Bouleversante fragilité - Christian Salenson - E-Book

Bouleversante fragilité E-Book

Christian Salenson

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Beschreibung

Une réflexion profonde et accessible sur la puissance paradoxale de la fragilité.

Qu’est-ce que des communautés où vivent ensemble des personnes avec un handicap et des personnes qui accompagnent font comprendre du mystère de l’humanité ? Mettre au centre la rencontre dans la faiblesse et à travers elle la vie commune : voilà, à proprement parler, le génie de l’Arche ! Signe de Dieu pour l’Église et pour le monde fondé dans le mystère pascal, l’expérience humaine et spirituelle de l’Arche est relue dans ce livre avec intelligence et finesse par le théologien Christian Salenson.

L’existence même de ces communautés de vie et de foi est une parole sur l’être humain et sur la société. L’Arche nous rappelle que nous ne pouvons pas construire de vrais dialogues si nous n’acceptons pas un dépouillement de soi, une pauvreté de cœur devant l’autre et surtout devant Celui qui a dressé la table et qui appelle les uns et les autres à prendre place à l’unique table du Royaume.

Un livre dense et passionnant, empli de sagesse.

EXTRAIT

Les communautés de L’Arche viennent de fêter les 50 ans de leur fondation. Ce livre voudrait être une contribution à la compréhension de l’expérience humaine et spirituelle vécue au sein de ces communautés où vivent ensemble des personnes porteuses d’un handicap et des personnes qui les accompagnent.

Les communautés de L’Arche sont aussi des communautés de foi. Elles ont été fondées dans la mouvance de l’Église catholique. Aujourd’hui, elles accueillent des personnes de diverses religions, indifférentes ou agnostiques. Ces pages voudraient à la fois montrer comment ces communautés de l’Arche sont authentiquement des communautés d’Église et donner à voir comment elles participent à une autre compréhension que l’Église désirerait avoir d’elle-même.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un regard juste sur le handicap, un regard qui laisse place à l'humanité et à la spiritualité. - Le livre du jour, RCF

Une relecture théologique qui intéressera tous ceux qui gravitent autour des communautés, et plus largement, le public sensible au message de Jean Vanier. - Cyril Douillet, Ombres et lumière

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christian Salenson est prêtre du diocèse de Nîmes. Après avoir été supérieur du séminaire interdiocésain d’Avignon et vicaire général du diocèse de Nîmes, il intervient auprès de l’Institut de Sciences et Théologie des Religions de L’Institut catholique de Méditerranée à Marseille. Il a tout particulièrement travaillé la spiritualité et la pensée de Christian de Chergé.

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Bouleversante fragilité

par Christian Salenson

racines

nouvelle cité

 

Qu’est-ce que des communautés où vivent ensemble des personnes avec un handicap et des personnes qui accompagnent font comprendre du mystère de l’humanité ? Mettre au centre la rencontre dans la faiblesse et à travers elle la vie commune : voilà, à proprement parler, le génie de l’Arche ! Signe de Dieu pour l’Église et pour le monde fondé dans le mystère pascal, l’expérience humaine et spirituelle de l’Arche est relue dans ce livre avec intelligence et finesse par le théologien Christian Salenson.

L’existence même de ces communautés de vie et de foi est une parole sur l’être humain et sur la société. L’Arche nous rappelle que nous ne pouvons pas construire de vrais dialogues si nous n’acceptons pas un dépouillement de soi, une pauvreté de cœur devant l’autre et surtout devant Celui qui a dressé la table et qui appelle les uns et les autres à prendre place à l’unique table du Royaume.

Un livre dense et passionnant, empli de sagesse.

Christian Salenson est prêtre du diocèse de Nîmes. Après avoir été supérieur du séminaire interdiocésain d’Avignon et vicaire général du diocèse de Nîmes, il intervient auprès de l’Institut de sciences et théologie des religions de l’Institut catholique de Méditerranée à Marseille. Il a tout particulièrement travaillé la spiritualité et la pensée de Christian de Chergé. Il est l’auteur de Prier 15 jours avec Christian de Chergé et des commentaires à la Retraite sur le Cantique des cantiques par Christian de Chergé (Éd. Nouvelle Cité).

 

Sommaire

Préface

Avant-propos

I. L’expérience de la rencontre

Les communautés de L’Arche

Le handicap dans l’histoire

L’expérience de la rencontre

Le lavement des pieds

La rencontre dans la faiblesse

Le handicap est un mal

Le mystère pascal

« Ni lui ni ses parents… »

II. La communauté

L’appartenance ecclésiale

Le sens d’une tension

La communauté

Pluralité religieuse et communauté

Corps blessé

III. L’Arche, un signe sacramentel

La dimension politique de L’Arche

L’engagement

L’Arche et le dialogue du salut

Du même auteur

Dans la même collection

 

Préface

Qui aurait pu croire qu’un geste aussi simple que celui d’accueillir deux hommes sans familles, sortis d’une institution violente et fermée où s’entassaient 80 hommes ayant un handicap mental, soit un jour le sujet d’un livre de théologie ? Jamais je n’aurais pu le croire, surtout pas au mois d’août 1964 lorsque Philippe Seux et Raphaël Simi ont accepté de venir vivre avec moi. Ce geste me semblait alors presque naturel. Ne fallait-il pas faire quelque chose face à cette souffrance humaine ? J’ai découvert par la suite que ce geste était révolutionnaire ! Il est à l’origine d’environ 150 communautés de L’Arche présentes aujourd’hui à travers le monde et de 1 500 communautés Foi et Lumière – mouvement fondé avec Marie-Hélène Mathieu de l’OCH à Paris. Bien au-delà de nos communautés, ce geste est aussi à l’origine d’une vision concernant les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle.

Qui aurait pu croire que ces personnes, souvent vues pendant de longs siècles comme une honte pour leurs parents, sont en réalité des hommes et des femmes qui, si nous entrons en relation de cœur à cœur avec eux, peuvent nous transformer et nous humaniser ? Ils nous révèlent alors combien nos sociétés, si souvent inspirées par un esprit d’individualisme, de compétition, de recherche d’argent et de succès, sont malades d’inhumanité.

Christian Salenson a été très important pour L’Arche en tant que théologien et homme de Dieu et de l’Évangile. Il s’est intéressé à L’Arche quand un groupe d’assistants est allé le voir pour lui demander son aide. En effet, L’Arche avait besoin de quelqu’un qui nous aide à découvrir le sens de notre vie et de nos communautés sous le regard de Dieu et à la lumière de l’Évangile, d’autant plus que nos communautés sont devenues œcuméniques et interreligieuses.

Ce livre excellent est le fruit de ce travail avec Christian. L’Arche n’est pas seulement une « bonne œuvre », un lieu où les personnes ayant un handicap peuvent trouver une vie plus humaine et plus heureuse, elle est un signe de Dieu dans notre monde où souvent les plus faibles sont déconsidérés, mis à l’écart et parfois même avortés. La vie avec les personnes ayant un handicap appelle les cœurs humains à s’ouvrir, à ne pas demeurer derrière des certitudes intellectuelles et culturelles. L’Arche et Foi et Lumière sont reconnaissantes à Christian de s’être penché sur ce qui fait le centre de nos vies et de nous avoir aidés à découvrir le sens profond des personnes ayant un handicap dans la vision de Dieu et dans l’Église.

Jean Vanier

 

Avant-propos

Les communautés de L’Arche viennent de fêter les 50 ans de leur fondation. Ce livre voudrait être une contribution à la compréhension de l’expérience humaine et spirituelle vécue au sein de ces communautés où vivent ensemble des personnes porteuses d’un handicap et des personnes qui les accompagnent.

Les communautés de L’Arche sont aussi des communautés de foi. Elles ont été fondées dans la mouvance de l’Église catholique. Aujourd’hui, elles accueillent des personnes de diverses religions, indifférentes ou agnostiques. Ces pages voudraient à la fois montrer comment ces communautés de l’Arche sont authentiquement des communautés d’Église et donner à voir comment elles participent à une autre compréhension que l’Église désirerait avoir d’elle-même.

Enfin, l’existence même de ces communautés de vie et de foi est une parole sur l’être humain et sur la société. La personne qui a un handicap mental a quelque chose à dire à la société. Cette parole politique dérange. Elle est pourtant nécessaire et certains doivent en être les porte-voix. Comment les membres de ces communautés et plus largement ceux qui vivent avec des personnes ayant un handicap mental peuvent-ils s’y engager avec justesse ?

Comment est né ce livre ?

En 2007, l’équipe responsable de L’Arche en France m’a sollicité pour animer une session avec les permanents. Les respon­sables se trouvaient de plus en plus confrontés à la question de la pluralité religieuse à l’intérieur des communautés. Cette diversité d’appartenance religieuse posait des questions nouvelles qu’ils n’entendaient pas résoudre en gommant la dimension religieuse. Les communautés de L’Arche sont des communautés de vie et aussi des communautés de foi dans lesquelles la croyance – et aussi la non-croyance – n’est pas renvoyée à la sphère privée mais est considérée comme un élément essentiel de la personne humaine dans sa globalité. Désormais, il fallait prendre en compte la pluralité religieuse. J’étais alors directeur de l’Institut de Sciences et de Théologie des Religions de Marseille 1, institut qui a vocation à dispenser une connaissance objective des religions, à penser la théologie chrétienne sur l’horizon de cette diversité religieuse, et à réfléchir aux questions nouvelles que pose sur le terrain la pluralité religieuse. Je croyais avoir quelques outils à ma disposition pour les accompagner sur ce chemin. Ce fut pour moi le début d’une aventure !

La rencontre préparatoire à une session programmée s’avéra des plus sympathiques mais toutes les propositions que je faisais se heurtaient à une sorte d’indifférence. Et j’ai constaté au bout d’un certain temps que ces responsables, qui avaient une longue expérience de la vie en communauté, ne cessaient de me raconter l’expérience bouleversante pour leur vie qu’avait été leur présence dans L’Arche et la vie commune avec des personnes marquées par le handicap mental. Les psychologues disent que lorsque quelqu’un répète un propos, il vous fait savoir qu’il n’a pas été entendu. Visiblement il fallait que je les entende ! On verrait plus tard le programme de la session !

Il me fallait donc accepter de faire le déplacement puisqu’ils n’entendaient pas quitter le lieu de leur expérience vitale ! J’ai par la suite, avec quelques craintes et beaucoup de bonheur, animé trois sessions de L’Arche, l’une sur la pluralité religieuse, l’autre sur la dimension communautaire et ecclésiale, la troisième sur l’engagement 2. Ces trois thématiques ont fourni les parties de cet ouvrage. Les responsables ont publié en interne les différentes communications faites au cours de ces sessions, puis ils m’ont demandé si j’acceptais d’écrire la relecture théologique de cette expérience humaine et spirituelle. Ainsi est né ce livre.

La signification de l’expérience de L’Arche

Dans le même temps, je ne voulais pas en rester uniquement à l’expérience de L’Arche. Cela m’a compliqué quelque peu la tâche. Je ne voulais pas faire un livre sur L’Arche mais sur l’expérience vécue à L’Arche, pour en faire valoir la profondeur et le sens théologique pour L’Arche elle-même mais aussi pour la société, pour l’Église et pour tous ceux qui vivent peu ou prou cette expérience de la rencontre avec cette forme de pauvreté qu’est le handicap. J’avais l’intime conviction que, si je parvenais à mener à bien ce travail, cela permettrait non seulement de montrer un aspect de la vocation de L’Arche : permettre une expérience humaine et spirituelle originale aux membres de ses communautés, mais aussi de la faire connaître, en premier lieu à ceux qui vivent la même expérience en d’autres lieux et qui ne participeront jamais à L’Arche. L’Arche offre cette expérience à l’Église en quête d’une compréhension renouvelée de sa mission et la propose à la société appelée à transformer son rapport à tous ceux qui ne sont pas intégrés et qui ne le seront jamais comme elle le voudrait !

Ces quelques pages parlent donc des communautés de L’Arche mais peuvent rejoindre bien d’autres formes de l’expé­rience. Elles sont centrées exclusivement sur la rencontre spécifique avec des personnes porteuses d’un handicap, essentiellement mental, mais cela pourra faire écho pour le lecteur à d’autres expériences de rencontre avec des personnes malades, avec la souffrance de proches, ou bien même avec la grande vieillesse et plus largement à bien d’autres formes de pauvreté.

Le lecteur comprend aisément que l’on ne se risque à écrire sur ce sujet qu’avec les plus grandes appréhensions, d’autant plus vives que l’on a été soi-même confronté à cette situation. J’ai personnellement grandi dans une famille bouleversée par le handicap physique survenu brutalement et accidentellement chez mon père. Cette expérience a profondément façonné l’homme que je suis devenu. Ces lignes ne sont pas pour autant autobiographiques.

Une expérience décisive

La rencontre avec la personne marquée par le handicap mental fait vivre à celui qui accepte d’entrer dans la relation une expérience humaine et spirituelle décisive pour l’ensemble de son existence. Vivre avec un handicap physique et/ou mental est une situation particulière pour un être humain. Seul celui qui la vit peut en parler décemment. Aussi je ne me sens ni le droit ni l’envie de parler à sa place. Je n’en dirai rien. Certains qui vivent cette expérience ont écrit sur le sujet. Mais celui qui côtoie la personne porteuse d’un handicap parmi sa famille, ses amis ou ses relations professionnelles, est amené lui aussi à faire une expérience qui peut profondément l’atteindre et le transformer, modifier sa manière même de vivre, modifier ses représentations, sa hiérarchie de valeurs, influer sur le sens qu’il donne à son existence. Il faut à cela quelques conditions particulières dont la plus décisive de toutes est l’authenticité de la rencontre. Tel est le sujet qui inspire ces pages.

On l’aura compris, ce petit livre n’est pas un ouvrage sur le handicap mais sur les communautés de L’Arche et sur la rencontre avec la personne porteuse d’un handicap. La question centrale en est : quelle expérience humaine décisive, et donc quelle expérience spirituelle, est-ce pour une femme ou un homme que de faire une vraie rencontre avec une personne qui vit avec un handicap physique et/ou mental ? Cette rencontre peut être épisodique, éphémère ou s’inscrire dans la durée. À la limite, peu importe ! La qualité et la force d’une rencontre ne dépendent pas tant de sa durée que de sa qualité.

Cette rencontre peut être vécue avec des proches, dans sa propre famille, avec des amis ou dans la vie professionnelle. Elle peut être bouleversante. On peut se l’avouer, l’analyser, essayer d’y mettre des mots ou ne pas se risquer à la nommer et la consigner au plus secret de son être. Mais elle peut être déterminante dans une courbe de vie. Cette expérience humaine est déroutante. Elle déstabilise et elle est inconfortable. Elle renseigne sur sa propre humanité, révèle à quelqu’un sa personnalité, éclaire son histoire personnelle, sa construction et ses fragilités plus que bien d’autres moyens d’analyse. Elle influe sur sa lecture de la société, sur sa compréhension du monde, sur l’expérience spirituelle d’une vie d’homme ou de femme en quête d’authenticité. Elle a une portée politique. Tout cela mérite que l’on s’y arrête…

Une expérience communautaire

L’Arche est aussi l’expérience de la vie en communauté avec toutes les nombreuses questions afférentes à la vie commune. La structure communautaire définit L’Arche. Mais la communauté est une réalité complexe. Qu’est-ce qui permet à une communauté de vivre, d’exister, de durer ? Qu’est-ce qui en fait l’unité ? Et comment cette unité vitale se décline-t-elle dans les multiples formes que prennent les différences accordées et reconnues à chacun ? Il y a un vrai mystère de la communauté et celles de L’Arche, par leur originalité, parce qu’elles sont des communautés de vie et des communautés de foi, sont susceptibles de venir enrichir notre compréhension de la communauté.

En posant ces questions, nous ne quitterons pas l’expérience humaine et spirituelle d’une vie vécue dans la proximité avec des personnes porteuses d’un handicap, en particulier mental. En effet, il est hors de question de poser la communauté en dehors justement de cette expérience fondamentale, d’en faire un en-soi alors que, comme toute communauté, elle n’a sa raison d’être qu’au service de l’avènement de chacun dans la vérité de son existence. Dans les communautés de L’Arche, toutes les questions sont amplifiées par la différence introduite par le handicap mental et physique. Mais ce sont ces mêmes questions que chacun rencontre dans tous les lieux de sa vie professionnelle, de sa vie familiale, dans la communauté religieuse, bref en tous ces lieux de vie commune choisie ou consentie.

Un engagement vital

L’autre question qui s’est posée est celle de l’engagement. Que veut dire s’engager dans les communautés de L’Arche ? La question s’est posée de savoir s’il fallait prendre un engagement vis-à-vis de L’Arche au point de chercher des formes institutionnelles qui signifient cet engagement. Mais la véritable question qui se pose concerne plutôt l’objet même de cet engagement. Est-il institutionnel ? Est-il un engagement dans l’institution de L’Arche ? Est-ce que cela rend compte de la nature même de cet engagement ? Cela mérite d’autant plus réflexion que cet engagement a une dimension politique en ce que L’Arche, par sa seule existence, interroge sur le sens de l’être humain, sur les représentations que l’on se fait de l’homme, de la vie, de la beauté, de la réussite, etc. : s’engager dans L’Arche implique donc bien d’autres dimensions de la vie dans la communauté et hors d’elle.

Cette question rejoint en fait plus largement toutes les formes que prend l’engagement dans une vie d’homme. Notre rapide réflexion invite à revisiter les discours habituels tenus sur les engagements, sur ce qu’est réellement la fidélité, ou sur l’engagement pour des causes humanitaires. Une nouvelle fois, le caractère unique de la vie avec des personnes ayant un handicap viendra éclairer bien plus largement que la situation elle-même.

Ces trois problématiques qui furent celles de trois sessions de L’Arche constituent les trois parties inégales de ce livre : l’expérience humaine et spirituelle de la rencontre avec la personne porteuse d’un handicap, l’expérience ecclésiale de la communauté, l’engagement et sa dimension politique.

Enfin, en terminant, je souhaiterais inscrire la relecture de l’expérience de L’Arche sur l’horizon plus vaste de la réflexion théologique d’aujourd’hui. En me ressaisissant des divers aspects de l’expérience de L’Arche : confrontation au handicap, expérience de la rencontre, vie en communauté, pluralité religieuse, dimension politique de L’Arche, je voudrais essayer de dire en quoi l’expérience de L’arche est une contribution à une théologie du dialogue du salut, terme sur lequel nous essayerons alors de nous expliquer.

(1) L’ISTR a été fondé en 1992, à Marseille, à l’initiative du cardinal Coffy. Aujourd’hui, il est un institut au sein de l’Institut Catholique de la Méditerranée. Il développe un département d’Études interreligieuses et de missiologie, un département de Pastorale et de spiritualité, un département d’Études et de recherches sur les religions à l’école.

(2) Ces trois sessions ont eu lieu respectivement en 2006, 2008, et 2010.

 

I. L’expérience de la rencontre

 

Les communautés de L’Arche

Les membres de L’Arche ne parlent jamais longuement de l’institution dans laquelle ils vivent. Ils parlent plutôt de l’expérience qu’ils y font. Aussi je resterai discret sur la présentation des communautés de L’Arche. Mais il convient de donner ici quelques indications succinctes pour ceux qui ne les connaissent pas en évoquant rapidement leur fondation originale.

L’Arche ne se définit pas comme un mouvement ou un service d’Église, mais comme une fédération de communautés. L’Arche ne s’écrit pas au singulier mais au pluriel. On parle « des communautés de L’Arche », chaque communauté étant d’ailleurs une fondation originale. Ces communautés sont implantées dans tous les continents : en Inde ou en Amérique du Nord, au Burkina Faso ou en Australie. Actuellement, L’Arche est une fédération internationale qui regroupe environ 150 communautés. En France en 2015, elles étaient au nombre de 32 et regroupaient environ plus de 1 200 personnes marquées par le handicap. Elles sont très diverses, s’adaptant au pays dans lequel elles sont implantées.

La fondation

L’Arche a été fondée par Jean Vanier. Cet homme a déjà un long parcours derrière lui lorsqu’il fonde la première communauté en 1964, sans se douter alors qu’il est en train de fonder les communautés de L’Arche. Ce Canadien, dont le père est militaire et diplomate, s’est engagé à treize ans dans la Royal Navy comme cadet et est devenu officier de marine 3. Puis il a fait des études de philosophie et passé son doctorat sur le bonheur dans l’éthique d’Aristote. Il donnera même un cours à l’université de Toronto. Mais il est en quête de sa vocation, qu’il trouvera dans la fondation de la première communauté. Il a alors trente-six ans. Il n’est pas le seul acteur de la fondation. Jean Vanier lui-même rappelle la part prise dans la fondation par le père Thomas Philippe, dominicain, à la personnalité complexe, qui était son accompagnateur spirituel. Il ne partagera pas le même point de vue que Jean sur l’orientation à donner aux communautés de L’Arche 4. Si Thomas Philippe assista aux premiers pas, ce fut Jean Vanier qui fonda la première communauté et qui donna à L’Arche dès le commencement ses intuitions décisives.

Parmi les membres fondateurs, il faut inclure les deux jeunes hommes handicapés avec qui s’est construite la toute première unité de vie : Raphaël et Philippe. La directrice d’un asile proche de Paris, que Jean a visité et dans lequel vivent entassés 80 hommes, accepte de lui confier pour les mois d’été Raphaël et Philippe 5. Ils s’installent tous les trois dans une petite maison, à Trosly-Breuil, près de Compiègne. L’expérience est concluante. Elle se poursuivra. Ils inventent ensemble une vie commune qui va profondément transformer… Jean ! Cette première expérience le confirme dans son intuition. Deux autres membres viennent se joindre à la petite communauté. L’année suivante, on demande à Jean de prendre la direction d’une structure en difficulté dans le village, le Val Fleury 6. Il y a 32 résidents. Jean, après hésitation, accepte. L’Arche est née.

Une intuition

Jean Vanier n’avait pas prévu de fonder les communautés de L’Arche. Il a simplement eu l’intuition de la nécessité d’une vie commune, plus familiale, plus humaine, pour ces personnes. Il était touché par la situation souvent dégradante dans laquelle elles étaient entretenues et il voulait leur offrir un cadre de vie plus digne. À ce moment-là, les structures de soin étaient essentiellement des hôpitaux psychiatriques, des asiles, et les personnes avec un handicap qui n’étaient pas dans ces institutions restaient confinées dans leurs familles. « L’idée d’une vie commune était présente dès le premier jour, l’idée d’une vie commune dans la joie, la fête, les rires s’est installée très vite et spontanément 7. » Il n’avait pas imaginé les bouleversements que cette vie commune lui ferait vivre 8. Il en sera le premier surpris. Probablement que les véritables fondations ne sont jamais la mise en œuvre d’un projet ! Elles sont toujours traversées par l’inattendu de la vie. Jean Vanier donnera le nom de L’Arche à cette communauté naissante.

Des communautés de vie

Ces communautés sont de véritables lieux de vie où vivent ensemble des personnes marquées par le handicap et des personnes qui les accompagnent. Ce choix original demande beaucoup de souplesse, d’inventivité et de disponibilité pour ceux qui y vivent. Il réclame aussi une ferme volonté de garder l’intuition originelle et ne pas être englouti dans la normalisation des règlements. Aujourd’hui, il faut du courage et de la détermination pour tenir l’intuition originelle. Le contexte actuel est celui de l’autoritarisme du règlement, l’empire de la gestion, au risque de miner de l’intérieur jusqu’à l’évincer parfois, la dimension humaine des projets, même éducatifs ! L’inflation de la réglementation en France a déjà gravement porté atteinte à la vie associative. Comme l’analyse le philosophe allemand Jürgen Habermas, nous sommes les victimes d’une société vidée de sa dimension religieuse et de ses discours de sagesse, si bien que le seul recours est désormais le juridique qui réduit chaque jour un peu plus nos marges de liberté 9. Dans son encyclique remarquée, le pape François dit que la culture écologique devrait être « une spiritualité qui constituerait une résistance à l’avancée du paradigme technologique 10 ». Dans le combat entre le pot de terre des valeurs de l’expérience humaine et le pot de fer de l’idéologie de l’entreprise, il n’y a pas beaucoup de suspens sur l’issue, comme on le voit au sein des structures hospitalières. La dimension humaine du soin, la rencontre entre le patient et le soignant désirée par les uns et par les autres, est grignotée, marginalisée, réduite à la technicité du soin. Les communautés de L’Arche n’ont pas d’autre choix que de résister vigoureusement.

Des communautés de foi

Ces communautés sont des communautés de foi. Cela ne signifie pas qu’il faille la foi pour y être admis mais que la foi des personnes n’est pas renvoyée à la sphère privée. L’Arche a été fondée dans la mouvance de l’Église catholique. Aujourd’hui, elle accueille des membres de toutes obédiences religieuses. La croyance de chacun, ou son incroyance, est un élément important de la vie de la communauté. Certaines communautés, selon les pays dans lesquels elles sont implantées, peuvent être majoritairement d’une autre religion que le christianisme. D’autres communautés vivent une vraie pluralité religieuse dans la diversité des membres qui les composent. Le fait d’être des communautés de foi constitue une originalité de L’Arche par rapport à d’autres institutions.

L’invention de la communauté

Nous reviendrons sur certaines intuitions de la fondation dans la deuxième partie lorsque nous nous interrogerons sur la dimension ecclésiale, l’« ecclésialité » de L’Arche. Mais disons déjà que l’une, fondamentale, a guidé la naissance des communautés : offrir à des personnes porteuses d’un handicap mental de vivre une vie en communauté avec les personnes qui accompagnent. Il s’agissait bien de leur offrir des conditions de vie qui s’apparentent peu ou prou à celles d’une vie de famille, d’un foyer, plus qu’à celles d’une institution conçue pour les prendre en charge.

En créant des communautés de vie, Jean Vanier exposait les personnes accompagnantes à vivre en continu avec des personnes marquées par le handicap mental. Et si, dans l’intui­tion première, il s’agissait de donner les conditions d’une vie plus humaine pour les personnes avec un handicap, Jean n’avait pas prévu les changements et les bouleversements profonds que lui-même allait vivre et à sa suite tous ceux qui accepteraient de vivre la même expérience. Voilà pourquoi L’Arche est d’abord une expérience, celle d’une vie commune avec les conséquences que cela entraîne, sur lesquelles nous allons revenir.

L’originalité de L’Arche apparaît mieux quand on l’inscrit dans l’histoire et qu’on regarde la manière dont le handicap a été considéré depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours dans le Bassin méditerranéen. Aussi, avant de revenir à l’expérience même de L’Arche, probablement est-il utile de faire un petit détour et de feuilleter quelques pages de l’histoire du handicap.

(3) Sur sa vie, on peut lire avec beaucoup d’intérêt Kathryn Spink, Jean Vanier et l’aventure de L’Arche, Novalis, Éditions de l’Atelier, Paris 2007. Édition originale : The Messagee, the Miracle, the Story, Ottawa 2005.

(4) Thomas Philippe est le frère Marie-Dominique Philippe.

(5) En fait, la directrice propose trois personnes : Raphaël, Philippe et Dany ; mais dès la première nuit il s’avère que Dany ne peut rester et continuer cette expérience nouvelle.

(6) Le Val Fleury est une institution qui connaît une grave crise en 1964 avec la démission de la quasi totalité des membres du personnel. Jean Vanier en prend la direction en mars 1965, ce qui modifie profondément la petite structure familiale originelle.

(7) Kathryn Spink, Jean Vanier et l’aventure de L’Arche, Éditions de l’Atelier, p. 72.

(8)Ibid., pp. 68 sq.

(9) Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion, les défis de la démocratie, NRF essais, Gallimard, 2008. Cette remarque est d’autant plus forte que chez Jürgen Habermas, la question religieuse était un angle mort de sa pensée jusqu’aux événements du 11 septembre à New York.

(10) Pape François, Laudate si, n° 111.

 

Le handicap dans l’histoire