Ceux-là qui… - Eugène de Bonsecours - E-Book

Ceux-là qui… E-Book

Eugène de Bonsecours

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Beschreibung

Ceux-là qui… nous présente l’histoire d’un duo de petits voyous qui sombrent progressivement dans une violence obscure. Le narrateur, loin de chercher à se justifier, nous interpelle de manière froide et lucide. À travers ses mots, il exprime sa révolte et critique avec véhémence notre société, dénonçant ses aspects les plus cruels et immoraux. Ce mélange entre un thriller et un roman noir nous confronte brutalement à notre propre agressivité, que nous la connaissions, l’assumions ou la réfutions.


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Très tôt sensibilisé aux injustices sociales, au racisme et à l’écologie, Eugène de Bonsecours canalise parfois ses émotions à travers l’écriture et le théâtre. Ceux-là qui… devient ainsi un exutoire où il exprime sa vision désabusée de notre société de consommation.

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Seitenzahl: 130

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


Eugène de Bonsecours

Ceux-là qui…

Nouvelles

© Le Lys Bleu Éditions – Eugène de Bonsecours

ISBN : 979-10-377-9697-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

- Claudine, Édilivre, 2015 ;
- Mauvaises Nouvelles, Mon Petit Éditeur, 2015 ;
- Concours de nouvelles « Préambule » des éditions Dricot : La Marguerite Solaire in Les Machines Farfelues, 2015 ;
- Nouvelles parues dans L’ampoule (revue littéraire des éditions de L’abat-Jour) :
- Ampoule N° 19 : Bouts de Chair et Morceaux de Fer ;
- Ampoule N° 21 : Ambre & Cachemire.

On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté.

Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline

— Tu vois, mon vieux, le problème avec les humains, c’est qu’ils aiment trop le pouvoir et ce fils de pute fait pas exception à la règle.

Les yeux d’Irina papillonnent deux ou trois fois. De sa narine droite sort une bulle de morve mêlée de sang. Elle éclate et s’écoule sur sa joue. Son regard devient trouble et se fixe sur un point indéfini de l’espace au-dessus de ma tête. Sans doute voit-elle cette fameuse lumière au bout du tunnel. Je n’en sais rien, je suis impuissant et je regarde mon amie mourir de ces balles policières tirées presque à bout portant. Son corps se contracte légèrement. C’est fini. Je reste avec sa main dans la mienne. Combien de temps ? Quelques secondes, quelques minutes ou deux millénaires. Pour ce que j’en ai à foutre, franchement. Je me redresse péniblement, mes os ont cent ans tout à coup et je me sens horriblement vieux. Vieux et sale. Avec un vilain goût en bouche comme quand on se réveille un lendemain de cuite. Quand on a bu de la mauvaise vodka, fumé trop de joints et vomi près des poubelles d’une poissonnerie. Quand on s’est effondré sur un lit pas fait sans se rincer les dents et sans éteindre la lumière. Ça m’est arrivé quelquefois, je dois bien l’avouer. C’est pour ça que je reconnais le goût, la sensation. Qu’est-ce que je peux faire ? Rien d’autre que de garer ma couenne et quitter cette rue garnie de grilles qui défendent des vitrines pleines d’objets que personne ne songerait à venir voler. Voler, non, acheter oui. Les immeubles au-dessus regorgent de poissards qui ne peuvent remplir leur vie qu’en amassant ces objets infantiles et inutiles qu’on leur sert à coup de fausse promo. En saturant les quelques mètres carrés de linoléum verdâtre qui leur servent de logement. Pauvre Irina, elle largue sa couenne bien jeune et dans un lieu bien laid. Si j’en entends un seul qui ose prononcer le mot destin, je lui colle ma main dans la figure. Et là, juste dans l’instant, j’ai assez de colère en moi pour l’allonger raide d’une seule baffe. Qu’il soit prévenu.

À quelques mètres d’Irina, j’entends le flic qui gémit. Il n’est pas mort, ou du moins pas encore. J’hésite un moment. Je le termine ? Je le laisse se vider, histoire qu’il ait bien le temps de comprendre qu’il va y passer ? Quoi que je décide, je dois faire vite. Je n’entends encore aucune sirène au loin, mais ça ne va pas durer. Ça ne dure jamais dans une métropole surpeuplée avec des caméras de surveillance à tous les coins de rue. Avec la peur de l’autre inculquée depuis l’enfance. La peur et la haine. Sourdes, profondes et tenaces. Dans un monde capitaliste, l’autre est toujours un ennemi potentiel, un concurrent certain. Les amis, ça n’existe que le temps de faire du mal à un troisième larron, puis l’animosité mutuelle revient en force. Toujours. Le gros mange le petit. Ça s’enseigne même dans les écoles. Bourre des coudes à la cantine pour te faire la plus grosse saucisse, la plus grosse patate, et retiens le principe. Fous-le toi bien au plus profond de ta caboche, ça te servira toute ta vie. La plus grosse voiture, la plus grande maison, le plus beau costard. Et pourquoi pas la plus belle nana, tant qu’on y est. Il y en a qui n’hésitent pas à les exhiber et les aligner au même rang que leurs godasses ou leur montre. Et il y a des femmes assez connes pour pas s’en étonner.

Le flic gigote sur son trottoir. Je reviens sur terre et je me demande comment il peut encore s’agiter comme ça quand je vois la mare de sang qui s’étale autour de lui. Je ramasse le flingue d’Irina. Moi je n’en avais pas emporté, j’étais venu « à jeun » comme on disait entre nous : sans idée préconçue de baston ou de bastos. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Je ne sais pas si ça aurait changé quelque chose non plus d’ailleurs si j’étais venu alourdi. Je veux dire si j’étais venu armé. J’appuie le canon sur la tempe du moribond et je lui éclate le crâne. Des morceaux d’os et de cervelle jaillissent en force et m’éclaboussent le visage. En voilà un qui est bien fini, mais je sais. Je sais : tue un flicard et il en pousse un autre. Dans un monde capitaliste, si tu ne nais pas directeur, soit tu es chômeur, soit tu deviens flic. Oui, bon, je résume un peu court. J’admets le fait. Il y a les caissières de supermarchés, il y a les terrassiers et les maçons, il y a les professeurs, les dentistes, les astrologues, les coiffeuses et les capitaines au long cours. Mais en gros, tout ça, ce sont des gens qui sont susceptibles d’être exclus un jour de la piste de danse. Il n’est pas nécessaire d’attendre la retraite pour ça. Une bricole, un rien et tout bascule. Ta femme te quitte pour la queue du boulanger qui est plus vigoureuse que la tienne. Ton mari s’éprend d’une jeune fille à peine pubère, car il est las de voir tes fesses s’avachir avec l’âge. Ton môme se shoote avec des copains pas trop malins et se file l’overdose ou bien se tue à moto. Celle que tu lui avais promise, justement, s’il réussissait bien ses examens de juin. Ou alors il te nie parce qu’il te trouve trop ringard, trop con, trop fauché ou trop friqué. Va savoir avec les gamins. Dans un monde capitaliste où l’on s’ingénie à faire miroiter des trésors inaccessibles à coup de pub et de concours de la star qui tiendra trois mois à l’affiche, pas étonnant que les gosses perdent les pédales.

Avec tout ça, les sirènes se sont quand même manifestées. Un peu trop près à mon goût. J’ai pas vraiment capté leur chant désespérant quand elles étaient encore au loin. Mais là, plus moyen de les ignorer. Je regarde à gauche et à droite. Je file vers la droite, la rue va vers les entrepôts déserts. Après c’est la cité ouvrière. Soit je me planque derrière un tas de vieux pneus jusqu’au matin, soit j’essaie de passer inaperçu dans les rues miteuses de la cité. Je suis aussi gris que les murs, on ne me verra pas. Je marche d’une allure alerte, mais pas précipitée. J’ai les genoux un peu en compote après notre carton en bagnole. De toute façon, j’ai de quoi voir venir. Irina a tiré trois coups, moi un, et le chargeur était plein quand on a démarré tantôt. Il reste dix balles. Si la flicaille me coince, j’en balance quelques-unes pour l’honneur, puis s’ils ne m’ont pas encore descendu, je m’en file une bonne dans le cigare et tout sera dit. Ça ne me fait pas peur comme idée. Tout au plus, ça me contrarie. Avec Irina on avait commencé un truc un peu fou, et même si je sais que je le terminerai pas tout seul, ça me plairait bien de continuer encore un peu. Pour moi, pour elle. Là où elle est, je ne sais pas si elle me voit faire et je ne sais pas ce qu’elle pense de tout ça. Qui dit que quand on est mort on continue à penser les mêmes choses que quand on est vivant ? Après tout, traverser le grand tunnel, ça doit secouer et faire vaciller les certitudes. Si ça se trouve, Irina préférerait peut-être que j’arrête tout. Que je me range. Un boulot, une femme, des gosses et tout ce qu’on met en général avec. Maison, voiture, épargne-pension, assurance mutuelle, déodorant, eau de Javel et désinfectant bleu dans la cuvette des chiottes. De la viande en barquettes de polystyrène, des légumes surgelés, et puis, surtout, surtout, une télévision. Parce que sans ça cette vie n’est pas supportable. Eh bien non, ma chère Irina, je ne finirai pas comme ça. Quoi que tu penses et où que tu sois à présent. Si tu es quelque part. Je veux dire ailleurs que dans ton corps par terre là-bas. Avec trois balles dans tes si jolis seins. Parce que moi, je veux bien croire à cette lumière au bout du tunnel, à la vie après la mort et tout ça, mais… Depuis que j’ai compris que le curé auquel je confessais mes fautes de gosse jadis allait tout baver à mes vieux après, eh bien j’avoue que j’ai un peu de mal à croire encore à tout ce que ces morpions nous racontaient.

Finalement, après les entrepôts, plutôt que de continuer vers la cité endormie, je prends le boulevard vers la gauche. C’est plus lumineux, et donc plus risqué, mais j’ai besoin de me rincer le gosier et de me mettre de l’eau sur la figure. Et si elle pue le chlore, le vieux tuyau de plomb ou la chiotte usagée, eh bien tant pis. Je n’en suis plus à une mauvaise odeur près. Je passe devant une boutique de fringues à bon marché avec des mannequins en plastique, livides, plus morts que vrais. Derrière se dressent des miroirs étroits et verticaux censés représenter des gratte-ciel de ville américaine. À moins qu’ils soient là juste pour que les gens se regardent dedans et se trouvent si moches qu’ils se sentent obligés de rentrer et de s’acheter un nouveau chandail ou une nouvelle jupe. Moi, je me suis regardé, car ma propre silhouette en mouvement s’y reflétait soudainement, ça m’a fait sursauter. Ça m’a fait l’effet d’un type qui, brusquement, s’est mis à marcher à mes côtés. Merde, j’avais oublié. J’ai la gueule pleine de trucs infâmes et sanguinolents. La tête du flic qui m’a craché en pleine tronche. La manche de mon blouson pareil. Bon, c’est râpé pour le godet dans un troquet. Vu mon allure, je ne peux même pas prendre le métro ou un taxi pour rentrer chez moi. Personne que je puisse appeler pour venir me chercher. Tant pis, je marche.

Après trois quarts d’heure, j’arrive dans un square avec une fontaine. Le bruit de l’eau m’attire. Je retire ma veste, et avec mes deux mains en coupe, je m’asperge le visage abondamment. Je boirais bien un coup, mais à mon avis, cette flotte c’est la même qui tourne en circuit fermé depuis des mois. Je m’abstiens en pensant à tous ces pieds douteux qui s’y trempent quand il fait chaud. Je pense aux chiens qui viennent pisser contre la margelle en pierre bleue. Je pense à ces gosses qui y font voguer des bateaux en papier journal, les mains grasses de frites ou collantes de crème glacée. Je ne peux pas contrôler le résultat obtenu, mais en passant ma main sur mon visage et dans mes cheveux, je n’y trouve plus aucun débris de policier. Je nettoie la manche de mon blouson et je quitte les lieux aussitôt. Encore une petite demi-heure et je serai chez moi. Quand j’y arrive enfin, j’attends quelques instants, planqué sous un porche juste en face avant d’entrer dans mon immeuble. Je sors ma clé, j’ouvre la porte et n’allume pas la minuterie. Mon appartement est au troisième. Sans ascenseur. Je monte dans le noir presque complet. Les petites fenêtres de la cage d’escalier au verre dépoli laissent passer une faible lueur orangée. Ma porte est sur la gauche. J’avance la main pour éviter de m’y cogner. Je trouve ma serrure. J’entre et je referme directement derrière moi. Je pousse un soupir. Ma tête est pleine d’images, d’odeurs, d’angoisses diffuses. Je me laisse tomber dans mon vieux fauteuil. Les réverbères de la rue et une lune dodue éclairent plus qu’il ne m’est nécessaire. Sur la table de bois devant moi, je trouve la bouteille de whisky qu’on a entamée tout à l’heure. Je la saisis par le goulot et je m’en file une rasade généreuse. Ça coince un peu à la descente et pendant un instant je crois que mon estomac va tout renvoyer frais de port compris. Finalement, la brûlure s’estompe et se transforme en chaleur chaleureuse. C’est un peu idiot de dire ça, mais c’est la sensation que j’éprouve. Sans défaire mes lacets, je retire mes chaussures et les éjecte au hasard dans la pièce. L’alcool a passé l’estomac et me tombe dans les pieds. Je les sens qui sont gonflés. J’enlève mes chaussettes et les laisse tomber par terre, en boule. J’étends mes jambes devant moi et je m’envoie encore une bonne lampée dans le gosier. Le chemin est fait et ça passe tout seul ce coup-ci. Je ne sais pas après combien de ces généreuses gorgées le taux d’humidité de mon corps est arrivé à saturation, mais ça a soudainement débordé et l’excédent de liquide est sorti par mes yeux. De beaux gros sanglots de gosse désespéré et apeuré. Perdu dans le noir. Salut, Irina, si ça se trouve tu pleures aussi. Ou bien tu te marres. Ou bien tu me trouves pitoyable. Garde ça pour toi, veux-tu ? Ce que tu penses de moi, à partir de maintenant, je ne suis pas sûr que ça m’intéresse de le savoir.

Je me suis endormi et j’ai passé le reste de la nuit à nettoyer fiévreusement ma veste sans jamais l’avoir propre.

***

Quand on s’est connus, Irina et moi, on avait environ seize ou dix-sept ans. Baskets blanches, jean râpé, blouson en simili cuir et polo avec des conneries américaines écrites dessus. Elle était plutôt taiseuse et moi je n’étais pas du genre très causant. On a donc mis un certain temps avant de communiquer. Je dirais plutôt avant qu’on se parle