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"Bouts d’ficelles" nous guide à travers les labyrinthes de l’esprit d’un personnage, éveillé par un rayon de soleil qui perce l’obscurité de sa chambre. S’ensuit un voyage surprenant à travers les périphéries de la mort, plongeant dans les profondeurs de sa conscience, à travers le regard du Vivant. Suivez les péripéties de ce personnage mystérieux, tandis que l’intelligence artificielle et le destin jouent un rôle fondamental.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Le 27 janvier 2017 à Los Angeles,
Nadia Daoudi a subi un dramatique accident de moto en compagnie de son amie, durant lequel elle a vécu ce qu’elle nomme l’EVI – Expérience de Vie Imminente. Poussée par cette expérience, elle a ressenti une irrésistible nécessité d’écrire ce livre, comme une expansion de l’esprit.
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Seitenzahl: 240
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Nadia Daoudi
Bouts d’ficelles
Roman
© Lys Bleu Éditions – Nadia Daoudi
ISBN : 979-10-377-9909-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma mère, trois fois ma mère.
C’est un matin d’hiver, un matin de silence morne et glacial, le paysage givré sous un ciel malade aux traits ternes et grisâtres fait peine à laisser transparaître la moindre lumière.
À travers la grande fenêtre de bois du salon, j’observe ma petite rue, plantée là, tout au bout de la ville, tout au bout de tout, au bout de rien.
En face d’elle, un mur de pierre gris, sale, délimite l’enceinte du stade municipal de football. Ce dernier s’anime lorsque les jeunes et les séniors de la ville deviennent, le temps d’un match, les rois absolus du stade et à la modeste tribune d’en témoigner les jours de rencontre avec les villes voisines, par ses cris et ses applaudissements.
Le front posé sur le carreau froid de la fenêtre, une idée soudaine me traverse.
C’est la mort des choses !
Ce ciel sombre et bas, cette terre durcit par le froid glacial, ce béton froid comme la mort et ces deux sinistres barres de logement à l’allure de prison, ajoute à la tristesse du décor.
(Construites en 1940 dans un style dépouillé que l’on appelait à l’époque les cantonnements, ces barres de logements pour ouvriers célibataires s’adressaient à une population ouvrière venue d’Afrique du Nord.)
Cette toute nouvelle année commençait de façon bien morose, pensais-je. La maison, semblable à l’image de cette nature morte, s’est tue depuis longtemps.
Tout à coup, la sonnerie de la messagerie du téléphone me sort de cette mélancolie et me ramène à mon quotidien qui ces derniers mois se résumait aux travaux à l’étage de la maison familiale, laissée vide et que j’occupais désormais, provisoirement.
Johnny Depp, c’était Johnny, un contact du bout du monde sur un réseau social et qui, ce jour-là, prit ce pseudonyme comme pour s’amuser de l’absurde que permet l’espace virtuel.
« Salut toi, comment vas-tu ce matin ? Au fait, bonne année ».
« Salut, ça va. Comme un nouveau matin d’une nouvelle année à fêter, paraît-il, froide et distante ! »
« Je viens de voir les images du réveillon à la télé, alors Nadia, tu es sortie fêter ça ? »
« Non ! Tu sais bien ! ». Je n’aime pas tellement ces fêtes pleines de rien, tout ce raffut autour du renouveau quand la moitié du monde danse, l’autre pleure ou crève en silence dans l’indifférence totale. Le malheur du monde repose sur l’amour de ses mensonges, mais bon, c’est une nouvelle année à fêter, alors faudrait pas s’louper. « Le meilleur reste à venir, mieux vaut s’le dire ! Je suis restée à la maison et toi, ta soirée sous les tropiques, c’était chaud ? »
« C’était calme ! J’ai passé la soirée en bonne compagnie, celle de ma voisine Caprice. Nous avons pris un verre, mangé un bout et discuté jusqu’à pas d’heure. Et tes travaux, ça avance ? »
« Il y a encore quelques finitions mais ça attendra, j’ai besoin de faire un break, de souffler un peu, d’aller voir ailleurs si j’y suis ! »
« Ah ! Tu penses partir ? Où ça ? »
« J’y songe ! Juste trois ou quatre jours tout au plus, un week-end pas trop cher, pas trop loin. »
« Ça te fera le plus grand bien apparemment. »
« Sûr que oui ! Bon, j’te laisse, j’ai à faire, à plus ! »
Johnny Depp s’appelle en réalité Daniel et vit en Nouvelle-Calédonie. Le contact avec Daniel s’est fait suite à quelques échanges houleux sur des sujets d’actualité brûlants.
Je ne suis pas du genre à garder ma langue dans ma poche et tout ou presque de ce que je pense, je le dis haut et fort, aussi net qu’une coupe de pain tranché ! Ce qui me vaut bien souvent des rapports à l’autre difficile et des pertes parfois irréparables, qu’elles soient familiales, amicales, amoureuses, professionnelles ou financières. Je ne saurais vivre autrement qu’en étant au plus vrai au plus juste de mon humanité pleine, ma vérité.
Daniel, quant à lui, était un peu plus mesuré. Il disait qu’il n’était pas toujours bon ni même utile de tout dire, qu’il fallait se méfier des vérités instantanées, des vérités que l’on pouvait parfois se fabriquer.
Je rétorquais à cela que je voudrais n’avoir rien à dire. C’est pourquoi je dis tout ce « tout » qui jamais n’aura de valeur que dans l’absence de l’autre. J’ai pu observer dans ce monde que les gens passaient leur temps à vous faire et vous défaire, soit ils vous encensent pour un temps, soit ils vous détestent pour toujours et bien évidemment tout cela en fonction du degré de vos ressemblances, de vos appartenances, de ce que l’on dit être bien ou mal.
Djalâl ad-Dîn Rûmi, mystique, poète et philosophe perse du XIIIe siècle, a écrit : Au-delà du bien et du mal, il existe un champ. C’est là que je te retrouverai.
Aujourd’hui, je comprends le sens profond de ses mots.
Un cœur sincère se doit d’accueillir toutes les vérités, amères fussent-elles (ce sont les plus belles). C’est à ce prix seulement qu’il nous est possible de nous émanciper de tout diktat extérieur.
Être ! Sans avoir à se cacher derrière son petit doigt, qu’il soit maman, papa ou le diable en personne. Je n’avais rien de si urgent ni de particulier à faire, seulement de m’affaler de tout mon poids sur l’énorme sofa d’angle gris aux larges coussins dodus teintés d’un violet de cobalt pour mes rêveries qui me soutenaient parfaitement à cet instant.
Ce fut bien là mon activité favorite, m’abandonner, ne rien faire, ne rien penser, me laisser porter là, comme ça, m’en aller un peu, m’évanouir. La catalepsie absolue !
Le temps passe, sans moi, mais voilà qu’une visite inopinée me fait sortir de cet instant hors du monde. Des cris venant de l’escalier me font sursauter.
« Coucou tata, c’est nous ! »
C’est la voix de ma petite nièce chérie, Syrine, si jolie, longue et rayonnante, timide de caractère mais curieuse, avec le féroce appétit de la vie à découvrir. Elle qui, bientôt, allait traverser cet âge rebelle, si redouté des gardes-chasse que font les parents, rongés par la culpabilité d’être ou d’avoir été si mauvais.
Je me revoyais à cet âge, c’était encore l’été, doux et chaud, de ces étés qui n’en finissent pas. C’était la liberté, cartable et devoirs jetés derrière la porte en bois du cagibi. C’était la balle aux prisonniers, les champs, les bois hantés par la Dame Blanche et la brèche, rivière de mon enfance, que les folles têtes brunes et blondes adoraient piquer droit au fond. C’étaient les copains et les copines partis à l’aventure, tels de nouveaux explorateurs, c’étaient également les grottes cachées, celle de la pluie et du soleil, deux bijoux posés dans l’écrin de la forêt. Merveilles des merveilles.
Des étés absolument superbes, le monde à notre échelle, glorieux et sans mesure.
Je me remémorais tout ceci avec beaucoup de tendresse et à chacun de mes précieux morceaux de vie d’enfant, une place éternelle avait été gravée dans mon cœur.
Évidemment, il nous avait été défendu de s’éloigner de la maison mais c’était bien là la vie, la vraie, désobéir !
« Bonne année tata ! »
« Bonne année ma tiote ! »
« Tu es seule tata ? »
« Oui ! »
« J’ai demandé à papa s’il voulait bien m’amener te voir, et nous voici ! »
« Quelle bonne idée, ça me fait très plaisir ! »
Mon frère, comme beaucoup peuvent l’être, était assez sarcastique, assez taquin avec moi, sa petite sœur, et son amour était aussi discret qu’inavouable.
Née un dimanche à midi, de l’année 1973, je suis issue d’une fratrie de six enfants, de confession musulmane, d’un papa plutôt libre dans sa façon de penser Dieu et de le vivre et d’une maman traditionnelle conditionnée par la peur de ses croyances culturelles et autres, celle de l’enfer et du jugement qu’elle nous a plus ou moins transmise.
J’étais une petite fille assez curieuse des choses de la vie, du comportement humain. Pourquoi les gens font ce qu’ils font et pourquoi ils croient ce qu’ils croient ? J’avais très tôt une soif de comprendre le monde et moi.
S’agissant de Dieu, et puisque très tôt dans ma vie d’enfant, Il a fait partie de l’énigme, je demandais à ma mère :
« M’man, qui c’est Allah ? »
« Il est celui qui va te punir et t’envoyer en enfer si tu n’obéis pas et ne fais pas les bonnes choses à faire. »
« Et comment je peux savoir si je fais bien ou pas, et c’est où l’enfer ? »
« Oh ! Arrête avec tes questions, tu me fatigues ! Tu fais le bien, tu trouves le bien, tu fais le mal, tu trouves le mal, c’est tout ! C’est simple ! Et tu m’obéis, c’est encore plus simple ! »
Évidemment, ses réponses ne faisaient pas mon affaire et j’ai vite compris que mes questions resteraient à jamais sans réponses si je ne me mettais pas moi-même en route pour les élucider. C’est donc très tôt dans ma vie d’enfant que je me suis mise en quête de vérité.
Mon parcours scolaire est en dents de scie. Je décroche le plus possible. Je passe de médiocre à pas trop mal quand l’envie me prend, que je ne traîne pas mes savates de plomb et que je suis disposée à faire bien comme dit maman !
Je me marie à l’âge de 20 ans, quelque temps après le divorce de mes parents, comme pour conjurer le sort, me disant, ma famille, moi, je vais la réussir !
Huit ans plus tard et trois enfants, me voilà comme papa et maman.
Divorcée !
« Alors p’tite sœur, de nouveaux projets en cette nouvelle année », s’exclama-t-il d’un ton moqueur.
« Non, je n’en ai pas », répliquais-je sur un ton sec et exaspéré.
« Pour en avoir, faut-il encore le désirer, et moi je ne veux rien ! »
Nous passâmes un petit moment à échanger. Je faisais mine de m’y intéresser, mais à ce moment-là ni le cœur ni l’envie de partager quoi que ce soit n’y étaient.
Après leur départ, je me mis à tourner en rond à travers les pièces de la maison, telle une bête en cage qui cherche à échapper à son triste sort, pour finir sur le canapé gris aux larges bras si réconfortants.
Je réfléchissais à la brève conversation que nous venions d’avoir avec mon frère aîné.
Pourquoi ai-je dit ça ?! Bien sûr comme tous, j’ai moi aussi des envies, des projets, j’en ai au moins un, là tout de suite, c’est de partir, d’aller trouver le soleil, de secouer ce tapis d’ennui qu’est devenu ma vie.
Allez debout, me dis-je !
Je me connecte à mon ordinateur et me lance à la quête du petit coin parfait pour me ressourcer. Budget maximum, 600 euros.
J’écume les pages des petits séjours en France et autour du Bassin Méditerranéen à chasser ce petit paradis pour aller me reposer l’âme.
C’est alors que le son de la messagerie retentit, c’est Alia, une amie. Nous nous sommes rencontrées pour la première fois lors d’une sélection de PNC (Personnel Navigant Commercial) pour une compagnie aérienne Emirates à Dubaï en 2004.
À ce moment-là, j’étais maman solo depuis deux ans et je tenais le bout avec des petits boulots, des contrats intérimaires et la galère pour faire garder les enfants un coup chez maman, un autre chez une amie et leur papa lorsque son tour était venu.
Un matin de novembre, où le gel était tombé la nuit durant, je me préparais pour partir à 5 heures afin de me rendre à mon travail en tant qu’intérimaire pour un poste de préparateur de plateaux repas à l’aéroport de Roissy. C’est un travail fastidieux à la chaîne. Je me demande encore aujourd’hui, comment font ces gens qui restent 20 ans ou plus dans cet enfer ? Ils sont soit très courageux soit fous !
Mon frère avait eu la gentillesse de me prêter son véhicule le temps de ma mission. Malheureusement ce matin-là, en baissant la vitre pour payer le péage, celle-ci est restée bloquée et j’ai dû rouler la fenêtre totalement ouverte jusqu’à mon lieu de travail espérant que la voiture soit encore là à la fin de mon service.
Je rentrais chez ma mère pour lui expliquer ma mésaventure, et c’est alors que nous eûmes une très forte altercation, mémorable !
Je n’en pouvais plus d’entendre ses reproches et d’avoir, à ses yeux, raté ma vie par des choix stupides, alors qu'elle oubliait qu'ils étaient en partie aussi le fruit de sa transmission. Elle ignorait elle-même que tous ses rendez-vous manqués étaient là, et se présentaient face à elle.
Je laissai les clefs de la voiture sur la table de la cuisine et pris mon sac en claquant la porte derrière moi. J’étais à pied et, comme un bonheur ne vient jamais seul, il se mit à pleuvoir des cordes et je me mis à pleurer, je voulais hurler toute ma rage et mon désespoir ce que je fis.
Dans ma colère et ma douleur, je convoquais Dieu, je le sommais de se présenter à moi, de me donner une explication ! Et tels étaient mes mots :
Pourquoi est-ce que tu me fais ça ?!
À l’âge de 7 ans, quand j’ai voulu obtenir une chose qui me faisait très envie, j’ai dû choisir entre mentir ou dire la vérité. J’ai choisi de dire la vérité, je t’ai choisi !
Et j’ai perdu l’objet de mon désir pour Toi !
Et Toi, que fais-tu ? Tu me mets dans une histoire de mariage pourrie (c’était mon état d’esprit à cet instant) faite de mensonges et de trahisons où je ne fais que perdre, et je continue de te choisir, et je pars, et je perds encore et encore ! Pourquoi ?
Montre-moi qui Tu es, instamment !
Je continuais ma route sous une pluie battante et froide. C’est alors que je pris mon téléphone pour appeler une amie et lui confier mon chagrin, ma galère, et comme un bonheur n’arrive jamais seul, je n’avais plus de crédit pour appeler qui que ce soit ! À peine eus-je le temps de ranger mon téléphone dans mon sac, qu’il sonna et aussi incroyable que cela puisse paraître, c’était l’amie en question !
Je lui racontais mes tribulations à chaudes larmes. Puis elle me dit, viens me retrouver sur le parking de mon taf, j’ai quelque chose pour toi qui te redonnera peut-être le sourire.
Par chance, elle n’était pas très loin de moi. Je l’aperçois, un large sourire aux lèvres, et lorsqu’elle arrive à ma hauteur, elle me tend un post-it à la main.
« Qu’est-ce que c’est ? Lui demandais-je. »
Elle me répond : Ce matin, j’ai eu Sana au téléphone (l’année précédente, nous étions allées, mon amie et moi, à Dubaï pour une petite semaine de vacances où nous avons fait la connaissance de Sana qui était hôtesse de l’air et, à l’entendre, ça semblait génial). Elle m’a donné ces informations pour toi. Emirates, la compagnie où elle travaille, se prépare à recruter des personnels navigants, à Paris. C’est une journée porte ouverte et ça aura lieu à l’hôtel Renaissance, à la Défense. Tiens, voici pour toi ! que vas-tu en faire ?
Dans mon esprit, il était évident que ceci constituait une réponse à ma demande faite à Dieu, quelques minutes auparavant. J’ai alors pris cela comme un signe, me proposant ainsi une rencontre au pied de son autel Renaissance. J’ai tout mis en œuvre (avec l’aide de la providence) pour réussir la sélection et, à la question précédemment posée à Dieu : « Qui es-Tu ? » Il m’a montré qui j’étais.
Lors de ce voyage à Dubaï avec mon amie, j’ai rencontré ce jeune homme immigrant du Canada, très beau, très attirant, inattendu. J’hésitais à entamer une relation car trop de choses nous séparaient. Il y avait l’âge puis la distance et la langue, mais il insistait tellement avec des arguments que je pensais solides à ce moment-là que j’ai fini par céder. À ma décharge, il était très beau !
À mon retour en France, nous continuâmes nos échanges via le téléphone ou internet pendant quelque temps. Je pris à nouveau quelques jours pour le rejoindre et reçu en cadeau, une grande leçon de vie qui me coûta très cher, il me quitta sans ménagement, sans préavis. À la suite de cela, je pris énormément de poids en me réfugiant dans la nourriture, le sucre essentiellement, ce doux poison qui m’anesthésiait petit à petit jusqu’à ne plus me reconnaître dans le miroir. J’avais été lâchement abandonnée sans explications aucunes par un homme que j’avais placé au-dessus de presque tout. Je me revois sur le tapis des supplications, implorant Dieu de me le rendre, mais rien n’y fait, silence radio.
Pourquoi ?!
Ce n’était pas du fait de la séparation d’avec un homme ou d’une histoire de pour toujours fabriquée dans ma tête (que l’on m’avait aussi quelque peu aidé à fabriquer) quand les faits étaient clairs, mais à ma propre séparation, à l’arrachement de moi-même, à ma propre injustice envers moi. Plus jamais ça n’arrivera ! Je ne placerais plus jamais personne au-dessus de moi ici-bas ! Jamais plus je ne m’attacherai au mensonge, quelle que soit son apparence, je le démasquerais où qu’il soit.
Néanmoins, de belles choses sortiront de cette rencontre. Sans qu’il le sache ni moi non plus par ailleurs, il m’aura aidé à améliorer mon anglais au cours de nos longues conversations téléphoniques ou lors de nos échanges à l’écrit. J’étais si amoureuse de ma chimère que mon ouïe s’est faite limpide et que mes yeux le long de ses déclarations si ardentes, déchiffraient le moindre mot étranger pour se l’approprier. Cette grâce me permettra, l’année suivante, lors des sélections par deux recruteuses venues d’Angleterre, de passer l’oral et l’écrit sans embûches.
J’avais trois semaines devant moi pour perdre cet amas de douleur et de déceptions que l’on appelle aussi graisse, alors chaque matin.
Je partais très tôt pour me rendre dans un petit parc. Je ne savais par quel bout commencer et je n’aimais pas ça, courir. Pourtant, il fallait bien faire quelque chose, ça n’allait pas fondre tout seul !
C’est alors que je fis la rencontre d’un homme qui, lui, semblait bien connaître son affaire et courait avec aisance tous les jours à la même heure. Nous fîmes connaissance et je lui expliquai donc le pourquoi de ma présence ici tous les matins et mon problème. J’eus la chance d’avoir face à moi un coach sportif qui était en vacances chez son cousin. Il m’expliqua en détail quoi faire et comment le faire, que ça allait être dur et drastique mais efficace. Je suivis à la lettre, quasi religieusement, ses recommandations. Le jour J arriva et j’étais prête ! Physiquement et psychologiquement, un mental d’acier.
Deux bonnes amies m’accompagnèrent afin de me soutenir. Bien que parties de très bonne heure ce matin-là, nous nous sommes retrouvées dans un trafic monstre sur l’autoroute, un embouteillage où presque toutes les voitures étaient à l’arrêt. Mon rendez-vous était à neuf heures tapantes et pour sûr si je restais coincée dans cette voiture, je n’y serais pas ! Ni une, ni deux, avec une de mes amies je bondis hors de la voiture, sautant les rambardes de sécurité routière courant jusqu’à plus souffle au premier métro. Neuf heures sonnantes, nous arrivons au pied de l’hôtel Renaissance.
Nous étions, lors de cette porte ouverte, à peu près deux cents candidat(e)s à nous présenter pour la sélection et les places étaient chères, mais moi je ne le savais pas. Je sortais d’un divorce difficile, d’une histoire qui avait secoué les fondements les plus profonds de mes pauvres certitudes, d’un quotidien fait de maman, pipi, caca, popo, pour me retrouver ici au milieu de ces géantes qui venaient de compagnies prestigieuses comme British Airways, Air France et d’autres. Je n’avais rien de tout cela et, l’espace d’un instant, le doute me frappa. « Mais qu’est-ce que tu fais là ? » me dis-je. Puis, quelque chose se passa en moi et je me repris immédiatement en me disant que si elles, pouvaient le faire, alors moi aussi il n’y avait pas de raison. J’ai redressé ma tête et j’ai foncé droit devant pour déposer mon curriculum vitae, quelque peu arrangé, je l’avoue.
Sarah, l’une des intervieweuses (une Anglaise) m’observa un instant et me dit :
I know you? You look like familiar. (Je vous connais ? vous me semblez familière), ce à quoi j’ai répondu : I don’t think so, it’s my first time here. (Je ne le crois pas, c’est ma première fois ici.)
En me préparant pour ce jour si important, j’avais pris soin de me renseigner sur la compagnie, arborant ses couleurs et ses codes qui étaient rouge et beige avec un chignon et un maquillage nec plus ultra qui voulait dire : Je suis l’image parfaite au service de votre compagnie, choisissez-moi !
Sarah avait peut-être reconnu ici, ce jour, l’image de ce qu’elle recherchait.
Je pris place dans la grande salle de l’hôtel Renaissance, au milieu de la foule. Sur le siège à côté de moi se trouvait un jeune homme qui se prénommait Khalid. Il m’expliquait que c’était sa troisième tentative pour entrer dans cette fameuse compagnie, qui offrait des avantages non négligeables, en plus de pouvoir voyager à travers le monde, que c’était là son rêve, qu’il le touchait du bout des doigts à chaque fois. Il allait jusqu’à l’entretien final, mais tout s’arrêtait là pour lui, hélas, trois fois hélas !
Un jour, j’y arriverai, clamait-il à qui voulait bien l’entendre ! Je l’entendais.
Quant à moi, je lui disais le besoin pressant que j’avais de trouver un vrai travail qui paie correctement. Emirates me semblait être la bonne opportunité, la bonne carte de visite sur un CV, j’avais besoin d’argent et d’une assise professionnelle sérieuse.
« Il me dit : Tu sais, la sélection est difficile, beaucoup de candidats pour une poignée d’admis. C’est ma troisième tentative et je ne sais toujours pas ce qu’ils cherchent, alors ne sois pas déçue si tu ne réussis pas du premier coup, il faut persévérer. Écoute bien ce que je vais te dire. Sarah va commencer par nous mettre l’eau à la bouche avec un petit film sur Dubaï et la vie rêvée là-bas, ensuite elle demandera s’il y a des questions et c’est à ce moment précis que tu devras en poser une pour te démarquer des autres. »
Le film se déroula comme prévu, comme il me l’avait expliqué, tout comme le reste. Khalid se leva et posa la première question, puis deux autres candidats suivirent. J’étais complètement tétanisée, je ne savais pas quoi dire. Il me cogna du coude pour me secouer en me disant, mais qu’est-ce que tu attends ? Pose une question, bon sang !
Je lui dis : je ne sais pas quoi dire, rien ne me vient !
C’est alors qu’il déchira un morceau de papier qu’il retira de l’intérieur de sa pochette, griffonnant dessus une question en me sommant : Lis ça !
Je m’exécutai sur le champ, me levant, tel un appelé au garde-à-vous, avec une assurance qui encore aujourd’hui me dépasse. C’est à partir de ce moment précis de la sélection que j’entre en action, en mode opérationnel « jusqu’au bout ! »
Le process de ce recrutement durera trois jours, je ne le savais pas. Trois longues et interminables journées au cours desquelles seront éliminés petit à petit la plus grande partie des candidats.
Après cette première entrée en matière, Sarah et sa collègue nous remercient toutes et tous d’avoir participé à cette journée porte ouverte et qu’elles nous recontacteront si besoin est.
C’est tout ? Pensais-je.
Nous sortîmes tous de l’hôtel et je remerciais vivement mon voisin de m’avoir si gentiment aidé de ses précieux conseils et de son antisèche qui sera la clef de mon départ prochain. Nous nous sommes retrouvés avec un petit groupe qui était en discussion de ce que nous venions tous de vivre ce matin-là.
Nous fîmes parmi ce groupe la connaissance d’une jeune femme blonde, élancée, sophistiquée et très élégante. Sa façon de balancer sa grande étole rouge sang de manière faussement négligée derrière elle lui donnait fière allure, et son uniforme d’Air France, pour qui elle travaillait déjà comme chef de cabine, ajoutait à sa prestance. Elle était remarquable, c’est sûr.
Elle racontait que son papa était commandant de bord chez AF et que lui ne souhaitait pas que sa fille intègre cette compagnie dans un pays si incertain mais qu’elle s’en fichait, qu’elle le voulait, elle ! (à l’époque, cette compagnie avait le vent en poupe, c’était la compagnie de prestige, celle où il fallait être.)
Nous décidâmes d’aller prendre un café au coin de la rue avant de reprendre respectivement nos routes. Les discussions autour de la sélection allaient encore bon train.
Et toi, qu’en penses-tu ? Pourquoi nous renvoyer chez nous sans autres explications ? Quand allaient-elles nous contacter ? Etc.
Les commandes arrivèrent et, à peine avais-je eu le temps de prendre une gorgée de mon expresso, que mon téléphone sonna. C’était Sarah qui me proposait de revenir le jour suivant pour la suite des sélections. Tous les regards autour de la petite table et de la table voisine me fixaient pour me tomber dessus dès que j’eus raccroché le téléphone.
Alors, raconte, c’était Sarah, c’est bien ça ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
Oui, c’est elle. Je me présente demain matin pour la suite des sélections.
On me félicita du coin des lèvres en s’empressant de guetter la sonnerie de son propre téléphone. Quant à mon bienfaiteur, ses chaleureuses félicitations étaient empreintes d’une amertume qu’il ne me cacha pas et que je comprenais très bien. J’aurais tant aimé qu’il puisse continuer avec moi, mais hélas, trois fois hélas…
Il me souhaita toute la réussite du fond du cœur bien que ce jour, le sien fut meurtri. Je vis alors toute la beauté d’un être brisé mais vrai.
Je revins le lendemain matin, nous étions une centaine de candidats et cette fois-ci, on nous donna à chacun(e)s un sticker avec écrit dessus nos prénoms respectifs et un numéro. Pour ce jour, mon numéro sera le 92. Il y eut le test écrit puis à nouveau un écrémage, les personnes appelées devaient, hélas, quitter la sélection.
Quant à nous autres qui restions, on nous demanda d’aller déjeuner et de revenir en début d’après-midi pour le dernier test de la journée, celui de groupe.
Et c’est là, au détour d’un couloir, que je vis Alia la première fois. Une fille assez grande et souriante qui portait sur la tête une drôle de casquette, une gavroche.
Après avoir immédiatement sympathisées suite à quelques mots échangés, Alia me proposa de déjeuner ensemble avant de retourner à l’hôtel pour la dernière épreuve du jour.
Alia arrivait de Nice où elle venait d’être recalée à la sélection moins de six mois auparavant. Le règlement Emirates était clair, vous deviez attendre six mois pleins avant de vous représenter pour une nouvelle tentative. Elle m’expliquait que Sarah, en charge du recrutement, lui avait conseillé de prendre des cours d’anglais, et que la prochaine fois serait probablement la bonne pour elle.
Ce qu’elle fit. Cependant, Alia ne put se résoudre à attendre les six mois et tenta le tout pour le tout en montant sur Paris quatre mois après avoir fait chou blanc.
Sa volonté était telle que Sarah, l’ayant reconnu, lui permit de tenter à nouveau.
La dernière épreuve de la journée débuta. Nous fûmes appelés par petits groupes de cinq personnes, avec un nouveau numéro qui, me concernant, était le 72. Par hasard, ce jour-là, Alia et moi tombâmes dans le même groupe et ce fut un succès pour toutes deux. On nous convoqua pour l’entretien final et, quelques mois plus tard au printemps, nous reçûmes l’appel tant attendu de Dubaï qui confirmait notre nouvelle ascension.
Je gardais un temps contact avec mon bienfaiteur qui me permit de gravir une marche. Et comme tout bonheur n’arrive jamais seul, l’année suivante, quand je quittais Emirates, lui m’annonçait la grande nouvelle, enfin il triomphait et intégrait la compagnie de ses rêves.
Alia est l’aînée d’une fratrie de trois enfants, née d’un père marocain et d’une mère allemande. Quand l’Orient embrasse l’Occident, c’est un nouvel horizon qui s’ouvre à l’humanité.
Mélange malté, légèrement ambré qui, sous l’ombre des orangers de Casablanca, façonne l’empreinte d’une fleur unique, celle d’une jeune femme longue à l’allure gracile et sportive, tellement sensuelle, offrant un si doux visage rond au teint clair, légèrement doré par la clémence du soleil.
Un large front, une paire d’yeux couleur noisette qui tirent au vert les jours d’été, et le sourire qu’elle porte aux lèvres est généreux mais conquérant.
Des cheveux à hauteur d’épaule qui, comme sur un air des Beach Boys, ont surfé du châtain au blond californien, made in USA.
Elle a pour elle tous les dons de la nature et, avec eux, leur revers.
L’aventure Emirates fut pour nous deux une expérience fabuleuse qui nous forgea un nouveau regard sur le monde des apparences, du pouvoir et de l’argent, et qui nous transformera (nous le comprendrons bien plus tard dans nos vies respectives) à jamais.