Chronique du Malak - Antoine Hans - E-Book

Chronique du Malak E-Book

Antoine Hans

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Beschreibung

Un minerai mystérieux, le Malak, absorbe puis consume lentement les terres, dévorant leur essence vitale et laissant, dans son sillage, des étendues stériles. Vingt ans après la disparition du Royaume d’Adhan, englouti par cette force insaisissable, Desmond, une jeune recrue, commence son service militaire, loin de se douter que cette mission anodine le conduira au cœur d’un secret terrifiant. Au fil de son voyage, il découvre des vérités troublantes sur le monde en péril… et sur sa propre existence. Tandis que le Malak étend son influence, Desmond devra affronter un destin qu’il n’aurait jamais imaginé.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Antoine Hans cultive depuis toujours une passion pour la création d’univers. Nourri par des lectures qui ont stimulé son imagination, cet ouvrage représente pour lui l’aboutissement de son désir de partager son monde avec les autres.

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Seitenzahl: 351

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Antoine Hans

Chronique du Malak

Desmond

Roman

© Lys bleu Éditions – Antoine Hans

ISBN : 979-10-422-6299-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Dans un univers alternatif au nôtre, sur une planète bien loin du système solaire, la lueur paisible de Lamenor, l’étoile du système, vient se poser sur le Royaume d’Adhan.

Large contrée partageant beaucoup de similitudes avec un pays d’Europe de l’Ouest, Adhan est un territoire tempéré, verdoyant et avec une faune et une flore similaires à celles que l’on peut connaître dans notre propre monde. Malgré son système politique quelque peu arriéré, le Royaume d’Adhan se situe dans l’ère moderne. Par ailleurs, l’Homme n’est pas le seul à y résider. En effet, le pays est divisé en trois régions autonomes d’un point de vue administratif, répondant simplement aux requêtes du Roi et à son autorité lorsqu’elle est exigée. Chacune de ces régions est habitée par une race particulière, et elles sont toutes plus ou moins égales en superficie.

Au Nord-Ouest se trouve le territoire des Hommes. Disputés entre leurs tendances modernistes et leurs traditions militaires, les Hommes sont des guerriers vaillants et réputés au sein et par-delà le Royaume. La qualité de leurs combattants en a d’ailleurs valu à bon nombre de se tourner vers des carrières de mercenaires, dans lesquelles ils sont très populaires. Regroupés sous le terme de CUH, Conglomérat des Unions Humaines, les humains se répartissent sous la forme de cités-États, toutes représentées au niveau de la CUH, constituant une oligarchie au sein même de la monarchie. Le représentant officiel, et dirigeant de facto de l’oligarchie à l’extérieur fut le Leader Kyyn II avant son assassinat, remplacé par Tamaan 1er, officiant en tant que régent. La capitale de la CUH est Künen.

Au Nord-Est se trouve le territoire des Verq, créature humanoïde plus élancée que les humains et dont la structure du visage diffère également de celui des Hommes. La mâchoire inférieure semble manquante, et les Verq communiquent et se nourrissent par deux petites bouches situées aux extrémités de leurs mâchoires supérieures. Leurs yeux semblent également plus fins et perçants. Commerçant et filous aguerris, les Verq sont experts dans l’art de la manipulation des mots pour leurs propres intérêts, ce sont d’ailleurs eux qui possèdent des postes à hautes responsabilités dans les sociétés qui les acceptent. Mais ne croyez pas que leurs aptitudes commerciales viennent entacher leurs talents au combat. Les Verq sont des adversaires redoutables, même si leur armée ne fut pas la plus professionnelle et expérimentée sur la planète qui était jadis la leur. Le Cerveau des Verq est nommé Timan 1er. La capitale des Verq est Archsin.

Enfin, au sud, se trouvent les Tobok. Des colosses humanoïdes présentant un corps musclé et athlétique, mais possédant des traits visuels ridés et parsemés de bosses. Ces attributs physiques sont importants dans la culture très superstitieuse des Tobok. En effet, malgré leurs physiques de brute, les Tobok sont naturellement attirés par l’occultisme et le mysticisme. Une majorité d’entre eux a vénéré la déesse Lurella, avant l’interdiction de son culte par les autorités, mais beaucoup continuent de prier au nom de la déesse de l’excès dans le secret le plus profond. Possédant une peau qui oscille entre le blanc et le marron, les Tobok se rapprochent des humains sur cet aspect. Leur stature imposante leur vaut souvent d’être contractés pour des offres de sécurité, dans lesquelles ils excellent même si les Tobok raffolent également des métiers créatifs, comme la cuisine, l’écriture, ou la méditation. Le dirigeant des Tobok est Jun’ktis A. La capitale des Tobok est Ran’Evy.

Aucune de ces races ne parvient à maintenir des relations stables et durables entre elles, résultant souvent en de nombreuses guerres de basse intensité futiles pour quelques morceaux de pain.

Au centre de ces trois régions se dresse Dugeldarf, la grande capitale royale, dans laquelle vivent des membres des trois races ne se prêtant pas aux chamailleries de leurs gouvernements. Adamas III, le Roi d’Adhan y règne en maître, et s’emploie quotidiennement à maintenir son autorité sur le territoire. Dugeldarf est une cité tentaculaire, construite sur la verticalité, dont le centre parfait est en réalité une flèche fine qui s’élève à une hauteur vertigineuse. Les personnes les plus fortunées qui ont la chance d’y résider ont le choix entre le bas de la « Flèche de Dugeldarf », proposant de nombreuses suites à plusieurs étages, et le haut de la Flèche proposant des appartements panoramiques somptueux portant parfois à 360° C sur tout le royaume. Pour les moins fortunés, la couronne périurbaine qui s’étend à perte de vue autour de la ville est une bonne solution de replis. Cette couronne, qui a connu de nombreux exodes ruraux, est survolée par le Grand Ferry, trois lignes ferroviaires à très grande vitesse qui relie l’extérieur de la Capitale avec l’intérieur, chaque territoire ayant son propre point d’embarquement. Pour relier la couronne avec Dugeldarf intramuros, c’est l’utilisation d’ascenseurs élévateurs qui est privilégiée, permettant l’acheminement de marchandises dans les hauts quartiers, mais qui sont aussi empruntés par des milliers de travailleurs tous les jours.

Finalement, il reste une dernière caste de personnes : Les Ekaal. Ce terme générique désigne toute personne apatride, exilé, ayant fui ou s’étant contracté volontairement pour partir à l’aventure, par exemple. En réalité, est un Ekaal celui qui le désire, et l’on peut très bien y retrouver un délinquant de droit commun marchant aux côtés d’un militaire chevronné. Ces groupes, qui vont se démocratiser à la suite des évènements tragiques prochainement évoqués, vivent des services qu’ils proposent à quiconque veut bien les prendre. Il peut s’agir de mercenariat, de sécurité, d’exploration ou bien alors de tout autre talent qui pourrait leur faire gagner quelques piécettes.

Un funeste jour, alors qu’une nouvelle journée se lève sur le territoire Tobok, une équipe de cinq mineurs descend prendre leur tour de service. Récemment, l’instabilité politique des Tobok est devenue un souci important pour le pouvoir en place. Le culte de Lurella, interdit par les autorités, est en plein résurgence, et de nombreux adeptes ne prennent même plus la peine de se cacher, allant parfois jusqu’à entreprendre des actes de prosélytisme, ce qui n’était encore jamais arrivé pour une religion si occulte. Le contremaître appuie sur le bouton de l’ascenseur précaire pour se rendre à l’étage -46, là où lui et son équipe vont retrouver les grandes foreuses mécaniques destinées à creuser la roche, en quête de filons de minerai pour soutenir les efforts de constructions. Sur l’équipe de cinq mineurs, trois sont des adeptes de Lurella. À la pause de midi, les trois croyants s’éclipsent rapidement pour prier devant un autel improvisé. Les deux autres compagnons les voient s’adonner à ce rituel, mais n’en tiennent pas rigueur, ils ont bien autre chose à faire que de se mêler de cela. Ce n’est que quelques dizaines de minutes plus tard qu’une des foreuses, supervisées par les trois adeptes, marque un arrêt brut. Les cinq Tobok sont rôdés à ce type d’exercices, et tous se préparent à prendre les pioches pour dégager ce qui bloque la machine d’excavation. Au bout d’un ultime coup de pioche, une lumière verdâtre émerge du trou qui vient d’être frappé. Les trois religieux sont aussitôt pris dans une forme de transe, comme envoûtés par cette lumière. Le contremaître aperçoit distinctement un minerai inconnu par-delà la roche. En se tournant vers ses camarades, il aperçoit que les trois cultistes virent au teint pâle cadavérique et qu’une lumière verdâtre semble prendre possession de leurs orbites visuelles. Il a à peine le temps d’ordonner au dernier mineur de fuir que ses trois camarades se jettent sur lui. En qualité de contremaître, et totalement pris au dépourvu, il essaye de les contenir le plus longtemps possible afin de permettre à son ami de fuir la mine. Il relâchera son dernier souffle, tué par ses semblables.

Le mineur restant se rue vers un poste avancé des FSM, Forces de Sécurités Mobiles, qui se rendent immédiatement sur place. Lorsque les véhicules se garent, et que les premiers Tobok en descendent, c’est un spectacle horrifique qui vient s’ouvrir face à eux. Une fumée verdâtre et corrompue se dégage de la mine, et se rue vers le ciel et les frontières du Royaume. En un claquement de doigts, Lamenor n’éclaire plus Adhan, car ce dernier a comme disparu sous une cloche d’obscurité, avant que cette matière infâme ne disparaisse, dévoilant un vide terrestre, rapidement comblé par les eaux environnantes. Les habitants frontaliers se réveilleront le lendemain, en voyant que la terre qui jouxtait leurs maisons a proprement disparu, remplacée par de très larges falaises, où baigne une eau agitée, elle-même consciente qu’elle ne devrait pas se trouver en ces lieux. Adhan a disparu, enlevé et arraché à son monde natal. Le royaume siège désormais dans une nouvelle dimension. Un plan éthéré, irrationnel. L’estomac immatériel de la chose qui vient d’être mis à jour dans cette mine.

Sur la terre maintenant engloutie, coupés de la réalité, les FSM sont complètement décontenancés par ce qu’ils viennent de voir, et leurs radios semblent dysfonctionner, avant qu’elles ne se mettent à bourdonner de signaux à courte distance, indiquant que des centaines, puis des milliers de compatriotes Tobok sont devenus complètement pâles, les yeux injectés de vert, et se mettent à attaquer ceux qui ne le sont pas. Quelques heures après, un Garde de Prestige affecté à la protection de Jun’ktis A déclare à la radio que le haut dirigeant est lui aussi contaminé par le mal verdâtre. Rapidement, la population Tobok bascule dans l’horreur, les Tobok pâles, aussi nommés « Tobok Corrompus » prennent possession des bâtiments officiels et chassent ceux qui n’ont pas été touchés par le mal. Le ciel planant au-dessus de Ran’Evy et du territoire du Sud passe de l’azur au vert, noirci et corrompu. La terre pourrie, et les immeubles voient apparaître cette substance immonde ressemblant à des veines se développer sur chaque façade, l’asphalte se dégrade, et de loin on dirait qu’une créature tentaculaire plane au-dessus des infrastructures et des contrées du territoire du Sud.

En réalité, ce qu’il s’est passé en ce funeste jour est l’apparition de ce qui sera nommé l’Asmog, un bassin d’obscurité dans lequel baignent tous les territoires ayant été consumés par le minerai vert, le Malak.

Pour l’heure, seul le Royaume d’Adhan y séjourne, mais la tendance agressive et conquérante du minerai laisse supposer qu’il ne s’agit là que d’un en-cas rapide, et que d’autres territoires, par-delà leur propre planète, seront submergés et consumés. La vie dans l’Asmog diffère en de nombreux points avec une existence dans un environnement standard. Pour commencer, les appareils informatiques et électroniques, qui étaient reliés aux satellites en orbite, sont désormais tous munis d’antennes discrètes qui permettent de les maintenir en état d’activités, mais sur des portées beaucoup plus réduites. Seuls quelques rares outils, nécessaires à la stabilité des gouvernements et aux efforts militaires, sont désormais reliés entre eux par des antennes longues portées, mais ils sont hors de portée des mains civiles. Pour le reste des commodités de vie, elles sont toutes plus ou moins inchangées. Les grandes centrales à charbon du nord du pays ont été relancées pour subvenir aux énormes besoins électriques, et le fuel, essentiel pour les véhicules, risque, à terme, de manquer, car les dernières couches sont exploitées à très grande vitesse. Sur les aspects les plus terribles, le territoire Tobok, là où est apparu le minerai, est complètement corrompu. Cette horreur s’est pourtant arrêtée net aux frontières avec les hommes et les Verq, qui ont, de leurs côtés, encore tous leurs attributs géographiques. Un voile noir se dresse également dans le ciel et au niveau des frontières. Le ciel, bien que toujours bleuté, reste plus noir que d’habitude, et, la nuit, c’est un horizon sans étoile qui est visible. Les frontières d’Adhan sont visibles grâce à une étrange fumée noire indescriptible qui dissuade quiconque de la franchir. Ceux qui tentent le diable ne sont jamais retrouvés.

Lorsqu’ils apprennent la nouvelle, qu’ils sont coupés du monde et dans un environnement obscur qu’ils ne maîtrisent plus, Adamas III, le Roi d’Adhan, organise une réunion extraordinaire avec ses trois sujets. Les Humains et les Verq se présentent rapidement et commencent à discuter de manière véhémente et avec le même ton que d’habitude. Jusqu’à ce que Jun’ktis A ne passe sa porte attitrée, en tenue de combat, et avec des traits physiques effrayants. Sa peau est encore plus pâle qu’on ne pourrait l’imaginer, à tel point qu’on peut percevoir presque toutes ses veines sans forcer. La salle est silencieuse alors que la Garde de Prestige, également corrompue, ne passe la porte. Jun’ktis A ne prendra même pas la peine de s’asseoir, et prononcera les mots suivants, qui, en plus de glacer le sang de toutes les personnes de la salle, marqueront au fer rouge ce qu’il vient d’advenir dans le sud.

— Guidés par Lurella, nous avons accompli notre destinée. Le minerai vert qui luit de mille feux, vert comme l’émeraude, a consumé notre énergie futile et nous a fait renaître. Adhan a été consumé, englouti et recréé. Mes chers Frères, préparez vos armes et votre courage, car, de l’autre côté du Voile noir, il n’y a que le vide, tant que le minerai n’aura pas fait d’autres victimes.

Jun’ktis A

S’ensuivront des guerres d’une intensité inégalées dans l’histoire du pays. Les années sont comptées depuis l’engloutissement, la notion du temps est revue. Ainsi, en l’an 20 après l’Engloutissement, alors que les conflits marquent une pause bienvenue et nécessaire, un jeune homme, qui vit jusqu’à présent une vie tranquille et sans histoire, va se retrouver plongé dans une aventure qu’il n’imaginait pas possible…

Chapitre 1

Une obligation

— Non ! Il n’en est pas question !

— Ce n’est pas ton choix, Jacob ! Il doit y aller, sinon il n’aura aucune perspective !

— Mon fils vaut largement mieux que d’être de la chair à canon pour l’armée !

Encore une fois, ses parents se disputent pour la même raison. Desmond, la tête plongée vers son assiette, est habitué à ces crises aux heures de repas. Il va bientôt avoir 20 ans, et il est tenu de rejoindre l’armée afin d’effectuer son service militaire. Mais son père, Jacob, n’est pas du tout satisfait que Desmond puisse se plier à cette logique.

Jacob est un ancien militaire, mais il a pris sa « retraite » il y a maintenant neuf ans, à l’époque où Desmond entré en études tertiaires. Depuis son départ du corps d’armée, Jacob ne cesse de critiquer son ancienne profession et de militer pour révoquer le service militaire obligatoire mis en place dans la CUH, comme si quelque chose l’avait complètement dégoûté de la profession.

— Il ne sera pas de la chair à canon, Jacob. Notre fils doit simplement partir en entraînement, ce n’est pas la mer à boire, bon sang !

— Mais la Grande Université vient de l’accepter avec effet immédiat, il n’aura plus cette chance, il doit reporter son départ !

— Jacob… Il serait vraiment temps que tu acceptes de laisser faire ton fils.

Elle se tourne alors vers Desmond, toujours en train de gratter inlassablement son assiette vide avec sa fourchette, en attendant que la situation se tasse. Elle lui demande d’une voix douce :

— Qu’est-ce que tu souhaites faire, mon poussin ?

Desmond reste silencieux. Il n’en sait rien à vrai dire. Reporter son service militaire est encore possible, mais l’université ne l’attire pas du tout. Sans compter que ce décalage lui fera passer son service sans ses amis, auquel il tient énormément. Sachant très bien que le fait de dire qu’il souhaite effectuer son service risque de mettre son père dans une colère noire, Desmond garde le silence.

Jacob se lève à nouveau et fait les cents pas dans la salle à manger, tandis que Mary, sa mère, laisse tomber sa fourchette dans son assiette, pour marquer son agacement vis-à-vis de l’attitude de son mari. Toujours bouillonnant, Jacob s’exclame :

— Ha ! Mon propre fils entre les mains de ces porcs, c’est impensable…

C’en est trop pour Desmond, qui se lève brusquement, prend sa vaisselle et la dispose dans l’évier, avant de prendre congé dans sa chambre, sans dire un mot. À peine a-t-il posé le pied en dehors de la salle à manger, que la dispute reprend de plus belle.

Il ouvre la porte de sa chambre, la referme promptement, avant de prendre place sur le siège de son bureau. Il avait encore ses notes d’histoire-géographie disposées partout sur le bois. Mon Dieu… qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’ils méritent tous de finir engloutis, loin de leur planète ? Desmond se demande quotidiennement à quoi ressemblait le monde sur lequel il aurait dû naître, à quelques heures près.

Il fait rouler sa chaise jusqu’à la fenêtre de sa chambre, qui donne sur l’extérieur. Dehors, il n’y a pas grand-chose, mis à part la rue qu’il a côtoyée toute sa vie, le lampadaire allumé légèrement à sa droite, éclairant l’obscurité de la nuit, et, enfin, le même ciel sans étoiles qu’il contemple depuis tout petit.

C’est d’un déprimant… Il se retourne, attrape son manuel d’histoire, et l’épluche, pour la centième fois. Il passe les pages une à une, et y regarde les photos d’époque, les paysages somptueux, et les monuments historiques. C’est là sa vraie passion, les symboles, paysages et constructions chargés d’histoires, qu’il ne pourra, sans doute, jamais visiter de sa vie. Il continue d’éplucher le livre, qu’il connaît maintenant sur le bout des doigts, avant d’arriver finalement à ce fichu chapitre.

« Chapitre 20 : La chute du monde ».

C’est cette section qui traite des évènements arrivés après l’Engloutissement. C’est, de loin, la pire de toutes les matières abordées dans ce livre, mais ça reste de l’histoire. Desmond pose sa main sur la face qui indique le début du chapitre, gondole légèrement le papier, comme pour tourner la page, avant de refermer brusquement le livre. Ce n’est pas l’histoire qu’il rêve de maîtriser.

En se levant, Desmond passe devant un miroir. Il se contemple très brièvement. Toujours cette même apparence à laquelle il se fait difficilement. Un mètre quatre-vingt-trois, pour soixante-douze kilos, des cheveux bruns, souvent en bataille, encadrant son regard noisette. À chaque fois qu’il se regarde dans ce miroir, il ne fait que rêver d’aller chez le coiffeur, et de rafistoler sa coupe.

Il s’allonge alors dans son lit, et regarde son plafond. En fond, il entend toujours ses parents se livrer à cette même dispute. Il ouvre alors un petit tiroir sous son lit, et en sort des affiches patriotiques de la CUH. Des écriteaux militaires, imageant de grandes conquêtes et un avenir radieux pour l’humanité. Certes, rejoindre l’armée sera dur, mais c’est son devoir de citoyen, enfin, c’est ce qu’il se dit. Ces affiches lui provoquent un sentiment intérieur particulier. Il se sent fier, et stimulé face à ces dernières, il veut se rendre utile à sa communauté. Perdu dans ses pensées, ses yeux se posent sur son ordinateur, au fond de sa chambre. Une envie primaire lui parvient, il la contemple, hésitant. Après tout, se rendre utile c’est bien, mais fracasser du débutant sur son jeu favori est une tâche tout aussi plaisante. Le choix est subtilement difficile. Allumer cet ordinateur reviendrait à condamner les cinq prochaines heures de sa vie, et sans compter que si ça se passe mal, il risque de devoir réparer lui-même son propre matériel. Desmond se contente souvent de dire qu’il n’est pas coléreux lorsqu’il joue, et qu’il ne fait qu’exprimer son mécontentement. Néanmoins, plusieurs périphériques informatiques, débarrassés dans un coin de sa chambre, et décarcassés de leurs composants, ne sont pas de cet avis. Allez, va pour une petite partie.

Trois heures plus tard, Desmond appuie toujours frénétiquement sur les touches de son clavier, quand il reçoit un message sur son téléphone. Il regarde sa notification, et voit qu’il s’agit d’un message de Rob, l’un de ses amis proches. Ce dernier lui propose de se retrouver en ville le lendemain, afin de manger un bout ensemble. Desmond accepte volontiers, cela lui permettra de passer une journée loin de ses parents. Maintenant que cette discussion est finie, il retourne à ses occupations et se dirige vers une nouvelle session de jeu, avant d’aller se coucher, avec un peu plus d’appréhension à chaque jour qui passe.

Inutile de préciser que cette nuit fut agitée. Les mêmes angoisses reviennent en boucle. Le service militaire humain est loin d’être un parcours de santé, les exercices y sont rudes, et si les tensions politiques se dégradent à nouveau, il risque bien de se retrouver sur la ligne de front, sans pouvoir dire quoi que ce soit. Ce n’est pas de mourir pour sa patrie qui l’inquiète, mais bien de se retrouver parqué dans une tranchée, sans pouvoir être utile plus longtemps, et de donner sa vie pour un ordre qui ne l’aurait pas mérité.

Comme depuis toutes les nuits du mois passé, Desmond se réveille en sueur, complètement paniqué. Il regarde son réveil. Il est 4 h 38 du matin. Il se laisse à nouveau tomber sur son matelas, et regarde son plafond.

Ses yeux sont grands ouverts, son cerveau est en ébullition, et son cœur joue de la percussion à un rythme endiablé. En bref, il n’arrivera pas à se rendormir. Il se tourne sur le côté, et pose son regard sur une petite statuette, fabriqué par son père quand il était petit. C’est un soldat fait de bois, tenant un drapeau, l’air conquérant et sûr de lui. Desmond s’était toujours promis d’être comme le supersoldat sur sa table de nuit, mais maintenant que cette heure approche, il ne peut s’empêcher d’avoir peur. M’enfin, c’en était assez, quitte à ne pas pouvoir dormir, autant faire quelque chose d’utile.

Le jeune homme se lève, et se dirige vers son placard, où il s’habille de manière assez sobre : T-shirt gris, et pantalon noir. Une fois prêt, il s’approche de son ordinateur, hésitant. Était-ce vraiment raisonnable ?

Alors que son petit démon s’apprête à lui forcer la main sur le bouton d’alimentation, son téléphone se met à vibrer, et l’appareil affiche le nom « Rob », accompagné d’une photo humiliante de son ami qui prend tout l’écran. Desmond s’en empare et décroche, avant de lancer d’une voix amusée :

— Tu n’arrives pas à dormir, pas vrai ?

— C’est un enfer, s’exclame Rob, ça fait bien cinq heures que j’essaye tout et n’importe quoi. Impossible de fermer l’œil.

— J’imagine que tu ne m’as pas appelé pour une séance de méditation, ricane Desmond.

— À vrai dire, je ne m’attendais même pas à ce que tu décroches, mais maintenant que tu es là, ça te dit de se retrouver à « L’Iggden » ? Tu sais, histoire de discuter, d’être là l’un pour l’autre, de pla…

— Ouais j’ai compris, le coupe Desmond, tu amènes les bières ?

— J’amène les bières, enchaîne Rob, avant de raccrocher.

Desmond ne peut s’empêcher de rire dans sa barbe. Visiblement, il n’est pas le seul à ne pas trouver le sommeil, et c’est encore plus étonnant venant de Rob, qui a la réputation de dormir comme une pierre. L’Iggden, l’un des parcs de leurs quartiers, n’est qu’à cinq minutes à pied, il aura largement le temps de passer voir son ami avant de rentrer. Ses parents n’y verront que du feu.

Il descend sur la pointe des pieds, enfile son manteau et ses chaussures, avant de sortir, et se diriger vers le parc. Il sent l’air frais venir effleurer son visage, et cette petite attention lui fait un bien fou. La température est idéale, et en plus, il va voir un ami très cher à ses yeux, cela le change bien de la terrible ambiance qui règne chez lui.

En haussant la tête, toujours cette même nuit sans étoiles. Même dans les moments heureux de la sorte, le Voile noir ne perd jamais une occasion de se manifester. C’est une sensation étroite et particulière que d’oublier sa présence et de le voir ainsi se représenter.

Desmond passe le portillon de sécurité qui bloque l’accès au parc, et voit au loin que Rob est déjà sur place, un pack de bière posé à côté de lui. Il a l’air pensif. Desmond se rapproche et, ensemble, ils font leur check habituel. Mais il sent bien que quelque chose n’est pas tout à fait pareil chez son ami. Il a à peine fini sa réflexion que Rob lui demande, d’un ton soucieux :

— Alors, tu as réfléchi au régiment que tu voudrais rejoindre ?

Desmond laisse échapper un petit rire soulagé, ce n’était donc rien de plus grave que le service. Rob est un peu le clown de leur groupe, il est assez rare de le voir contrarié, et au vu de la tête qu’il tirait en arrivant, on aurait dit que toute sa famille s’était fait avaler par une moissonneuse-batteuse.

— Je n’en ai aucune idée à vrai dire… lui répond Desmond tout en s’asseyant sur le dossier du banc.

— J’ai vu qu’il y avait le 4e régiment de chasseurs de combats, lance Rob, ça pourrait être pas mal d’apprendre les bases de survies en terrain hostile, non ?

Le service militaire humain nécessite de devoir choisir un régiment en particulier. Chacun de ces régiments offre un cursus d’apprentissage différent, et il peut, d’une certaine manière, s’affilier à un cursus extrascolaire, mais avec les risques supplémentaires qui vont avec.

— Tu es sûr ? Ce n’est pas comme si on allait camper tous les deux jours, et puis ça s’était bien passé la dernière fois, s’interroge Desmond.

— Ouais alors doucement hein, l’autre fois qu’on y est allé, David a foutu le feu à sa veste en frottant deux cailloux et Edward a confondu un champignon comestible avec une bouse de sanglier.

Desmond éclate de rire en se remémorant David en train d’essayer toutes les techniques les plus obscures dans le but d’éteindre sa veste. Il n’a aucun souvenir d’Edward, cela dit…

— Attends, Edward… Il l’a… commence Desmond.

— Je te coupe, eh oui. Oui, oui, il l’a fait, poursuit Rob, en accompagnant son affirmation d’un hochement de tête.

Passer du rire à la nausée n’a jamais été aussi rapide. Edward est une tête, un type qui adore apprendre et connaître tout un tas de choses. À l’époque du secondaire, il passait ses journées à réviser pour ses contrôles pendant que les autres sortaient. C’est quand même énorme que ce soit lui qui ait fait une telle bourbe.

— Bon, et pour le régiment, tu n’as vraiment rien vu d’autre ?

— Bah, pas vraiment. Le reste c’est soit pour les gens comme Edward, soit pour ceux qui veulent finir en steak haché.

— Tu n’y vas pas un peu fort ?

— Ose me dire que le 112e régiment ce n’est pas pour les masochistes ?

Force est de constater que son ami avait raison. Desmond acquiesce face aux poids des arguments. Alors oui, le 4e régiment de chasseurs de combats, ce n’est pas une mauvaise idée finalement. À défaut de devenir des soldats de premières lignes, ils apprendront à survivre dans les environnements hostiles. Rob sort une première bière, la décapsule et la tient en l’air en direction de Desmond, attendant que ce dernier fasse de même, afin de trinquer.

Après ce clac si significatif, les deux amis changent complètement de sujet, et, en regardant ce vide abyssal qu’est devenu le ciel, les deux bons amis se mettent à parler de tout et de rien. Les projets de Desmond, la nouvelle petite copine de David, ou de ce qu’ils feraient s’ils avaient un million de couronnes, la monnaie de la capitale…

Le soleil est maintenant levé depuis longtemps. Les deux amis décident de se débarrasser des cadavres de bières qui pullulent à côté du banc qu’ils ont squatté, et se mettent en route vers la grande place du centre-ville, là où ils retrouveront Edward et David, afin de tous passer la soirée ensemble.

Passant l’après-midi à déambuler dans la grande capitale des humains, le groupe finit par voir la soirée tomber de nouveau. Pour David, ça y est, la journée peut enfin commencer, Edward lui emboîte le pas, mais d’un air plus réservé sur la teneur en alcool qu’il souhaite encaisser. Pour Desmond et Rob, le trottoir froid et dur devient un endroit où dormir est une option tout à fait sérieuse. Malgré leurs états d’esprit bien différent, David les convainc tous de rentrer dans la boîte de nuit qu’ils avaient l’habitude de côtoyer, et d’y passer la nuit.

En rentrant dans l’établissement, Desmond retrouve les sensations qu’il éprouvait à chaque fois qu’il mettait un pied dans le « Tartuzen ». L’impression de voir la vie en saccadé à cause des lumières, le rythme du cœur qui capitule face à l’onde de choc de la musique propulsée sur les enceintes, et l’odeur ambiante de sueur. Qu’est-ce que c’est bon de revoir cet endroit !

David se jette sur la piste de danse en emportant Edward avec lui. Rob et Desmond, eux, se jettent vers le barman afin d’acheter des boissons énergisantes. En rejoignant la piste de dance, David lance en direction des deux compagnons :

— Eh bah, vous avez vraiment deux têtes de glands vous deux, qu’est-ce que vous avez foutu cette nuit ?

— Insomnie, répond Desmond.

— Relativité des éléments, ment Rob.

— Tu te foutrais pas un peu d’ma gueule toi ? ricane David.

— J’ai vraiment une tronche à faire de la relativité des éléments ?

Desmond se décroche de la conversation, et regarde autour de lui. Il a beau être dans ce lieu festif, il a toujours cette petite boule au ventre qui persiste. Il est rapidement rappelé à la réalité, lorsque David se met à claquer des doigts devant ses yeux :

— Eh bah mon vieux, t’étais ailleurs, dis, je vais au bar me prendre un coup, tu veux quelque chose ?

— Euh… prends-moi une bière s’il te plaît.

David lève le pouce en l’air avant de reprendre sa route. Il revient quelques instants plus tard avec quatre boissons, une bière pour Desmond, un cocktail bien chargé pour lui-même, un whisky pour Rob et un diabolo pour Edward. Tous ensemble, ils trinquent et portent le verre, la bouteille ou le shooter à leurs lèvres et prennent une grosse gorgée. David lance alors : « À notre dernière journée avant le service ! », avant de retrinquer.

Chapitre 2

Une opportunité

« TUT… TUT… TUT… »

D’un geste lent et forcé, Desmond éteint le réveil qui hurle l’ordre de se lever, avant de se mettre assis sur son lit, et de se frotter le visage lentement. Sa bouche est pâteuse, il voit au ralenti, et sa tête vient de se lancer dans le monde de la batterie, bref, il est en gueule de bois.

C’était donc bien plus qu’une seule bière qu’il s’était enfilée hier, à vrai dire, il n’avait que peu de souvenirs de ce qu’il s’était passé après que David et lui ont trinqué. Il regarde à nouveau son réveil. Il est 7 h. Dans exactement une heure et demie, il sera dans la queue pour rejoindre son régiment. Un sentiment d’angoisse irrépressible parcourt son corps. Mais avant de rejoindre le parcours du combattant, il doit d’abord passer l’épreuve du petit-déjeuner.

Pauvre de lui… Il se lève doucement et se dirige vers son miroir. Les poches sous ses yeux le jugent impitoyablement et sa mine fatiguée ne lui donne que très peu d’assurances concernant le rythme intense qu’il va devoir suivre.

Il enfile rapidement ses vêtements et descend dans la salle à manger. Toute sa famille est réunie et prend le petit-déjeuner. Desmond peut déjà sentir l’atmosphère électrique avant même de s’asseoir sur sa chaise. Sa mère lui jette plusieurs regards emplis d’interrogation, son père consacre toute son attention sur sa tasse de café, et Edgar, son jeune frère, ne semble pas vraiment prendre conscience de la situation très tendue.

Mary prononce quelques mots, d’une voix douce :

— Est-ce que tu te sens prêt, Dessy ?

Desmond ne peut s’empêcher de laisser apparaître un petit sourire mesquin, ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas entendu ce surnom. Mais de l’autre côté de la pièce, tout le monde entend bien que Jacob est en train de serrer sa tasse dans un effort de ne pas repartir dans une colère noire.

Morte d’inquiétude, maintenant face à l’échéance, Mary ne peut s’empêcher de demander, à voix basse :

— Ils ne vont pas t’envoyer affronter les Tobok, hein ?

Immédiatement après ces mots, Desmond retrousse les lèvres et prend un air extrêmement ridé. Il sait déjà que l’ouragan de l’autre côté de la table va se déchaîner.

Sans se faire prier, Jacob explose une nouvelle fois de colère :

— Mary, veux-tu bien arrêter de dire des imbécillités ? C’est déjà suffisamment difficile pour moi de voir partir mon propre enfant entre les mains de ces incapables ! J’ai vécu suffisamment au sein de l’armée pour savoir que ce n’est qu’un ramassis des pires déchets que l’Humanité n’ait jamais créés…

Jacob a toujours été très vague quant à son passé dans l’armée. À chaque fois que le sujet était réellement mis sur la table, on sentait un certain malaise émaner du père de famille. On dirait bien qu’il n’a pas fait que patrouiller des champs, et que son passage a été plus que difficile.

Quoiqu’il en soit, l’heure tourne inlassablement, et il est bientôt temps de plier bagage pour se mettre en route. Mary se lève rapidement de sa chaise et se dirige, d’un pas pressé, vers la chambre de Desmond. Ce dernier reste encore à table, et boit sa dernière gorgée de café. Jacob se rassoit, mais cache encore difficilement son agacement. C’est lui qui doit conduire, Mary n’ayant pas encore la possibilité de le faire. Reposant doucement la tasse sur la table, comme pour ne pas réveiller la bête en furie qui siège face à lui, le jeune homme se lève et va rejoindre sa mère.

Mary est en train de défaire en catastrophe la valise de son fils, avant d’y ajouter des vêtements plus sophistiqués que les habituels T-shirts qu’il peut porter. Desmond, d’une voix douce, dit à sa mère que, quoiqu’il arrive, il aura un uniforme lors de son entrée dans le camp. Mary ne répond pas, elle semble vraiment agitée. D’un geste mécanique, mais décomposé, elle ferme la fermeture éclair de la valise, avant de la poser debout sur le sol. S’ensuit alors un long soupir de sa part, jusqu’à ce qu’elle se tourne vers Desmond, une larme qui ruisselle le long de sa joue.

Voir sa mère pleurer, surtout dans une situation qui le concerne, met le jeune homme dans une situation délicate. Il a lui aussi peur, mais il se doit de « garder la face ». Il prend alors sa mère dans les bras, et la console doucement. Jacob, toujours en bas, d’une voix résignée, indique qu’il est l’heure, et que si Desmond veut se rendre à son service, c’est maintenant ou jamais.

Il descend les escaliers, sa valise en main, suivie par Mary, qui essuie ses larmes rapidement avec le revers de sa main. Jacob est dans l’entrée, complètement habillé, en train de faire tourner ses clefs dans la main, son visage marque toujours de l’agacement, mais il semble dans un état d’esprit complètement différent, là où il était purement en colère au petit-déjeuner, il a l’air maintenant de contenir une forme de stress, comme s’il allait revêtir l’uniforme à nouveau. En voyant son fils face à lui, Jacob, sans dire un mot, tourne les talons et ouvre la porte d’entrée. Desmond regarde une dernière fois derrière lui. Mary lui lance un petit sourire contrarié tandis qu’Edgar, toujours assis à table, lui fait un grand salut de la main, avec un large sourire joyeux. Desmond rend un petit sourire, et alors qu’il s’apprêtait à dire au revoir, il se résigne, se disant que ce n’est peut-être mieux de rien accentuer. Il se tourne donc et sort de la maison.

Jacob ouvre la portière de sa voiture citadine, et s’assoit au poste de conduite. Desmond ouvre le coffre et y glisse sa valise, avant de se rendre à la place passager. Il met sa ceinture, et son père allume le moteur, avant de prendre rapidement la route du complexe militaire de Künen.

Les deux hommes connaissent la route, car ils l’empruntaient occasionnellement pour rejoindre le département d’étude secondaire où était inscrit Desmond. Le complexe militaire n’est qu’à quelques encablures de ce dernier.

Le trajet est calme, l’on entend seulement le ronronnement du moteur et le bruit de la circulation, relativement abondante en ce jour symbolique. À chaque fois que les feux passent au rouge, et que la voiture s’immobilise, c’est un nouveau silence gênant qui prend place dans l’habitacle. Jacob s’appuie sur la portière et pose sa main gauche contre sa bouche, comme pour s’empêcher de parler.

Après une dizaine de minutes, la voiture laisse entrevoir le complexe militaire. À la vue de ce bâtiment, Jacob lâche un soupir court, mais bruyant, tout en cherchant du regard une place où garer sa voiture. Desmond, depuis sa place, voit les longues rangées de jeunes de son âge qui s’étalent à perte de vue. Il cherche du regard ses amis, et croise alors le regard d’un soldat en faction devant une de ces rangées. Il se tient là, avec le casque long blanc caractéristique des armées humaines, le protège visage qui virevolte au vent, complètement noir et en tissu, l’armure lourde grisée et son fusil d’assaut. Le soldat ne décroche pas le regard de la voiture, avant d’opérer un demi-tour brusque et de se diriger vers un autre groupe de soldat, presque en trottinant. Jacob serre le volant, et entame sa manœuvre pour se garer. Desmond regarde encore ce soldat, il ressent alors ce mélange de fierté et d’appréhension, il allait bientôt endosser cet uniforme.

La voiture s’immobilise totalement, Jacob met le pied à terre, suivi par son fils, qui se dirige vers le coffre pour prendre ses affaires. Les deux hommes traversent alors la route et atteignent la grande place qui jouxte le complexe, tout en se dirigeant vers les rangées de jeunes. Alors qu’ils s’y rendent, une voix emmitouflée résonne dans la place.

— Tiens, tiens, tiens, mais qui avons-nous là ?

Desmond regarde vers la source du bruit, et y voit le groupe de soldat qui se tient à côté d’eux. Un des soldats, en armure plus lourde que ses collègues et équipé d’un fusil-mitrailleur, se trouve devant, et regarde Jacob d’un air amusé, que l’on puisse deviner malgré son protège-visage ample. Ce dernier regarde les soldats d’un air froid, avant de reprendre sa route.

— Ne t’inquiète pas, Jacob. On va bien s’assurer que ton fils ne fasse pas la même erreur que toi, conclut le soldat, avant de partir avec son groupe, en ricanant.

Desmond connaît suffisamment son père pour comprendre que c’est bien ça qu’il redoutait tant, que son passé militaire obscur ne colle à la peau de son fils. Mais il n’est pas son père, alors il décide, tant bien que mal, de ne pas prendre en compte ce que viennent de dire les soldats. Alors toujours perdu dans ses pensées, il aperçoit au loin Edward, qui lui fait un grand geste de la main. Desmond le lui renvoie, avant de se tourner vers son père pour lui dire au revoir.

Jacob est résigné, il pose ses mains sur les épaules de son fils, comme s’il était tout petit, et le serre très fort dans ses bras. Il relâche l’étreinte, et regarde son enfant dans les yeux avant de dire :

— Fais attention, d’accord ? Rappelle-toi d’une chose Dessy, tous les ordres ne sont pas bons à suivre, écoute ton cœur lorsqu’il te parlera.

Sur ces mots, Jacob frotte les cheveux de Desmond, de façon affective, avant de faire demi-tour, et de commencer à s’en aller.

Desmond le regarde s’éloigner, avant de traverser, Jacob se retourne, et fait un petit geste d’encouragement à son fils, en essayant d’éclairer un sourire sur son visage. Ça fait vraiment du bien de le voir enfin sourire. Desmond lui rend cette douce attention, et lui fait un grand signe de main, avant que les deux hommes se séparent pour de bon.

Alors qu’il rejoint ses amis, il découvre qu’à l’exception d’Edward, qui a l’air impatient de rejoindre son régiment, tout le monde est silencieux et sur la réserve. Alors qu’il nettoie ses lunettes, le plus impatient du quatuor regarde en direction de la file la plus à gauche, et voit qu’elle se réduit rapidement. Il s’exclame alors :

— Ah, ça y est, c’est parti ! Bon aller les gars, je vous laisse, soyez fort, on se retrouvera tous après le service, et on pourra dignement fêter ça, hein David ?

Edward met un petit coup dans l’épaule de David, mais ce dernier semble être trop fatigué pour pouvoir ne serait-ce que réagir. Sans se faire prier, Edward quitte la file du 4e régiment de chasseurs de combats, et se précipite vers la file de gauche, celle de la 33e compagnie du Génie, spécialisé en cartographie et études de terrains. David se frotte péniblement les yeux, et sort de sa poche un petit comprimé blanc, avant de l’avaler. Il se tourne vers les deux autres, et dit :

— Aux grands maux, les grands remèdes, pas vrai ?

— Passe-moi en un aussi, s’il te plaît, lui demande Rob.