Chirurgie ta vie ! - Céline-Emmanuelle Bielle - E-Book

Chirurgie ta vie ! E-Book

Céline-Emmanuelle Bielle

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Beschreibung

Émergeant du coma à la suite d’un tragique accident de ski, Ella reçoit la terrible nouvelle qu’elle ne pourra plus marcher. Cette révélation bouleverse son existence et compromet sa brillante carrière de chirurgienne cardiaque pédiatrique. Après avoir tant sacrifié pour sa vocation, elle se retrouve face à ceux qu’elle a négligés dans sa quête de succès : sa mère, ses enfants, son ex-mari. Désormais, elle n’a plus d’autre choix que d’affronter cette nouvelle vie. Qui pourrait prédire ce qu’elle découvrira sur ce chemin de guérison ? Quel avenir pour Ella et pour sa famille ?

À PROPOS DE L'AUTRICE  

Titulaire d’un bachelor en sciences infirmières et de diverses formations postgrade dans le domaine de la santé et de l’accompagnement psychosocial, Céline-Emmanuelle Bielle exerce aujourd’hui en qualité de spécialiste en insertion professionnelle, coach en transition de carrière et formatrice de premiers secours en santé mentale. "Chirurgie ta vie !" est son premier roman et s’inspire des parcours de femmes qu’elle a accompagnées vers leur rétablissement.

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Seitenzahl: 288

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Céline-Emmanuelle Bielle

Chirurgie ta vie !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Céline-Emmanuelle Bielle

ISBN : 979-10-422-5601-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Note de l’auteure à mettre en fin de livre

Je ne sais pas si cet ouvrage m’a améliorée mais il a comblé des besoins.

Le besoin d’oser.

Le besoin de comprendre.

Le besoin d’imaginer.

Le besoin de transcender.

J’espère surtout qu’il aura su vous plaire et qu’il aura l’utilité de vous accompagner sur un chemin de tolérance consciente car nous ne sommes que des êtres humains, vulnérables et fragiles.

Merci à ceux qui n’ont pas su être là pour moi quand j’en avais besoin, je suis forte de votre absence et je peux désormais inspirer ceux qui le désirent.

Ces écrits sont dédiés aux femmes de ma vie, elles se reconnaîtront, ils sont également dédiés aux hommes qui essaient.

Céline-Emmanuelle Bielle

L’écriture est le coup de talon qui opère la bascule de la mort à la vie. Elle est la force unique, et mystérieuse, de sauvetage, de salut.

Chantal Thomas, Journal de nage

Efforce-toi que ton livre comble un besoin, et que cette utilité t’améliore. Ainsi, seulement, il est terminé.

Girolamo Cardano, mathématicien du XVe siècle

Toutes les décisions que j’ai prises ont engendré des conséquences.

Des conséquences pour moi-même.

Des conséquences pour mes proches qui, eux, n’avaient rien demandé.

De cela nous ne parlons jamais.

Ensemble nous oublions.

Ensemble nous effaçons.

Ensemble nous omettons.

Et pourtant, nous sommes intimement liés, comme les mèches d’une même tresse.

Nous vivons, ensemble.

Ella

I

Le premier jour du reste de ta vie

Ella, un jour

Où suis-je ?

Vivante ?

Morte ?

Check 1. Respiration ?

J’entends un souffle mais je ne sens pas l’air rentrer par mes narines.

Ma cage thoracique se soulève.

Mes poumons se déploient.

Sensation de respiration un peu forcée mais normale.

OK, pas morte ou alors pas trop.

Check 2. Conscience ?

J’ai déjà commencé à réfléchir, je m’entends penser, je pourrais tout aussi bien rêver, mais pour rêver mon cerveau doit être irrigué.

OK, consciente.

Check 3. Circulation sanguine ?

Considérant ce qui précède, circulation OK.

Check 4. Sensibilité ?

J’entends des bips et un truc qui souffle de l’air.

Je vois flou, il fait noir.

Je sens une odeur de désinfectant, chlorhexidine et peut-être une note de parfum féminin, on dirait du Mugler. Rien à faire, j’ai toujours préféré les odeurs du bloc à celles des infirmières qui le peuplent.

Bloc, infirmière… et si j’étais à l’hôpital ?

J’ai dû m’endormir pendant ma garde.

Impossible, je ne fais plus de garde depuis des années.

Check 5. Position ?

Allongée.

Check 6. Motricité ?

Tête, je ne peux pas la bouger.

Merde !

Jambes, elles ne répondent pas.

Merde au carré !

Mains, à peine mieux.

Merde au cube !

Cœur qui bat plus vite, au moins je peux le sentir.

Cœur qui s’accélère.

Les bips aussi.

Électrodes branchées.

Ça va sonner.

Et voilà, c’est la fête aux alarmes.

Merde, merde et merde !

Ouvrir la bouche ? Crier ?

J’ai un truc dans la gorge, je suis intubée !

Mon cœur s’accélère, ma respiration veut reprendre le contrôle, mon système nerveux rentre en conflit avec le respirateur.

Les alarmes s’affolent.

Des pas dans le couloir.

Je vais peut-être apprendre à aimer le parfum des infirmières finalement.

Je m’appelle Ella, j’ai 48 ans, je viens de me réveiller.

Mamilise et Rémi au téléphone

— Rémi ?
— Oui, Mamilise.
— Elle s’est réveillée !
— Vraiment ?
— Ben oui, mon petit ! Crois-tu que je pourrais te faire une blague ?
— Non bien sûr, je ne sais pas, je ne l’espérais plus ou peut-être…
— Ne dis pas de bêtise, c’est ta mère tout de même, et une mère…
— On n’en a qu’une !
— Oui, voilà.
— Elle a déjà engueulé tout le personnel du service ?
— Bien sûr que oui ! Elle a demandé à s’entretenir avec le directeur dès qu’on l’a extubée.
— Elle est donc bien vivante…
— Tu reviens ?
— Non, j’attends.

Rémi

Elle avait 24 ans lorsque je suis né.

Je suis un accident.

Elle ne l’a jamais dit comme ça mais j’ai toujours su que j’étais une entorse à son programme. Un étudiant de passage, une soirée arrosée, le coup de queue après le coup de feu, une façon de décompresser après les shoots d’adrénaline des premiers blocs.

Ma mère, je l’ai toujours connue absente ou… absente.

Soit elle n’était pas là, soit elle était là physiquement mais la tête penchée sur un livre, donc ailleurs.

J’ai toujours senti que ma présence la gênait.

« Rémi, je suis occupée, disait-elle. Je dois travailler », répétait-elle et les bras de Mamilise, ma grand-mère, venaient doucement me détourner de ma seule intention, être avec elle, sentir ses cheveux, humer son parfum, être bercé par le son de sa voix.

Elle m’a toujours déçu, alors je suis parti.

J’ai mis un mur d’eau entre nous ; l’eau, ça atténue les sons et les douleurs, un océan devrait suffire, l’Atlantique fera l’affaire. Je vis aux États-Unis depuis trois ans, sur la côte ouest, à San Francisco.

Depuis mon adolescence, nous ne faisons que nous disputer, j’ai fait toutes les conneries possibles pour qu’elle me remarque, pour qu’elle me voie.

C’est ma grand-mère, Mamilise, qui a essuyé les plâtres, qui a bandé mes plaies, qui a toujours tenté d’atténuer ma colère. « Rémi, ta mère a un métier très prenant, c’est un être à part, tu ne peux pas lui demander d’être une mère comme les autres », disait-elle.

Je n’avais déjà pas de père et je devais en plus accepter de renoncer à ma mère, c’était trop pour moi.

Je m’appelle Rémi, j’ai 24 ans, je suis le fils aîné d’Ella, son premier enfant.

Anna et Icham au téléphone

— Papa, je me fous de savoir ce que tu en penses.
— Anna !
— Papa, je n’ai plus 7 ans.
— Anna, cesse de me parler ainsi !
— Et toi arrête de faire comme si elle n’existait pas.
— …
— C’est ma mère !
— Oui, si on veut.
— Papa, ça suffit, je t’interdis !
— Mais quoi ?
— De faire ça.
— De faire quoi ?
— De la dénigrer comme ça.
— Anna, tu exagères…
— Non, je n’exagère rien, Papa je t’aime et je te respecte mais ça ne te donne pas le droit de me dicter ma vie.
— Anna, arrête avec ça.
— Non. Toi, arrête avec ça, tu dois comprendre maintenant.
— Comprendre quoi ?
— Que je ne suis plus ton bébé et que je reste à Genève, pour l’instant.

Je m’appelle Anna, j’ai 19 ans et je suis la première fille d’Ella, son deuxième enfant.

Ella, avant l’accident

C’est notre tradition, chaque année, Mamilise nous organise une semaine au ski pendant les vacances d’hiver. Direction Verbier dans un chalet qu’elle prend le soin de choisir différent à chaque fois. C’est la seule concession que nous faisons à ce rituel hivernal. Nous embarquons dans la Cayenne, une vraie joie de piloter cet engin, j’ai toujours aimé conduire ! Mamilise, Anna, Mathis et Mona, les valises et moi.

Ça fait trois ans que Rémi ne vient plus, depuis son départ aux États-Unis. Avant, nous passions la semaine à nous engueuler, ça a toujours été compliqué entre mon fils aîné et moi. Au moins, maintenant c’est calme. J’ai un trou dans le cœur depuis, mais c’est calme. De toute façon, j’ai tout merdé avec lui, tout ! Vous prenez la pire mère et vous lui ajoutez les défauts d’un pire père, vous mélangez, vous élevez au carré, résultat c’est moi. J’excelle dans mon travail, on ne peut pas être bonne partout.

Je conduis en pensant à ma dernière opération, une transplantation cardiaque, intervention emblématique, s’il en est dans mon monde, dans mon quotidien fait de technique, de stratégies, de décisions tranchées et de précision. Je n’avais jamais vu Sofia, mon anesthésiste préférée, aussi inquiète et j’ai dû redoubler d’efforts pour la convaincre de suivre ma procédure. Mais les arguments de Sofia avaient fait mouche, elle avait raison, je voulais aller trop vite et quand je veux aller trop vite c’est que je suis très fatiguée.

Et c’est vrai, cette année je me sens étrange, moins enthousiaste, moins motivée pour les préparatifs, malgré le fait que Mamilise s’occupe le plus souvent de tout.

Et puis ce mal de tête depuis trois jours, il faut que je reprenne un antalgique.

Peut-être que je m’épuise, les douze heures debout à tenir la vie de ses petits cœurs entre mes mains, peut-être que j’en fais trop, mais j’en ai toujours fait plus, raison pour laquelle j’en suis là où je suis, plus jeune cheffe de service promue en chirurgie cardiaque pédiatrique des Hôpitaux Universitaires de Genève, genre féminin dans un monde de mâles, un exploit à quarante-huit ans ! Un exploit mais aussi des années de travail et de lutte, une vie vouée à mon art, la chance d’avoir eu le meilleur mentor possible, ma plus grande fierté.

J’ai peut-être le droit d’être un peu lasse.

Ces vacances me feront le plus grand bien, c’est certain.

Mona et Mathys au chalet

— Mathys.
— Oui, Nana.
— Mona, je m’appelle Mona, cher frère. Apprends donc à correctement me nommer, il faut que tu grandisses maintenant, nous avons 12 ans !
— D’accord, Nana.
— Soupirs… ah, viens là que je te serre dans mes bras !
— D’accord, Nana.
— Mathys ?
— Oui ?
— Je trouve Maman étrange, je dirais même plus absente.
— Absente ? Ben non, Nana, tu vois bien qu’elle est là.
— Oui mais non, absente au deuxième degré.
— Quel degré, il fait 22 degrés dans notre chambre, -4 degrés en haut des pistes et 3 degrés sur la terrasse du restaurant où nous mangerons demain d’après mes calculs.
— Je ne parle pas de ces degrés-là, Mathyyyyys.
— Desquels alors ? Je ne connais que ceux-là.
— Oui, c’est vrai, mon cher frère. Oublie ce que je t’ai dit et viens faire un câlin à ta Nana !

Je m’appelle Mona, j’ai 12 ans et je suis la deuxième fille d’Ella. Mon frère s’appelle Mathys, il est le deuxième fils d’Ella et nous sommes jumeaux.

Mamilise, avant l’accident

J’adore ces moments, elle est là avec nous, et les enfants rayonnent de bonheur. J’ai une fille incroyablement brillante, un être né pour sauver des enfants venus du monde entier mais qui connaît à peine ceux qu’elle a mis au monde. Tant d’heures d’études, tant d’heures d’opération, tant de sacrifices !

J’ai souvent craint pour elle, depuis son plus jeune âge, elle était comme possédée, animée d’une force obsessionnellement tournée vers la médecine. Enfant, elle décortiquait soigneusement les membres de ses poupées pour les coller sur un montant de bois et noter tous les organes, les tissus et autres constituants de leurs corps.

À neuf ans, elle était capable de m’expliquer l’imbrication des chaînes neurologiques et musculaires qui faisaient que je pouvais réaliser tel ou tel mouvement.

À dix ans, elle étudiait les encyclopédies médicales que je trouvais aux puces sur les bords du lac Léman, à Nyon un dimanche par mois. À douze ans, elle m’informa qu’elle deviendrait chirurgien et chaque fois que j’achetais une volaille, elle mettait tout son cœur à la découper pour me prouver sa dextérité.

Je recevais des mots dans son carnet scolaire de la part de tous ses professeurs de biologie au cycle, tantôt admiratifs, tantôt vexés, aucun d’eux ne pouvait rester indifférent à son savoir et à ses connaissances. Ella excellait dans toutes les matières mais particulièrement pour tout ce qui touchait au vivant. Vive, curieuse avec une mémoire incroyable, elle adorait étudier, lire, apprendre.

Je l’ai élevée seule, mes parents ont toujours été présents malgré la distance mais nous avons vécu ensemble de merveilleuses années à Saint-Cergue, dans le canton de Vaud. Ella était une enfant attachante, sage et sérieuse, l’idéal pour une mère célibataire et artiste comme moi.

Son adolescence, je la cherche encore… aucune crise, aucune bêtise, aucune mauvaise fréquentation. Des devoirs, de l’étude, des livres, des balades, du sport. Ella a toujours eu besoin de s’occuper de son corps, à mesure qu’elle remplissait sa tête de toutes ces connaissances, elle renforçait son corps et ses muscles. Les compétitions de tennis et de volley-ball rythmaient nos week-ends ; les entraînements de nage, nos soirées.

J’ai dû lui faire sauter deux classes durant sa scolarité, tellement son niveau était élevé. Résultat, elle était toujours la plus jeune de sa classe mais cela ne lui posait aucun problème. Son caractère affirmé et ses prouesses sportives lui assuraient une aura que ses camarades respectaient. Elle était une élève toujours prête à aider ceux qui rencontraient des difficultés et une coéquipière qui apportait une grande force au collectif.

À dix-sept ans, elle décrocha sa maturité latine avec mention et fit son entrée à l’université de médecine de Lausanne. Son ambition était très claire : devenir chirurgienne cardiaque pédiatrique. La mienne : tout faire pour l’y aider.

Je m’appelle Élise, on m’appelle Mamilise, j’ai 66 ans, je suis la mère d’Ella.

Ella, après son réveil

Des cons, ces neurologues ! Des ignorants, des défaitistes et des lâches ! Ils pensent vraiment que je vais avaler ces salades ? Moi ! Condamnée à ne plus marcher, arrêtée par une prétendue lésion de la moelle et les séquelles d’un AVC hémorragique. Quelle bande de crétins ! Aussitôt que je sors de ce service, je me remettrai debout et aucun de leurs diagnostics foireux ne pourra m’arrêter. Après, ils se raconteront des histoires sur leur prétendue science. Si chaque fois que je voyais les comptes rendus des échos cardiaques de mes patients, je m’en tenais à ça, j’aurais refusé d’en opérer plus de la moitié… Je ne suis pas femme à me laisser faire, à laisser des certitudes me plaquer ainsi sur le mur des Lamentations.

J’ai au compteur des milliers d’heures d’interventions, j’opère l’impossible, je soigne l’indicible, les fauteuils de mon cabinet de consultation soutiennent des parents dévastés par la souffrance de leurs enfants, je les éloigne des tourments d’âmes inimaginables et je vois se redessiner des sourires sur leurs petites bouches précocement déformées par la douleur.

Je rencontre des esprits meurtris et chahutés par la vie dès leur naissance. Mais je ne reste pas là sans réagir, je ne fais pas partie de ces gens qui flanchent devant l’adversité ou qui s’échappent, qui fuient pour se cacher ou se protéger égoïstement.

Depuis mon plus jeune âge, j’ai voué mon existence à la médecine avec l’intention, non pas de « réussir » mais d’exceller, non pas pour me vanter, mais pour réparer, pour corriger, pour redonner vie à cet organe si précieux, à ce cœur si unique, à ces corps tellement abîmés. Entre deux opérations, j’ai mis au monde quatre enfants, j’utilise sciemment le terme de « mise au monde » car je ne suis pas sûre de les avoir élevés, ces mômes. Ils sont miens, et pourtant parfois si étrangers… Vous imaginez bien, lorsqu’on est une femme et qu’on élève sa science au rang d’art, on n’a pas eu le temps de connaître les joies de la maternance, de la maternité bienveillante.

Leurs pères ? Ouais… pas mieux que moi… quoique… le dernier…

J’ai fait des choses incroyables dans ma vie et j’ai aussi royalement raté l’éducation de ma progéniture. Maman Élise, Mamilise, s’est occupée de tout !

Mamilise après le réveil d’Ella

La nouvelle venait de tomber. Dans mes oreilles résonne encore la voix de ma fille, « ils disent que je ne vais plus marcher, Maman, ils disent n’importe quoi et ce sont des ignorants ».

Je connais les fureurs de ma fille et la force qu’elle peut déployer dans ces moments de rage. Cependant, à cet instant, je n’ai qu’une envie : pleurer, laisser couler ma tristesse le long de mes joues, hurler peut-être aussi, hurler à la lune. Mais pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi une telle épreuve !

Ma fille est au sommet de sa carrière, reconnue par les plus grands de sa discipline en Suisse et au-delà. L’Imperial College of Medicine de Londres vient de lui proposer un poste dans le groupe de recherche autour de la conception d’un cœur artificiel pour enfants. C’est un de ses rêves.

Tous ses rêves, elles les avaient réalisés les uns après les autres, à la force de son travail, de ses efforts, depuis sa plus tendre enfance, des heures et des heures d’études, des nuits blanches à préparer les examens, des gardes à n’en plus finir, une vie de famille sacrifiée, une vie de femme à peine ébauchée, des coups durs, les mauvais tours de la vie, des ruptures, des chagrins mais toujours, toujours, cette force de vie.

J’ai rarement vu femme si acharnée, si déterminée et si brillante qu’Ella. Je ne suis peut-être pas très objective, étant sa mère, mais je me souviens de tout ce que les gens disaient de ma fille, depuis son plus jeune âge : « Votre fille, madame, elle est brillante, elle ira loin. Quel caractère ! Quelle énergie, quelle détermination ! Quelle force de travail, rien ne l’arrêtera ! »

Rien ne l’arrêtera… et si elle avait trouvé plus fort sur son chemin, et si cet accident signait une fin.

Je dois chasser cette pensée de mon esprit. Pour l’heure, il me faut récupérer les jumeaux et leur donner des nouvelles.

Je les imagine, Mathys qui sautille dans ma petite Yaris, Mona qui râle parce que je n’ai pas pris le Cayenne de sa mère. Ella a des goûts de luxe, qu’elle partage avec Mona. Elle s’est offert une magnifique Porsche Cayenne pour ses 40 ans. Je me souviens de cette merveilleuse fête d’anniversaire. Rémi et sa mère plutôt en bons termes, Benjamin et elle encore ensemble. Ces dernières années avaient été très douloureuses, l’infidélité de Benjamin, leur séparation, le départ de Rémi, les absences de plus en plus fréquentes d’Anna à cause des ambitions de son père, son emprise sur elle.

Heureusement que les jumeaux sont là, ils font la gaieté et la joie dont une mère a besoin dans ces moments-là. Avec Benjamin, tout se passe bien. Ella et lui ont organisé une garde alternée qui fonctionne. Benjamin est revenu vivre en France après avoir fait faillite. Son activité actuelle, et ses maigres gains de professeur de musique ne lui permettent plus de se payer un appartement à Genève. Avec le divorce, il s’est installé à Ambilly. Il a trouvé un appartement avec trois chambres tout près de la nouvelle gare d’Annemasse, les jumeaux conservant ainsi le bénéfice d’une chambre personnelle comme chez leur mère. Benjamin s’occupe des transports à l’école chaque jour sur sa semaine, et lorsqu’ils grandiront, les jumeaux pourront utiliser le Léman express ou le tram qui les mènera au centre-ville genevois. La semaine de leur mère, c’est moi qui chaperonne les jumeaux, j’ai organisé ma vie pour soutenir ma fille et pour pallier son planning de ministre. Je suis leur deuxième Maman à tous les quatre, et je passe plus de temps avec eux que leur propre mère. C’est ainsi, croire qu’une femme brillante avec un métier pareil puisse être présente pour ses quatre enfants est une illusion.

Très tôt, j’ai donc consenti à devenir cette grand-maman dont sa fille et ses petits-enfants auraient besoin et qui leur éviterait la succession annuelle et désespérante des jeunes filles au pair un peu perdues et pas très francophones. C’est ma façon à moi d’être une bonne mère, d’être une bonne grand-mère, d’être une belle personne. J’ai toujours considéré qu’Ella était mon cadeau, ma pierre précieuse, mon petit trésor. Ma fille a réalisé tout ce que je n’aurais jamais osé imaginer pour moi-même. J’ai toujours eu le sentiment de ne pas être à la hauteur de cet enfant. Très tôt, Ella a développé des aptitudes intellectuelles impressionnantes. Moi, je n’avais pas fait d’études, emportée très tôt par mes désirs créatifs, j’ai toujours eu le nez dans mes croquis, mes toiles, mes patrons. Dessin, peinture, couture, scrapbooking, bricolages divers, j’ai réussi à vivre de mes talents et j’ai éduqué Ella à travers les arts manuels. Quand ma fille s’est révélée être une intellectuelle avide de savoirs, j’ai pris un abonnement à la bibliothèque du village.

Je vogue au gré de mes pensées et de mes souvenirs, la route de Chêne est saturée, les sempiternels bouchons de la fin de journée. Je me demande comment je vais réussir à ne pas flancher devant mes petits-enfants, Mona, l’espiègle et ingénieuse fillette, Mathys, l’enfant particulier, l’enfant lune comme j’aime l’appeler. Tous deux très sensibles, ils vont bien déceler mon inquiétude. Avec eux, la franchise est de mise, pas de faux semblant avec des enfants pareils. Je suis allée à bonne école avec ma fille, ne rien cacher, être sincère, ces enfants-là ont des ressources qu’on n’imagine même pas, pour autant qu’on leur offre la vérité, telle qu’elle est, sans vouloir les surprotéger, sous peine d’être accusée « d’insulter leur intelligence » comme me l’a souvent rétorqué Mona du haut de ses douze ans.

Mamilise, Benjamin, Mona et Mathys, un soir après l’accident

Se garer, respirer, sonner à la porte, ne pas flancher, voir la porte s’ouvrir, et être accueillie par les yeux inquisiteurs de Mona.

— Mamilise !
— Mona chérie !
— Comment ça va ?
— Bien et toi ?
— Dis-moi…
— Quoi ?
— Comment va Maman ?
— Elle se bat…
— Mimilise !
— Mathys chéri, dans mes bras.
— Mathys, nous sommes en grande conversation. Que tes calinades ne nous empêchent pas de discuter. Papa ! Mamilise est là.
— Bonjour Benjamin.
— Bonjour Élise, entrez, je vous sers une tasse de thé.
— Volontiers.

Assis tous les quatre dans le salon de Benjamin, entre les instruments, les amplis et les montages électriques, Mona ne quitte pas Mamilise des yeux alors que Mathys est toujours dans ses bras.

— Les enfants, Benjamin, les médecins de votre Maman sont assez pessimistes.
— Pissimistes, c’est quoi ? demanda Mathys.
— Selon le Larousse : qui a tendance à n’envisager que les aspects négatifs des évènements passés ou à venir, récita Mona comme à son habitude.
— Je ne comprends pas, Nana.
— Ben en maths c’est quand tu arrives à la conclusion que ton équation va être très difficile à résoudre et que tu n’es pas sûr d’y arriver.
— Ça ne m’arrive jamais ça, c’est très rare pour moi le pissimisme en maths !
— Ouais ben mon cher frère, Maman elle, elle est face à une équation trop complexe, genre il faudra Einstein pour la secourir.
— Mona ! intercéda son père.
— Elle a un problème de relativité ? demanda Mathys.
— Non, elle a un problème complexe, répondit son père.
— Mais Maman, elle sait résoudre les problèmes complexes, n’est-ce pas, Mimilise ?
— Oui, mon enfant. D’habitude, elle y arrive.
— Ça, mon cher frère, ça veut dire qu’on n’est pas près de la revoir debout.
— Mona !
— Ben quoi… c’est la vie… Maman est face à une épreuve de la vie… les stoïciens considéraient que tout ce qui nous arrive est parfait, que tout ce qui se produit doit être accepté et tout ce qui advient est une révélation et doit être considéré comme tel.
— Bon, ben alors c’est pas complexe, insista Mathys.
— Oui et non. Allez, viens, Mathys. On va préparer nos affaires, laissons Mamilise et Papa ensemble, ils ont des choses à se dire.

Mamilise et Benjamin

— Cette enfant me surprendra toujours…
— Oui, Mona est une énigme… Élise, que vous ont dit les médecins ?
— À moi, rien. Ella a reçu la visite du grand ponte du service avec toute sa cour pour lui annoncer son mauvais pronostic.
— Comment a-t-elle réagi ?
— Eh bien, d’abord elle a voulu flanquer tout le monde dehors dans l’idée de faire une leçon d’éthique à son confrère, avant de se raviser et de profiter de l’occasion pour l’humilier publiquement devant ses subordonnés et ses élèves. Elle les a tous traités d’incompétents et leur a dit que si dans sa pratique elle avait eu le peu de courage médical dont ils étaient en train de faire preuve, elle n’aurait jamais osé opérer un seul cœur d’enfant de sa vie. Elle a parié ouvertement sur les changements d’orientation des externes et des internes présents dans sa chambre aussitôt qu’elle aurait repris son activité opératoire après sa rééducation, si ceux-ci étaient à la recherche « d’une vraie mentore et d’une solide formation de médecine », après cela, elle les a mis dehors et a demandé à parler à Bertrand, le directeur des HUG.
— Bon, ben, elle est plutôt en forme à ce que je vois !
— Oui, Benjamin. Oui, elle a la rage mais cette fois-ci je crains que cela ne suffise pas.
— Élise, vous lui avez toujours fait confiance, vous avez toujours été là, continuez, ne changez rien.
— Benjamin, c’est si dur.
— Élise, ça va aller, vous verrez, reprenez-vous. Les enfants doivent être prêts et ils se réjouissent de vous retrouver. Je suis là si besoin, à n’importe quel moment.
— Merci, Benjamin.
— Les enfants, c’est l’heure !

La porte se ferme, d’un côté Mamilise a retrouvé un semblant de courage, de l’autre je m’effondre.

Je m’appelle Benjamin, j’ai 58 ans, je suis le père des jumeaux d’Ella.

Ella et Bertrand à l’hôpital

— Mais enfin Bertrand, tu te rends compte ?
— Ella !
— Ah non ! par pitié, pas ce ton avec moi, tu n’espères pas me calmer tout de même !
— Je n’essaierai même pas mais si tu hurles nous ne pouvons pas parler de ce qui s’est passé.
— Ce qui s’est passé !
— Oui.
— Bertrand, ce connard d’Olivier s’est pointé ici avec toute sa clique pour m’annoncer à MOI que je ne pourrai plus marcher, mon confrère vient ici et n’a même pas la décence de protéger ma dignité devant ses étudiants, mais on est où là ?
— Ella, ce n’est pas exactement ça.
— Bien sûr que c’est ça !
— Non, Ella. Olivier ne voulait pas t’annoncer cela de but en blanc lors d’une visite de routine.
— Une visite de routine, mais même pour une patiente lambda c’est une ignominie cette façon de faire et puis je ne suis pas un patient habituel merde ! je suis la cheffe de service de l’équipe de chirurgie cardiaque pédiatrique, Bertrand, je n’ai pas besoin de te le dire.
— Non, je ne le sais que trop bien, en effet.
— Qu’est-ce que ça veut dire, tu as à t’en plaindre ?
— Ella, non.
— Ça ne te dérange pas trop que, depuis mon arrivée, notre service de cardiologie pédiatrique soit reconnu comme le meilleur en Suisse.
— Non.
— Ça ne t’a jamais dérangé que René lui-même fasse l’apologie de mon service ?
— Non, en effet.
— Et qu’il me désigne comme sa digne héritière avant de prendre sa retraite.
— En effet, Ella, ce n’est pas ce que je voulais dire.
— Merde, Bertrand, je me connais, je sais ce que vous pensez tous, Ella une sacrée emmerdeuse, ouais mais l’emmerdeuse elle est un cran au-dessus de vous tous, et vos petits égos de mâles ne le supportent pas.
— Ella, là n’est pas la question.
— Bertrand, la question est : comment se fait-il que dans ton hôpital, un médecin-chef de neurologie ose se pointer dans ma chambre et m’annoncer ce funeste destin devant sa cour d’étudiants prépubères sans aucun argument valable.
— Ella, tu as fait une rupture d’anévrysme cérébral en pleine descente de ski sur une piste noire et ta chute a brisé trois de tes vertèbres et ton bassin.
— Non, mais ça on s’en fout, Bertrand, on reprend, on répare, on rééduque. Tu comprends rien, t’es pas médecin !
— OK, Ella, écoute, Olivier n’avait pas l’intention de t’annoncer ça de cette façon.
— Bertrand, par pitié, tu n’es pas sérieux.
— Si, Ella ! Olivier faisait sa tournée classique et il n’a pas réalisé que tu étais aussi réveillée et tellement alerte et que tu allais le bombarder de questions au point qu’il ne puisse plus te cacher la vérité.
— Bertrand, je n’arrive pas à croire que tu viens de dire ce que tu viens de dire.
— Ella, merde à la fin !
— Quoi mais vraiment, tu te rends compte de la stupidité de tes propos.
— Je te répète ce qu’il m’a dit.
— Ah oui, et depuis quand tu répètes des inepties comme un perroquet ?
— Ella, que veux-tu que je te dise ?
— Je voudrais que tu me dises : Ella, Olivier est un sale connard, un bon à rien qui a remplacé la jolie devise de notre hôpital « l’essentiel c’est vous » par « l’essentiel c’est moi » et qu’il mérite bien la leçon que je lui ai faite devant sa traînée de sous-fifres. Je suis persuadée qu’il commet l’erreur basique de se fier à une IRM trop précoce qui montre des lésions qui ne sont pas factuelles. Il faut refaire ces examens dans quelques jours.
— Il est furieux, tu sais ?
— Grand bien lui fasse !
— Il a fait une crise de nerfs pas possible dans le bureau des infirmières, elles ne le supportent plus.
— Ouais ben ça c’est pas nouveau, il ne sait pas gérer ses émotions et il ne supporte pas d’être contredit.
— Oui, tu as raison et tu le sais.
— Ouais, comme toujours.
— Ella, je suis désolée, vraiment, il a carrément merdé.
— « Merdé » c’est que le prénom.
— On est d’accord là-dessus.
— Oui, on est souvent d’accord quand tu te résous à admettre que tu avais tort.
— Allez, Ella, fais pas ça, je suis venu pour toi.
— Tu es venu parce que j’ai menacé tout le monde.
— Ella, s’il te plaît.
— OK, j’arrête.
— Ella, je veux que tu saches que je suis là, Liliane et moi on sera là.
— Oh là là, tu ramènes carrément ta femme ici.
— Ella, on se connaît, je ne suis pas doué pour exprimer les choses « intimes » mais je veux que tu saches que je suis là, pas seulement en tant que directeur mais en tant qu’homme et avec mon épouse qui te salue.
— OK, OK, fais pas dans le larmoyant, j’ai pas besoin de ça mais merci.
— Je t’en prie.
— OK.
— Ella, j’aimerais que tu prennes le temps nécessaire et que tu saches que nous t’attendrons.
— Oui, oui, il faut que tu voies avec Sofia et Elizabeth pour la programmation des interventions de la semaine, je vais appeler l’équipe et organiser les remplacements, je serai vite de retour, je pourrai opérer sur un fauteuil s’il le faut.
— Ella, tu dois te reposer.
— J’ai demandé qu’on m’amène mon PC et tous mes dossiers, je ne peux pas sortir de ce lit mais je peux largement travailler sur mes cas et coordonner mon équipe. Je dois également préparer mes prochains déplacements à Londres.
— Ella, je…
— Bertrand, démerde-toi pour qu’Olivier ne foute plus les pieds dans cette chambre, sa cheffe de clinique Mallory est très bien, qu’elle se charge de mon transfert à Beau Séjour pour ma rééducation le plus vite possible.

Cécile, quelques jours après l’accident

D’aussi loin que je me souvienne, Ella a toujours forcé mon admiration.

Nous nous sommes rencontrées sur les bancs de l’école enfantine, elle avait une boîte à goûter en forme de banane qu’elle oubliait systématiquement dans le préau après avoir mangé ce délicieux fruit jaune qui me faisait tant envie. J’attendais ce moment pour passer derrière elle, ramasser le récipient et le lui tendre timidement. Elle prenait alors l’objet d’une main et de l’autre prenait la mienne avec une infinie douceur pour que nous finissions ensemble le chemin qui nous séparait de notre classe.

Je me sentais tellement fière à ses côtés, je pouvais percevoir sa force et sa douceur simultanément.

Ella impressionnait tous les enfants, émanait d’elle une puissante tranquille à l’aube de laquelle pouvait surgir une rage folle. Elle ne supportait pas les brimades ou les humiliations que les enfants se font subir à cet âge. Sous les feux de la moquerie ou de la critique, souvent initiée par les garçons, son regard changeait, ses muscles se figeaient, ses mâchoires se crispaient et… que le ciel aide ces pauvres enfants, je garde en mémoire les mines déconfites de ces maladroits compagnons de classe qui reçurent une leçon de savoir-vivre dont ils se rappelleraient toute leur vie.

Ella avait le verbe, elle était en verve, elle maniait l’art de la diplomatie BTP, si tu ne comprends pas la première fois, je t’envoie un deuxième parpaing d’éloquence et ça te fera réfléchir pour la fois d’après. Depuis son plus jeune âge, sa faconde et sa vivacité d’esprit étaient de nature à vous marquer une vie, à vous ancrer des souvenirs.

Et des souvenirs j’en ai eu avec elle, l’école enfantine à Saint-Cergue, le cycle à Arzier, le gymnase à Nyon, nous avons tout fait ensemble, même si ses sauts de classe nous ont éloignés un temps. Ella a réussi à me convaincre que je pouvais devenir médecin moi aussi, alors je me suis inscrite en médecine. Une année pour moi, une vie pour elle.

J’étais trop sensible à l’esprit de compétition qui régnait dans les amphithéâtres. Cet état de fait exacerbait le désir de réussite d’Ella, le besoin de surpasser les autres, les hommes en particulier et de leur prouver qu’elle était, en tous points, non pas meilleure mais bien meilleure qu’eux.

Elle était née comme ça, une personnalité rare, capable d’analyser de manière ininterrompue tout ce et ceux qui l’entouraient. Elle était convaincue qu’à force de volonté et de travail elle pourrait atteindre les sommets les plus ardus, ce qu’elle fit.

De mon côté, je me suis orientée vers des études d’infirmière et j’ai gravi patiemment les échelons un à un sous son impulsion jusqu’à devenir directrice des soins des HUG.

J’ai toujours considéré qu’être son amie était incongru et tout à la fois magique, incongru car je ne me suis jamais sentie à la hauteur de cette femme, magique car elle m’élevait dans le monde inespéré de la confiance et de l’amitié vraie. Ella n’accordait que peu d’intérêts à la frivolité des relations, aux bavardages inutiles et à la sociabilisation de manière générale. Elle forçait l’admiration partout où elle passait, elle ne laissait personne indifférent mais elle ne profitait pas de son aura pour cultiver une quelconque cour. Travailleuse solitaire acharnée, elle me réservait toute son amitié et cela me remplissait de joie. Avec elle, je n’avais besoin de personne, elle était mon amie à moi, elle était mon tout et je chérissais notre relation malgré la triste impression qu’un jour elle m’échapperait.

Ce moment était-il arrivé ?

Je me souviendrais toujours de la voix de Mamilise.

Qui connaît Ella, connaît sa truculente Maman Élise, devenue Mamilise à la naissance de Rémi.