Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
"Clair-obscur" explore les vies de personnages variés, de l’enfant à la mère, en passant par le vieillard et l’adolescent. Chacun d’entre eux possède sa propre identité, son caractère, et se déplace dans un territoire moral incertain. L’homme est-il inéluctablement enclin au mal ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Pour
Pascale Bonès, la littérature ouvre les portes vers l’infini et au-delà. Avec "Clair-obscur", elle vous invite à vous immerger dans des expériences aussi bien surprenantes que déroutantes.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 103
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Pascale Bonès
Clair-obscur
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Pascale Bonès
ISBN : 979-10-422-1740-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon père
C’est ainsi qu’a débuté notre aventure…
Nous étions une bande de copains soudés comme les cinq doigts de la main. Il y avait Paul, qui n’en finissait pas de passer son permis et qui, dès qu’il l’a eu, s’est empressé de mettre sa voiture sur le toit ; La Soupe, surnommé ainsi, car été comme hiver, ça sentait la soupe chez lui ; Yaël, lequel, malgré un don du ciel nommé COVID, n’avait pu décrocher son bac ; Dov le plus petit de tous, mais aussi le plus bavard et moi qui pensais basket-ball à longueur de journée et qui faisais croire à ma mère que j’allais augmenter ma moyenne d’anglais en regardant les matches sur BeIN Sport ! Nous avions tous un point commun : nous étions ce qu’on peut appeler communément des geeks. La communication via internet nous intéressait bien moins que les jeux vidéo dans lesquels nous rivalisions de prouesses. Mortal Kombat était un jeu d’échauffement, Call of Duty, c’était de la rigolade, Age of empires ou Total war n’avait pas de secret pour nous, quant à Street Fighter, c’était le jeu qui nous permettait de montrer nos muscles… Bref, il ne se passait pas un week-end sans que nous nous réunissions chez l’un ou chez l’autre (tout dépendait des parents qui allaient s’absenter pour la fin de semaine). Le plus souvent, nous allions chez Paul, à la périphérie de la ville, non loin de la gare : la maison était grande et ses parents nous laissaient profiter d’une partie de la demeure à notre convenance. Il suffisait de rapporter des chips, des pizzas, quelques bières et nos manettes pour passer une soirée de dingue.
Ce samedi-là, c’était la veille du 11 novembre, je m’en souviens, car la neige était en avance et de légers flocons dansaient derrière la baie vitrée, nous nous étions mal compris : il y avait des chips, beaucoup de bières et pas de pizzas ! Mais tant que nous avions de la connexion et les manettes, le monde pouvait bien s’écrouler ! Nous avons commencé par Gran Turismo avec une bière, avons enchaîné par GTA puis par Carmageddon avecdeux autres bières et avons fini avec Resident Evil Village. Nous avions également épuisé la réserve de canettes. La soirée avait été tout simplement parfaite. Mais nous étions en forme : l’alcool énerve un peu… Alors, peu résolus à nous coucher (il était pourtant quatre heures du matin), nous sommes allés jusqu’à la zone désaffectée, celle sur laquelle avait trôné durant des décennies le grand centre commercial Euralille, avant d’être rasé, et qui aujourd’hui abrite l’administration politique « Five Nations for Live », la FNFL. Si l’alcool excite, il faut préciser qu’il rend aussi stupide, et je pèse mes mots. Nous avions en effet décidé d’être urbexeurs pour quelques heures… Face à cette friche commerciale, il y avait de quoi faire. La Soupe voulait explorer les toits ; Yaël, ayant une vague notion du programme d’histoire, voulait qu’on cherche des catacombes ; Paul et Dov étaient plutôt d’accord pour entrer en hurlant et comparer les échos de nos voix. Quant à moi, la bière me donnait le hoquet et le fou rire.
Nous en étions là de nos délibérations lorsqu’au fond du bâtiment principal dont la porte était ouverte de moitié est apparue une lueur verte, une fugitive et dansante lueur verte. Elle a eu pour effet de stopper mon hoquet, mais pas l’énergie de mes copains. « Chiche ! » a crié Paul et, portés par ce cri de guerre, nous nous sommes engouffrés dans le bâtiment en scandant « au fantôme », moi comme les autres. Oui, quand on a vingt ans, c’est un peu stupide de crier ainsi, je le reconnais, mais sur le moment, c’était drôle. Nous voilà donc, les uns derrière les autres, à pousser des cris et à vouloir rattraper cette lumière verte qui avait disparu. Nous faisions un raffut pas possible. L’alcool nous rendait invincibles, très courageux (c’est d’ailleurs la seule fois où nous avons fait preuve de bravoure…) et lorsqu’une autre lumière, rouge cette fois-ci, est apparue à notre droite, nous n’avons pas hésité. Nous avons repris notre course, faisant fi des débris, les enjambant ou les contournant. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés devant une porte close, mais sous laquelle filtrait la lumière rouge. Enhardis par notre folle course, nous nous sommes mis en devoir de forcer cet obstacle. À coups de pied, de poing, sans succès. Aucun de nous n’avait la force de Gon, le bébé tyrannosaure de Tekken, mais… nous avions Dov. Il parlait beaucoup et parfois, il réfléchissait. « Une barre de fer pour dégonder la porte, bande d’incapables ! » nous a-t-il fait remarquer, barre qu’il a ramassée non loin de l’endroit où nous nous trouvions. Avec l’aide de La Soupe, il a extrait la porte de ses gonds et nous avons pu entrer. Nous étions encore plus excités par notre victoire et cherchions d’où provenait la lueur rouge lorsque la porte s’est refermée. Oui. Refermée. On l’avait fait tomber et elle s’était refermée. D’un coup, les urbexeurs occasionnels que nous étions, avons trouvé qu’urbexer n’était plus aussi drôle que cela. « My God », c’est tout ce que j’ai pu dire – pardon maman. Je ne sais plus qui a parlé le premier, mais en tout cas, nous étions tous d’accord, il fallait sortir. Le problème est que la porte était bien verrouillée et que seul se trouvait dans cette pièce un escalier. L’obscurité était quasi totale si ce n’est cette lueur rouge diffuse dont on ne pouvait identifier l’origine. Paul, le petit Paul, s’est montré le plus grand et a gravi l’escalier, s’aidant de la lampe de son iPhone 13. Et nous l’avons suivi. L’escalier ne menait nulle part sauf à une trappe que Paul, un peu perplexe, a ouverte. Un à un, nous avons franchi le passage et nous nous sommes retrouvés dans une pièce parquetée. Immaculée. Aucune poussière. Tandis que nous étions accaparés par nos observations silencieuses, un être est apparu. Il ressemblait à Voldo de Soulcalibur. Sa tête blafarde, zébrée de rouge, sa cuirasse métallique hérissée de pointes faisaient froid dans le dos mais surtout, cette ombre projetée d’un homme aveugle achevait de rendre la scène effrayante. Je n’étais pas le seul à avoir peur et la flaque sous La Soupe ne m’a même pas fait rire. Paul a alors tendu la main, – mais pourquoi faut-il toujours qu’il cherche à se démarquer ? Parce qu’il est le plus petit d’entre nous ? – et est tombé, comme cela, dans un trou qui venait de se matérialiser ou qui était déjà existant et que nous n’avions pas vu. Nous avons entendu son cri, un long cri de terreur puis plus rien. Ni Paul, ni Voldo, mais à la place, une musique, ou plutôt un chant psalmodié dont on ne comprenait pas les paroles. En tout cas, j’étais sûr que ce n’était pas de l’anglais. Puis une lumière, bleue, cette fois-ci, nous a montré une porte – encore une –. Nous n’avions pas le choix et Dov a ouvert la porte et la marche. Plus personne ne pipait mot, mais chacun entendait très bien les hoquets de larmes et les reniflements des autres. Ce qui nous attendait dans cette autre pièce jonchée de débris nous a laissés bouche bée. Au milieu des gravats tournait un manège de chevaux de bois. Une folle musique l’entraînait. Puis, le manège s’est arrêté. La pièce nous a semblé soudain plus petite. « Montons », a murmuré La Soupe et le premier, il s’est assis sur un cheval, j’ai enfourché le cheval suivant, Dov et Yaël ont fait de même. Dès que Yaël eut posé ses fesses sur le bois, le manège s’est remis à tourner, lentement d’abord puis un peu plus vite, au son de la B.O. de Ça. On n’en menait pas large, chacun s’accrochant tant bien que mal au mât qui maintenait les chevaux en place. Puis, la musique a cessé, le manège s’est arrêté. C’est alors que nous avons vu, assis juste derrière La Soupe, Le Clown tueur du film, lequel est parti d’un rire démoniaque puis a disparu en fumée. La Soupe s’est mis à hurler, ce qui nous a glacé le sang, et s’est enfui par la porte, mais celle-ci s’est fermée juste devant nous, nous séparant de notre ami. De nouveau, un lourd silence s’est abattu. Nous nous sommes regardés à la lumière de nos téléphones, mais les visages que nous observions n’étaient pas faits pour nous rassurer.
« Il faut économiser nos batteries, a ordonné Yaël. Clém et Dov, éteignez vos portables. Je garde le mien allumé. On sort d’ici, coûte que coûte. Il faut retrouver Paul et La Soupe. Je ne sais pas quel taré essaie de nous faire peur, mais on va pas se laisser faire. Clém, tu passes devant, je t’éclaire et Dov, tu tiens ma ceinture et tu suis.
Quel argument ! Si je savais me battre sur un terrain de basket (d’ailleurs, ma mère me faisait toujours promettre avant des matches difficiles, de ne pas utiliser les poings), j’avoue qu’à l’instant même, c’était de la purée que j’avais à la place des muscles. Mais, j’ai avancé. Il fallait bien de toute façon que l’un de nous le fasse. J’ai longé les murs, à la recherche d’une nouvelle ouverture, les bras tendus devant moi. Mais rien. Les murs étaient aussi lisses que la peau d’un bébé. C’était un cauchemar. La sueur me dégoulinait le long du dos. Je me disais que nous allions mourir là – mais où exactement ? – lorsque j’ai senti sous mes doigts un petit déclic. Je ne sais pas si je me suis réjoui. En tout cas, Yaël et Dov avaient aussi entendu. « Pousse », m’a chuchoté Yaël et c’est ce que j’ai fait alors qu’il m’attrapait par le blouson. Et ainsi liés, Dov tenant Yaël par la ceinture, lequel m’agrippait le blouson, j’ai mis un pied devant l’autre, avec précaution. Quel autre piège nous attendait encore ? Je n’ai pas eu le temps de réfléchir bien longtemps, car un vent violent s’est abattu sur nous, nous soulevant dans les airs et nous faisant tournoyer. Yaël m’a lâché, Dov a hurlé et je me suis évanoui.
Lorsque je me suis réveillé, j’avais un goût étrange dans la bouche, celui du sang. Je me suis rendu compte que je m’étais mordu la lèvre. Mes copains étaient là aussi. Ils se réveillaient également, hagards. Paul se frottait la cheville, elle était enflée. La Soupe était blanc comme un linge, il s’est mis debout pour aussitôt s’arcbouter et vomir ses tripes. Dov tremblait de la tête aux pieds et Yaël regardait son Samsung Galaxy S22 cassé. Nous nous sommes soutenus, l’un aidant Paul à marcher, l’autre Dov à se réchauffer ou La Soupe à mettre un pied devant l’autre et nous sommes retournés chez Paul. Il était 5 h 30 du matin. Nous n’étions partis que depuis une heure et demie et j’avais l’impression que des heures s’étaient écoulées.
Chez Paul, nous nous sommes couchés sans dire un mot, mais personne, je crois, n’a dormi. À sept heures, nous sommes repartis chacun chez nous, avec nos manettes, que nous avons rangées au fond d’un tiroir, pour la grande joie de nos parents respectifs. Nous n’avons jamais parlé de ce qui nous est arrivé cette nuit-là. Et je n’ai plus jamais bu une goutte d’alcool.
« Tu as encore peur, papy Clém ?