Marcel était devenu alors plus énigmatique et m’avait glissé avant de me laisser :

— Mais bon, c’était une autre époque et tant de choses se sont passées à ce moment-là, qui sommes-nous pour juger ?

Mathilde m’avait alors rejoint et me voyant pensif m’avait demandé :

— Tu étais en grande conversation avec Marcel, vous parliez de quoi ?

— D’histoire, avais-je répondu, il est vraiment incollable sur le sujet, en particulier sur la Seconde Guerre mondiale, c’était très intéressant, passionnant. J’avais préféré ne pas lui rapporter les propos de monsieur Marcel qui auraient pu la contrarier, mais, de mon côté, ce que je venais d’apprendre sans m’étonner vraiment, confirmait un peu plus ce que je pensais de Victor Lepage.

Ce samedi-là donc, beau-papa, il déteste que je l’appelle ainsi, était d’une bonne humeur étonnante et Janine était au diapason. Le Champagne rosé d’une grande maison accompagnait à merveille les délicieux toasts concoctés par belle-maman, elle déteste que je l’appelle ainsi, pour un apéritif fin, mais copieux. Nous étions ensuite passés à table, pour constater que la maîtresse de maison s’était encore surpassée. Elle a beaucoup de défauts, vraiment beaucoup, mais il faut lui reconnaître un vrai talent de cuisinière. Quant à Victor, il nous avait fait profiter de quelques trésors que renfermait sa cave, un lieu aussi inaccessible que le Kremlin au temps de la guerre froide.

La conversation était détendue bien que superficielle, car les uns et les autres nous attachions à ne surtout pas aborder les sujets qui fâchent. En vrac, la politique, l’éducation de notre fils, les femmes, les homosexuels, les étrangers, le travail, et la liste n’est pas exhaustive. Quand je dis les sujets qui fâchent, je veux parler des sujets qui fâchent beau-papa et, accessoirement belle-maman.

Heureusement, en ce mois de mai 1993 à Marseille, un évènement supplantait tous les autres. C’était évidemment la finale de Ligue des Champions de football. En effet, le mercredi suivant, l’Olympique de Marseille allait affronter le grand Milan A.C. pour, l’espérait-on, devenir à jamais le premier club français à remporter la compétition continentale la plus prestigieuse. Avec Michel, nous étions enthousiastes et assez optimistes, mais que dire de mon petit Cédric qui était lui, excité comme jamais. Eh bien, même sur un sujet aussi léger, Victor n’avait pu s’empêcher de jouer les rabat-joie, et de distiller quelques réflexions bien nauséabondes sur les joueurs de l’OM originaires d’Afrique ou des Antilles. Nous étions donc passés à autre chose comme la météo, ou un autre sujet insignifiant.

Au dessert, toujours exquis, était venu le moment de la remise des cadeaux. Comme chaque année, Janine les avait à peine regardés avec son dédain habituel. Cette femme à la ligne encore impeccable, à la coiffure blonde parfaite et aux tenues vestimentaires toujours du meilleur goût, était une éternelle insatisfaite. Elle aimait le luxe, en profitait largement, mais semblait n’être jamais contente de son sort et, critiquait tout et tout le monde à longueur de journée. Mais, c’est juste après que les choses allaient vraiment se gâter.

Victor, qui avait décidé de repeindre tous les volets de la villa, ne résistait pas à la fierté de montrer à toute la famille, « l’affaire » qu’il venait de réaliser. En effet, malgré des moyens financiers plus que conséquents, ce grand orgueilleux ne voulait rien sous-traiter, il voulait tout faire lui-même. Il avait sèchement repoussé les offres d’aide de son fils et de moi-même et avait fait l’acquisition d’un échafaudage, afin d’accéder aux fenêtres du premier étage. Et c’est précisément ce « trésor » qu’il voulait montrer à tous.

— Vous vous rendez compte ? Ça m’a coûté seulement 500 francs et c’est une boîte de travaux publics qui me l’a vendu ! Ils l’ont livré avant-hier et j’ai tout monté moi-même !

Il était rouge de fierté. Avec Michel, nous nous étions regardés un peu éberlués. C’est vrai que le matériel était vieux et rouillé, mais semblait solide au niveau des barres et des montants. En revanche, en nous approchant et en inspectant le matériel, nous avions tout de suite remarqué qu’il manquait de nombreux clapets de fixation, que la passerelle de la plateforme n’était absolument pas sécurisée et surtout, que la trappe sur cette même plateforme était dans un piteux état. Michel s’était alors risqué à un :

— Papa, tu es sûr que c’est bien stable ? Moi il ne m’inspire pas confiance, ton truc….

— Comment ça mon truc ? Comment ça pas stable ? se mit à éructer beau-papa. Mais tu rigoles ou quoi ? Tu insinues que je suis un inconscient ?

— Mais non, papa, je ne suis pas tranquille et je m’inquiète pour toi c’est tout, se mit à bredouiller mon malheureux beau-frère.

J’eus le malheur de renchérir :

— Beau-papa, c’est vrai qu’à moi aussi il n’inspire pas confiance votre échafaudage. Vous ne voulez pas que Michel et moi, avec vous bien sûr, nous le consolidions ?

Oh punaise ! Que n’avais-je pas dit ? Le vieux était alors entré dans une colère noire.

— Parce que toi, le chercheur raté et mon gratte-papier de fils vous allez me donner des leçons ? J’ai travaillé sur les chantiers moi quand j’étais jeune, et je peux vous dire qu’on avait pas un matériel de cette qualité. Mon échafaudage il est sûr et il est stable ! C’est clair ? Et s’il vous plaît, que tout le monde arrête d’y toucher !

Cette saillie coutumière chez cet homme colérique, méprisant et prétentieux, clôturait la conversation et pour le coup, cette belle journée chez les Lepage. Nous étions enfin libérés de cette corvée familiale et, avec soulagement, avions tous rejoint nos foyers. Malgré tout, avant notre départ, j’avais fait part à Janine de mes craintes à propos du fameux échafaudage. Elle m’avait répondu avec son habituel sourire hypocrite,

— C’est très gentil de t’inquiéter Jacques, Michel aussi m’en a parlé. Tu sais, Victor n’est pas fou, il sait ce qu’il fait. Elle avait ajouté en haussant les épaules. De toute façon, rien de ce que l’on pourra lui dire ne le fera changer d’avis, il a prévu d’attaquer les travaux demain dimanche.

Sur le trajet du retour, dans la voiture, nous en avions reparlé avec Mathilde et je fus surpris par ses propos inhabituellement fatalistes.

— Écoute chéri, Michel et toi vous avez dit et fait ce que vous deviez, mais tu connais papa. De toute façon, il n’en fera qu’à sa tête et comme ma mère est incapable de le contredire… Elle a bien remarqué que j’étais un peu étonné d’un tel détachement, mais elle en a remis une couche.

— Il arrivera ce qu’il arrivera, nous n’avons rien à nous reprocher. Elle avait rajouté sur un ton qui se voulait rassurant. Mais il n’arrivera rien, t’inquiète.

Comment lui dire qu’en fait, je n’étais pas du tout inquiet du sort de son père, mais alors pas du tout ! C’est finalement Cédric qui eut le mot de la fin, avec un tonitruant :

— Papi Victor c’est une tête de mule, alors tant pis pour lui !

En toute honnêteté, je n’étais pas vraiment surpris par les réactions de ma femme et de mon fils. En effet, une semaine auparavant, alors que Mathilde rendait visite à ses parents comme elle le fait régulièrement, une violente dispute avait éclaté entre elle et son père. Celui-ci, pour ce que j’ai pu en savoir, s’était montré particulièrement odieux et en tous cas, bien plus qu’à l’habitude. Il avait bien sûr raconté des horreurs sur moi, jusque-là rien d’inhabituel, mais cette fois-là, il s’en était pris violemment à sa fille et surtout à Cédric son petit-fils. Mathilde était notamment traitée de mauvaise mère et Cédric, de futur raté comme son père. Il aurait certainement continué de plus belle si, fait exceptionnel, sa femme Janine comprenant qu’il était allé trop loin, ne lui avait enjoint de se taire immédiatement. Mathilde, ulcérée, était partie en claquant la porte.

Le soir, en rentrant du boulot j’avais retrouvé ma femme en pleurs. Elle sanglotait comme je ne l’avais jamais vue auparavant. Elle était effondrée et semblait inconsolable. Après plusieurs minutes, elle avait enfin pu m’expliquer la raison de son chagrin. Une rage terrible était alors montée dans tout mon être. Voir la femme de ma vie dans un tel état, réveillait en moi certaines heures de mon enfance. Cette fois, plus question de calcul ou de rationalité, j’étais si remonté que j’allais aussitôt me rendre chez les beaux-parents, et casser la bouche de cette « bordille1 » de Victor. Il fallut toute la persuasion de Mathilde, mais aussi de Cédric, pourtant aussi choqué que moi, pour m’empêcher de mettre mon projet à exécution. C’est alors que ma femme, qui est pourtant la personne la plus gentille et la plus bienveillante que je connaisse avait, en me regardant droit dans les yeux, prononcé ces mots glaçants :

— Ne t’en fais pas, tout se paie un jour. Il ne l’emportera pas au paradis… ni en enfer.

Je m’étais alors tourné vers notre fils, ses yeux étaient inondés de larmes. On avait fait souffrir sa mère et cela lui était insupportable. Personne plus que moi ne pouvait le comprendre à cet instant. Je le pris dans mes bras, Mathilde nous avait rejoints et cette étreinte fut la plus intense et la plus émouvante de toute ma vie. Elle venait sceller le lien indestructible qui existerait toujours entre nous trois.

Le calme revenu, je m’étais néanmoins interrogé sur la réaction de mon épouse. Ce n’était pas la première fois, loin de là, que son père dérapait. Il l’avait déjà fait à de nombreuses reprises et était même allé beaucoup plus loin quelques années auparavant. Alors, pourquoi cette fois-là, Mathilde s’était-elle mise dans un état pareil ? Et moi, pourquoi avais-je voulu aller en découdre avec le vieux ?

En y repensant, je m’expliquais ce soudain regain de tension, par le fait que depuis des mois maintenant, Victor s’était globalement bien tenu et, qu’une sorte de trêve s’était installée. Le fait que tout à coup, il retombe dans ses travers au point même que sa femme le fasse taire, nous renvoyait en pleine gueule des souvenirs douloureux, que nous voulions tant oublier.

Chapitre 2

La chute de Victor

Le lendemain de la « fête » d’anniversaire de belle-maman, soit le dimanche matin, j’avais décidé d’aller courir afin d’éliminer les excès tous relatifs de la veille. Mathilde, de son côté, avait opté pour la grasse matinée tout comme Cédric, pour qui c’était habituel. Le dimanche, il se montrait rarement avant onze heures.

Nous habitons dans le charmant quartier de la Vieille Chapelle au sud de la ville et j’avais longé la mer jusqu’à Callelongue, là où la route s’arrête, laissant place au merveilleux massif des calanques. Je ne me lasserai jamais du paysage offert par cette petite route bien connue des Marseillais, qu’ils appellent « la route des Goudes ». Elle est sinueuse à souhait et, quand au détour d’un virage on découvre brusquement l’archipel de Riou, c’est à couper le souffle. L’effet est garanti même après, comme c’est mon cas, des centaines de passages.

Après un peu plus d’une heure de course, j’étais de retour à la maison soufflant, transpirant, et tout surpris de trouver Cédric déjà debout.

— Tiens, ce ne sont pas tes horaires pour un dimanche, lui dis-je en rigolant. Il me répondit sur un ton grave,

— Mamie Janine a téléphoné, papi Victor a eu un accident, il est à l’hôpital et maman est allée les rejoindre.

— Ah merde, que s’est-il passé ? lui demandais-je inquiet.

— Il est tombé de son échafaudage pourri, ils l’ont transporté à l’hôpital Saint-Joseph.

— Punaise, j’en étais sûr, il est pas possible ce mec ! Bon, le temps de prendre une douche et j’y vais aussi, tu viens avec moi ?

— Non, papa, je préfère rester là, tu sais, moi les hôpitaux…

Au moment de partir pour Saint-Joseph, j’avais serré Cédric dans mes bras en lui glissant à l’oreille,

— Allez, j’y vais, mais pas de bêtises hein mon béou2, on rentre dès que possible.

Vingt minutes après, j’étais sur place et l’accueil m’avait tout de suite indiqué le service dans lequel avait été admis le beau-père. Arrivé au premier étage, je vis Mathilde et sa mère faisant les cent pas dans le couloir. En me voyant, ma femme était venue m’embrasser.

— Il est tombé de l’échafaudage, les pompiers sont venus très vite et ils l’ont transporté ici. Là, il est au bloc et on attend des nouvelles. Le ton était grave, mais sans affolement ni larmes. En revanche, Janine, que j’avais rapidement saluée, semblait dans tous ses états.

— On lui avait dit de ne pas monter là-haut ! Oui, tu parles, pensais-je. Mais comme toujours, il n’a voulu écouter personne, pleurnichait-elle.

Là-dessus, mon beau-frère Michel était arrivé et se renseignait immédiatement sur l’état de son père. Les infirmières lui redirent qu’il fallait patienter et que, le chirurgien viendrait dès que possible nous faire un point précis.

Au bout d’environ une heure qui parut interminable, nous vîmes apparaître un grand gaillard en blouse verte, que nous avions aussitôt identifié comme étant le chirurgien que nous espérions. À sa mine déconfite, j’ai tout de suite su que les nouvelles étaient mauvaises.

— Messieurs-dames, j’ai le regret de vous annoncer que Mr Lepage est décédé. Nous avons fait le maximum, mais ses blessures étaient trop lourdes, il n’a pas survécu. Je vous présente mes sincères condoléances. Puis, il nous avait dirigés vers l’accueil pour effectuer les démarches administratives, avant de s’éloigner et de passer à autre chose.

Janine s’était effondrée en pleurs, sur l’un des sièges placé le long du couloir, soutenue par ses enfants. De mon côté, je restais planté là, sans savoir que faire ni que dire. Plusieurs sentiments se mêlaient dans mon esprit. La compassion malgré tout pour cette belle-mère dans le chagrin, la peine aussi pour Michel, ce beau-frère que j’apprécie énormément, et puis Mathilde bien sûr, que je ne supporte pas de voir malheureuse. D’un autre côté, le décès de Victor me laissait insensible, tant il avait toujours été odieux et méprisant à mon égard. De plus, la récente dispute avec Mathilde, ses propos dégueulasses envers elle et envers notre fils avaient encore renforcé mon dégoût pour le personnage. Je n’en avais pas honte, la disparition de Victor Lepage ne constituait pas pour moi, une mauvaise nouvelle.

Nous venions de terminer les formalités nécessaires et obligatoires auprès de l’hôpital, quand un petit bonhomme ventripotent et presque chauve, vêtu d’un jean, d’un T-shirt et d’une veste informe s’était présenté à nous. Il était flanqué d’une grande blonde sexy, pantalon et chemisier moulants. C’était la police et, plus précisément, l’Inspecteur principal Antoine Leblanc et son adjointe l’Inspectrice Elodie Vidali. Après qu’ils aient présenté de rapides condoléances, Leblanc avait gardé le même air compassé qui était de circonstance, mais qui, chez lui, semblait être permanent. Enquête de routine, disait-il, mais il désirait tout de même se rendre sur les lieux de l’accident afin d’arrêter ses conclusions.

L’après-midi même donc, ce duo, sans doute le plus mal assorti de toute la police française, se présentait à la résidence des Lepage, quartier du Roucas Blanc. C’est Michel, qui était resté auprès de sa mère qui les avait accueillis. De notre côté avec Mathilde, nous étions rentrés chez nous rejoindre Cédric. Nous n’avons donc pas assisté à la visite des flics, mais bien plus tard, Michel nous avait raconté, par le menu, le déroulé de l’opération.

Leblanc avait tout de suite souhaité voir « l’objet », le fameux échafaudage.

— Oh fan de putain ! s’était-il écrié. Mais c’est quoi cette affaire ?

Après en avoir soigneusement fait le tour sous l’œil distrait de son adjointe, plus occupée à admirer la propriété… et Michel, qu’à procéder aux premières constatations, l’Inspecteur principal avait déclaré l’air absorbé et mystérieux :

— Il y a quelque chose qui cloche, on ne tombe pas comme ça d’un engin de ce calibre. Regarde, il manque des pièces de fixation en pagaille et la rambarde, tu as vu la rambarde ? Elle ne tient pas, c’est de là qu’il est tombé, j’en suis sûr. Quant à la trappe, je n’en parle même pas, personne de sensé ne serait monté sur un machin dans cet état et, à ma connaissance, monsieur Lepage n’était pas fou. Pour moi, l’échafaudage a été saboté. Elodie avait rigolé,

— Oh, Antoine, tu te prends pour Sherlock ? Ce n’est pas l’échafaudage qui est tombé, c’est la victime qui est tombée de l’échafaudage, c’est pas pareil ! C’était un accident, rien de plus, redescends sur terre, garçon !

Michel, qui était au moins aussi surpris que Leblanc d’une telle familiarité, avait tout de même ajouté :

— Inspecteur, si vous l’aviez vu comme nous l’avons vu après que mon père l’ait soi-disant monté, vous n’auriez aucun doute. C’est un accident, un stupide et dramatique accident.

— Et bien moi je n’en démords pas, avait répondu Leblanc. C’est une mort suspecte. Comment expliquez-vous que la rambarde de sécurité n’était pas fixée ? Votre père avait sûrement dû la contrôler avant non ? Vous rappelez-vous si la rambarde était fixée ou pas, quand vous avez vu l’échafaudage samedi ? Michel s’était alors gratté la tête et avait répondu,

— Franchement, Inspecteur Leblanc, ce dont je me souviens c’est qu’elle ne nous a pas paru très fiable. Nous l’avons vue de près et je peux vous dire que ce n’était pas très rassurant. Après, mon père s’est mis en colère et nous a interdit d’y toucher alors… Et là, Leblanc s’était écrié,

— Donc vous n’êtes sûr de rien, j’en étais certain ! Cela conforte ma première impression. Nous allons rejoindre votre mère à l’intérieur et, si cela ne vous dérange pas, nous allons utiliser votre téléphone.

Puis se tournant vers Elodie Vidali :

— Petite, appelle au bureau, qu’ils envoient la « scientifique », je veux qu’ils relèvent toutes les empreintes qu’il y a sur le machin, enfin, l’échafaudage.

— Oh fan, tu me nifles3 quand tu te prends pour Columbo…. Avait seulement répondu l’inspectrice l’air affligé.

Arrivé dans la maison, l’Inspecteur principal avait tout de suite fait part de ses doutes à Janine.

— Madame, est-ce que votre mari avait des ennemis, des personnes qui auraient pu lui vouloir du mal ?

— Des ennemis non… enfin, il n’était pas commode, il n’était pas en bons termes avec tout le monde, mais on ne peut pas parler d’ennemis. Mais pourquoi me demandez-vous ça ? interrogea Janine.

— Eh bien madame Lepage, j’ai de bonnes raisons de penser que votre mari n’est pas mort d’un accident, mais qu’on a saboté l’échafaudage.

Il avait dit cela en s’épongeant le front et le cou, avec la mine aussi désolée que si c’était lui qui était tombé. Après quelques secondes de surprise, voire d’incompréhension, le naturel chez ma si charmante belle-mère était revenu au galop. Alors que l’Inspectrice Vidali semblait avoir le plus grand mal à convaincre ses collègues de l’Évêché d’envoyer la « scientifique », Janine s’était écriée.

— Alors là, Commissaire !

— Inspecteur principal, corrigeait aussitôt Leblanc.

— Si vous voulez, continua la vieille. La seule personne capable d’un tel acte, c’est Jacques, mon gendre ! Avec tout ce que nous avons fait pour lui, celui-là avec son air hypocrite, il ne nous a jamais aimés. Et, telle une diva de la Comedia del Arte, la main sur le cœur et des trémolos dans la voix,

— Pourquoi notre fille l’a choisi, lui, alors qu’elle avait de si beaux partis qui la voulaient ? Oh misère !

Michel était alors intervenu :

— Maman, tu ne peux pas dire ça ! Jacques a tout fait pour dissuader papa de monter sur ce truc, j’étais là ! Ce que tu dis est très grave et injuste.

— Toi aussi il t’a embobiné, mon fils, fit la vieille toujours sur le même ton théâtral.

— Ne l’écoutez pas, Inspecteur, c’est vraiment n’importe quoi, répondit Michel.

Hélas, le mal était fait, Leblanc tenait son suspect, moi, et il n’était pas prêt de le lâcher.

Chapitre 3

Leblanc persiste et signe

Nous étions donc convoqués Mathilde et moi, ce lundi 24 mai à 9 h, dans les locaux de l’Évêché, l’Hôtel de Police de Marseille. Janine, ma belle-mère et son fils Michel, eux, avaient déjà été entendus la veille au domicile de mes beaux-parents. Aucun écho de ces auditions ne nous étant parvenu à cette heure, c’était en toute confiance que nous nous y rendions. Comme disait Mathilde,

— Il s’agit d’un entretien de routine, ce sera vite terminé.

Nous avions donc quitté notre domicile vers 8 h et, il faut bien reconnaître que nous n’avions pas beaucoup parlé dans la voiture, chacun étant perdu dans ses pensées, tandis que l’autoradio distillait la voix cristalline de Whitney Houston et son magnifique « I will always love you ». Néanmoins, comment faire pour ne pas remarquer que la ville tout entière était déjà tournée vers la finale de mercredi soir ? Presque tous les balcons, les fenêtres ou les clôtures des maisons étaient pavoisés aux couleurs ciel et blanc. Tous les commerces sans exception affichaient soit un drapeau, soit la photo de l’équipe, soit des écharpes déployées. Je ne suis pas comme mon frère Marc, un vrai mordu de foot, mais cette ferveur unique en France ne me laissait pas indifférent. Partout dans les magasins, dans les bars ou dans la rue, les gens ne parlaient que de ça.

— C’est sûr, cette année elle est pour nous la coupe aux grandes oreilles !

— Avec l’équipe que nous avons, on ne risque rien, on va les tordre les Milanais !

— Oh minot, ne t’enflamme pas, c’est pas des peintres en face, c’est le grand Milan, la meilleure équipe du monde !

— Eh qué, on craint dégun4, on va les tordre je te dis ! Tapie va mettre la rouste à Berlusconi !

Souvent, à l’occasion d’évènements particuliers, de grands matches par exemple, nous organisions de grandes soirées « pizza » à la maison. Mes parents, mes frères et sœurs, les conjoints(tes) et enfants, tout le monde venait, près de vingt personnes en tout. Par beau temps, et c’est souvent le cas à Marseille, nous nous installions dans le jardin, nous tournions le meuble télé muni de roulettes dans notre direction et, nous profitions du bon air de la mer… et du match bien sûr.

Nous avions au préalable, commandé les pizzas au camion qui, chaque soir, stationnait sur le Rond-point de Bonneveine. Le patron, que tout le monde appelait « Tchatche », nous régalait de ses grandes théories sur le monde, la politique ou l’OM bien sûr. Il n’avait à sa carte que trois variantes de pizzas : celle aux anchois, sans fromage surtout, celle au fromage ou, la très prisée « moitié-moitié ». En toute objectivité, ou presque, ce sont les meilleures pizzas du monde ! Et pour le mercredi 26 mai qui arrivait à grands pas, tout était déjà prévu, afin de perpétuer cette belle tradition. Mon grand frère n’avait qu’une exigence, « on ne met pas de Champagne au frais avant le match, ça va nous porter malheur », disait-il. Et il rajoutait, « Je préfère boire tiède pour fêter la victoire, plutôt que de mélanger du Champagne frais à nos larmes ! ».

J’en étais là de mes pensées, lorsque nous sommes arrivés à proximité de l’Évêché. Ce bâtiment, datant de 1620, a été pendant près de trois siècles le Palais Épiscopal de Marseille, avant d’être transformé en 1908 en Hôtel de Police. Il se situe en face de la grande et belle Cathédrale Sainte-Marie Majeure, plus connue par les Marseillais sous le nom de la « Major ». Hélas, en ce début des années 90, Marseille n’est pas et de loin, une ville touristique. Les municipalités successives n’ont pas loin s’en faut, mis en valeur les monuments de la ville. La Major par exemple, perdue dans le quartier portuaire, posée à la sortie du tunnel sous le Vieux-Port, est l’exemple même du désintérêt des autorités locales pour le patrimoine architectural de la ville. Elle est gris et noir, jamais éclairée et tout le monde passe sans la voir. Quel dommage !

Néanmoins, Marseille n’est pas au contraire de Paris ou Rome par exemple, un musée à ciel ouvert. Il y a des monuments magnifiques, mais délaissés certes, mais la beauté unique de la ville réside avant tout, dans sa lumière incomparable prisée par de grands peintres et, dans cette mer Méditerranée si présente, si bleue, si belle, et surtout, si chère au cœur des Marseillais. Peut-être qu’un jour, à l’orée du vingt et unième siècle, se rendra-t-on compte en haut lieu, du potentiel touristique et culturel de cette ville si décriée, mais si fascinante.

L’Inspectrice Elodie Vidali nous attendait à l’accueil et, d’un ton enjoué, nous invitait à la suivre au premier étage pour rejoindre son chef. Je m’efforçais autant que possible de baisser les yeux pendant que nous montions les escaliers derrière elle, car son jean hyper moulant et sa façon de se dandiner en grimpant les marches me mettaient quelque peu mal à l’aise. D’un regard appuyé, Mathilde me fit comprendre qu’elle m’avait à l’œil, avant de réprimer un rire plutôt anachronique en ce lieu et ces circonstances.

Après nous avoir brièvement salués, l’Inspecteur principal Leblanc demanda à son adjointe d’interroger Mathilde, tandis que lui allait « s’occuper » de moi.

Dans une salle d’interrogatoire aux murs décrépis, une table bien usée et deux sièges dans le même état nous attendaient. Après m’avoir fait asseoir, Antoine Leblanc, avec sa mine désabusée et son air blasé, était tout de suite entré dans le vif du sujet.

— Bon, écoutez, Imbert, je n’irai pas quatre chemins, j’ai la conviction que le décès de Victor Lepage n’est pas accidentel, et je pense que c’est vous qui êtes responsable de sa mort.

Effectivement, il y allait fort d’entrée Antoine ! Je ne m’attendais vraiment pas à ça ! Cependant, comme j’ai su si bien le faire depuis l’enfance, je ne laissais rien paraître de mon trouble. Je répondais calmement,

— Mais il a eu un accident, il est tombé de son échafaudage mon beau-père. Vous ne pensez tout de même pas que je l’ai poussé ? En plus, hier matin, quand c’est arrivé, j’étais allé courir à l’autre bout de la ville. J’ai plein de témoins si vous voulez.

Leblanc avait alors plissé les yeux, s’était enfoncé dans son siège comme s’il allait faire une sieste et, presque inaudible, me balançait,

— Mais personne ne dit qu’il a été poussé. Puis, se redressant légèrement, il continuait. Pour moi il y a eu sabotage et, j’ai un témoignage qui vous charge.

— Un témoignage ? Quel témoignage ? Tout le monde m’a vu et entendu dire à beau-papa de ne pas monter sur son truc. Son fils Michel et moi lui avons proposé de consolider l’ensemble, mais il n’a pas voulu qu’on y touche. On vous l’a dit ça ? J’ai gardé mon calme, mais le ton était ferme et résolu. Puis, pendant plus d’une heure, il avait continué à me cuisiner. Tantôt compréhensif et conciliant,

— Je vous comprends, il n’était facile le beau-père et vous avez profité de l’occasion pour vous en débarrasser, c’est humain. Tantôt accusateur,

— C’est vous qui avez provoqué sa chute en sabotant la rambarde de sécurité ! Alors, avouez, ce sera mieux pour tout le monde, votre femme, votre fils et puis, si vous le dites maintenant la justice en tiendra compte, vous savez comment ça marche….

— Écoutez, Inspecteur principal Leblanc, lui dis-je en le regardant droit dans les yeux. Votre scénario n’est pas du tout réaliste. Mais bon, imaginons que vous ayez raison, je dis bien imaginons. Quand aurais-je pu commettre cet « acte de sabotage » ? Samedi ? Impossible, nous sommes tous partis immédiatement après que Victor nous ait présenté l’objet. Dimanche matin ? Impossible, je courrais aux Goudes. Il ne reste plus que la nuit de samedi à dimanche. Vous m’imaginez, de nuit, quitter mon domicile, entrer dans la propriété des beaux-parents, commettre mon forfait dans le noir et rentrer chez moi me recoucher ? Et tout cela sans ne réveiller personne bien sûr. Je crois que poser la question c’est y répondre non ?

Tout au long de l’interrogatoire, j’étais resté stoïque, calme, mais déterminé. De son côté, l’Inspecteur principal ne m’avait à aucun moment indiqué de qui venait le fameux témoignage qui, selon lui, m’incriminait. Je m’étais bien gardé de le lui demander. Mon attitude, tout en maîtrise et sans émotion apparente, avait semblé désarçonner mon interlocuteur qui, voyant qu’il ne tirerait rien de moi, et malgré mes arguments, m’avait finalement signifié ma garde à vue.

Mathilde, elle, en avait fini depuis longtemps avec l’Inspectrice et m’attendait sagement dans le couloir. Quand elle comprit la situation et qu’elle devrait repartir sans moi, j’avais lu la panique et la colère dans ses yeux. S’adressant à Leblanc, elle toujours si réservée, s’était écriée,

— Vous êtes un grand malade vous ! Mon mari n’a rien fait, au contraire ! J’espère qu’elle vous pétera dans les mains cette affaire !

Puis, s’adressant à moi :

— Tiens bon, mon amour, tu veux que je prévienne maître Milesi ?

— Non chérie, tu l’as dit je n’ai rien fait, je n’ai pas besoin d’un avocat, avais-je répondu l’air rassurant. Va retrouver notre fils, je ne moisirai pas longtemps ici, ils comprendront vite leur erreur.

Voilà, je viens de dérouler dans ma tête tous les évènements qui m’ont amené jusque dans cette cellule.

Je résume, Victor est mort en tombant de son échafaudage « favouille5 », les flics pensent qu’il s’agit d’un sabotage et, suite à la conversation que j’ai surprise entre Leblanc et Vidali, c’est ma très charmante belle-mère qui m’accuse sans aucun fondement ni aucune preuve, d’être le saboteur. Autant dire que je suis plutôt confiant quant à l’issue de cette journée. Ils ne peuvent que me relâcher dès ce soir, leur dossier est désespérément vide !

Plusieurs heures sont passées, on m’a juste donné un peu d’eau et un sandwich infect, mais je reste zen. Aussi, quand la porte de ma geôle s’ouvre enfin, c’est déjà un air de liberté que je respire.