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Et si, face à la maladie, l’on choisissait l’action plutôt que la résignation ? Dominique apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Seule, sans enfants, veuve d’un homme lui-même emporté par la maladie, elle refuse les traitements et décide de consacrer ses derniers mois à une cause plus grande qu’elle. Dans ce récit à deux voix, on suit aussi Étienne, diplomate marqué par un deuil familial, en mission au Bananawa. Leurs trajectoires se croisent dans un avion, puis se lient au fil d’un voyage inattendu. Entre souvenirs douloureux, engagement humanitaire et questionnement sur la fin de vie, suivez l’histoire d’une femme qui veut transformer la mort en acte de vie, et d’un homme qui apprend, peut-être, à revivre.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Titulaire d’un diplôme en muséologie,
Liliane Lardanchet a exercé en tant que documentaliste dans plusieurs collèges et lycées d’Alsace. Après la publication de "Peau neuve" en 2023, elle a publié un recueil intitulé "Abécédaire drolatique : sketches, poèmes et calembredaines". Elle signe ici son troisième ouvrage.
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Seitenzahl: 122
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Liliane Lardanchet
Cancer sous les tropiques
Roman
© Lys Bleu Éditions – Liliane Lardanchet
ISBN : 979-10-422-6947-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La couverture est réalisée à partir d’une aquarelle de l’artiste Jacqueline Mougin.
Je dédie ce livre à toutes celles
et tous ceux qui ont dû faire face à cette maladie.
La salle d’attente se remplit peu à peu. Parité parfaitement respectée : deux hommes, une femme et une dame âgée ont rendez-vous avant moi.
Le gastro-entérologue est consciencieux, il ne bâcle pas son travail, examine chaque patient, explique, discute. C’est un bon praticien, un homme avenant qui inspire confiance. La qualité du rapport humain est pour moi essentielle. J’ai fui plusieurs cabinets médicaux dans lesquels j’ai été reçue comme un numéro, dans un parfait mépris de ma personne. Je veux bien comprendre qu’examiner les intestins humains et leurs dysfonctionnements n’ait rien de très glamour, mais la tâche, aussi rebutante soit-elle, ne dispense pas d’être aimable. Je me demande, d’ailleurs, ce qui porte un étudiant en médecine vers le choix de cette spécialité, tout comme ce qui détermine à devenir urologue ou gynécologue. Mais sans doute est-ce un concept de mon esprit tourmenté, car pourquoi y aurait-il des organes nobles et d’autres, vils, parce qu’ils s’occupent de gérer la production de nos déchets physiologiques. Les organes devraient-ils être classés sur un tableau d’honneur quand tous participent au fonctionnement de notre corps ? Un seul petit déraillement quelque part et nous voilà malades ! Le serment d’Hippocrate implique une empathie sans distinction.
Un souvenir me vient à l’esprit. Alors que j’étais hospitalisée dans le service d’un professeur de renommée et bienveillant, éminent gastro-entérologue, son collègue, de service le week-end, entra dans ma chambre, suivi d’une troupe d’internes et d’infirmières. En s’approchant du lit où j’étais allongée sous perfusion, il se tourna vers sa cour et déclara d’un ton péremptoire :
— Vous avez ici un cas de rectocolite hémorragique…
Je protestai énergiquement :
— Bonjour ! Vous avez ici une personne qui répond au nom de Dominique Eilmann ! l’interrompis-je.
Stupéfait, il se tourna vers moi pour découvrir la tête de ce tube digestif qui osait prétendre appartenir à un ensemble exigeant un minimum de reconnaissance et de courtoisie. Il se ressaisit et me décocha un « Bonjour Madame ! » qui gardait toutefois la hauteur de son point de vue. Quelques-uns de ses suivants balbutièrent à sa suite un timide bonjour. Ce n’est pas parce qu’on est le Grand Manitou qu’on n’est pas poli du tout ! Le malotru poursuivit son discours et se vengea en critiquant devant moi et sans scrupule les méthodes de son collègue qui m’avait, pour éviter les effets secondaires des corticoïdes à haute dose seuls capables d’enrayer une crise sévère, placée sous la perfusion qui diffusait un cocktail salvateur. Serment d’Hippocrate pour les uns, d’hypocrite pour les autres ! La validation des diplômes ne comporte malheureusement aucune épreuve de qualités humaines !
Pendant que j’étais perdue dans mes réflexions, la salle d’attente s’est vidée de deux éléments aussitôt remplacés par trois nouveaux entrants. Mais soudain, la dame âgée qui semblait somnolente se penche vers sa gauche tandis qu’un bruit sourd parvient à nos oreilles. Chacun arrête net ses activités, lève le nez, lance un regard interrogateur qui s’arrête sur la vieille dame dont le sourire aux lèvres indique clairement la culpabilité. Quelqu’un se lève pour ouvrir une fenêtre. Et l’attente reprend son cours.
Les visages sont crispés ou à minima, dissimulent une légère angoisse : le verdict sera-t-il un différé ou une condamnation immédiate à la coloscopie, qui signifie un régime de deux jours avant l’ingestion massive d’un liquide gluant suivie de courses plus ou moins précipitées vers les toilettes jusqu’à nettoyage complet des intestins ? Avant cela, consultation chez un anesthésiste. Le jour J, rendez-vous à l’hôpital après deux douches décapantes intégrales, jusqu’au bout des cheveux. Tenue stérile, endormissement, réveil plus ou moins accompagné de nausées ou de vomissements, retour à la maison. Je connais le processus depuis cinq ans que je suis atteinte, j’en suis à ma troisième coloscopie. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous pour les résultats des biopsies et des analyses qui s’ensuivent. Moins d’angoisses, la coloscopie est derrière moi, mais je sais que les polypes peuvent être cancéreux et ce qui m’inquiète un peu est de ne pas avoir reçu les résultats par voie postale. Un indice rassurant cependant, pour moi, mais pas pour le milieu médical : le système hospitalier évolue vers une gestion des hôpitaux sur le modèle des entreprises, avec rentabilité, décompte de bénéfices et calcul de rendement qui contribuent à la marchandisation du système de santé. Cette gestion entraîne la multiplication des rendez-vous « de contrôle » pour amortir le coût des « actes » moins rentables. Dans ce cadre, je serais convoquée pour une simple remise des résultats, avec prescription du suivi.
La porte s’ouvre. C’est le médecin, en blouse blanche, qui apparaît.
Il ressemble un peu à Jean Gabin. Dans ses rôles les plus sérieux, évidemment ! Il salue l’assistance qui lui répond. À notre grand étonnement, il vient s’asseoir à côté de la dame âgée. Gisèle Casadesus et Jean Gabin réunis dans la même pièce ! Il lui prend la main dans les siennes et dit, d’une voix forte, car il soupçonne un peu de surdité, mais sur un ton amical :
— Tout va bien ! Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que quelques désordres organiques. Je vous ai prescrit des médicaments, vous les prendrez ? Sérieusement ?
La patiente ne discute pas. Juste un signe de la tête. Le médecin reprend :
— Vous allez rentrer chez vous, un VSL va venir vous chercher.
— J’habite dans une maison, corrige la vieille dame.
— Un EHPAD ? Ah oui, je comprends, ce n’est pas tout à fait chez vous ? Vous êtes bien là-bas ?
Heureusement, l’interlocutrice n’est pas bavarde, elle se contente de hocher la tête. Au grand soulagement de tous ceux qui attendent depuis le début de l’après-midi et n’ont pas envie de passer la nuit ici ! Bien joué ! Le médecin lui caresse la joue en signe d’au revoir et repart accompagné de la personne suivante. Si j’ai bien compté et si tout le monde est arrivé à l’heure, ce sera mon tour à la prochaine ouverture de porte.
Dame Gisèle est repartie vers son EHPAD, en grande comédienne, sans dire un mot : les dialogues n’étaient pas de Michel Audiard ! Quelqu’un est allé fermer la fenêtre. Mon regard s’est tout naturellement porté vers l’extérieur. Il fait encore froid en ce début mars, seules quelques petites feuilles naissantes indiquent la proximité du printemps.
Retour à la vie, merveille des saisons !
Certains pensent que j’ai été chanceux dans ma vie. Cette chance, je la dois à une personne, une seule personne : Étienne Michel ! C’est-à-dire moi !
Second d’une fratrie de trois garçons, j’ai toujours été solitaire, me tenant à l’écart des autres enfants, préférant la lecture aux jeux bruyants et mouvementés des garçons. Un enfant sage, appliqué à l’école, curieux et attentif. Sans doute étais-je doué de capacités cognitives appréciables, mais ma chance, ou ce que certains appellent ainsi, s’est construite peu à peu sur l’empilement de connaissances acquises par la force de ma volonté. M’a-t-on donné le baccalauréat avec mention parce que j’avais tiré le bon numéro de candidat ? M’a-t-on fait cadeau de mes diplômes d’études supérieures ? Ai-je été admis aux concours parmi les premiers sur un coup de poker ? Je n’ai aucune relation et mes parents n’ont pas le bras assez long. D’ailleurs, ils détestent les passe-droits et font confiance au mérite.
Mon père aussi a fait de longues études pour exercer le métier de chirurgien avec une passion qui ne lui a laissé que guère de temps pour sa famille. Ma mère a compensé, présente dans tous nos malheurs, à commencer par nos petits bobos (mes frères intrépides lui en ont donné à soigner !) jusqu’à nos grands chagrins.
Aujourd’hui, nous sommes adultes, mais jamais personne n’est protégé d’un malheur et une maman n’a pas de pouvoirs surnaturels pour les guérir tous ! Mon histoire en est la preuve : mon destin de bienheureux s’est arrêté un sombre jour de novembre, il y a un peu plus de cinq ans.
Ces vacances en famille sont pour moi une nécessité, une parenthèse bienvenue dans un lieu où me ressourcer. Ce n’est plus l’hiver et pas encore l’été. La douceur de ce mois de mars invite à des promenades en bord de côtes. En solitaire et avec parapluie, les deux me conviennent. Solitaire, je le suis et le petit crachin breton qui vous surprend sur un sentier de randonnée vous rappelle pourquoi les vallons sont si herbus, les coteaux si verdoyants et la végétation si exubérante. Je me rends compte combien l’humidité de la Bretagne me manque dans mon lieu de vie actuel, aride, sec et sans le rythme si bienfaisant de la marche des saisons. Il me semble que je suis constitué de cette eau et de ces embruns ; que ces modestes maisons de pêcheurs, en granit, résistantes aux intempéries contre vents, tempêtes et marées constituent mes propres fondations. Les marées, le ciel en perpétuel changement, les vents vivifiants me ravissent et me remplissent comme un ballon d’oxygène. Une forme de félicité fragile qu’il faut saisir au vol, car « Le bonheur est une bulle de savon qui change de couleur comme l’iris et qui éclate quand on la touche », ainsi que le définit Balzac dans La Comédie Humaine.
— Étienne, veux-tu venir au marché avec nous demain ? Nous pourrions manger à Douarnenez tous les trois sur le port ? demande ma mère.
« Tous les trois » signifie mes parents et moi.
Je souris et lui réponds oui, bien sûr ! Je suis venu pour être avec eux, passer du temps ensemble, ce sont les moments les plus précieux de la vie ! Je dois tant à ma famille ! Ma mère me prend toujours pour un grand sauvage. Elle me traite comme un blessé grave, un écorché vif qu’on ne sait par quel bout prendre. Tellement plus à l’aise avec mes frères ! Mon père est plus direct. Vous me direz que pour un chirurgien, il pourrait bien prendre son fils avec des pincettes ! Il les a toujours réservées à l’exercice de son métier. Évidemment, moi aussi, je ne suis pas le même en privé ou dans mon travail.
Le protocole s’impose partout à l’ambassade où j’exerce mes fonctions. Les règles, strictes, doivent être respectées, elles constituent des codes, des modes de communication au service des valeurs du pays que je sers, la France. Tout comme dire bonjour, merci et au revoir, ces mots qui semblent être des civilités inutiles, « la politesse n’inspire pas toujours la bonté, l’équité, la complaisance, la gratitude ; elle en donne du moins les apparences, et fait paraître l’homme au-dehors comme il devrait être intérieurement », écrit La Bruyère dans Les Caractères. Et ce sont de telles valeurs qu’il faut défendre, que je dois défendre dans tous les pays où je suis nommé, un contrat que j’ai toujours essayé d’honorer.
— Je suis sûr que tu penses encore à ton travail ! s’exclame mon père, comme s’il lisait en moi.
Je pourrais lui répondre que je songeais à La Bruyère, il me demanderait de quelle bruyère il s’agit, dans quelle promenade, dans quelles rêveries, de promeneur solitaire, Rousseau… Mes lectures de jeune adolescent ! Je préfère acquiescer d’un hochement de tête et répondre par une question :
— Et toi ? Que fais-tu de tes journées depuis que tu es à la retraite ?
— Je profite de la vie ! Ta mère et moi projetons de partir en voyage en juin. Nous réfléchissons à une destination, mais je te le dis tout de suite, ce ne sera pas l’Afrique. Il y fait beaucoup trop chaud ! Nous aimerions bien l’Islande.
— Vous ne viendrez pas me voir dans l’exercice de mes fonctions alors ?
— Non, reprend mon père, il y a trop de dangers pour les touristes dans ces pays. D’ailleurs, celui-là figure dans la liste des destinations à risques, voire supprimées, que l’agence de voyages nous a transmise.
— On se fait parfois du souci pour toi, ajoute ma mère. Prise d’otages, attentats…
— Maman, je ne crains rien à l’ambassade ! C’est même un lieu de refuge pour les compatriotes en danger. Ne t’inquiète pas, la situation n’est pas si grave, nous maîtrisons le risque, je t’assure ! Donne-moi plutôt des nouvelles de la famille !
— Justement, je voulais te demander…
Maman s’est lancée sur le sujet « famille » comme un footballeur sur le ballon rond.
Elle reprend :
— Est-ce qu’on pourrait inviter tes frères et leur famille pendant que tu es ici ?
Comment lui répondre ? Il est si légitime que mes parents veuillent réunir leurs trois garçons avec leurs conjointes et leurs enfants ! Mais je ne pourrai pas. C’est peut-être lâche de ma part de ne pas affronter mon passé. Et ces douleurs, comment deviendront-elles cicatrices si je ne les regarde jamais en face ? Pas encore ! Je ne suis pas encore prêt !
— Laisse-moi encore un peu de temps ! Les enfants… non, je ne pourrai pas ! dit ma voix. Une voix que je ne reconnais pas comme mienne, qui se bat pour frayer un chemin et répondre.
— Étienne, cela fait bientôt six ans ! … Si tu changes d’avis, dis-le-moi. Ils pourraient venir rapidement…
— Maman, je t’en prie ! reprend la voix qui n’est pas mienne. Je dois te dire qu’avant de venir ici, je suis passé en Pologne.
Maman me serre dans ses bras, je redeviens son petit garçon, celui qu’elle pouvait consoler, rassurer. Malheureusement, je n’ai plus dix ans et le réconfort ne peut être total, car je suis un homme, marié et père de deux enfants. Un mari et un papa, pour le reste de ma vie ! Et parce qu’elle-même est emportée par la détresse qui est la mienne ! Partie prenante ! Partie perdante !
Malgré tout, son étreinte, si elle ne m’a pas complètement consolé, m’a fait du bien.