Céline, rue des Rosiers - Lise Peron - E-Book

Céline, rue des Rosiers E-Book

Lise Peron

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Beschreibung

Dans un paisible village, Camille et Yann se rencontrent à la garderie. L’amitié entre ces deux enfants est immédiate. Ensemble, ils affrontent les zones d’ombre laissées par les adultes, et se bâtissent un monde complice, fait de silences partagés, de confidences muettes et d’une fidélité sans faille. Cette relation singulière pourrait-elle être à l’origine d’un amour improbable, inattendu ? Transposé dans les années 1980, ce roman se déroule à l’aube d’un monde ultra-connecté, avant l’explosion des téléphones portables et des technologies aujourd’hui omniprésentes dans nos vies.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Lise Peron a exercé le métier de secrétaire pendant plus de trente ans, nourrissant en parallèle son goût pour les mots à travers des histoires longtemps restées dans ses tiroirs. En 2024, elle reprend l’un de ses récits les plus intimes, qui deviendra "J’avais un rêve : une grande et belle famille", publié aux éditions Le Lys Bleu. Avec "Céline, rue des Rosiers", elle poursuit son chemin d’écriture en explorant avec justesse les liens profonds qui unissent les êtres depuis l’enfance.

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Seitenzahl: 236

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Titre

 

Lise Peron

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Céline, rue des Rosiers

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Lise Peron

ISBN : 979-10-422-7957-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Dédicace

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À mes enfants, puissent-ils être heureux dans leur choix de vie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une collègue me dit un jour : « Le mariage est une loterie. » Avait-elle raison ?

 

Céline, rue des Rosiers

 

 

 

 

 

La journée avait été longue et éreintante. Comme tous les samedis, les patients à quatre pattes étaient nombreux à venir consulter le docteur Weber dont la réputation n’était plus à faire dans la région. Il était très doux et patient avec ses malades et les animaux l’appréciaient autant que leurs maîtres.

Céline remit un peu d’ordre dans le fichier. Le dernier client venait de partir avec son chat dans les bras et déjà, Madame Weber arrivait avec un seau rempli d’eau javellisée pour le grand nettoyage de la pièce.

Laurent consulta le cahier de rendez-vous et s’organisait pour une seconde tournée dans la campagne, prêt à prodiguer ses soins aux animaux des fermes environnantes quand le téléphone sonna. Céline s’empara prestement du combiné.

Un éleveur requérait le vétérinaire pour un vêlage difficile et il partit immédiatement.

— Le week-end s’annonce mouvementé, Madame Weber.

— Le contraire m’aurait étonné. C’est au moins la preuve que la compétence de mon mari est reconnue. J’aurais tort de m’en plaindre. Vous devriez partir Céline, votre petit bonhomme va s’impatienter.

— Il me reste quelques fiches à ranger.

— Cela attendra bien lundi. Sauvez-vous, je vais laver le carrelage. Nos petits amis nous ont fait un sacré chantier encore aujourd’hui.

Carole Weber était à la fois la femme, l’amie, l’assistante et la mémoire de son mari. Chaque jour, après les consultations, elle faisait la même remarque concernant « le sacré chantier » laissé par les animaux et cela fit sourire Céline malgré sa lassitude.

Elle prit congé rapidement et se hâta de récupérer sa voiture, son caniche nain sur les talons. Celui-ci était admis à la clinique Weber depuis toujours. Céline l’avait trouvé dans un refuge de la S.P.A. peu après la mort de son mari. Yann, son fils, l’avait baptisé « Copain », prénom qui lui allait très bien.

Il avait pris l’habitude de s’installer sur le siège avant droit du véhicule et il s’y pelotonna dès que la portière fut ouverte.

Il fallait maintenant récupérer Yann à la garderie où il passait tous les samedis après-midi.

Après la disparition de François, il y avait maintenant cinq ans, il avait fallu qu’elle trouve un emploi qui lui permette en même temps de s’occuper elle-même de Yann, alors âgé de trois ans. Il faisait son entrée à l’école maternelle. Les places de secrétaire étaient rares et il ne fallait pas faire la difficile quand un poste se présentait. Néanmoins, Céline avait eu de la chance. Elle avait été séduite par le travail de secrétaire-hôtesse proposé chez le vétérinaire, car elle aimait beaucoup les animaux et, fait très intéressant, un groupe scolaire était implanté à proximité de la clinique.

De plus, après avoir pris connaissance de la situation de Céline, Madame Weber interféra pour l’inscription de l’enfant à la maternelle. Même si ce groupe scolaire dépendait de la ville, les enfants des villages voisins y étaient acceptés quand les conditions étaient remplies. Dans le cas présent, Céline était employée dans la ville et cela comptait même si elle était domiciliée dans un village indépendant où une école y était également établie. Il fut également convenu d’horaires suffisamment souples pour permettre à la maman de récupérer son fils à la sortie de l’école.

— Vous serez libre le mercredi, avait ajouté Madame Weber, mais je vous demanderai d’être à votre poste tous les samedis. C’est un jour d’affluence et votre présence nous sera précieuse.

C’est ainsi qu’elle lui avait aussi indiqué la garderie, qui imposait les mêmes conditions d’inscription que l’école, pour pouvoir y laisser Yann le samedi après-midi. Céline avait donc accepté cet emploi avec enthousiasme et ne le regrettait pas.

Carole était une femme généreuse et pétillante, pleine de vie. Dans les moments d’affluence, elle était toujours prête à mettre la main à la pâte et il n’était pas rare de la trouver dans la salle d’attente, entretenant la conversation avec quelques clients impatients.

Toujours tirée à quatre épingles, elle formait un contraste saisissant avec son époux qui semblait incapable de se vêtir correctement sans le concours de sa femme chérie.

Chauve et les sourcils en broussaille, c’était un homme d’environ 45 ans qui comptait sur son épouse pour lui servir de mémoire et il ne s’en cachait pas.

C’était un couple heureux et leur joie de vivre rejaillissait sur leur entourage dont Céline était heureuse de faire partie.

La 4 L blanche stoppa sur le parking attenant à l’école maternelle. C’était là que la municipalité organisait un service de garderie en dehors des heures scolaires. Les enfants y étaient admis jusqu’à l’âge de 10 ans et Yann y avait ses habitudes et ses amis depuis maintenant cinq ans, bien qu’il habitât le village voisin.

Il se précipita dans les bras de sa mère dès qu’il la vit avancer dans l’allée centrale.

— Tu en as mis du temps aujourd’hui, maman !

— Nous avons eu beaucoup de petits patients à la clinique et j’avais un travail à terminer. As-tu passé un bon après-midi avec tes copains ?

— Ils sont tous partis depuis longtemps. Il n’y a plus que des bébés, dit-il, boudeur.

— Tu aurais pu jouer avec un bébé, rien que pour lui faire plaisir.

— Je n’avais pas envie. Tu viens beaucoup trop tard.

— Il faut bien que je travaille. Allez, souris un peu, je ne te quitte plus jusqu’à lundi.

— Tu viendras à la messe avec moi ?

— C’est promis.

— Youpi ! et il partit en courant jusqu’à la voiture.

Copain lui manifesta son affection à grands coups de langue sur le visage, ce qui provoqua l’hilarité du gamin.

Céline était soucieuse malgré tout. Ce n’était pas la première fois que son fils lui reprochait d’arriver trop tard. Presque tous les samedis, il lui en faisait la remarque.

Ses petits amis avaient grandi et la plupart de leurs parents évitaient maintenant de les confier à la garderie du samedi. On y rencontrait plutôt des enfants en bas âge. Ceux-ci étant moins autonomes que leurs aînés, les parents trouvaient plus commode de courir les magasins après les avoir déposés à la garderie.

À huit ans, Yann préférait jouer avec des enfants de son âge et il était difficile de lui faire accepter de passer tout un après-midi avec des « bébés ». Un jour viendrait où il n’accepterait plus ce mode de fonctionnement et il faudrait trouver une solution de remplacement.

 

 

 

 

 

Après la disparition de ses grands-parents, Céline avait hérité de leur maison située dans le village voisin de la ville où elle travaillait depuis maintenant 5 ans.

Le couple qu’elle formait avec François avait restauré la bâtisse avec beaucoup d’enthousiasme, heureux d’organiser leur vie dans de si bonnes conditions. Ils avaient conscience d’être privilégiés.

Ils emménagèrent au lendemain du retour de leur lune de miel qu’ils avaient passée en Afrique du Sud. Ils en revinrent enchantés après avoir passé beaucoup de temps dans le Park de Kruger où ils purent admirer une multitude d’espèces animales qui s’ébattaient sur cette zone immense et protégée qui leur était réservée.

Céline était passionnée par l’espèce animale et son mari la suivait volontiers dans ses escapades pour observer les bêtes. Il lui répétait régulièrement qu’ils auraient dû vivre dans une grande ferme peuplée d’animaux en tous genres.

Puis chacun reprit son travail. François était magasinier chez un grossiste en quincaillerie et Céline, secrétaire chez un concessionnaire automobile. Tous deux travaillaient dans la proche banlieue parisienne et chacun avait son véhicule, car leurs horaires ne concordaient pas.

François rentrait toujours très tard, croulant sous les responsabilités au sein de l’entreprise qui l’employait. Les réunions de travail l’obligeaient à des horaires très contraignants et Céline regrettait que cela ne se répercute pas sur son salaire malgré les nombreuses heures supplémentaires qu’il devait assurer.

De nature très conciliante, elle considérait qu’ils étaient chanceux d’avoir chacun un emploi. Elle se consolait en cultivant son petit potager et en soignant ses fleurs en attendant de voir apparaître le véhicule de son époux au bout de l’allée.

Il lui arrivait aussi de téléphoner quand une réunion se prolongeait et il préférait prendre une chambre à l’hôtel à proximité de la société plutôt que faire le trajet au milieu de la nuit.

Une petite routine s’était installée au sein du couple quand Céline fut alertée par quelques malaises matinaux. Puis elle observa une légère perte de poids. Elle décida de consulter avant d’en parler à François ; elle ne voulait pas l’inquiéter pour rien.

Le verdict fut sans appel ; enceinte de deux mois, elle n’avait même pas fait le rapprochement avec la perturbation de son cycle menstruel.

Folle de joie, elle prépara un dîner aux chandelles pour le retour de son mari afin de lui faire part de cette merveilleuse perspective ; ils allaient avoir un enfant ! Elle chantonnait tout en disposant les couverts sur la table quand elle entendit le véhicule entrer dans la cour et la porte claquer.

Très impatiente de lui annoncer la bonne nouvelle, elle lui sauta au cou dès qu’il franchit le seuil :

— Mon amour, tu vas être papa !

— Quoi, comment ça, déjà !

Un peu déçue par cette réaction, elle insista, pressée de partager son bonheur :

— Mais chéri, nous sommes mariés depuis près de deux ans. Tu ne trouves pas merveilleux que nous ayons bientôt un bébé ?

François prit le temps de s’asseoir à la table joliment apprêtée par son épouse pour l’occasion.

— Et ces bougies, c’est en quel honneur ?

— J’ai pensé que l’on pouvait fêter la bonne nouvelle, fit-elle, hésitante.

Elle commençait à douter que ce fût une bonne nouvelle au vu de la réaction du futur papa. Il est vrai qu’ils n’avaient jamais vraiment abordé le sujet. Peut-être que François avait été un peu surpris. Il fallait lui laisser un peu de temps pour que l’idée chemine dans son esprit.

— Excuse-moi chérie, je suis fatigué et j’ai une faim de loup. On pourrait en parler ce week-end, si tu veux.

 

Contrariée, mais décidée à ne pas gâcher la soirée, Céline servit le dîner dans un silence relatif, chacun restant sur son quant-à-soi.

Ils en reparlèrent le dimanche suivant et François admit que c’était le bon moment pour agrandir la famille. Ils décidèrent que Céline arrêterait de travailler après l’accouchement. Elle pourrait ainsi s’occuper du bébé dans les meilleures conditions.

Les Français venaient d’installer Valéry Giscard d’Estaing, un très jeune président à la tête de l’État quand Yann vit le jour.

C’est donc à ce moment-là que Céline démissionna pour se consacrer entièrement aux deux amours de sa vie.

François semblait plus distant depuis l’arrivée de son fils. Il s’abstenait régulièrement de le prendre dans ses bras, prétextant la fatigue. Pour éviter de jouer avec lui, il prétendait que c’était plus le rôle de la maman. Céline pensa qu’il lui fallait un temps d’adaptation dans son rôle de papa. Il fallait qu’elle soit patiente. Le fait qu’il boive un peu d’alcool régulièrement la troubla un peu, mais elle se rassura, consciente que beaucoup d’hommes aimaient déguster un verre de vin de temps en temps.

Le temps s’écoula, Yann poussait comme un champignon sous le regard tendre et émerveillé de sa maman. François rentrait toujours plus tard, évoquant le fait qu’il lui fallait assurer le budget pour toute la famille. Mais cette excuse ne convainquit pas son épouse, car ses heures supplémentaires n’étaient toujours pas payées. Et elle ne comprenait pas pourquoi il ne s’intéressait pas davantage à leur enfant.

Puis il informa Céline qu’il venait d’être promu et que cela impliquait qu’il reste plus souvent près de la quincaillerie pour assurer ses nouvelles fonctions. De ce fait, il dormait de plus en plus souvent à l’hôtel.

Son épouse ne savait que penser. Si ce n’est qu’ils n’auraient peut-être pas dû avoir d’enfant si tôt. François ne semblait pas prêt à assumer son rôle de père. Force était de constater qu’il ne s’intéressait pas beaucoup à son fils même si la maman insistait parfois pour lui montrer les progrès de leur fils.

Puis un soir qu’elle était encore seule avec son petit garçon maintenant âgé de trois ans, on frappa à la porte. Il était déjà tard. Yann était couché. À la radio, un journaliste retraçait la vie, trop courte, d’Elvis Presley, terrassé par une crise cardiaque à 42 ans.

Elle coupa le son et entrouvrit la porte avec précaution, ne sachant pas qui pouvait bien lui faire une visite aussi tardive.

C’était la gendarmerie. François avait eu un accident fatal alors qu’il roulait en direction de Paris en compagnie d’une jeune femme, elle aussi décédée dans l’accident.

En même temps qu’elle apprenait la disparition brutale de son mari, elle découvrait son infidélité. Elle ne sut pas ce qui lui fit le plus mal. L’uppercut la mit KO.

C’est avec l’aide précieuse de son cousin qu’elle organisa les obsèques.

Il lui fallait maintenant tourner la page, protéger son enfant et c’est sûrement ce qui la sauva. Elle devait assurer pour eux deux. Il lui fallait trouver un emploi au plus vite et réorganiser sa vie.

Elle n’avait pas le temps de s’apitoyer sur son sort.

 

 

 

 

 

La Renault 4 filait maintenant sur la petite route de campagne menant au pavillon pendant que la conductrice s’organisait mentalement pour la soirée. Pour elle, il n’y avait pas de place pour l’oisiveté ; après cette journée épuisante, c’était souvent le cas le samedi, il fallait encore trouver la force de préparer le dîner. Il y avait aussi la lessive qui n’avait pas été repassée. Et les devoirs à corriger pour lundi. Et les cahiers à vérifier et à signer pour bien montrer que l’on s’intéressait aux progrès réalisés à l’école pendant la semaine écoulée. Un temps serait aussi nécessaire pour le gros câlin du soir et, si elle en trouvait encore la force, elle s’installerait devant la télévision ou essaierait de finir ce livre commencé depuis des mois.

Elle arrêta la voiture devant le pavillon et croisa le regard affectueux de son fils dans le rétroviseur. Ses yeux bleus souriaient et elle lui sourit en retour. Sa lassitude disparut instantanément et elle se sentit la force de soulever des montagnes, rien que pour le bonheur de cette petite tête blonde aux yeux bleus et rieurs.

 

 

 

 

 

Jean-Philippe de Pardaillan avait passé la matinée au bureau et se surprit à envisager un après-midi avec sa fille quand il quitta les locaux de l’entreprise familiale. Il était déjà 13 heures et la famille devait être réunie dans le salon du manoir en attendant son retour pour un déjeuner tardif.

Ce matin, il s’était penché sur l’éventualité d’équiper l’entreprise familiale d’un Minitel, ce nouvel appareil censé faciliter l’accès à l’annuaire et à d’autres services publics. Et même aux sites de rencontres, ce qui le gênait un peu. Il hésitait encore à prendre une décision.

Sa secrétaire y était très favorable. Sa sœur aussi. Il se sentait sous influence et cela ne lui plaisait pas du tout. Ces deux charmantes femmes essayaient de le manipuler. Il n’aimait pas cela et il décida de reporter ce bouleversement à la semaine suivante. Il n’y avait vraiment pas d’urgence. Jusqu’à présent, on avait pu se passer de cet équipement, cela attendrait bien encore quelques jours.

Il n’avait pas vu passer le temps et Camille serait furieuse et lui reprocherait encore son retard en le couvrant de baisers pour lui prouver son attachement et lui montrer qu’elle n’était pas vraiment fâchée.

La pauvre enfant ne voyait pas beaucoup son père et lui-même le regrettait. Mais les affaires lui prenaient tout son temps et la famille comptait sur lui pour faire fructifier l’entreprise à la tête de laquelle il avait été projeté à la mort de son père. Il avait tout juste 30 ans à l’époque et ne se sentait pas vraiment prêt à assurer la succession de son père à la direction de l’entreprise familiale. Mais les circonstances ne lui avaient pas donné le choix et Jean-Philippe y laissait toute son énergie au détriment de ses relations familiales.

Alors que la France entière pleurait la disparition du chanteur israélien Mike Brant, Jean-Philippe était confronté à la mort de son père, alors âgé de 65 ans, qui avait été terrassé par une crise cardiaque. Une grande complicité unissait les deux hommes et Jean-Philippe avait été très éprouvé par cette disparition subite.

Refoulant son chagrin, il avait dû faire face à cette situation nouvelle le propulsant à la fois P.D.G. de l’entreprise et chef de famille. Cette dernière comptait d’ailleurs de plus en plus sur lui pour régler les problèmes d’intendance du manoir qui les abritait tous, sur les hauteurs de la ville.

Deux ans plus tard, Camille, son épouse, donnait le jour à une petite fille, mais elle ne survécut pas à l’accouchement. À la suite de ce nouveau drame, le nouveau papa se consacra entièrement à l’usine, n’accordant que très peu de temps au bébé que l’on avait tout naturellement baptisé du prénom de sa défunte mère.

Camille était élevée par la gouvernante de la famille, secondée dans cette lourde tâche par la grand-mère de l’enfant. C’était une enfant très gâtée, mais elle réclamait de plus en plus la présence de son père au manoir.

Bien sûr, il aimait sa fille, mais il ne pouvait s’empêcher d’associer sa présence à la disparition de son épouse. Il s’en voulait de raisonner ainsi et faisait de gros efforts pour se rapprocher de l’enfant dont il reconnaissait le caractère enjoué. Mais il avait conscience qu’un long chemin restait encore à parcourir pour connaître avec elle la même complicité qu’il avait partagée avec son père.

Il savait qu’il en était le seul responsable et se promit de passer l’après-midi avec Camille. Il n’avait pas de rendez-vous jusqu’au lundi et pouvait éviter de se rendre à l’usine s’il le souhaitait. Et il le souhaitait.

Il reconnaissait aujourd’hui qu’il aurait dû être plus présent pour sa fille. Elle n’avait pas eu la chance de connaître sa maman. Lui-même en avait rajouté une couche en s’interdisant de créer un lien trop puissant avec ce bébé qui ne demandait qu’un peu d’amour. Il était grand temps qu’il se rattrape, si toutefois cela était encore possible.

 

 

 

 

 

Madame de Pardaillan était assise dans la véranda en compagnie de sa petite fille qui lui racontait sa dernière matinée à l’école. Elle écoutait d’une oreille distraite, songeant à l’avenir de la petite demoiselle dont le père ne semblait pas vouloir trop se rapprocher.

Pourtant, l’enfant réclamait de plus en plus sa présence, son attention, son affection. Privée de l’amour de sa mère, il était évident qu’elle recherchait de plus en plus l’amour de son papa chéri. Mais celui-ci était toujours aussi solitaire et bourreau de travail. La petite parviendrait-elle à le faire fondre ? Elle était si douce et si vive en même temps. Jean-Philippe ne pourrait pas éternellement rester aveugle à tant de charme. Sa sensibilité naturelle devrait bien se révéler un jour à sa fille. Sa mamie y veillerait.

— Mamie Rosalie, tu pourrais quand même écouter quand je te parle !

La voix impatiente de Camille la ramenait à la réalité. Elle se reprit, souriante malgré ses inquiétudes.

— Excuse-moi, ma chérie. Que disais-tu ?

— J’entends une voiture. Je suis sûre que c’est mon papa qui rentre.

— En effet, tu as raison. Viens, nous allons l’accueillir.

La fillette se précipita aussitôt vers les garages. Ses cheveux bouclés descendaient en cascades blondes dans son dos, agités par la course qu’elle s’imposa jusqu’au garage. Dans son élan, elle se jeta au cou de son père, le couvrant de baisers sonores.

Madame de Pardaillan croisa le regard de son fils alors qu’il serrait encore sa fille dans ses bras et crut y discerner une petite étincelle chaleureuse. Elle se dit alors que tout n’était pas perdu et contempla leurs silhouettes enlacées, attendrie par ce charmant tableau.

Elle avait toujours été très fière de son fils. Grand et musclé, il avait le regard marron foncé et les cheveux châtain clair de son père. Il dégageait un charme peu commun et sa prestance attirait le respect.

Camille avait hérité du regard de son père, mais ses cheveux longs rappelaient ceux de sa mère qui était très blonde et frisait naturellement. Ce souvenir devait peut-être encore heurter Jean-Philippe, mais il était intelligent et finirait par surmonter cette étape. Elle en était convaincue. Il fallait juste laisser du temps au temps.

— Tout va bien, maman ? Tu as l’air soucieux.

— Tout va bien. Nous t’attendions pour déjeuner. Tu rentres bien tard aujourd’hui, Jean-Philippe.

— Je voulais absolument me libérer pour l’après-midi. Je te demande pardon si je t’ai inquiétée. J’aurais dû t’appeler du bureau.

— Ce n’est pas bien grave, mon fils. Tu as donc des projets pour l’après-midi.

Le ton était avenant, mais la question sous-entendait une légère inquiétude pour la mamie.

— Un seul, tenir compagnie à ma fille, ajouta-t-il en se tournant vers l’enfant qu’il tenait toujours dans ses bras.

— Tu vas rester tout le temps avec moi ! Oh, papa chéri, cela me fait tellement plaisir !

— Mais à moi aussi, ma chérie. As-tu été sage avec Mamie ?

— Bien sûr, papa. Tu sais bien que je suis toujours sage.

Il sourit devant tant d’assurance et de naïveté et embrassa l’enfant qui continuait de babiller dans son cou.

Madame de Pardaillan, qui marchait à leur côté, semblait plus détendue qu’à son arrivée et Jean-Philippe lui en fit la remarque.

— C’est que je suis très heureuse de vous voir réunis tous les deux, mon fils.

Il posa Camille à terre et elle se précipita aussitôt vers les bâtiments de l’habitation principale, laissant les adultes à leur conversation. Jean-Philippe en profita pour questionner sa mère.

— Tu trouves que je ne m’occupe pas assez de ma fille, n’est-ce pas ?

— N’ai-je pas raison, Jean-Philippe.

— Maman, tu sais combien c’est difficile pour moi.

— Je le sais, mon fils, mais ce n’est pas une excuse. Tu n’as pas le droit de te défiler. C’est ta fille, elle t’aime et elle compte sur toi. Et personne n’a dit que ce serait facile. Ce drame l’a meurtrie autant que toi et nous tous et ce n’est pas sa faute à la pauvre enfant.

— Je te promets de lui consacrer plus de temps. Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour te soulager un peu ?

— Oui, mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit, dit-elle, énergique.

— Je t’écoute, maman, fit-il, résigné. Il soupçonnait sa mère d’avoir des idées qui ne lui plairaient pas forcément.

— Cette enfant passe beaucoup trop de temps avec les adultes. Elle est très mûre pour son âge. Il faudrait lui organiser des rencontres avec des enfants de son âge.

— Mais elle fréquente l’école publique, comme nous l’avons tous souhaité.

— Ce n’est pas pareil. Il lui faudrait des amis hors du contexte scolaire.

Jean-Philippe observait sa mère qui s’agitait en marchant à ses côtés. Elle était encore très alerte malgré ses 70 ans. Ses cheveux blancs étaient impeccablement coiffés et ses yeux verts reflétaient une grande vivacité. Elle avait cessé toute activité au sein de l’entreprise familiale, mais il était sûr qu’elle aurait encore pu y jouer un rôle important.

Pour le moment, il était certain qu’elle avait une idée derrière la tête et il le lui dit.

— Tu as raison, il m’est venu une idée qui me semble intéressante. J’ai entendu dire qu’il y avait une garderie en ville. Elle fonctionne surtout le samedi et pendant les vacances scolaires.

Il la connaissait vraiment bien, mais la surprise se peignit sur son visage en entendant cette proposition étrange. Sa mère souhaitait peut-être prendre un peu de recul, se reposer. C’était légitime, il aurait dû y penser avant.

— Une garderie, et tu voudrais que j’y inscrive Camille. Mais tu viens de me dire qu’il fallait que je passe plus de temps avec elle.

— L’un n’empêche pas l’autre. Laisse-moi te dire comment je vois les choses.

Il était sûr qu’elle avait déjà tout pensé, tout planifié dans les moindres détails et l’invita à poursuivre.

— Tout d’abord, continua-t-elle, ce serait toi qui irais l’inscrire à la garderie. Elle accepterait plus facilement ce changement si c’est toi qui lui en parles. Surtout si tu lui promets d’être avec elle le mercredi après-midi, par exemple.

— Mais maman, tu sais bien que je suis absent toute la semaine, argumenta-t-il sans conviction, sachant déjà que sa mère avait gagné la partie.

— Et toi, tu oublies que j’y étais avant toi à l’usine. Et tu sais aussi bien que moi que tu es libre d’organiser ton planning à ta guise. Quand j’y travaillais, est-ce que je vous ai délaissés, ta sœur et toi ? N’ai-je pas été suffisamment présente pour vous ? Allons, mon fils, il te faudra trouver un autre argument pour te défiler.

La véhémence de sa mère le surprit et le toucha profondément. Il admit qu’elle l’avait bien cerné et subodora que cette idée de garderie mijotait depuis un moment. Elle avait bien étudié la question.

— Crois-tu qu’elle se plairait à cette garderie, plaida-t-il encore.

— Je suis sûre que cette expérience lui serait bénéfique. Et puis, je me suis renseignée, il paraît que c’est un service très sérieux avec du personnel très compétent. Rien ne nous empêche de tester sur une ou deux demi-journées. S’il y a un problème, si la petite ne souhaite pas continuer, nous aviserons.

— Bon, bon d’accord. Je lui en parlerai cet après-midi. Nous sortirons le poney dans le parc et j’aborderai la question à ce moment-là.

— Excellente idée, approuva sa mère et je compte sur toi pour la convaincre, Jean-Philippe.

— Oui, maman, j’ai compris. Je te promets d’être à la hauteur, dit-il, agacé malgré tout que sa mère ait encore réussi à lui imposer sa volonté. Mais il devait reconnaître que c’était pour la bonne cause. Du moins l’espérait-il, mais il était terrifié à l’idée de déposer sa fille dans ce lieu complètement inconnu pour lui.

Il n’aimait pas du tout la façon dont sa mère l’avait amené à prendre cette décision. Elle avait commencé par lui reprocher son manque d’attention pour sa fille, quitte à ce qu’il se sente coupable et maintenant, voilà qu’elle le poussait à la confier à des étrangers.

Décidément, cela ne lui plaisait pas du tout. Juste au moment où il voulait se rapprocher d’elle, on l’obligeait à prendre des mesures pour l’éloigner de lui. Il y avait pourtant la gouvernante au manoir. Cela ne suffisait donc plus à la petite. Sa mère avait peut-être raison ; il lui fallait des amis de son âge et lui, son père, risquait de devenir un peu trop possessif maintenant qu’il avait enfin admis qu’il fallait qu’il lui consacre plus de temps.

Il découvrait les difficultés d’être père en même temps qu’il prenait conscience d’avoir négligé sa fille chérie.

Il se promit donc de suivre les conseils avisés de sa mère qui semblait d’ailleurs très heureuse de la tournure que prenaient les évènements. Elle avait toujours été très clairvoyante.

— Chère maman, tu obtiens toujours ce que tu veux.

— C’est ce que disait ton pauvre père, fit-elle, le regard soudain voilé.

— Pardonne-moi, maman, je ne voulais pas te ramener à des souvenirs douloureux.

— Ce n’est rien. La nostalgie, sans doute. Tu sais que nous étions très heureux ensemble. Je souhaite qu’un jour, toi aussi, tu connaisses un tel bonheur.