Chroniques d’outre-monde - Plippeih Iden - E-Book

Chroniques d’outre-monde E-Book

Plippeih Iden

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Beschreibung

Cet objet n’aurait jamais dû croiser la route d’un informaticien ordinaire, gérant d’une modeste boutique rue Piquemerle. Dès qu’il l’eut entre les mains, il ressentit un mélange troublant de fascination et d’appréhension. Chaque fibre de son être lui hurlait de s’en défaire, mais un instinct inexplicable le retenait, comme si cet objet exerçait une emprise mystérieuse. Lorsqu’il tenta de partager son expérience avec sa fiancée, elle éclata de rire, le prenant pour une mauvaise plaisanterie. Pourtant, derrière cette légèreté apparente se dissimulait un avertissement muet : elle aurait dû se méfier…

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Après des études en pharmacie, Iden Plippeih a intégré une équipe de recherche galénique en Suisse. Profitant des périodes de confinement liées à l’épidémie de Covid-19, il s’est lancé dans l’écriture. Ce projet, inspiré par une expérience inédite, révèle une nouvelle facette de sa créativité.

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Seitenzahl: 1051

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Iden Plippeih

Chroniques d’outre-monde

Roman

© Lys Bleu Éditions – Iden Plippeih

ISBN : 979-10-422-5065-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

En 2008, les écrits de H.P. Lovecraft sont tombés dans le domaine public. Cela a permis de rassembler et de publier de nombreux témoignages et textes, anciens et récents, qui s’y rapportent. Le récit qui suit en fait partie.

Comment expliquer l’inexplicable ? Comment décrire l’inconcevable ? Simplement en témoignant, en relatant ce que j’ai vu et vécu, aussi invraisemblable que cela puisse paraître. Si seulement vous saviez… L’horreur, sombre et insidieuse, progresse secrètement, à l’insu de tous. Rien ne peut l’arrêter. Et lorsqu’elle se révèle aux consciences, il est déjà trop tard : elle vous a enveloppé, absorbé, et vous ne pouvez plus rien faire. Juste subir… ou pire… « Ce qui est mort peut dormir àjamais, et d’étranges éternités verront mourir même la mort. »

Je m’appelle Raphaël Sade, je suis né à Paris en 1990. J’ai décidé d’écrire ces lignes pour laisser une trace, comme d’autres avant moi. Même si, à l’époque, beaucoup ont crié au scandale ou à la mauvaise blague, l’important est que ces faits soient portés à la connaissance de tous. Peu importe si cela vient de moi ou d’un autre. Les gens parlent sans comprendre, souvent sans même s’y intéresser. Je ne cherche pas à convaincre ni à faire du prosélytisme. Certains comprendront et seront ainsi prévenus. En cela, mon récit a une utilité. ParAzatoth, qui est tout en un et un en tout.

Cela faisait quelque temps que j’avais emménagé avec ma fiancée dans notre nouvel appartement, idéalement situé à Montmartre, près du Sacré-Cœur. Nous avions eu la chance de trouver ce logement dans l’un des quartiers les plus pittoresques de Paris. Un peu vieillot, avec de hauts plafonds, il avait un charme particulier. Nous avions choisi de le meubler avec un mélange de modernité, d’éléments ethniques et de touches vintage. Jade, passionnée par la décoration intérieure, s’était investie pleinement dans ce projet. Une fois les quelques travaux terminés, nous décidâmes de nous promener dans les rues de Paris, à la recherche de bibelots et autres objets pour parfaire notre intérieur.

Je suis copropriétaire d’une petite boutique d’informatique rue Piquemerle, et j’avais pris une semaine de congé pour m’installer avec ma future femme.

Partie 1

1

Le livre

Après avoir visité plusieurs brocantes, nous sommes arrivés sous les verrières du canal couvert. Je savais que cet endroit regorgeait de petites boutiques débordant d’objets originaux et abordables. Nous nous sommes arrêtés devant la vitrine d’un antiquaire qui présentait de la vaisselle ancienne, des coupes, des théières et autres curiosités. Jade, visiblement intéressée, leva la main :

— Tu vois la lanterne blanche posée sur cette boîte ?

— Hmm…

— Elle est sympa.

Nous sommes entrés. Une dame joviale, la soixantaine, nous accueillit chaleureusement :

— Bonjour, messieurs et dames !

Elle s’est approchée, souriante :

— Puis-je vous aider ou souhaitez-vous simplement jeter un coup d’œil ?

Nous lui avons expliqué que nous venions d’emménager et que nous cherchions des objets pour agrémenter notre intérieur. Après un moment de réflexion, elle répondit :

— Je vois… Si cela vous intéresse, j’ai quelques lots divers que je propose à des prix intéressants.

Elle nous invita à la suivre vers l’arrière de la boutique, où plusieurs toiles cirées recouvraient le sol, jonchées d’objets entassés les uns sur les autres.

Jade était une jolie jeune femme blonde, et j’étais profondément amoureux d’elle. Nous partagions de nombreux projets pour notre futur commun. Elle terminait ses études, et nous organisions peu à peu notre vie à deux. De retour à l’appartement, après une journée bien remplie, Jade était allongée, presque endormie.

— Chéri ?

— Oui ?

— Le petit bureau ancien, tu sais, celui qui était dans le lot… On pourrait le mettre à l’entrée. Il est petit, on ne va quand même pas le jeter.

— Si tu veux. Moi, je l’aurais bien vu dans le coin là-bas. Il rentrerait juste.

Je visualisais déjà où le placer, face à la porte-fenêtre du balcon.

— Il y avait d’autres lots avec des choses intéressantes, dis-je.

Jade s’assit à mes côtés :

— Excuse-moi, mais je tenais absolument à ces verres à bière anciens. C’est classe et très décoratif. Ça valait le coup d’acheter ce lot.

— Tu as raison, ça valait le coup.

Je me levai pour examiner le petit bureau. Il mesurait environ 1m20 de haut et, malgré sa fragilité apparente, semblait bien conçu. Le bois, orné de marqueterie, était recouvert de poussière aux coins, et des griffures marquaient sa surface. En le regardant de plus près à la lumière du jour, je remarquai un détail que je n’avais pas vu auparavant : un rectangle plus clair sur le côté droit, sans vernis.

— Tu ne veux pas vraiment le mettre à l’entrée ? demanda-t-elle.

— Si tu veux, mais regarde ici, il y a un endroit plus clair, on dirait un tiroir secret.

Je pouffai de rire :

— Tu ne crois pas ?

Elle sourit, je poursuivis :

— Un tiroir secret ? Allons, c’est juste un vieux meuble, il a dû passer par plusieurs mains. Qui sait ? Peut-être qu’il cache quelque chose à l’intérieur.

Je m’assis à côté d’elle :

— On peut essayer d’ouvrir, c’est probablement un double fond avec un mécanisme d’accès…

Fatiguée, Jade bâilla :

— Chéri, pas ce soir, je suis épuisée. On n’a pas arrêté aujourd’hui.

— Repose-toi. On va se détendre et profiter de notre soirée en amoureux.

C’était tout elle, simple et sans complications.

Le lendemain matin, je me réveillai avec ce petit bureau en tête. Il trônait dans l’entrée, et ce fameux rectangle décoloré m’intriguait. Il était onze heures, j’avais un peu de temps avant que Jade n’arrive. Curieux, je me levai, pris le meuble et allumai le lampadaire pour mieux voir. Après avoir soulevé les rideaux de bois fermant la partie supérieure, je découvris trois petites boîtes encastrées. Je les retirai une à une pour les examiner. Tout semblait normal jusqu’à ce que la sonnerie de mon téléphone me surprenne :

— Monsieur Sade ?

— Oui ?

— Bonjour, je suis la dame de la brocante, vous vous souvenez, je vous ai vendu un lot hier.

— Oui, bien sûr. Que puis-je faire pour vous ?

Après un silence, elle dit :

— Eh bien, c’est un peu délicat… Il y a une erreur dans le lot que vous avez acheté. Le petit bureau ancien, il ne devait pas être vendu. C’est un meuble de famille, et il a une grande valeur sentimentale.

Je m’assis, surpris :

— Oh, d’accord. Le bureau est juste devant moi.

Elle reprit, suppliant :

— Je vous dédommagerai généreusement. Je peux venir le chercher tout de suite, s’il vous plaît.

Son insistance me semblait étrange, elle paraissait nerveuse. Je tentai de la rassurer :

— Nous allons trouver une solution, je vous rappelle après en avoir discuté avec ma fiancée.

— S’il vous plaît, faites vite. Vous ne savez pas à quel point c’est important.

Après avoir raccroché, je remis les boîtes en place. En touchant le fond du bureau, je sentis une petite cavité. Curieux, je glissai mon doigt à l’intérieur et tirai sur une fine tige métallique. Un « clic » résonna et un tiroir caché s’ouvrit. À l’intérieur se trouvait un livre sombre, épais, couvert de poussière. En le sortant, j’égratignai ma main contre la tige et une goutte de sang tomba sur la couverture, merde… Vite, un mouchoir ! Trop tard, le carton l’avait déjà absorbée…

Le livre semblait ancien, presque menaçant avec son symbole ésotérique sur la couverture. Je l’ouvris et découvris des pages tachées, écrites dans une langue incompréhensible, parsemées de croquis inquiétants. Je me demandai si c’était l’origine de l’insistance de la brocanteuse.

Plus tard, lorsque Jade rentra, je lui montrai le livre. Intriguée, elle le prit et fit quelques recherches sur internet. Quelques minutes plus tard, elle déclara :

— Ce livre s’appelle le Nécronomicon, le légendaire livre des morts. Mais ne t’inquiète pas, c’est une invention. Lovecraft en a fait une légende dans ses récits, mais il n’existe pas vraiment. Une simple reproduction, rien de plus.

Elle sourit, ajoutant sur le ton de la plaisanterie :

— D’ailleurs, ceux qui le touchent sont condamnés à mort… mais comme on est toujours en vie, c’est la preuve que ce n’est que du pipeau !

Elle me narguait un peu, la coquine.

2

Nathan

Trois semaines s’étaient écoulées et nous avions décidé de laisser le livre dans son tiroir, le temps de réfléchir à ce que nous allions en faire. J’essayais en vain de joindre l’antiquaire, mais personne ne répondait. Puis, depuis trois jours, un message m’indiquait que le numéro de téléphone n’était plus attribué. Je décidai de me rendre à la boutique du canal couvert. Surprise : elle était fermée, les vitrines opacifiées, et deux ouvriers s’affairaient sur le perron de la porte d’entrée. Je m’adressai à l’un d’eux :

— Bonjour, monsieur, le magasin a déménagé ?

L’homme me regarda froidement sans s’arrêter :

— Je ne sais pas. On refait le carrelage, c’est tout.

Il était déjà reparti à l’intérieur. Je jetai un coup d’œil. Tout avait disparu, plus rien, le vide. Je tentai à nouveau auprès de l’ouvrier, un brin antipathique :

— La dame. Vous ne savez pas où elle est ?

— Monsieur, je vous l’ai déjà dit, on n’en sait rien.

Il n’y avait plus rien à en tirer. Je décidai de faire demi-tour et de rentrer chez moi. Je repensais à toute cette cascade d’événements des derniers jours. Rien de grave en soi, mais un sentiment troublant persistait. Un vieux grimoire, mon sang dessus, la vendeuse disparue… On aurait dit un scénario de série B. Quelque chose clochait.

« Lorsque les étoiles s’aligneront, le Grand Ancien s’élèveraà nouveau de sa cité morte pour annoncer la fin des temps. »

À ce stade du récit, je m’adresse à vous, lecteurs. Tous les faits qui vont suivre seront relatés aussi fidèlement que possible, rien n’a été ajouté ou enlevé. Au fil de la lecture, vous pourriez penser que ma santé mentale vacille, mais il n’en est rien. Tout est rigoureusement exact, malheureusement. J’atteste que personne ne peut anticiper ce que je vais évoquer. Ces révélations s’adresseront à ceux qui pourront les recevoir, et j’en suis responsable, malgré moi. L’horreur est toute proche, juste au coin de la rue, si vous saviez. Ce n’est pas faute de vous avoir prévenu.

Trois mois passèrent, et nous poursuivions notre petit train-train, Jade et moi. Elle, ses études, et moi, mon travail au magasin. Étant donné la distance, elle logeait à l’université en semaine. Nous nous retrouvions le week-end dans notre appartement. Tout se passait bien. C’était novembre, et le temps gris apportait son lot de froidure et d’humidité. J’étais très enrhumé, cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi malade. J’enchaînais vitamine C sur vitamine C. Nous avions laissé le petit bureau dans l’entrée, avec le livre à l’intérieur. Nous étions trop occupés pour nous en préoccuper. Nous en parlions parfois, mais sans approfondir, on verrait plus tard. Aujourd’hui, Jade avait prévu de rester à la maison pour réviser ses examens. Nous nous réveillâmes vers 9 h 30 et je me levai pour ouvrir les volets roulants. En passant par la cuisine, j’allumai la chaîne hi-fi, laissant doucement résonner le piano de Bill Evans en fond musical. Ambiance feutrée, parfaite pour démarrer la journée. Jade n’était pas fan de jazz, mais elle appréciait sa douceur. Allez, croissants surgelés au four, treize minutes avec préchauffage. Je me préparai un comprimé d’aspirine, j’étais encore fiévreux ce matin. J’apportai le plateau au lit et déposai tendrement un bisou dans le cou de ma fiancée qui me sourit, encore toute endormie.

Nous déjeunâmes tranquillement, en parlant de tout et de rien. Dans l’après-midi, je devais remplacer mon associé, William, au magasin. Cela ne me dérangeait pas, j’aimais mon travail. Pas tant l’informatique en elle-même, mais plutôt la recherche de pannes et l’édition de logiciels, des tâches plus créatives qui demandaient de l’imagination. De plus, cela me permettait de bien gagner ma vie, sans excès, mais sans souci financier non plus.

Je quittai Jade vers 11 h 45 et me rendis directement à la boutique. Depuis quelque temps, j’avais cessé de rechercher la brocanteuse. Même la chambre de commerce n’avait pu me fournir des renseignements. J’avais laissé tomber.

La journée se déroula sans accrocs, à part ma fièvre et cette tension sourde que je gardais depuis la découverte du livre. Ce n’était pas dans mes habitudes. Son image revenait sans cesse à mon esprit, une vraie obsession. Jade et moi avions continué nos recherches chacun de notre côté sur internet.

Selon les sites, le livre existait vraiment ou alors, d’après d’autres sources, il n’était que le fruit d’un délire généré par un esprit malade. Dans le premier cas, il aurait été écrit en 730 après Jésus-Christ par un poète syrien, Abdul Al-Hazred, devenu fou par la suite. Dans certaines versions, il aurait été dévoré par un démon invisible en plein jour. Une histoire abracadabrantesque. J’avais l’impression que chacun ajoutait sa touche personnelle. Je tombai également sur des sites satanistes qui considéraient le Nécronomicon comme leur bible. Certains le cherchaient partout et auraient donné une fortune pour mettre la main dessus. Selon eux, l’original, écrit par le poète syrien, existait bel et bien, mais d’autres copies circulaient, dont une qui serait cachée dans les caves du Vatican. Rien que ça. Le livre aurait été rédigé en runes, des caractères utilisés par les civilisations pré-sumériennes, et provoquerait la folie ou la mort de quiconque le toucherait. Il s’agissait d’un ouvrage ésotérique, destiné aux sorciers, mélangeant faits historiques, recettes de potions, descriptions de sorts et prédictions maléfiques. Il aurait été traduit en latin par Olaus Wormius et serait capable de provoquer la fin du monde. Bref, du lourd. Je me demandais pourquoi et comment les gens pouvaient se perdre dans de telles histoires. Quelle perte de temps ! Je devais simplement avoir un exemplaire créé par un éditeur malin, désireux de tirer profit de la crédulité des autres.

À un moment, j’avais même envisagé de jeter le grimoire à la poubelle. Pourtant, quelque chose me retenait. Il y avait un écho en moi, une fascination que je ne pouvais expliquer. Ce n’était pas la raison qui parlait, c’était plus profond, plus intime.

Le livre contenait principalement des informations sur un culte étrange. Sur internet, ce culte était tantôt présenté comme un mythe, tantôt comme une véritable religion, avec de nombreux adeptes à travers le monde. Je me sentais perdu, incapable de discerner le vrai du faux. Peut-être que des connaissances oubliées refaisaient surface ? Un mélange de dégoût et d’attirance me tourmentait. Ce qui était certain, c’est que l’ambiance qui entourait ce livre était malsaine, lugubre. Une phrase revenait souvent sur ces sites : « Que les dieuxvous accordent de mourir avant que les Grands Anciens règnent ànouveau sur Terre. »

Il y avait aussi des dessins de créatures hideuses, toutes plus monstrueuses les unes que les autres, avec des tentacules, des griffes, des gueules béantes. S’agissait-il de démons à invoquer ? Je n’avais jamais vu de telles images auparavant, c’était cauchemardesque, dérangeant. Et tout semblait si réel, sans effort pour convaincre ou séduire. C’était simplement une énumération des faits. Il s’agissait d’un mélange de mythes de différentes époques et régions du monde, avec des références aux dieux grecs, aux trois grandes religions monothéistes, ainsi qu’aux pratiques vaudou, sans oublier l’omniprésence de la magie noire. Cela me donnait presque le vertige.

En surfant encore sur le web, je tombai sur l’histoire de deux jeunes qui, une nuit, pour s’amuser, décidèrent de déterrer le corps d’un sorcier. À la lueur de leurs lampes de poche, ils ouvrirent le cercueil et découvrirent un squelette portant une étrange amulette, qu’ils prirent d’abord pour un bijou. En réalité, il s’agissait d’un objet directement issu du Nécronomicon, une amulette en forme de chien sculpté. L’histoire se termina mal pour eux. Grâce à son amulette, le sorcier reprit vie, se transforma en molosse et se jeta sur l’un des jeunes, qu’il déchiqueta. L’autre, témoin de la scène, devint fou et fut interné jusqu’à la fin de ses jours. Fallait-il prendre cette histoire au sérieux ? Je n’avais jamais exploré un domaine aussi glauque. Je ne savais plus à quoi m’en tenir.

Je tombai ensuite sur une autre histoire, tout aussi sinistre. Trois personnes étaient parties, caméra à l’épaule, dans une forêt du New Hampshire, à la recherche d’une sorcière qui terrorisait la région. On la disait capable de s’élever dans les airs. Les trois ne revinrent jamais, mais la caméra fut retrouvée, avec ses enregistrements. Bien que la police n’ait pas rendu les images publiques, des fuites mentionnaient des figures dessinées avec des branches au sol, des scènes de panique, des tortures, et des meurtres rituels.

J’avais mal à la tête. De plus, ce satané rhume et cette fièvre n’arrangeaient rien. Je décidai d’interrompre mes recherches et de me reposer un peu, cela me ferait du bien. Demain serait un autre jour.

7 h : la sonnerie de mon portable me tire de mon sommeil. Jade :

— Salut, mon chéri !

— Salut, mon amour. Tu m’as réveillé.

— Mais tu ne devais pas aller travailler aujourd’hui ?

— Si… Je vais me préparer.

— Ouh. T’as pas l’air en super forme. Je reprends les cours dans dix minutes.

— Déjà !

— Oui, ce sont les révisions.

— Excuse, j’ai passé une nuit agitée. Des cauchemars…

Je me levai et enclenchai le haut-parleur de mon portable :

— Je comprends, continua-t-elle, avec ces derniers événements.

Elle marqua une pause et reprit d’un ton grave :

— Dans sa demeure de mort, le défunt Cthulhu attend enrêvant.

Un frisson me parcourut l’échine :

— Qu’est-ce que tu racontes ?

J’entendais son rire à l’autre bout du fil :

— Pas mal hein ! J’ai trouvé cette phrase sur un site, elle revient souvent d’ailleurs.

— Tu m’as fait peur, coquine. Bon, je vais un peu me caféiner, il est temps que je parte au boulot. Je te fais un bisou, ma chérie.

— Attends !

— Quoi ?

— Ils ont prévu un gros orage cet après-midi.

— Un orage ? J’ai regardé la météo hier soir, ils n’ont rien dit.

— Oui, je dois y aller. N’oublie pas ton parapluie ou mets ton blouson à capuche. Bisous.

De la vitrine de mon magasin, je voyais à présent la rue balayée par des trombes d’eau et de violentes bourrasques. Jade avait raison. De surcroît, il faisait très sombre et tous les commerçants avaient allumé leurs lumières. À huit heures du matin, c’était surprenant. Je pensai que j’avais eu de la chance d’être arrivé à la boutique avant tout ce déferlement ! Tout ce froid et cette humidité n’allaient pas arranger la crève que je me coltinais. Je commençais d’ailleurs à tousser ce matin.

La tempête sévit à peu près une heure et retomba progressivement, laissant la chaussée détrempée, ponctuée de grosses flaques d’eau çà et là. Le carillon de la porte d’entrée retentit et un client arriva, s’excusant d’être tout mouillé. Il me fit part du fait qu’il était tombé des grêlons ; il m’en présenta quelques-uns qui étaient en train de fondre dans sa main et m’expliqua que chacun renfermait en son centre une minuscule pierre poreuse. En effet, cela ressemblait à de petits morceaux de lave. L’homme affirma même qu’ils avaient rayé la carrosserie de sa voiture. Étonnant, peut-être y avait-il eu une éruption volcanique lointaine et le vent avait charrié ces débris jusqu’ici ? Quoi qu’il en soit, le temps s’était dégagé, cela avait été intense, mais bref, tant mieux. L’heure tournait et j’avais prévu de faire une petite surprise à ma fiancée ce samedi soir, j’avais décidé de l’emmener au restaurant, en amoureux.

L’établissement était situé en bordure du parc Montfleury, le long des allées arborées, juste en face de la jolie fontaine fleurie en pierre blanche. L’endroit était romantique à souhait. En plus, on y mangeait bien sans se ruiner. Les nombreuses personnes âgées qui y étaient attablées le savaient bien. Nous nous installâmes en face de la baie vitrée qui donnait sur le petit jardin de plantes exotiques. Jade était enchantée :

— J’ai faim, me dit-elle en dépliant la carte des menus. Moi, je n’avais pas trop d’appétit en ce moment, peut-être en raison de mon maudit rhume :

— Tu as vu tout à l’heure, continua-t-elle, il y a eu des grêlons. C’est dingue. Les parterres de fleurs sur le rond-point ont été en partie détruits.

Elle gardait les yeux rivés sur sa brochure :

— Mmh… Je vais opter pour du poisson ce soir, je crois. Et toi, mon chéri ?

J’avoue que je n’étais guère inspiré. Je choisis finalement les spaghettis arabiata sans grand enthousiasme. Elle fronça les sourcils :

— Qu’est-ce que tu as, mon amour ?

— C’est bête. J’invite mon amoureuse au restaurant et je n’ai pas faim. C’est nul !

Elle me sourit :

— T’inquiète, ça viendra en mangeant, n’oublie pas que tu es malade.

Un serveur arriva pour prendre notre commande. Je regardais ma jolie fiancée avec sa longue chevelure blonde qui retombait sur ses épaules. J’avais vraiment de la chance de l’avoir rencontrée. Pour le moment, elle était en train de consulter ses messages sur son portable :

— Tiens, je viens de recevoir mes horaires de cours pour la semaine prochaine. C’est pas trop tôt.

Elle leva les yeux et plongea son regard dans le mien :

— Je t’aime, mon chéri.

— Moi aussi, mon amour.

— Et merci pour ton invitation.

Elle fourra sa main dans son sac et en sortit une revue qu’elle posa sur la table :

— Regarde, dit-elle.

Je saisis le magazine. C’était une revue de science-fiction vintage, des années soixante certainement. La couverture, hyper colorée, représentait des extra-terrestres et des monstres ridés :

— Je l’ai dénichée chez Pedro, mon pote libraire, il fournit la bibliothèque de l’université. C’est une réédition.

— Ah bon, et alors ?

— Eh bien, il y a des bandes dessinées d’horreur à l’intérieur, dont certaines de Lovecraft, tu sais, l’écrivain dont on parle sur internet, qui a décrit le culte de Cthulhu dans ses nouvelles.

— Ah…

Elle posa sa main sur la mienne :

— Tu vois, ce sont des légendes, il n’y a rien de réel.

— Ouais, si tu le dis.

Alors que nous terminions nos apéritifs, l’employé revint les bras chargés :

— Saumon grillé pour madame, dit-il en déposant les assiettes, et carré de bœuf pour monsieur.

Je lui signifiai gentiment que ce n’était pas ce que j’avais commandé. Il s’arrêta :

— Euh… excusez-moi monsieur, c’est ce que j’ai noté sur mon calepin.

Ce devait être une erreur, une confusion, mais je pris le parti de ne rien dire, je ne voulais pas indisposer le garçon :

— OK, ce n’est pas grave. Laissez, tout va bien.

Après tout, le bœuf, c’est bon ! J’adressai un sourire complice à ma fiancée. Notre petite soirée était la bienvenue, nous nous retrouvions un peu après le stress et la fatigue de l’emménagement. Bon vin aidant, un Mouton-Rothschild s’il vous plaît, je voulais marquer le coup, nous nous laissâmes aller à faire des projets pour nous et nos futurs enfants. Jade était pompette et riait tout le temps. Moi, je ne montrai rien, mais j’étais patraque. Nous évoquâmes le Canada. J’ai un oncle là-bas qui pourrait nous héberger le temps que je lance ma boîte d’informatique. Il pourrait même me prêter un peu d’argent pour démarrer. La porte d’entrée s’était ouverte et un petit garçon brun était entré, mal fagoté, avec un gros harnais recouvert de bouquets de roses autour de la taille. Ce devait être un romanichel. Les serveurs ne lui prêtèrent pas attention, le patron devait le tolérer, même si cela pouvait gêner la clientèle. Il commença à aborder les premières tables. Bientôt, il arriva à notre hauteur. Il ne disait rien, me regardait. Je voulus gentiment lui expliquer de ne pas fixer les gens de cette manière, mais il m’interrompit :

— Monsieur, vous voyez, vous entendez et vous rêvez.

Surpris, je lui signifiai aimablement que nous ne désirions pas acheter de fleurs. Il recula et répéta la phrase à voix basse sans me quitter des yeux. Puis il fit demi-tour et partit. Jade porta le verre à ses lèvres :

— Il est bizarre ce petit.

Nous quittâmes le restaurant vers 22 h 30. Nous passâmes devant un groupe d’enfants qui jouaient dans l’allée du perron, sous les lampadaires. Je me dis qu’il était un peu tard pour être dehors à leur âge. Soudain, parmi eux, je reconnus notre vendeur de roses. J’en fis part discrètement à ma fiancée. À côté de lui, il y avait un autre enfant, plus grand, juché sur son vélo. Sa blondeur pâle détonait avec la chevelure marron de ses camarades. Un moment, je voulus me diriger vers le petit gitan afin de lui demander des explications sur la phrase qu’il avait prononcée au restaurant, puis je me ravisai. J’étais crevé, je n’avais pas envie de me prendre la tête. Je n’avais qu’une envie : rentrer chez nous. J’étais dans mes pensées lorsque quelque chose me percuta violemment les jambes par l’arrière, me faisant mettre un genou à terre. Jade se précipita :

— Chéri ! Ça va ? Tu n’as rien ?

— Non, non, tout va bien, la rassurai-je en me relevant. L’enfant blond se tenait devant moi, son vélo à la main :

— Pardon monsieur, je ne vous ai pas vu, j’espère que je ne vous ai pas fait mal !

Je lui fis signe que non en essuyant mon pantalon. Jade se tourna vers lui :

— Tu pourrais faire plus attention, c’est dangereux !

— Je m’excuse, madame, dit-il d’un air penaud.

Constatant qu’il n’y avait pas de dégâts, nous nous apprêtâmes à partir lorsque l’enfant blond m’interpella :

— Monsieur !

Il enfourcha à nouveau sa bicyclette et arriva à ma hauteur :

— Euh… Comment dire... Vous n’auriez pas trouvé un livre récemment ?

Sa question me glaça le sang :

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? répliqua Jade.

L’adolescent descendit de son vélo. Il continua d’un ton posé :

— Je peux peut-être vous aider, vous expliquer certaines choses, je suis un peu voyant. Je ne vous demande rien en échange, juste que j’aimerais voir le livre.

Devant nos hésitations, il poursuivit :

— S’il vous plaît ! Vous avez besoin d’aide. J’ai l’air d’un enfant, mais je sais beaucoup de choses. Je suis orphelin, personne ne m’attend, je peux venir avec vous tout de suite.

Je ne voulais pas être accusé de détournement de mineur, mais son insistance piquait ma curiosité. Comment savait-il pour le livre ? J’interrogeai Jade du regard :

— Alors, c’est OK ? demanda-t-il à nouveau.

— Tu es mineur, répondis-je, je ne peux pas te faire venir chez nous.

— Mais je suis votre seule chance, cela ne se représentera plus.

— Chance de quoi ? Écoute, on arrête là.

— Vous regretterez de ne pas m’avoir écouté, je vous en supplie. Tenez, je vais déposer mon cycle, je vous laisserai les clés du cadenas en gage. Si je mens, vous pourrez prendre ma bicyclette.

Il semblait si résolu, si sincère. Et s’il savait des choses ? On serait vite fixé. En aparté, je consultai ma fiancée. Puis je me tournai vers lui :

— D’accord, mais je te ramène ici dans une demi-heure. Pas plus !

Il rangea son vélo et nous partîmes ensemble vers l’arrêt de bus. Tout le trajet, il ne pipa mot, ne montrant aucun enthousiasme, l’air détaché. Une fois arrivé à l’appartement, le garçon demanda la permission et alla s’asseoir dans le fauteuil du salon. Je déposai les clés sur la desserte et me débarrassai de mon blouson. J’avais l’impression qu’il avait les yeux rivés sur le petit bureau à l’entrée. Je lui demandai :

— Comment tu t’appelles ?

— Nathan.

— Mmh… Mmh… Nathan, dis-je en me levant pour rejoindre Jade dans la cuisine.

Elle me regarda :

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée de l’avoir emmené.

— Je veux savoir s’il a des choses à nous révéler. N’oublie pas qu’il sait qu’on a le livre.

— Mais c’est un gosse, on ne le connaît même pas.

— Écoute, ça va pas traîner. Après, je reprends le bus avec lui et je le ramène au parc, promis.

Elle baissa la tête sans rien dire. Je quittai la cuisine et me retrouvai dans le petit couloir de l’entrée, juste devant le petit bureau. J’en actionnai le mécanisme et dégageai ainsi le tiroir. Je pris l’ouvrage et le posai sur la table basse en face du garçon :

— Voilà le livre.

Il s’avança un peu :

— Je peux le prendre en main ? demanda-t-il.

Je hochai la tête. Délicatement, il se saisit de l’objet, le plaça sur ses genoux et commença à en effeuiller les pages. Intrigué, je le regardai faire :

— Alors ? Qu’en dis-tu ?

Jade venait de nous rejoindre et s’était assise en bout de canapé, observant la scène. Au bout de quelques instants, l’enfant leva les yeux :

— Comme je vous l’ai dit, je suis un peu médium, j’ai des visions lorsque je regarde un objet, en relation avec lui. C’est un don de famille, mon petit frère qui vend les roses a le même.

— D’accord, et qu’est-ce que tu vois ?

— Ça m’a l’air d’un livre ancien.

— Et encore ?

— Je ne sais pas, ça ne marche pas à tous les coups, on dirait qu’il y a un blocage. Je ne peux pas vous en dire plus, il faut que je rentre maintenant.

— C’est tout ? Je t’ai amené ici pour rien ?

— Je suis désolé.

J’étais déçu. Je décidai de clore la soirée et de ramener Nathan au parc. Dans l’autobus, comme à l’aller, il ne dit mot, prostré sur son siège. Une fois arrivé, il me tint la manche :

— Monsieur, il faudrait que je vous parle. Seul à seul.

— Je t’écoute.

— Non, pas maintenant. Si cela vous convient, demain ?

Lundi, 9 h, je suis au magasin et Willie est exécrable. Je ne sais pas si mon associé n’a pas dormi cette nuit, mais c’est un vrai ours ! Mauvaise humeur à tous les étages. Je l’ai rarement vu aussi stressé, la dernière fois, c’était au mariage de sa fille. C’est pas grave, j’encaisse. La matinée terminée (enfin.), je rentre chez moi avec un mal de tête persistant. Il fait un peu frais aujourd’hui, je mets le chauffage en route.

Jade était repartie à ses études. Je dévorai rapidement un sandwich, Nathan allait bientôt arriver.

13 h 30 : on sonne à la porte, c’est lui, pile au rendez-vous. Je le fais entrer :

— Ça va ? demandai-je.

— Ça va, merci.

Je l’invitai à s’asseoir dans le salon. Le garçon blond me regardait en souriant. Je lui proposai un chocolat chaud :

— Non, merci.

Je m’installai en face de lui :

— Alors, Nathan, je t’écoute.

Il serra les lèvres :

— Monsieur, c’est pas évident.

— Vas-y, dis-moi tout ce que tu peux me dire.

Il me fixa, l’air sérieux. Avec ses doigts, il dégagea ses mèches blondes derrière les oreilles :

— Bon, je vais droit au but : par hasard, vous avez mis la main sur l’exemplaire original et unique du Nécronomicon, qui était caché dans le petit bureau. Il avait disparu de la circulation depuis deux cents ans. C’est incroyable. C’est une chose qui ne devait pas arriver, ou alors c’était écrit.

Sans baisser les yeux, il leva ses deux mains :

— D’abord, je n’aurais jamais dû faire ça, mais je n’ai pas le choix.

— Mais qu’est-ce que tu me racontes ?

— Euh… ça risque de vous faire un choc. Voulez-vous entendre la vérité ?

— Mais bien sûr.

Il baissa la tête, une petite moue aux lèvres :

— Je ne suis pas le petit garçon que vous croyez. Ce n’est qu’une apparence.

Sa phrase me fit l’effet d’une douche froide, je ne m’attendais pas à cela. Je restai sans réagir :

— Ah…

Il tourna doucement son visage vers la droite, sa peau blanche luisait à la lumière du jour :

— Mon nom est Nyarlathotep. Je suis le messager de mon maître Azathoth qui est tout en un et un en tout.

Il avait plongé son regard bleu clair dans le mien. Encore un peu et j’allais lâcher mon verre. J’avais l’impression de vivre une scène surréaliste, de brusquement toucher du doigt quelque chose de fondamental. Je le sentais. Pas un moment, je ne mettais en doute ce qu’il me disait, c’était juste l’aboutissement logique de tous les événements survenus récemment. C’était bizarre, cela ne me ressemblait guère. Moi qui ai horreur de toutes ces théories pseudo-religieuses, j’étais avide de l’écouter.

— D’habitude, je ne le dis à personne, mais là, je suis obligé parce qu’il s’est passé quelque chose.

J’essayai de faire bonne figure en me repositionnant sur mon fauteuil :

— Quoi ?

— Je vais te tutoyer maintenant. Dans mon domaine, le vouvoiement n’existe pas.

— Je t’en prie.

— Première chose, il faut que tu me croies, sinon ce n’est pas la peine de continuer. Pour te prouver que ce que je dis est vrai, je peux prendre instantanément mon apparence réelle devant toi si tu le désires. Mais attention, je ne suis pas très beau. Même carrément effrayant.

Je pensai que ce n’était pas nécessaire d’en rajouter pour aujourd’hui :

— Non, Merci, ça va.

— Je te comprends. On n’est pas pressés. Bon, je vois que tu me crois, au moins un peu. Alors, écoute.

Il m’expliqua alors que le Nécronomicon avait été inspiré par les Grands Anciens, sortes de dieux cosmiques qui avaient choisi de s’établir sur Terre à ses débuts, avant même l’apparition des animaux et des plantes. L’ouvrage était chargé de la sorcellerie la plus puissante qui puisse exister. Ces quatre Grands Anciens étaient en quelque sorte comme endormis actuellement sous la terre, en Arctique notamment, et sous la mer. L’un d’entre eux se nommait Cthulhu et était leur grand prêtre. Il devait se réveiller en premier et préparer le monde à l’arrivée des autres, c’est ce qui était prévu. Seulement, le dessein du grand prêtre était tout autre, et son esprit funeste trouvait là l’occasion de régner seul, sans partage, sur un monde neuf et de laisser ses semblables dormir de leur sommeil éternel. Dagon, un des Grands Anciens, avait eu vent de ces sombres projets et avait décidé de contrer les ambitions machiavéliques de son félon de « frère ».

J’étais sonné. C’était un peu trop. Ou alors j’avais accédé à un domaine confidentiel qui concernait tout le cosmos, ou alors j’étais un fieffé naïf qui se faisait mener par le bout du nez. Je voyais déjà Willie qui se moquait de moi à l’écoute de mon histoire. J’intervins après quelques secondes de silence :

— Oui, OK. Mais en quoi ça nous regarde, Jade et moi ?

Calmement, il se leva :

— Je dois partir maintenant. Si tu veux, tu peux mettre ta fiancée au courant ou non, à toi de voir. Il faut agir vite, je te recontacterai.

J’avoue que les jours qui suivirent, je fus un peu nerveux et désagréable, ce que mon entourage ne manqua pas de me faire remarquer. J’aurais voulu garder Nathan plus longtemps pour qu’il puisse me dire tout ce qu’il avait à me dire, mais je n’avais pas osé le retenir. Une phrase m’intriguait : il faut agir vite. Qu’est-ce que cela signifiait ? Cela m’était difficile d’attendre et je passai parfois devant le parc en espérant apercevoir Nathan ou les enfants, en vain. Je n’avais pas encore mis Jade au courant. Trop anxiogène. Je travaillais mécaniquement, l’esprit ailleurs, j’avais du mal à digérer tout cela. J’avais l’impression d’être une marionnette impuissante aux prises avec des forces obscures issues de cultes antiques et de magie noire. Je n’étais pas prêt à ça. Qui est prêt à ça ?

J’étais dans mes pensées lorsque le téléphone du magasin retentit. C’était Maxime, un bon ami à nous :

— Raphi, salut. Euh… c’est pas grave, tout va bien. Jade a eu un petit malaise à la cité universitaire. Elle est à l’hôpital, à la Pitié-Salpêtrière. Elle est réveillée, t’inquiète.

3

Descente aux enfers

Le temps d’enfiler une veste et j’étais déjà sur place. Je la trouvai sur son lit, dans sa chambre, en compagnie de Maxime et sa compagne Sara. Elle me sourit en me voyant, elle semblait tout à fait normale, à part sa pâleur et ses yeux fatigués. Je m’assis au bord du lit et pris sa main dans la mienne en m’enquérant de son état de santé. Je fus rassuré, tout allait bien, et nous restâmes ainsi à peu près une heure, jusqu’à ce qu’une infirmière nous demande de sortir de la chambre, l’heure limite des visites venait d’être dépassée. C’était un simple malaise vagal et ils allaient la garder une nuit en observation, simple routine. Tranquillisé, je me séparais de mes amis et rentrai chez moi en taxi.

J’en avais assez, ma fièvre et ces événements me fatiguaient. Je tenais le grimoire comme responsable de tout ce qui m’arrivait. À un moment, le fait de m’en débarrasser m’effleura à nouveau l’esprit. La sonnerie de la porte d’entrée retentit. À travers la porte, j’entendais une voix feutrée :

— Raphaël, c’est Nathan.

J’ouvris. Le garçon escalada prestement les quelques marches du perron et arriva à ma hauteur :

— Je peux entrer ?

— C’est pas trop tôt, je t’attendais.

— J’avais des choses à faire, dit-il.

Il alla directement au salon. Je refermai la porte :

— Je t’en prie, fais comme chez toi.

Il lança :

— J’espère que tu n’as pas peur de moi, ce n’est pas le but.

Mais non. Paradoxalement, je n’avais pas pensé à cela une seconde. Peut-être était-ce de l’inconscience, ou alors j’étais tout simplement en confiance avec lui. Il continua :

— Je t’ai parlé des Grands Anciens.

— Je te coupe. Tu sais que ma femme est à l’hôpital ?

Il parut embêté :

— Vraiment ?

— Oui, elle rentre à l’appartement demain matin. Ça tombe mal, elle en pleine période d’examens.

— De quoi souffre-t-elle ?

— Oh un malaise. Rien de grave.

— Tant mieux.

Il passa sa main dans sa tignasse blonde et s’adossa au siège :

— Au fait, lui as-tu parlé de ce que je t’ai dit ?

Je lui fis non de la tête :

— Je crois que cela vaut mieux. Ce n’est pas la peine de la stresser.

Un gamin qui me donnait des conseils pour ma vie de couple, on aurait tout vu. Il poursuivit :

— Je te disais. Les Grands Anciens m’ont demandé d’être leur porte-parole. J’ai accepté et mon maître Azatoth m’en a donné la permission. Parfois on m’appelle l’homme en noir lorsque je préside les sabbats des sorcières du culte.

— Quel culte ?

— Le culte de Cthulhu.

Les images de mes recherches sur internet me revenaient en mémoire. Des illustrations de harpies effroyables en train de danser devant un feu écarlate. J’en avais le vertige. Nathan dut saisir mon désarroi :

— Je sais que tout cela, ce n’est pas facile à réaliser pour un humain. Sache que j’ai volontairement provoqué l’accident de vélo dans le parc l’autre soir pour te rencontrer. Tu ne te rends pas encore compte, mais tu es la pierre importante qui tient tout l’édifice.

Il plaqua ses mains sur ses cuisses :

— C’est tout pour l’instant. Je ne peux pas tout te dire le même jour, c’est interdit, tu es humain et je dois suivre le protocole. Je passerais tôt demain matin pour continuer, avant que ta femme ne rentre de l’hôpital.

J’étais dépité, mais je n’en montrai rien. Je me contentai de raccompagner mon invité à la porte en lui souhaitant de le revoir le lendemain.

Finalement, au jour dit, coup de fil de l’hôpital. Jade rentrerait plus tôt que prévu. Le rendez-vous de Nathan tombait à l’eau. J’étais donc la pierre importante de l’édifice. En partant hier soir, il m’avait demandé de ne pas déplacer le livre, qu’il m’expliquerait.

7 h 30 : Nathan sonne à l’interphone. Je lui explique la situation et lui indique que j’attends l’arrivée de Jade incessamment sous peu. Nous nous fixons un autre rendez-vous.

7 h 50 : L’ambulance dépose ma fiancée au bas de l’immeuble. Je descends la chercher et prends ses affaires.

Elle semble fatiguée, toujours aussi pâle. Elle s’assied devant la télévision éteinte, le regard vague :

— Comment tu te sens ? demandai-je.

— Bof. Un peu dans le gaz, mais ça va aller.

— T’as fait un malaise vagal, certainement dû au stress de tes examens.

— Sans doute.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Non, merci. Je crois que je vais aller me coucher.

— Impeccable. Vas-y, repose-toi. Je dois passer au magasin, je ne peux pas faire autrement. Je reviens de suite. Garde ton portable à proximité. Dors.

Je lui déposai un bisou sur le front et la quittai, apaisé. En fait de passage éclair à la boutique, je tombais nez à nez avec un client habitué et acariâtre qui exigeait une réparation rapide de la carte mère de son ordinateur. Cela me prit trois heures. Sans avoir la possibilité d’appeler Jade au téléphone. J’étais un peu inquiet. Lorsque je rentrai chez nous, elle dormait dans la chambre. Sans faire de bruit, je me douchai et me servis une salade de riz dans le salon. Après m’être restauré, discrètement, je poussai la porte : Jade était profondément endormie, elle n’avait même pas baissé le volet. Son teint était diaphane. Je m’approchai. De gros cernes lui boursouflaient le contour des yeux et la peau de son visage semblait parcourue de fines nervures marron clair. Interloqué, je baissai doucement le drap. Elle était encore tout habillée et ne s’était pas douchée. Ce n’était pas son habitude. À la base de son coup, je remarquai une trace sombre qui courait le long du sternum jusqu’à la cuisse. Ce n’était pas normal. Rapidement, j’appelai l’hôpital, le numéro direct de l’infirmière qui s’était occupé d’elle. Je lui fis part de mes observations. Elle me répondit qu’elle n’avait rien remarqué de spécial, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, qu’elle était simplement déshydratée après le malaise qu’elle avait subi. Rien d’alarmant. Soit.

Je suis quand même inquiet. Ni une ni deux, je compose le numéro de SOS Médecins. Le docteur arriva assez rapidement et je l’orientai vers la chambre. Jade ne s’était pas réveillée. Il l’ausculta, observa son visage, ses poignets et ses jambes. Puis il se releva et sortit de la pièce. Il revint et me tendit l’ordonnance qu’il venait de rédiger pour une prescription de fortifiants. Pour ce qui concernait sa peau, il me conseilla de la faire boire beaucoup. Je le remerciai et le payais. Je n’étais pas vraiment satisfait. Je retournai au chevet de ma fiancée. Je crois que je m’endormis quelques minutes, la tête dans les mains. J’étais épuisé.

Un petit râle me tira de mon sommeil. Je sursautai. Jade venait d’ouvrir les yeux et tentait de se redresser dans le lit. Je la pris dans mes bras :

— Ma chérie, viens, mets bien le coussin derrière le dos.

— Mmhh…

— C’est bien. Le docteur est passé, tu n’as rien, tu dois juste récupérer.

Je m’assis sur le rebord du lit :

— Tu veux quelque chose ?

Elle passa sa main sur le front :

— Non, rien.

Elle soupira :

— Je vais juste au salon. Je vais regarder un peu la télé.

Je lui pris la main. En passant devant le miroir mural de l’entrée, elle poussa un petit glapissement :

— Mais qu’est-ce que j’ai ? J’ai une mine horrible ! Un zombie !

Elle tenait à peine sur ses jambes. En la soutenant, je l’amenai sur le canapé. Elle s’assit dans un soupir. Nous restâmes ainsi jusqu’au milieu de l’après-midi, elle a somnolé dans le salon et moi je suis resté à côté d’elle. Puis, tant bien que mal, avec mon aide, elle fit une petite toilette à la salle de bain et retourna se coucher.

2 h du matin. Je me réveille brusquement. Jade dort profondément. De ma place, j’aperçois une partie de la cuisine dont la porte est entrouverte. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Dans la pénombre, je ne rêve pas, j’aperçois une forme sombre, indéfinie, comme baissée, recroquevillée sous le meuble du lavabo. J’essaie de recouvrer mon calme. La forme se déplace doucement, de gauche à droite, se déforme, comme une bulle qui se gonfle et se dégonfle. Je crois voir des appendices qui dépassent et s’agitent. C’est quoi cette folie ? Malgré la sueur froide qui me parcourt le dos, je m’extrais silencieusement du lit et saute sur l’interrupteur.

Tout a disparu. Je conclus que mon cerveau me jouait des tours, un mauvais rêve. Je me glisse à nouveau sous les couvertures. Je sens une main me frôler :

— Qu’est-ce qu’il y a, chéri ?

— Rien, mon amour. Rendors-toi.

3 h 15 : machinalement, j’étends mon bras vers ma fiancée. Elle n’est pas dans le lit. Je me redresse. À travers les fins rayons de lumière qui parviennent du lampadaire de la rue, je l’aperçois allongée par terre, à moitié sur le tapis. Je la soulève délicatement et la remets au lit :

— Ma petite caille, c’est moi. Tu es tombée du lit.

Aucune réaction. Elle respire normalement. Je m’approchai de son oreille :

— Je vais allumer la lumière.

Sa chemise de nuit était mouillée par endroits, elle avait certainement beaucoup transpiré, la pauvre. Je ne l’avais pas remarqué précédemment, mais le haut de sa cuisse présentait une lésion, comme une blessure, qui s’étendait et disparaissait sous sa culotte. C’était quoi ça encore ? On avait la scoumoune. Je décidai de procéder au nettoyage et à la désinfection de la plaie alors qu’elle se rendormait, épuisée.

Je cherchai le nécessaire et commençai le travail. Le choc. La blessure était large de trois à quatre centimètres, béante, juste sur la ligne qui partait de la base du cou jusqu’à son genou. Je crus défaillir. Tiens bon Raphaël, ce n’est pas le moment de flancher. Je m’appliquai à épancher le sang et le sérum de ce qui constituait un véritable trou dans la chair au niveau de son bas-ventre. Incroyable. Dans cette cavité, on pouvait même apercevoir les chairs à vif. J’étais choqué. Ce n’était juste pas possible. Je me baissai et lui susurrai :

— Jade.

Je lui tapotais doucement le visage. Elle ne réagissait pas. Je pensai à ce satané bouquin ! Depuis qu’il était entré dans ma vie, je n’avais que des problèmes ! C’en était assez.

Je demanderai à Nathan de m’en débarrasser et tout rentrera dans l’ordre. Il fallait d’abord que je m’occupe de Jade. Une fois la plaie correctement nettoyée et désinfectée, j’en joignais les bords au moyen de sutures stériles, un copain préparateur en pharmacie me l’avait montré. Puis je recouvrai le tout d’un pansement cicatrisant. Pas question que j’appelle à nouveau un médecin. En effet, la chair au niveau de la blessure semblait avoir été coupée par un objet contondant, on aurait vite fait de me soupçonner. Quelle merde ! Je sens une bouffée de tristesse monter de mon ventre jusqu’à ma gorge. Je suis désemparé. Vite, réfléchis, Raphaël.

La sonnerie stridente de mon portable crève le silence. Je regarde le réveil. Il est sept heures. C’est Willie, mon associé :

— Eh Raphi ! Salut ! Tu viens ce matin à la boutique ?

— Pffff… Écoute, désolé, mais Jade est très malade. Je dois rester auprès d’elle, tu comprends ?

— Oh OK. Putain, ça m’arrange pas. Ça tombe mal.

Je l’entendais râler dans sa barbe :

— Bon, et qu’est-ce qu’elle a ?

— Je ne sais pas. Elle n’arrive pas à se lever.

— Merde. Bon, tiens-moi au courant, bye.

— Bye.

Je n’ai pas le temps de poser le combiné, nouvel appel :

— Salut, c’est Maxime, décroche !

— Salut Max !

— Comment va-t-elle ?

— Elle dort toujours.

— J’ai mis le haut-parleur, Sara est à côté de moi, elle écoute.

— Salut, Sara.

— On peut passer vous voir ?

— Je crois qu’il ne vaut mieux pas. Elle est contagieuse, elle m’a déjà refilé sa fièvre.

Je voulais que personne ne la voie dans cet état, son apparence était macabre et il lui fallait du repos. Je devais régler cela seul.

— Écoute. On est avec toi. Appelle un médecin.

— Ouais ouais, bien sûr. Je vous contacte dès qu’il y a du nouveau.

— OK ciao, bon courage, si t’as besoin de quoi que ce soit.

— Merci.

Je passai la matinée à m’occuper d’elle, à enlever régulièrement les pansements gorgés d’exsudats, renettoyer la plaie et y repositionner des compresses neuves. D’autres blessures apparaissaient autour de la principale, plus petites et moins profondes. J’avais l’impression que cela n’arrêterait jamais. Vers la fin de la matinée, il y eut une petite accalmie et j’en profitai pour m’assoupir un peu, assis sur le lit, la tête dans les mains. J’étais crevé, en plus de ce mal de crâne qui me tenaillait.

Après ce court intermède, je décidai de m’habiller et de sortir afin de me rendre au cabinet d’infirmières situé sur la voie rapide, pas très loin de notre appartement. Je connaissais un peu une des filles qui y travaillait. Elle m’avait administré un vaccin il y a quelque temps et nous avions sympathisé. J’essaierai de lui expliquer, elle aura peut-être une solution. Je recouvre ma fiancée, toujours endormie :

— Chérie, je vais chercher une infirmière, je reviens tout de suite.

Je marche comme une fusée sur le trottoir bondé. Je dois bousculer des gens, je ne m’en rends même pas compte. J’enchaîne les rues. Puis au détour de l’une d’elles. Je m’arrête net. Nathan est devant moi, sorti de nulle part, et vient à ma rencontre :

— Nathan ! criai-je.

Il arrive vers moi. Je hurle :

— Il faut que tu m’aides !

Des passants me jettent un regard interloqué. Je pose mes mains sur les épaules du garçon :

— Je t’en supplie, Jade est au plus mal. Viens la voir à la maison, toi seul peux l’aider.

Il leva ses yeux clairs et déclara d’une voix calme :

— Je te suis.

Arrivé à destination, je l’emmenai directement au chevet de Jade. Elle n’avait pas bougé depuis que je l’avais laissée tout à l’heure. Il la regarda de la tête aux pieds, en silence. Je murmurai :

— Tu peux faire quelque chose ?

Je dégageai le drap au-dessus de sa cuisse :

— Regarde, elle a une grosse lésion sur le bas-ventre, je ne sais pas ce que c’est. Et il y en a d’autres qui se propagent tout autour.

Il se tourna vers moi :

— Viens, on va dans le salon.

J’entrebâillais un peu la porte de la chambre et le rejoignis. Il s’était assis sur le fauteuil et m’invita à prendre place en face de lui. Il s’avança sur le rebord du siège :

— Tous les deux, vous avez touché le Nécronomicon. Tous ceux qui le touchent ne survivent pas.

— J’en étais sûr, saloperie ! Peux-tu arrêter tout ça ?

— Le sort est extrêmement puissant et personne ne peut le contrer, cela a été fait exprès à l’origine, c’est de la sorcellerie.

— Tu veux dire que…

Il vint s’asseoir à mes côtés :

— Je ne suis pas humain, mais je comprends vos joies et vos peines. Je suis vraiment désolé que cela t’arrive.

— Mais on ne peut rien faire ?

Il ne répondit pas tout de suite, il se contentait de caresser du doigt sa mèche blonde sur son front :

— Je ne vais pas te mentir, Raphaël, non.

— Mais tu le savais depuis le début.

— Et alors, ça change quoi ? Le mal était déjà fait lorsque je vous ai rencontrés. Je ne peux pas remonter dans le temps.

Je m’affalai sur le canapé, je sentais mes forces m’abandonner.

Je me réveille en sursaut. Nathan est toujours à côté de moi. Une douleur intense m’étreint le cerveau :

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Tu as perdu connaissance. Une sorte de brève catalepsie, ce doit être le choc.

— Jade !

— Elle est dans la chambre, elle dort.

Je commence à fondre en sanglots. Tant bien que mal, j’essaie de me lever afin de me rendre auprès d’elle. Nathan se précipite pour me soutenir :

— Rassieds-toi. Il faut que je te parle.

— Mais…

— N’y va pas. De toute façon, tu ne peux rien faire. Maintenant, tu dois m’écouter, je ne peux pas rester longtemps.

Je lève la tête :

— Tu ne peux pas rester longtemps ? Tu te moques de moi ? Ma femme est en train de mourir et c’est tout ce que tu trouves à me dire ? C’est de ta faute si tout cela est arrivé.

Il s’assied sur le canapé :

— Je te laisse reprendre tes esprits. Je conçois que c’est très dur pour toi. Après mes explications, tu comprendras peut-être un peu mieux.

— Comprendre quoi ? J’en ai rien à cirer. Tout ce que je veux, c’est retrouver ma Jade.

Nous restâmes ainsi quelques secondes, silencieux. J’essayais de recouvrer mon calme, de chasser cette satanée migraine et ce voile de larmes qui me piquait les yeux. Je repris dans un soupir :

— Excuse-moi, je suis…

— Tu n’as pas à t’excuser. C’est normal. Malheureusement, ce que tu es en train de vivre, d’autres l’ont vécu avant toi, je le sais, je l’ai vu. Mais le temps presse, si tu te sens apte maintenant, je peux terminer ce que j’ai à te dire ?

— Vas-y. Au point où j’en suis de toute manière…

— Bon, La sorcellerie issue du Nécronomicon peut paraître dure et cruelle, mais elle est ce qu’elle est, et ce depuis l’aube des temps, immuable. On ne peut pas la juger avec des considérations humaines. Ce qui vous est arrivé n’aurait pas dû arriver, je te l’ai déjà dit.

Je ferme les yeux et masse mes tempes avec les doigts :

— Viens à l’essentiel, s’il te plaît.

— J’y viens. L’ouvrage n’est destiné qu’aux sorciers, non aux humains, c’est pour cela qu’il y a cette malédiction, comme une protection, pour être certain qu’il ne soit utilisé que par des experts.

— Et alors ?

Il plaça ses cheveux blonds derrière les oreilles et prit une grande respiration :

— On ne peut rien pour ta fiancée. Elle est condamnée.

Il baissa le regard au sol :

— Je suis vraiment désolé.

Je ne sais pas pourquoi, mais je sentis à ce moment qu’il n’était sûrement pas humain et feignait la peine pour compatir à la mienne. Il soupira :

— Le seul qui pourrait. C’est mon maître Azatoth.

Je lui adressai un regard vitreux :

— Essaie de le convaincre.

— Pas la peine. Il ne se mêle jamais d’affaires terrestres, ni d’autres non plus, d’ailleurs. Ce n’est jamais arrivé et cela n’arrivera jamais. C’est sa loi. Personne ne discute sa loi.

— S’il te plaît.

— Écoute. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Je vais te révéler ce qui est arrivé, et c’est exceptionnel.

Il croisa ses coudes sur ses genoux et continua :

— Tu as versé ton sang sur la couverture de ce vieux grimoire magique, sans le savoir, dans un lieu qui est un réceptacle de sorcellerie, ton appartement. Toutes les ondes d’énergie magique y convergent, c’est comme ça, c’est une coïncidence. De plus, cela a eu lieu au moment précis qui correspond à l’heure du protocole. Toutes les conditions étaient réunies.

— Quel protocole ?

— Raphaël, tu es devenu Araoste, le guerrier suprême. Par hasard… Non, pas par hasard, je pense que c’était écrit, il y a trop de conjonctions invraisemblables.

Je haussai les sourcils et soufflai :

— Qu’est-ce que tu me racontes ? Une histoire à dormir debout ? Tu veux me consoler de la perte de ma femme ? Mais…

— Non, non, pas du tout. C’est la vérité, d’un coup, tu as hérité de la puissante sorcellerie du Nécronomicon ! C’est unique !

— Mais c’est pas possible ! Tu te fous de moi !

Il se mit debout et parla d’une voix calme, le visage impassible :

— Stop ! Tu ne sais pas qui je suis. Je viens de très loin et j’ai accès à tous les univers. Sache que je compatis à ta douleur et sache aussi que je suis venu pour toi. Mon nom est Nyarlathotep, je suis le messager d’Azatoth, dont nous faisons tous partie. Ce que je te dis ne peut être un mensonge.

Il restait immobile. Il regardait droit devant lui :

— Bientôt je partirai. Et tu géreras seul ta nouvelle nature.

Ses yeux brillaient, comme éclairés de l’intérieur.

— La sorcellerie du Nécronomicon qui va se fixer en toi s’appelle la Herse. Elle est en toi, elle est toi. Elle te fournit d’immenses pouvoirs et te rend invincible et immortel. Tu découvriras tout, petit à petit, c’est inné.

Il leva les bras, serra les poings et les joignit devant lui. Sa voix sonna rauque, forte, presque irréelle :

— Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn.

J’étais abasourdi. Je ne savais plus ce qui m’arrivait. C’était trop. Il se rassit comme si de rien n’était :

— C’est une incantation, à destination des Grands Anciens. L’un d’eux s’appelle Dagan, il « dort » également sous la mer, comme Cthulhu. Il veut se venger de la trahison de ce dernier. Il va t’épauler dans la réalisation de ta mission, si tu l’acceptes. J’espère que tu le feras, l’enjeu est important.

— Une mission ?

— Tu devras empêcher l’avènement de Cthulhu en présidant ses hordes des serviteurs et en les menant à leur perte. Tu en auras le pouvoir.

— Vous êtes tous malades. Et pendant ce temps, ma fiancée est en train de mourir.

Il plongea son regard dans le mien :

— Je suis navré, mais ne rentre plus dans la chambre.

— Pourquoi ?

— Euh… Le travail est terminé. Le travail du sort qui l’a emportée.

— Tu veux dire…

— Elle est partie.

Je veux me lever, il me retient :

— Reste, tu ne supporterais pas le choc, c’est insoutenable.

— Mais quoi ?

— Tu veux savoir ? T’es sûr ?

— Je ne comprends pas ce que tu veux me dire, c’est débile. J’y crois pas.

— La sorcellerie du Nécronomicon a disloqué son corps progressivement. Ce n’est plus Jade, ses entrailles sont dispersées dans toute la pièce, elles palpitent encore. Ce ne sont que morceaux de peau et d’organes, du sang partout. Personne ne voudrait voir ça.

Un vertige me plaqua contre mon dossier. Mon cœur me faisait atrocement mal, comme percé de coups de couteau. Mon amour ! Pourquoi ? Un cauchemar. Je vais me réveiller. Nathan s’approcha de moi :

— Je vais m’en aller. Je te donne un conseil : prends un bidon d’essence, mets le feu partout et pars. Il n’y a rien d’autre à faire. Avec tes pouvoirs, tu pourras vivre partout. C’est brutal, mais tu n’as pas le choix. Pour toi, c’est une autre vie qui commence, une vie éternelle.

Il posa une main sur mon épaule :

— Raphaël, je suis désolé de te connaître dans une telle situation. Dernière chose, si cela ne te dérange pas, j’aimerais récupérer le livre, qu’il retourne à sa place. Tu n’en as plus besoin.

Je me relevai en titubant. Ce devait être la force du désespoir qui me permettait de bouger encore. Il était déjà devant la porte d’entrée. Malgré mon regard embrumé, j’ouvre le tiroir secret du bureau, en extrais le livre et le lui remets. Il me regarda une dernière fois :

— Merci et au revoir, dit-il en s’éloignant dans l’escalier.

Je refermai derrière lui. J’étais dévasté, au fond du gouffre. Je m’adossai contre le mur. Il fallait agir. Vite. Malgré ma fatigue, malgré ma peine. Je me dirigeai vers la chambre, j’avais les mots de Nathan en tête, je voulais juste avoir confirmation. Ce que je vis en un coup d’œil furtif m’enleva tout doute.