Chercheurs de sources - Dora Melegari - E-Book

Chercheurs de sources E-Book

Dora Melegari

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Beschreibung

L’art de la rabdomancie est très ancien, en Orient. Avec leur baguette divinatoire, les rabdomanciens découvraient les trésors et les sources cachées. La verge de Moïse fit jaillir l’eau du rocher, et Circé était sans doute, elle aussi, armée d’une baguette magique, quand elle changea en pourceaux les compagnons d’Ulysse.
Le bâton a été, de tout temps, le symbole des forces mystérieuses. Mercure avait son caducée, Bacchus son thyrse, Aaron sa verge. Chez les Francs, et même chez les premiers Capétiens, les hérauts d’armes portaient devant les chefs une baguette sacrée, marque de leur dignité.
Cependant, l’usage de la branche de coudrier pour la découverte des trésors et des sources ne date guère, en Europe, que du seizième siècle. Longue de deux pieds et légèrement courbée au milieu, elle devait appartenir à la pousse de l’année et avoir été coupée, le premier mercredi de la lune, entre onze heures et minuit, tandis que certains mots spéciaux étaient prononcés. Ensuite, on la bénissait selon la formule magique, et lorsque le rabdomancien arrivait à l’endroit où se trouvait la source, la baguette semblait tourner entre ses mains comme sollicitée par des forces inconnues.

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DORA MELEGARI

CHERCHEURS DE SOURCES

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385741778

 

A CEUX QUI SAVENT VOIR ET NÉANMOINS ESPÈRENT

 

 

 

 

 

 

 

 

CHERCHEURS DE SOURCES

PRÉFACE

CHAPITRE PREMIER CHERCHEURS DE SOURCES

CHAPITRE II LES PARENTS

CHAPITRE III LES ÉDUCATEURS

CHAPITRE IV LES RENCONTRES

CHAPITRE V COUPEURS D’AILES

CHAPITRE VI LES FILS DE NARCISSE

CHAPITRE VII LES FEMMES ET LA TOILETTE

CHAPITRE VIII LES PRIVILÈGES DE LA PAUVRETÉ

CHAPITRE IX LES AMIES DE L’HOMME

CHAPITRE X L’APPEL

PRÉFACE

Après une longue période improductive, nous assistons, depuis quelques années, à une exubérante floraison d’études philosophiques, religieuses et mystiques ; mais ces ouvrages, dont le but devrait être la recherche d’une vie meilleure, plus large et plus joyeuse, s’occupent assez rarement de l’application de leurs théories à la vie vécue. Faut-il en conclure que leurs auteurs se sont complus uniquement à des exercices intellectuels ou que la crainte secrète de déterminer les conséquences de leurs principes et celles même des principes opposés, pousse ces écrivains à garder le silence sur le côté pratique des questions qu’ils développent ?

Faire du spiritualisme théorique et ne pas aborder les problèmes moraux qui en découlent semble illogique : cette réserve dénote-t-elle un manque de courage ou une incertitude de pensée ? Pourquoi tant de réticences et d’hésitations ? Le fait d’établir la nécessité d’une ligne de conduite conforme aux principes qu’on accepte ou qu’on professe, n’implique point que tous auront la constance de la suivre sans interruption ; ne pas prévoir les reculs et les chutes possibles indiquerait un manque de discernement, une conception erronée de la nature humaine et une singulière ignorance des forces secrètes qui la dirigent ou l’égarent. Durant certaines périodes de sa vie, l’homme ne peut être sans cesse armé victorieusement contre les puissances tentatrices qui le sollicitent, en lui et hors de lui. Seuls les héros, les stoïques, les rois d’eux-mêmes et ceux qui ont le privilège de se sentir en contact avec les puissances invisibles, sont capables de persévérer toujours, sans faiblir jamais, dans la recherche de la vie meilleure.

Cela n’est pas, hélas, possible à tous ; plusieurs trébuchent et même tombent en route. Mais ceux qui ont eu, ne fût-ce qu’une seule fois, la vision nette de ce que l’homme doit être, se relèvent toujours et se remettent, plus ou moins brisés ou meurtris, à la culture de leur jardin intérieur. Il est, par conséquent, indispensable de connaître et de définir ce qu’un certain ordre de croyances implique, comme ligne de conduite personnelle. Mais, je le répète, les observateurs de la psyché humaine et les chercheurs de vérités profondes évitent volontiers d’appuyer sur ce point. Ils préfèrent rester à la surface intellectuelle des questions et se refusent d’aider au développement de la conscience générale ; c’est pourtant la seule chose nécessaire, puisque d’elle procède le sentiment de la responsabilité, sans lequel l’être humain n’est qu’un atome s’agitant éperdument dans le vide.

Lorsqu’arrivé à la maturité de l’âge, l’homme qui n’a pas cultivé sa vie intérieure, s’aperçoit tout à coup qu’il n’est qu’un automate perfectionné, et essaie de descendre en lui-même à la recherche de sa conscience, il doit parcourir un chemin long, fatigant, obscur, et souvent il n’arrive pas à réveiller l’endormie ou à ressusciter la morte ! Au contraire, si, jadis, elle a vécu et parlé en lui, il réussit toujours à la tirer de son sommeil et de son silence.

Habituer l’homme à établir un dialogue constant entre sa raison et sa conscience, lui enseigner, dès l’enfance, à se rendre compte de ce qu’il voit, de ce qu’il sent, de ce qu’il fait, devrait être la principale préoccupation des moralistes et des éducateurs. Ainsi l’humanité serait débarrassée de cette conception superficielle et automatique de l’existence, qui retarde l’évolution de la plupart des êtres.

Rendre l’homme conscient en toute chose, c’est lui donner des lettres de noblesse, c’est élargir son horizon, c’est le consoler du bonheur, s’il ne l’a pas, c’est, s’il le possède, en centupler, pour lui, les jouissances.

Mais l’usine où s’élabore la vie consciente n’est pas la même pour tous. Dans ces mystérieuses profondeurs, les jets et les flamines jaillissent de façon différente et, pour les faire surgir, chaque âme a un ressort qu’il faut savoir toucher. Par conséquent, découvrir les sources est toute la science de l’éducation et de la vie.

Les poètes racontent qu’Armide avait l’oreille si fine qu’elle entendait l’herbe croître. Ceux qui veulent éveiller chez l’homme le désir des satisfactions supérieures devraient faire comme la magicienne antique : appliquer leur oreille à la terre et essayer d’y percevoir le murmure souterrain des sources cachées.

Dora Melegari.

Rome, janvier 1907-avril 1908.

 

CHERCHEURS DE SOURCES

CHAPITRE PREMIER CHERCHEURS DE SOURCES

Tu frapperas le rocher et il en sortira de l’eau.

(Exode, XVII-6.)

L’art de la rabdomancie est très ancien, en Orient. Avec leur baguette divinatoire, les rabdomanciens découvraient les trésors et les sources cachées. La verge de Moïse fit jaillir l’eau du rocher, et Circé était sans doute, elle aussi, armée d’une baguette magique, quand elle changea en pourceaux les compagnons d’Ulysse.

Le bâton a été, de tout temps, le symbole des forces mystérieuses. Mercure avait son caducée, Bacchus son thyrse, Aaron sa verge. Chez les Francs, et même chez les premiers Capétiens, les hérauts d’armes portaient devant les chefs une baguette sacrée, marque de leur dignité.

Cependant, l’usage de la branche de coudrier pour la découverte des trésors et des sources ne date guère, en Europe, que du seizième siècle. Longue de deux pieds et légèrement courbée au milieu, elle devait appartenir à la pousse de l’année et avoir été coupée, le premier mercredi de la lune, entre onze heures et minuit, tandis que certains mots spéciaux étaient prononcés. Ensuite, on la bénissait selon la formule magique, et lorsque le rabdomancien arrivait à l’endroit où se trouvait la source, la baguette semblait tourner entre ses mains comme sollicitée par des forces inconnues.

Malebranche attribuait le phénomène à l’œuvre du démon ; le Dictionnaire des Merveilles de la Nature essaie de le ramener aux principes de la physique ; les sceptiques supposent qu’au moyen de viroles de métal dissimulées dans le bois, et d’un adroit manège des mains, on parvenait, au moment voulu, à imprimer un mouvement de rotation à la baguette ; plusieurs croient aussi, comme Balzac, que le soi-disant magicien obéissait, dans le voisinage des eaux, à quelque sympathie à lui-même inconnue. Aujourd’hui encore, en France, les rabdomanciens ont une clientèle ; il y en a de célèbres, que l’on fait venir à grands frais pour qu’ils découvrent des sources jaillissantes dans les terres desséchées.

On ignore, du reste, pourquoi cette vertu magique a été attribuée au coudrier. Est-ce parce qu’à son ombre les bergers de Virgile se livraient au combat du chant et qu’on en brûlait le bois, le jour des noces, pour porter bonheur aux jeunes époux ?

Phylis aime les coudriers.

Et tant qu’elle les aimera,

Les coudriers l’emporteront

Et sur les myrtes de Vénus

Et sur les lauriers d’Apollon !

Phylis est morte depuis presque deux mille ans, et la branche de coudrier fait encore jaillir l’eau des sources. Légende, superstition ou force physique, inconnue encore et que la science déterminera quelque jour, peu importe ! C’est le symbole qui m’intéresse ; c’est lui que je voudrais dégager et appliquer, car il renferme un enseignement profond. L’âme des hommes est semblable à la terre ; elle contient des sources cachées qu’on ne s’occupe pas assez de faire jaillir, et qui pourraient changer en jardins fleuris, des sols inféconds ; en vignes luxuriantes, des rochers arides !

Se donner la tâche de chercher les sources serait, pour les bonnes volontés humaines, un inépuisable et splendide champ d’activité. Si les personnes qui croient savoir, par leur propre expérience, où se trouvent la vérité, la lumière et la joie, s’armaient de la branche de coudrier pour découvrir les eaux courantes dans les âmes qui les cachent, nous marcherions vraiment vers une humanité meilleure ; et ceux qui auraient aidé cette transformation, dans la mesure de leur intelligence et de leur force, pourraient mourir avec la certitude de n’avoir pas vécu en vain.

Ce qu’il faut essayer tout d’abord, et cela dès les premières années de la vie, c’est de développer l’imagination de l’enfant. Pour sa sensibilité, on doit attendre, car souvent, dans de petits corps fragiles, une sensibilité prématurée nuit à la santé physique. L’imagination n’offre pas les mêmes dangers, et c’est l’une des sources que l’on fait jaillir le plus facilement de l’âme enfantine. Chez quelques-uns, la source est pauvre, et il faut se hâter avant qu’elle ne se soit tarie d’elle-même, ou perdue sous terre en petits ruisseaux qui se dessèchent vite. L’homme dépourvu d’imagination est une pauvre créature misérable, même si elle semble riche, car l’imagination est la force et la joie de l’esprit. Le devoir des éducateurs est donc, — comme celui des hygiénistes en ce qui concerne le développement du corps, — de donner tous leurs soins à l’accroissement de cette puissance de vie, et de ne l’étouffer sous aucun prétexte.

Dans la seconde moitié ou le second tiers du dix-neuvième siècle, après le déclin du romantisme, l’imagination a été, pendant un temps, dépréciée et considérée comme une faculté démodée, nuisible au succès des intérêts matériels, et qu’il fallait, par conséquent, éliminer de gré ou de force des jeunes cerveaux. Tous les pédagogues s’y sont employés. Dire d’un jeune homme ou d’une jeune fille : « Il, ou elle, a beaucoup d’imagination, » équivalait presque à une injure, et ceux qui possédaient ce trésor le cachaient comme une tare pour ne pas devenir suspects. La signification du mot n’était même plus comprise par ses détracteurs. Le vulgaire avait fini par appeler imagination, non plus la charmeuse qui jette un voile d’or sur toutes choses, mais le défaut, propre à certains esprits, de se créer de fausses et chimériques illusions, c’est-à-dire de donner au moindre incident une portée qu’il ne possède point. Or cette tendance puérile ne doit pas être classée sous le nom d’imagination ; elle indique simplement une mentalité vaniteuse, déséquilibrée et dépourvue de discernement.

L’imagination a une bien autre envergure ; ses ailes, qu’elles soient délicates comme celles du colibri, ou puissantes comme celles de l’aigle, portent toujours sur les hauteurs. L’homme à qui les dieux ont conféré ce précieux don ne pourra jamais tomber tout à fait bas. On me citera Edgar Poë, Musset, Verlaine et d’autres poètes encore, dont la muse dut plusieurs fois se voiler le visage ; mais ceux-là, du moins, sentaient leur honte, et plusieurs d’entre eux trouvèrent des accents de terrible angoisse pour décrire leurs chutes. D’autres, l’accès passé, se reprenaient et planaient parfois à des hauteurs vertigineuses. S’ils n’avaient pas eu d’imagination, ils auraient succombé sans souffrance et se seraient vautrés voluptueusement dans la boue où ils étaient tombés. Puis, ils seraient morts obscurs, dans l’abjection, sans avoir eu la vision des cimes, ni su faire vibrer les cœurs.

Même, exception faite des poètes, on peut affirmer que l’imagination est à la base de toute grandeur et de tout progrès. S’ils n’avaient pas eu d’imagination, les conquérants seraient restés sur leurs sols étroits. Alexandre, César, Napoléon ont été de grands imaginatifs. C’est l’imagination qui les a aidés à vaincre, plus encore que leur audace, leur bravoure, leur science stratégique. Pour les hommes d’État également, le grand ressort des conceptions géniales est, avant tout, l’imagination. Cavour et Bismarck en étaient largement pourvus. Sans elle, les intrigues politiques avorteraient avant de naître, car, pour les concevoir et les faire aboutir, l’imagination est indispensable ; sans elle, il n’y aurait plus de grands lanceurs d’affaires ! Sans elle, l’Amérique n’aurait pas été découverte !

C’est un préjugé répandu de croire que, dans les professions dont le but unique est le gain, on n’a pas besoin de l’aide de l’imagination : on va jusqu’à affirmer qu’elle peut être nuisible. Oui, peut-être, pour les simples instruments qui se contentent d’emboîter le pas à leurs prédécesseurs ou à leurs patrons, mais toutes les grandes industries, toutes les grandes entreprises sont nées dans le cerveau d’un « imaginatif ».

Un avocat d’assises qui manquerait d’imagination ne sauverait jamais une tête !

Dans les sciences positives aussi, d’où procèdent les découvertes fameuses dont on mène si grand bruit ? Des hypothèses nées dans un cerveau imaginatif, analysées ensuite et passées au crible de la méthode expérimentale. Sans l’imagination, rien de tout cela n’aurait eu lieu. Archimède devait posséder une imagination puissante.

Évidemment, seule ou insuffisamment soutenue, elle ne suffit pas, mais dès qu’on la supprime, les conceptions géniales deviennent impossibles ; c’est pourquoi, ne pas développer l’imagination des enfants ou étouffer celle qu’ils manifestent, équivaut à les appauvrir, à appauvrir l’humanité et à commettre, par conséquent, un crime social.

Je suis persuadée que la crainte de l’imagination, qui a dominé l’opinion publique et le système éducatif de la seconde moitié du dernier siècle, a privé la science, la littérature et l’art de plusieurs forces vives. Lorsque celle qu’on a dénommée à tort « la folle du logis » et qu’il faudrait appeler « la lumière de l’âme » est très puissante, elle résiste à tous les efforts tentés pour l’écraser, et peut-être même rebondit-elle plus énergiquement lorsqu’on s’efforce de la détruire. Mais ce sont là des cas exceptionnels ; en général, lorsque l’imagination est moyenne, on réussit très bien à enrayer son développement, et même à persuader à l’enfant que c’est une faculté honteuse ou, pour le moins, ridicule, dont il doit dissimuler les manifestations avec soin[1].

[1] Que d’enfants, dans ce temps-là, ont cruellement souffert du mépris où l’on tenait l’imagination, et des efforts que l’on exigeait d’eux pour qu’ils apprissent à la dissimuler.

Sans ce travail d’étouffement auquel on s’est livré sur l’enfance et la jeunesse pendant au moins un tiers de siècle, je suis persuadée que notre civilisation serait plus avancée et nos littératures plus riches[2]. Cette perte est irréparable, et non seulement on n’a pas permis à une génération de donner sa mesure, mais on a sevré des vies humaines de beaucoup de joies et de plaisirs.

[2] J’ai connu des enfants auxquels on interdisait les compositions, dans la crainte que ce genre de travail ne développât leurs facultés imaginatives.

Demandons-nous (je parle, bien entendu, des gens pour lesquels les repas du jour, le sommeil de la nuit et les jouissances physiques ne représentent pas le summum des délices humaines) quels sont les meilleurs moments de nos journées et les heures dont notre mémoire garde l’impérissable souvenir ? Nous citerons celles que notre imagination a éclairées. Qu’est l’amour lui-même, si l’imagination ne l’embellit pas, ne le relève pas, ne le dore pas ? Une fonction imposée par le génie de l’espèce et que beaucoup d’êtres assimilent presque aux plaisirs de la table. Tandis qu’aidé par l’imagination, l’amour est la plus grande douceur des âmes, la clarté lumineuse des vies, l’enchanteur qui change les réalités grises en visions radieuses. Mais, dira-t-on, pourquoi transfigurer ainsi l’amour, puisque, fatalement il doit s’évanouir, se changer en cendres au goût amer ? Plus et mieux l’on aime, plus on souffre, et le but de la vie est de ne pas souffrir… Erreur, lamentable erreur ! Le goût des cendres sera plus écœurant et amer si les sens et le cœur n’ont jamais connu les voiles d’or. Non seulement l’amour aura cessé d’exister, mais son souvenir aura perdu tout prestige et tout charme. Au contraire, ce qui a été, ne fût-ce qu’un jour seulement, éclairé par l’imagination, continue à illuminer l’existence, malgré les douleurs, les abandons, les chutes…

De même, pour que l’amitié ne reste pas terne et grise, l’imagination est indispensable autant que le soleil à la croissance et à la coloration des fleurs. Pas d’enthousiasme non plus sans imagination, pour les personnes ou pour les causes, puisque l’un procède directement de l’autre !

L’enthousiasme procure à l’âme une dilatation délicieuse : l’esprit s’y élargit et s’y repose. Et cependant on lui fait une guerre acharnée. Que de gens se plaisent à jeter des seaux d’eau froide sur nos admirations ! Un petit sourire méprisant et supérieur erre sur leurs lèvres, et ce sourire impressionne la jeunesse ; elle en a peur, elle se sent diminuée par ces regards ironiques, qui arrivent même parfois à lui faire renier ses dieux. Plus tard, dans la vie, lorsqu’on s’est rendu compte de la valeur réelle des choses, la situation se renverse ; l’on rend avec usure le sourire méprisant et l’on plaint les malheureux dépourvus d’imagination, qui n’ont jamais connu l’enthousiasme et ses saintes erreurs. Ce sont de pauvres, de très pauvres gens !

Il faudrait se borner à les plaindre, s’ils n’avaient pas le tort de déconcerter les jeunes esprits. J’ai connu une femme qui a usé plusieurs années de sa vie dans le pénible effort qu’elle faisait pour ressembler aux autres, pour devenir comme tout le monde, pour étouffer le don divin qu’elle avait reçu. Heureusement pour elle, ses tentatives furent vaines, mais cependant certains manques d’élan qu’elle déplora plus tard et qui la firent souffrir, étaient la conséquence du mépris pour l’imagination qui, dans sa jeunesse, régnait en maître sur l’opinion publique.

Diminuer, étouffer, tuer l’imagination dans une créature humaine, c’est tarir en elle, on ne saurait assez le répéter, les sources des joies les plus pures, des joies objectives, de celles que donnent la nature[3] et l’art. Le devoir des chercheurs de sources est donc de découvrir cette précieuse faculté, de l’éveiller, de la faire jaillir et d’apprendre à l’homme à tirer d’elle toutes les richesses et les forces qu’elle tient en réserve.

[3] Voir Faiseurs de peines et Faiseurs de joies.

Les êtres privés d’imagination ne peuvent faire de bons éducateurs : il faudrait les écarter de l’enseignement, et, en tous cas, ne jamais leur confier la direction d’une éducation complète. Tout au plus pourrait-on leur permettre certaines branches spéciales qu’ils enseigneraient suffisamment et médiocrement. Jamais ils ne parviendront à faire de bons pédagogues dans la haute acception du mot.

Je dis qu’ils enseigneront médiocrement, car même dans les sciences exactes, telles que la chimie, l’histoire naturelle et la botanique, l’imagination est une aide puissante. Dans les sciences historiques son rôle est d’une importance capitale. Un maître, dépourvu d’imagination enseignera l’histoire sans lui donner de relief et ne saura pas faire saisir à l’enfant les grands ensembles qui se fixent dans la mémoire. L’enfant, de son côté, étudiant sans intérêt, ne pourra se passionner pour les personnages héroïques ou coupables qui se meuvent à travers les événements qu’on lui raconte avec froideur. Par conséquent, il ne les comprendra pas, car c’est par l’imagination que l’intelligence enfantine arrive à saisir les grands mouvements de l’histoire. Il en est de même pour la poésie, la littérature, l’art… Rien, en somme, dans le savoir humain, ne peut se passer de l’imagination. Elle facilite tout ; c’est la grande source des connaissances, des découvertes, des héroïsmes, et quand elle n’est pas un don naturel, il faudrait pouvoir la faire naître artificiellement.

Ceux qui se préoccupent, à bon droit, de l’avenir des générations nouvelles, devraient s’entendre pour remettre l’imagination en honneur et la soustraire à l’injuste dédain sous lequel les générations utilitaires avaient essayé de l’écraser. Mais il ne s’agit pas simplement de lui jeter la bride sur le cou : ce serait aller au-devant des pires dangers. Si l’on développe cette faculté merveilleuse, ce n’est pas pour la laisser sans aliments. Le travail intellectuel et moral de ceux qui, sous une forme ou l’autre, ont charge d’âmes, en sera considérablement augmenté. Il faut empêcher avant tout que l’imagination devienne subjective[4], et beaucoup de discernement est nécessaire pour parer à ce grave péril. Non seulement les éducateurs ont besoin de science et de conscience, ils doivent posséder encore des âmes vivantes et communicatives, des intelligences ouvertes, capables de tracer des routes et d’indiquer les sommets.

[4] Évidemment dans son essence l’imagination est toujours subjective ; en me servant de ce terme un peu impropre, je veux indiquer les imaginations qui ne possèdent ni puissance d’observation, ni la vision des choses extérieures.

La mauvaise habitude de s’exalter à faux pour soi-même, — cause des déceptions amères et d’amoindrissement moral, — est un des résultats de l’imagination subjective : celle-ci intensifie le personnalisme, excite la sensibilité et renforce l’égoïsme, tandis que l’imagination objective, — celle qui s’extériorise, — en portant l’intérêt de l’homme hors de lui-même, le pousse aux conquêtes de l’esprit, aux recherches nobles, aux découvertes, aux combinaisons, aux entreprises qui apportent la gloire et la richesse. Dans des proportions plus modestes, elle sert à embellir, à colorer, à adoucir la vie.

Plus tard, et avec d’habiles précautions, les chercheurs de sources devront s’occuper de la sensibilité de l’enfant, car elle est aussi nécessaire que l’imagination, à son développement intégral. Qui enrichit sa sensibilité, enrichit son intelligence, dit avec raison Maeterlinck. Au siècle dernier, par réaction contre les théories de Rousseau, on a essayé de l’extirper, elle aussi, en cultivant avant tout dans les âmes les sentiments utilitaires. La médiocrité morale d’une bonne partie de nos contemporains suffit à montrer combien cette noble entreprise a réussi.

Au point de vue social, ce travail de destruction a été une erreur grave, la sensibilité étant plus importante que l’imagination pour tout ce qui se rapporte aux relations des hommes entre eux. Un individu dépourvu de sensibilité, à moins qu’il ne soit doué d’une intelligence très fine, est presque toujours un vulgaire et un grossier. Il y a une science du cœur qui se reflète dans les attitudes et les paroles et que rien ne remplace quand elle manque. La gentilezza d’animo, comme l’appellent les Italiens, est la source du tact véritable ; sans elle tous les chocs sont durs, bruyants, cassants. Un homme, au contraire, dont on aura cultivé la sensibilité dès l’enfance, conservera toujours une sorte de douceur dans les procédés, quelles qu’aient été les luttes et les amertumes de son existence.

Combien d’individus l’on rencontre — aujourd’hui surtout, ils pullulent — qui ne s’occupent jamais que de l’utilité pratique des choses. A leurs yeux, le tableau et le livre n’ont de valeur qu’en raison de ce qu’ils ont rapporté ; la découverte scientifique, en raison de ses résultats d’argent ; l’amitié, en raison des portes qu’elle ouvre, et ainsi de suite ! Très probablement, ces personnes étaient nées avec une sensibilité médiocre qui n’a pas résisté au système d’étouffement auquel on l’a soumise. Il n’en reste plus trace, et même la sensibilité d’autrui excite leur dédain. Les sensibles le devinent, le comprennent, et ont la faiblesse de rougir de ce dont ils devraient se glorifier, donnant ainsi raison, par leur attitude piteuse, à ces arrogants détracteurs des véritables lettres de noblesse de l’homme.