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1993. Un biologiste informe Clinton qu’il a réussi à cloner des cellules humaines, lui demandant également de tenter l’expérience sur lui. Clinton accepte mais à une condition : si l’opération est un succès, il devra fournir au scientifique douze prélèvements à cloner. Cependant, le biologiste en ajoute secrètement un treizième. Le premier clone naît donc en 1995 et les autres l’année suivante, dans le plus grand des secrets, uniquement connus des présidents des États-Unis et de quelques personnes. La vie entière des clones est mise sous surveillance et au fil des années, certains sont assassinés, tandis que d’autres meurent de vieillesse. À partir de 2027, les problèmes s’accélèrent, Kamala Harris, présidente depuis 2024, est remplacée par Kennedy, un des clones. Quelqu’un, manifestement, œuvre dans l’ombre pour saboter le « Conseil des sages » mis en place, menaçant de dévoiler au monde entier la sombre vérité…
A PROPOS DE L'AUTEUR
Lecteur assidu de toutes les littératures, nourrissant une passion pour Camus et Yourcenar,
Jean-Luc Piette entame la rédaction de
Clones en 1997, alors qu’il est directeur de la banque de France à Argenteuil. Aujourd’hui, retraité, il a enfin l’occasion de l’achever et de le proposer. Son inspiration tient à une question : et si les grands hommes du XXe siècle revenaient tous en même temps, clonés ?
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Seitenzahl: 421
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Jean-Luc Piette
Clones
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Piette
ISBN :979-10-377-5547-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
14 janvier 2023, Indianapolis
Le jour de ses 27 ans, à 16 heures 50, Jim Share partit, pour la première fois de sa vie, avant la fin d’un cours.
Le fait n’est pas sans importance, car Jim prit ainsi de vitesse les services de la Maison-Blanche, qui interceptaient tout courrier qui lui était destiné. S’il avait retiré ce paquet le lendemain matin, comme à son habitude, je ne serais peut-être pas à tenter de relater ce qui s’est réellement passé.
La majeure partie des faits, chacun la connaît, malheureusement, mais la véritable histoire reste cachée.
Ce 14 janvier 2023, Jim Share voulait absolument retirer à temps un paquet parvenu d’Allemagne, un cadeau qu’il attendait avec impatience. Ses parents vivaient à Berlin où son père était lieutenant dans l’US Air Force.
Revenu dans sa chambre, il découvrit avec ravissement un microscope électronique connectable à son PC. Le rêve ! Et un pli, qui contenait une courte lettre et une enveloppe jaunie où figurait seulement son nom.
Intrigué, il lut d’abord la lettre de ses parents.
« Cher Jim, cher little boy,
Joyeux anniversaire ! N’ayant pu venir aux States, nous pensons beaucoup à toi aujourd’hui. Pour le cadeau, ton professeur nous a guidés dans le choix, heureusement ! Nous savons qu’il te plaira. Nous pourrons sans doute te revoir en juin, mais, d’ici là, si tu en as le temps, pourquoi ne viendrais-tu pas en Allemagne ?
Nous t’adressons aussi un pli remis à ton intention par John Gordon, celui qui a permis ta naissance, alors que nous pensions être un couple stérile. Nous t’en avons parfois parlé.
Il était biologiste à l’université d’Indiana, ce qui nous a conduits, tu le sais, à t’y inscrire lorsque tu as voulu suivre des études dans cette voie. Il aurait dû être ton parrain. Hélas, déprimé, il s’est suicidé cinq mois après ta naissance, il est temps que tu le saches.
Il insistait beaucoup, dans le pli que nous avons reçu le lendemain de sa mort, pour que cette enveloppe te parvienne intacte le jour de tes 27 ans. Bien que dévorés de curiosité, nous avons respecté sa volonté. À toi de décider de nous informer ou non de son contenu.
Nous t’embrassons.
Helen et Marc »
Jim, effrayé comme on l’est à son âge par un message d’outre-tombe, regarda l’enveloppe quelques instants et finit par l’ouvrir :
« Jim,
J’espère que c’est toi qui me lis. Tes parents t’ont sans doute expliqué qui j’étais, mais, pour toi, le plus incroyable reste à venir, car c’est à moi de t’expliquer qui tu es vraiment : Tu n’es pas Jim Share, tu n’es pas l’enfant génétique des Share, mais un clone que ta mère a porté.
Tu sais ce qu’est le clonage. Peut-être le clonage humain est-il courant maintenant. Moi, j’ai développé cette technique, un peu par hasard, dès 1990. Tu fus le premier clone humain, mon clone. Tu es moi, Jim, tu es John Gordon, biologiste de renom dans sa première vie, enfin, dans ta première vie !
Hélas, à cause de ce premier clonage réussi, j’ai dû accepter d’en réaliser treize autres, sans savoir de qui il s’agissait. Clinton, le président de l’époque, avait choisi les “donneurs”.
Dans ses motivations peu convaincantes, j’ai trop senti un piège, une absence d’éthique. Le risque qu’on m’enferme dans une spirale sans fin. Je voulais ouvrir des voies nouvelles à l’humanité et non me transformer en manufacture de clones. J’ai alors décidé d’emporter mon secret dans la tombe, en espérant que ma prochaine vie serait plus constructive. Tu connaîtras au moins certaines erreurs à ne pas commettre.
Je sais quelle doit être ta stupéfaction. J’aurais sans doute dû ne jamais te mettre au courant. Mais Clinton l’était, ce qui peut être dangereux pour toi. Un président des États-Unis est réputé transmettre les informations nécessaires à son successeur. En tant que premier clone humain, tu es à la fois un sujet d’expérimentation et potentiellement un biologiste susceptible de redécouvrir cette technique, dont mes assistants de l’époque n’ont connu que des bribes. Prends garde à toi !
Et puis, j’ai une mission à te confier. Les treize autres clones m’inquiètent. Je ne sais qui ils sont ou sont censés être, mais Clinton en faisait un tel mystère qu’il s’agit sûrement de personnes connues.
Il faut que tu t’assures qu’on ne leur confie pas des rôles qui aillent à l’encontre de mon but initial, d’autant que je ne puis me porter garant – c’est garant de quoi, d’ailleurs, un mort ? – de ce qu’ils sont devenus. Je ne sais rien sur l’intelligence, le comportement et le caractère d’un clone, tout ce qui fait la conscience humaine en somme. Mais je parie néanmoins sur de fortes ressemblances avec leurs modèles.
Pour identifier les autres clones, il faudra, ce ne sera sans doute pas facile, rechercher treize enfants nés de couples stériles à la base de Roswell en décembre 1996, dans le plus grand secret.
Tu sauras alors le nom qu’ils portent, mais pas qui ils sont réellement. L’un d’entre eux pourra peut-être t’aider, car j’ai remplacé un des prélèvements par mes propres cellules. Oui, un autre toi-même, d’un an de moins environ, est sans doute vivant. Il doit porter le nom de ses parents, Blunstein. Clinton n’en a rien su. On doit croire qu’il s’agit de quelqu’un d’autre, celui dont on m’avait fourni les cellules.
C’est un bien lourd fardeau que je t’impose, mais j’aurais été capable de le supporter, donc toi aussi. Il faut identifier ces clones. Si tu penses qu’il y a danger, alerter l’opinion publique.
Une dernière chose : ne fais surtout pas d’études de biologie, ceux qui savent qui tu es pourraient vouloir presser le citron. Une fois suffit.
Je compte sur le jeune homme que j’étais. Courage.
John Gordon »
Jim relut deux fois la lettre.
Sa vie venait de basculer en bien peu de temps ! Il regarda le microscope, les larmes aux yeux. Il le remit soigneusement dans l’emballage.
Le lendemain, il alla consulter les travaux de Gordon à la bibliothèque de l’université. Gordon n’était pas fou, c’était clair. Désormais, il comprenait mieux pourquoi il avait si souvent l’impression d’être observé ou suivi.
À la fin de la journée, il entra en communication sur Internet avec son ami d’enfance, son meilleur ami, Marc Blunstein…
Son double, pourtant aussi brun qu’il était blond.
Je connaissais le début de cette histoire depuis 2014, depuis qu’Obama m’avait demandé de créer pour treize personnes un site totalement protégé sur Internet. L’histoire avait commencé près d’un an avant la naissance de Jim Share et fut cachée au monde entier jusqu’au premier janvier 2027. Tout avait débuté à la Maison-Blanche…
21 janvier 1993, Washington
Clinton entra dans le bureau ovale, à neuf heures précises. Hier, l’investiture avait connu un immense succès ! Il était loin de bouder son plaisir.
Le programme de sa matinée l’ennuyait profondément, déjà. Son conseiller aux affaires scientifiques avait fortement insisté pour qu’il reçoive un biologiste du nom de John Gordon. Qui, pour seul titre de gloire, avait, en 1986, obtenu des crapauds à partir d’embryons de grenouilles ! Quel intérêt, à part si cela permettait de changer les Républicains en crapauds ? Les manipulations sur la nature l’effrayaient, tout autant que le recul potentiel du pouvoir politique devant les progrès d’une science omnipotente.
C’est avec réticence qu’il accueillit John Gordon. L’homme, déjà âgé, avait l’air à la fois intimidé et satisfait, l’air, supposait Clinton, de quelqu’un qui pense avoir une nouvelle fondamentale à annoncer au président, mais ne sait trop comment s’y prendre. Clinton en voyait cinq cents comme lui chaque année, comme gouverneur de l’Arkansas. Peu l’avaient intéressé.
— Bienvenue, M. Gordon. Mon conseiller scientifique m’a parlé d’une découverte importante. Je vous écoute.
Sous-entendu : je n’ai pas de temps à perdre !
— Si vous le permettez, M. le Président, il faut d’abord que je revienne quelques années en arrière.
Ça y est, les crapauds, pensa Clinton. Il montra son impatience.
— Bien sûr, mais soyez concis, je dispose de dix minutes.
Gordon rougit.
— Voilà, en 1986, mon équipe a réussi à transformer un embryon de grenouille…
— Cela, je le sais. C’est ce que vous vouliez m’annoncer ?
Arrête, pensa Clinton, il se décompose, va se transformer lui-même en crapaud. Tu n’as rien d’un prince charmant ! D’un ton radouci, il l’invita à poursuivre. Gordon perçut immédiatement le changement et reprit, plus serein :
— Ce résultat fut obtenu un peu par hasard, il faut bien l’avouer. Nous avons passé trois ans ensuite à maîtriser le processus.
— J’imagine que c’est complexe ?
— Oui, M. le Président.
— Alors, arrêtez là, je n’y comprendrai rien de toute façon. Expliquez-moi plutôt pourquoi cette découverte justifie que vous en parliez au président, au lieu d’en informer la communauté scientifique ?
— Je voulais en arriver là, M. le Président. Le véritable problème est que nous avons identifié, à partir de l’ADN, le code génétique de l’homme et réussi à cloner des cellules humaines. Nous avons publié ces travaux en disant que les résultats étaient monstrueux. En fait ils ne l’étaient pas, et nous sommes désormais en mesure de cloner un être humain. Notre découverte va aussi plus loin, puisque, à partir des bactéries produisant des protéines, nous pouvons développer des cellules à noyau.
Clinton débrancha les micros d’enregistrement automatique installés dans le bureau ovale et demanda :
— En clair ?
— À partir de cellules d’un être vivant ou de son ADN, s’il est mort, nous pouvons reproduire cet être à l’identique.
Clinton le regarda sans mot dire.
— Oui, nous pouvons reproduire les vivants, mais aussi les morts à condition de pouvoir accéder à leurs dépouilles.
Clinton resta un moment silencieux. Il prit ensuite son téléphone et prévint son secrétaire qu’on ne le dérange sous aucun prétexte.
— Vous voulez bien dire qu’avec un morceau de ma peau, vous pouvez me reproduire ?
— Oui, en modifiant un embryon, c’est-à-dire que votre double ne naîtrait que dans quelques mois.
— Et pour les morts ?
— Il faut pouvoir prélever de l’ADN, sur les cheveux ou les dents, par exemple. Ensuite le processus est le même. Le problème qui nous reste est de savoir si le comportement et le caractère sont identiques. Je ne le pense pas, car l’environnement intervient trop sur ces paramètres. Mais les qualités de base de la personne, physiques ou intellectuelles, demeurent, à mon avis.
— Avez-vous procédé à une expérience réelle ?
— C’est la raison de ma visite. Compte tenu d’évidents problèmes d’éthique, je voulais votre autorisation pour tenter de fabriquer un clone humain.
— À partir de quel modèle ?
— Moi-même, M. le Président. Mon épouse est morte il y a 11 ans, nous n’avions pas d’enfant. Je peux tenter l’expérience sans les conséquences qu’on peut imaginer au niveau familial, n’ayant plus ni parents ni descendance. Cela me pose cependant des problèmes moraux, la peur de jouer à Dr Jekyll et M. Hyde. J’ai préféré m’en remettre à vous. Les conséquences sur la société sont trop importantes, vous l’avez tout de suite perçu, pour qu’un simple chercheur en décide.
— Cela demande effectivement réflexion. Vous êtes sûr de vous ?
— Tout à fait sûr.
— Très bien, je voudrais y réfléchir. Voulez-vous, je vous prie, patienter quelques instants dans le bureau voisin ?
John Gordon sortit.
Resté seul, Clinton se demanda pourquoi, en ce 21 janvier 1993, on lui demandait d’être Dieu par procuration, alors qu’il était si satisfait de lui, peu auparavant.
Il avait immédiatement vu le danger : La perpétuation à l’identique d’êtres dominants qui imposeraient, génération après génération, leur modèle, leurs travers, leurs erreurs à l’humanité. Tous les pouvoirs héréditaires s’étaient éteints, un jour ou l’autre, parce qu’un taré en avait fait un usage absurde, plus que par l’usure du temps. Qu’en serait-il si le gouvernant restait le même ?
Mais quelle tentation ! Et ce savant qui allait faire l’essai sur lui-même ! Quel impact cela aurait-il ? Un brillant biologiste succéderait à un brillant biologiste. Toutefois l’expérience, aussi imparfaite soit-elle, était intéressante.
Il prit, comme il en avait l’habitude, la décision d’attendre. Il allait laisser se dérouler l’expérience, pour savoir si cela marchait, mais la placer sous le secret le plus absolu, car il était maintenant impliqué. Que n’entendrait-il pas sur l’éthique si cela se savait ? Des millions d’Américains défilaient contre la pollution. Combien pourraient-ils être contre le clonage ?
Mais il vieillissait.
Il fit revenir John Gordon.
— M. Gordon, où menez-vous vos recherches ?
— Dans un laboratoire de l’université d’Indiana, M. le Président.
— J’autorise cette expérience et la poursuite de vos travaux, à condition que le secret soit désormais total. Je vais vous faire placer dans une base militaire spécialisée dans des travaux de cette nature, à Roswell, où vous disposerez d’un laboratoire et de logements pour vous et votre équipe. Vous aurez aussi les crédits nécessaires jusqu’en 2027 pour ce projet.
— Je serai mort, M. le Président.
— Oui, sûrement, mais votre clone n’aura alors que trente et un ans, sans compter les suivants éventuels. Comprenez bien que seule la crainte de l’opinion publique ou de savants à qui cela donnerait des idées, rendant le clonage incontrôlable, m’oblige à vous imposer ce secret. Je comprends qu’il puisse être frustrant pour un scientifique comme vous de ne pouvoir communiquer sa découverte, mais la vôtre s’approche trop du divin. Elle pose trop de problèmes sociaux et familiaux pour qu’on la livre au public sans prendre de recul, sans apprécier l’évolution de votre clone sur la durée.
Les motivations de Clinton étaient beaucoup moins nobles. Aussi fut-il soulagé d’entendre la réponse de Gordon.
— Je comprends parfaitement, M. le Président, je n’en espérais pas tant, à vrai dire. Je pensais, en sortant d’ici, ne plus avoir le droit de poursuivre ces recherches. J’accepte toutes vos conditions et je vous remercie.
— Très bien, je vous demande de vous assurer qu’il en est de même des membres de votre équipe. Je reprendrai contact avec vous dans quelques jours. Ne parlez à personne de cet entretien.
Clinton se leva, signifiant la fin du rendez-vous. Il ajouta à l’adresse de Gordon, avant qu’il franchisse la porte :
— Sachez aussi que je pourrais être amené à vous faire, dans les prochains mois, une demande surprenante, dans l’intérêt supérieur de l’État. Je vous en indiquerai les modalités pratiques, mais pas le but final. Puis-je compter sur vous ?
Ce fut un choc pour Gordon, qui venait de comprendre qu’on allait détourner le but initial de sa découverte. Il se sentit pris au piège, un frisson le parcourut. Réaction primale sans doute. Il était venu en démiurge. Clinton le faisait repartir en serviteur. Il sut alors qu’il ne serait ni Jekyll ni Hyde…, il serait Faust, ayant vendu son clone diable. Mais il était trop tard pour reculer.
— Oui, vous pouvez compter sur moi.
Et il sortit, pensant qu’il risquait de partager le même genre de célébrité, dans le futur, que les inventeurs de la bombe atomique. Toi aussi, tu vas fabriquer ton « Little Boy », pensa-t-il. Mais cela peut détruire bien plus qu’Hiroshima !
Déjà, Clinton décrochait son téléphone et appelait son Conseiller aux affaires scientifiques :
— Pourquoi m’avez-vous envoyé ce doux rêveur ? Je vous prie de couper désormais tout contact avec lui. Je n’aime pas perdre mon temps.
— Très bien, M. le Président, je suis désolé.
— N’en parlons plus.
Il raccrocha et appela le général commandant la base de Roswell, où l’US Air Force menait des expériences biologiques en secret depuis 1946.
26 janvier 1996, Washington
Étant soi-disant parti se reposer, Clinton atterrit à Roswell en fin de matinée.
Un jeune couple, lui avait dit Gordon, était en train de fantasmer sur le bonheur indicible d’attendre un enfant qu’il avait pensé ne jamais avoir.
Un clone de Gordon, mais eux croyaient en une fécondation in vitro à partir d’un donneur anonyme. C’est d’ailleurs sous le prétexte de cette expérience que le mari, militaire, avait été affecté à Roswell.
Clinton voulait s’assurer sur place des chances réelles du programme et, surtout, persuader Gordon. Son plan initial avait été de se faire cloner seul, afin que la postérité puisse manifester son assentiment à son bilan de président.
Toutefois, la crainte qu’à l’époque où son clone serait adulte, un président républicain ou n’importe quel autre événement fasse passer son retour au second plan l’avait incité à ne pas revenir seul. Il avait alors eu l’idée de réapparaître au milieu des grands leaders du XXème siècle, clone parmi des clones qui formeraient un Conseil de sages. Il fallait qu’en 2020, ces leaders fussent adultes, d’où la nécessité de persuader Gordon au plus vite.
Après les civilités habituelles envers les gradés de la base, Clinton fut enfin en tête à tête avec lui.
— Vous souvenez-vous de la fin de notre entretien ?
— Oui, M. Clinton.
Clinton encaissa la perte de son statut de président, aux yeux de Gordon, mais n’en laissa rien paraître.
Gordon, pour sa part, sut que l’heure était venue, qu’il attendait depuis trois ans.
— Votre expérience se passe-t-elle bien ?
— Oui, mais j’ai honte de penser que le bébé qu’attend ce couple, c’est moi. Quelle déception pour eux s’ils savaient ! Le mystère de la procréation, c’est que des dizaines de millions de fois chaque année, un être unique apparaît. Et eux fabriquent une copie !
— Laissez de côté vos problèmes existentiels, Gordon. D’abord, ils n’en sauront rien. Après tout, vous deviez faire un bébé très présentable. De toute manière, c’est votre œuvre. Il est un peu tard pour la renier.
— Sans doute, mais je veux arrêter là.
— Non. Vous avez promis de suivre mes instructions, à mes conditions. Si vous voulez que ce couple ne sache jamais rien, il faut continuer. Voici ce que vous allez faire : des agents viendront de ma part vous apporter treize prélèvements. Treize couples stériles désireux d’avoir un enfant seront embauchés ou mutés à Roswell. Vous pratiquerez la fécondation, votre mission sera terminée.
— De qui proviendront les treize prélèvements ?
— Je vous ai parlé de l’intérêt supérieur de l’État.
Il le voyait sceptique !
— Je ne suis pas fou, Gordon ! Je suis président de ce pays. Je n’ai pas à justifier mes choix auprès de vous. Seuls mes successeurs seront mis au courant. Êtes-vous d’accord ?
— Oui, mais Dieu nous protège !
Clinton reparti, Gordon alla rendre visite au couple Share, pour s’assurer, soi-disant, que tout allait bien. Il avait amené un bon merlot et dîna avec eux. Ils étaient heureux d’attendre son clone, pensa-t-il. Cela le rasséréna quelque peu. Après tout, ils élèveraient cet enfant sans jamais connaître la vérité. Ils seraient sûrement fiers de lui. Il avait été un élève brillant et appliqué, vivant en parfaite harmonie avec ses parents. Mais les treize autres l’inquiétaient…
27 janvier 1996, Washington
Clinton devait aller vite. Aussi, dès le lendemain, annula-t-il ses rendez-vous afin de travailler sur le choix des douze clones qui l’accompagneraient.
Pourquoi avait-il lancé ce chiffre ? Sans doute une référence biblique inconsciente. Clinton et ses douze apôtres ! Il fallait que les hommes qu’il choisirait aient marqué le vingtième siècle dans le monde entier… et qu’il soit sûr de conserver son leadership sur le groupe, à partir de sa position initiale de créateur.
Les États-Unis d’abord. Il lui fallait deux clones, en dehors de lui, afin qu’ils se neutralisent et partagent l’électorat.
L’Europe posait un problème plus épineux, avec la multitude de nations qui la composent. Les seuls hommes politiques déifiés par les peuples avaient finalement été ceux en fonction durant la Deuxième Guerre mondiale ou juste après. Mais il lui fallait diviser l’Europe qu’il ne voulait pas unie au sein du Conseil. Trop dangereux.
La Russie. En y réfléchissant, il se rendit compte que la Russie produisait des clones depuis longtemps. Il ne voulait pas courir le risque que son Conseil des sages prône la révolution permanente.
Deux clones, c’était peu pour l’Asie, mais le continent n’avait pas fourni beaucoup d’hommes emblématiques. Le problème était encore plus délicat pour l’Afrique et l’Amérique du Sud. Le tiers du continent noir était musulman, il lui fallait un islamiste pragmatique plutôt que dogmatique.
L’Afrique noire poursuivait sa décomposition, sans qu’un leader acceptable pour les populations soit apparu. Le principal but de ses gouvernants semblait être de recycler l’aide internationale et les pots-de-vin vers des comptes en Suisse, conscients du caractère très précaire de leur pouvoir.
En Amérique du Sud, il avait le choix entre des dictateurs pourris et des révolutionnaires, ce qui souvent revenait au même à la finale.
Décidément, une sélection n’allait pas se révéler facile. Pourtant, à quatre heures du matin, quand Clinton relut sa liste, il fut très satisfait de lui-même, comme à son habitude. Son rôle initial lui permettrait sans difficulté de dominer ce groupe, l’influence de son seul rival potentiel étant bien contrebalancée. Oui, la position de son clone serait enviable !
Il avait de plus en plus de mal, maintenant qu’il savait à terme son destin scellé, à se distancier de ce clone. Son clone aurait-il en mémoire ce qu’avait déjà accompli son modèle à la date du prélèvement ? Cela lui permettrait, quelque part, de vivre une seconde vie, voire d’aspirer à l’éternité. Non, lui avait dit Gordon. C’était à la fois frustrant, mais également rassurant pour son image future, car moralement plus désintéressé. Presque acceptable.
Comme souvent chez les grands de ce monde, les qualités qui l’avaient porté au sommet brouillaient en même temps son jugement en liquéfiant vis-à-vis de lui-même l’intelligence qu’il appliquait envers les autres. Ainsi était-il de plus en plus persuadé que s’il avait dû attendre 1993 pour être élu, c’était le signe d’une volonté divine. Le clonage devenait alors une juste compensation.
Restait à trouver les cellules ou l’ADN qui serviraient à fabriquer sa sélection. Mais il ne s’inquiétait pas outre mesure, se sachant toujours meilleur dans l’action que pour évaluer les conséquences à long terme de ses actes.
7 février 1996, Washington
Pour Clinton, le plus dur avait été de se débarrasser de son conseiller scientifique, qui aurait pu faire des rapprochements dangereux. Il avait mis quelques jours à trouver le parfait imbécile dont il avait besoin.
Son choix s’était porté sur un biologiste de seconde zone, à qui il avait expliqué son projet de préservation de restes de grands hommes pour les générations futures, si les progrès de la science faisaient que… Un reliquaire des personnages illustres, une sorte de conservatoire du patrimoine génétique.
Tim Banks, c’était son nom, avait été fasciné par l’idée. Ne risquant pas de découvrir quoi que ce soit par lui-même, il se mit totalement aux ordres de Clinton, étant trop heureux de cette promotion inespérée. Il disposait d’un ordre de mission auprès de la CIA, dont le directeur était responsable de l’accomplissement du projet de prélèvement d’ici la fin de l’année.
La recherche commença. Pour les vivants, on soudoierait l’une de leurs nombreuses maîtresses, qui fournirait du sperme.
Pour les autres, Clinton indiqua qu’il souhaitait que soit recueilli un morceau de moelle épinière, de préférence, à défaut des os, voire des cheveux.
Parallèlement, Clinton mettait en place un fonds, alimenté par son budget personnel de président, dont les revenus devraient suffire à financer l’opération jusqu’en 2027, bien qu’a priori les familles seraient choisies pour être en mesure de subvenir aux besoins des clones.
Le conseiller scientifique fut également chargé de trouver treize couples stériles dont les critères raciaux correspondraient à ceux des clones et dont les maris soient militaires, puis de les affecter à Roswell.
Tim Banks parvint à s’acquitter de ces tâches très rapidement, moins incapable que Clinton l’avait pensé. La CIA fit le reste.
Ceux qui étaient enterrés ne posèrent pas de problème, les opérations nocturnes se déroulèrent sans incident. Les morts sont moins bien gardés que les vivants. La CIA savait parfaitement où se trouvaient des lieux de sépulture soi-disant inconnus.
25 février 1996, Roswell
Quand ils disposèrent de tous les prélèvements, Gordon et son équipe se mirent à travailler d’arrache-pied. Tout se passa bien, sauf dans un cas, car les cheveux, trop anciens et brûlés, ne renfermaient plus que des traces infimes d’ADN.
Mis au courant, Clinton lui enjoint d’aboutir rapidement.
Le clone de Gordon était né le 14 janvier 1996, parfaitement normal. Les époux Share lui avaient demandé d’être parrain. Parrain de lui-même, finalement.
Les futurs treize autres seraient des personnages importants, il le pressentait. Ce serait la meilleure garantie pour la vie de son clone, celui à qui il avait donné le surnom de little boy, adopté par les Share.
Il prit la décision qui s’imposait pour ne pas retarder le programme. Il ne serait pas à l’origine d’un, mais de deux clones. Clinton était trop occupé pour avoir une chance de s’en apercevoir, sauf s’il s’agissait sur sa liste d’une femme à l’origine. Mais il pressentait que ce n’était pas le cas. Et puis, quelle importance ? Gordon, sans le savoir, venait d’éviter le clonage d’Hitler.
On procéda à la fécondation, le 14 mars 1996, de treize épouses de militaires, à Roswell. Il s’agissait, pour le personnel de la base, de consolider et vérifier le succès de la méthode de fécondation in vitro, testée pour le fils Share. Personne ne s’étonna.
Gordon prit ensuite des vacances en Amérique du Sud, pour éliminer le stress né de ces expériences. Mais le mal était fait. Deux mois plus tard, le 19 juin, quand il fut sûr que les embryons tenaient, John Gordon se suicida, trois jours avant le baptême de son « filleul ». On fit procéder à une enquête approfondie qui conclut à un état dépressif.
9 août 1996, Washington
Le programme suivait son cours sans problème, hormis le décès subit de Tim Banks dans un accident qui s’était parfaitement déroulé.
Clinton avait laissé pour ses successeurs un compte-rendu complet du programme, car c’était la seule chance qu’il se poursuive selon ses vœux jusqu’en 2027. À son avis, le sujet étant trop polémique, aucun d’entre eux ne s’aventurerait à le porter sur la place publique d’ici là. À ce moment, tout dépendrait des circonstances et de l’intérêt que son lointain successeur y trouverait, mais il lui serait loisible, de toute manière, de s’exonérer de toute responsabilité face à l’opinion publique, s’il le désirait.
Il écrivit une lettre, qui se transmettrait de président en président :
« Monsieur,
Vous avez reçu des mains de votre prédécesseur un compte-rendu du programme de clonage que j’ai engagé en 1995.
Celui qui possédait la capacité de réussir cette expérience s’est suicidé. Elle est peut-être encore, au jour où vous me lisez, impossible sans lui. Je vous précise qu’il s’est cloné et doit vivre à Roswell, ignorant tout, sous le nom de Jim Share.
Quant à moi, si j’ai choisi d’être cloné, ce n’est point par orgueil, mais dans l’unique désir d’être l’un des acteurs de ce Conseil des sages, seul susceptible d’asseoir définitivement et sans violence la prééminence du modèle américain sur la planète.
Des grands hommes du monde entier, élevés chez nous, auront fatalement un impact essentiel dans l’esprit de leurs concitoyens. Ils seront ainsi nos meilleurs ambassadeurs.
Je crois sincèrement que ce Conseil œuvrera pour un monde de croissance et de paix, un monde où les hommes cesseront, par intérêt, idéologie ou passion de vouloir prendre le pas sur ceux d’autres nations, d’autres races, ou d’autres religions. C’est pourquoi je vous suggère un premier janvier pour l’annonce de leur existence, afin de frapper encore davantage les esprits. Je pense que vous ne pouvez, qui que vous soyez, que partager cet objectif.
Je demande qu’à vingt-cinq ans les treize clones soient avertis individuellement de leur nature, mais pas du nom de leur original. Ils pourront ainsi se parfaire afin qu’à trente, ils soient en mesure d’exercer leur rôle, sans avoir été déformés par leur véritable identité. Vous trouverez ci-joint, pour chacun d’eux, les raisons de mon choix et mes desiderata sur leur existence durant cette période. Quant aux modalités de l’annonce, je les confie au président alors en exercice, en fonction des circonstances et du progrès technique.
Si une Nation dans l’histoire de l’humanité est en mesure d’apporter la paix au monde, c’est la nôtre. Mon programme parviendra à atteindre ce but. “In pluribus unum” demeure notre première devise.
Mes vœux vous accompagnent. Je vous souhaite le même succès dans vos fonctions que celui que j’ai eu.
Bill Clinton »
Sa demande avait été respectée jusque-là. Douze garçons et une fille étaient nés à Roswell, ce qui avait permis de sortir des statistiques totalement fausses sur la probabilité d’avoir des filles par la fécondation in vitro.
15 janvier 2019, Gatestown
J’écris cette histoire à mesure que les événements me reviennent.
Noël 2018 est pourtant une date importante, que j’ai omise dans mon récit. Il faut dire que je suis tout, sauf écrivain. Moi, je proposais des fenêtres au monde, moi dont le nom évoque plutôt des portes. Quoi de plus beau qu’une fenêtre ? La seule chose qui permet d’être en contact avec l’extérieur et d’en rester protégé.
Le 24 décembre, Trump s’était rendu à Roswell, conformément aux instructions reçues,
pour y passer son deuxième réveillon de président. L’effet immédiat fut de raviver les rumeurs sur la présence d’extraterrestres à cet endroit, rumeurs qui s’avéraient finalement assez proches de la réalité, pour une fois.
Noël 2020, Roswell
Le lendemain d’un réveillon solennel et empesé, mais c’était le lot commun d’un président, Trump demanda à s’entretenir avec les quatorze enfants nés de la première expérience de fécondation in vitro, dont on lui avait parlé.
On lui expliqua, comme il s’y attendait, qu’ils n’étaient plus que treize, la famille Share ayant été mutée en Allemagne. Sur son ordre, mais ils n’en savaient rien.
Dès que les clones furent mis en sa présence, Trump leur demanda de se présenter.
Il y avait huit blancs, un noir, un asiatique, un Arabe, un latino-américain et une hindoue.
Il prit des notes attentives. Il put ainsi mettre un nom sur chaque visage. Seul, j’aurais eu des difficultés à identifier ceux de race blanche, pensa-t-il. Il faut dire que les hommes célèbres entrent dans nos mémoires une fois parvenus à un âge certain. Les reconnaître à 24 ans constitue une gageure. Mais quelle étonnante expérience, quelle tentation de tout leur révéler !
Il avait pourtant décidé d’en dire encore moins que ce que Clinton avait prévu à cette échéance, en leur cachant qu’ils étaient des clones.
— Mes enfants, même en ce jour de Noël, cette rencontre a sans doute de quoi vous étonner. Vous savez que vous êtes les premiers enfants au monde nés de fécondation intramoléculaire et non pas in vitro. Sans connaître les conséquences possibles sur votre développement, nous avons gardé secrète cette expérience. Mais vous ne détenez qu’une partie de la vérité.
Le président de l’époque, Clinton, poursuivait un but bien précis. En fait, vos parents ne sont absolument pas vos ascendants génétiques. Ceux-ci proviennent tous d’une nation importante. Vous allez vous voir confier une mission capitale : votre existence sera rendue publique le premier janvier 2028. Vous conseillerez à partir de ce moment le président des États-Unis. Vos avis et déclarations seront diffusés partout dans le monde. Vous disposerez tous d’une totale indépendance et du droit de critiquer, au besoin, son action.
Il marqua une pause, mais, aucun d’entre eux ne réagissant, il reprit :
— Qui n’a jamais rêvé, à trente-deux ans, de refaire le monde ? C’est une opportunité extraordinaire qui vous est offerte. Il ne s’agit cependant pas de tout changer, mais de corriger ce qui ne va pas. Il faut que vous appreniez encore beaucoup.
Vous allez être séparés. Trois d’entre vous, originaires des States, iront dans des universités américaines à la rentrée prochaine. Les autres seront admis dans des universités de leur nation d’origine. Ils y apprendront la langue, l’histoire, les coutumes et se formeront un jugement sur la situation présente.
Tous les ans, à cette époque, vous reviendrez aux États-Unis. Mes successeurs évoqueront alors avec vous les problèmes du monde, pour vous préparer à votre fonction future.
C’est un destin exceptionnel qui vous attend !
Vous gardez pourtant votre liberté de choix, si vous aspirez à une vie différente, à condition, bien entendu, de garder le secret le plus absolu sur tout ceci.
Il indiqua alors à chacun sa destination prochaine.
Le silence qui s’ensuivit lui parut long ! Bien sûr, tous avaient conscience, depuis qu’ils étaient en âge de percevoir ces différences, que leur vie n’était pas celle du commun des mortels. Expression parfaitement appropriée dans leur cas.
Élevés, mais aussi confinés, à quatorze, puis à treize, ils savaient que leurs parents étaient les seuls militaires de Roswell affectés là depuis aussi longtemps. Le fils Share était parti un matin, sans même leur dire au revoir. Pour l’Allemagne, avaient-ils appris par la suite.
Et cette absence de contacts extérieurs ? Aucun n’était jamais allé chez ses grands-parents, c’étaient eux qui venaient. Et ces vacances, tous les ans, au bord de l’eau, certes, mais sur une base américaine du Pacifique ?
Puis, soudain, l’explication, ce père Noël qui apportait dans sa hotte une responsabilité trop lourde pour leur âge, mais aussi un éclatement programmé de leur groupe, dans quelques mois.
— Et nos parents, comment allons-nous leur expliquer ce départ ? Pourquoi ne pas les envoyer où nous irons ?
— Nous avons écarté cette idée, après l’avoir analysée. Vous avez vingt-quatre ans et une mission fondamentale à remplir dans huit ans. Il faut que vous voliez dorénavant de vos propres ailes, que vous formiez votre propre jugement sur tout.
— Ils ne sauront rien ?
— Rien. Pour eux, le gouvernement américain, tenant compte des conditions de votre naissance, vous aura accordé une bourse d’études. Il est impératif qu’ils ne sachent rien.
— Y a-t-il d’autres contraintes ?
— Oui, étudier et c’est tout. Ne pas agir, ne pas intervenir dans des mouvements étudiants, syndicaux ou autres. Rester de simples observateurs, car, sinon, cela affecterait votre influence future. Dès que quelqu’un devient important, sa jeunesse est aussitôt décortiquée, pour trouver le défaut de la cuirasse.
— Et entre nous ? Pourrons-nous conserver des contacts ?
— Ce serait souhaitable.
— Et si nous refusons ?
Trump se crispa. Ils comprirent qu’il valait mieux adhérer au programme.
26 janvier 2021, Washington
Biden venait de vivre des journées éprouvantes. L’investiture d’un président des États-Unis n’a rien d’une sinécure, surtout quand on est considéré avoir été loin des affaires par les hommes en place. Heureusement, la constitution américaine est bien faite, laissant un grand laps de temps entre l’élection et la prise de fonctions.
Il s’était préparé, avec Norman Mayer, son conseiller particulier, un noir très diplômé, sur tous les sujets importants ou sensibles, ce qui n’était pas la même chose.
Il avait ainsi, par la suite, pu savourer certains moments durant lesquels il avait mis ses interlocuteurs en défaut sur des questions techniques. Il lui fallait marquer son territoire, bien qu’il soit illimité.
Six jours après son investiture, les problèmes urgents avaient été pris en charge, sinon réglés et les secrétaires d’État étaient en place.
Il lui revenait de consulter des piles de dossiers classés « secret défense ». Il le faisait distraitement, son exaltation du départ déjà éteinte. La plupart du temps, ce qui avait pu apparaître très important, quelques mois auparavant, se révélait maintenant totalement négligeable.
Par exemple ce rapport sur un groupe islamiste qui voulait poser des bombes dans New York. Il datait de huit semaines. Rien ne s’était produit. Depuis les attentats du 11 septembre, pour se dédouaner, n’importe quoi constituait une alerte grave. Il lui faudrait faire le tri.
Il serait, sinon, rapidement débordé par l’accessoire, en oubliant l’essentiel. Mais pour l’instant, il ne savait pas trop ce qui constituait l’essentiel à ses yeux : Que voulait-il, lui, Joe Biden, Président des États-Unis ?
Ce fut un peu par hasard, mais sa curiosité éveillée, car celui-là avait vraiment traversé le temps, qu’il ouvrit le dossier intitulé « Programme Clinton ».
Il le parcourut, avec une incrédulité grandissante, puis en refit une lecture plus attentive. Quinze minutes plus tard, il appelait Norman Mayer.
— Lisez ceci, Norman, c’est énorme. Si c’est moi qui vous le raconte, vous me rirez au nez.
Norman prit son temps. Il lisait toujours doucement, mais une seule fois. Il reposa enfin le dossier.
— Une bombe à retardement, monsieur. Dangereuse pour les États-Unis, dangereuse pour le président.
— Les arguments ?
— En 2028, trente-deux ans de secret sur la découverte, sur le choix des clones. L’opinion mondiale va se déchaîner.
— Je viens d’entrer en fonction, cela peut se rattraper. Quoi d’autre ?
— Là n’est pas le problème. Le monde est en crise permanente, sinon CNN aurait déposé le bilan ! Les gouvernements, même les plus dictatoriaux, ne disposent plus d’une assise solide. Dans les démocraties, les majorités changent presque à chaque élection. Et nous, qu’on accuse de vouloir régenter le monde depuis la disparition du bloc soviétique, nous allons fragiliser un peu plus les gouvernants en proposant nos clones à la planète ?
« Champions made in USA », vous les avez à disposition, peuples du monde, à la place de vos dirigeants médiocres ! Cela passera difficilement ! Vous allez vous isoler.
— C’est en 2028, Norman ! D’ici là, tout est question de préparation de l’opinion, de présentation des choses, afin qu’ils apparaissent comme une simple conséquence inéluctable des progrès de la science. Je m’élèverai contre le clonage humain, mais ils seront là ! Faudrait-il les tuer ?
Et puis, ce ne seront que des experts. Comme ces experts économiques dont on écoute poliment les avis, en s’asseyant dessus. Eux seront des experts politiques. Si le peuple de leur pays d’origine les appelle au pouvoir, nous n’y serons pour rien.
— Les gouvernements en place verront le piège.
— Ils n’y pourront rien, Norman. Récuser les clones a priori serait un aveu de faiblesse. Ensuite, ils seront là par la vox populi, qui n’est pas, que je sache, celle des États-Unis.
— Et vous-même, ne risquez-vous pas de subir leur arrivée ?
— En janvier 2028, dans le meilleur des cas selon ma santé, j’aurai encore un an de mandat, puis plus rien. Alors, pourquoi pas ce Conseil des sages, que j’intégrerai peut-être ensuite ?
— Et Clinton ? Le rôle de leader lui reviendra très naturellement. Ou tout au moins, c’est ce qu’il a prévu, c’est manifeste !
— Oui. S’il devient gênant, il faudra vous en charger. Ce ne sont que des clones, à qui cette deuxième vie offerte ne saurait être qu’utilitaire. Ils veulent rester en contact. C’est parfait. Donnez-leur-en les moyens, mais je veux tout connaître de leurs échanges. Nous saurons ainsi s’ils restent tous utiles.
Terme horrible ! Norman Mayer sortit. Il en savait plus qu’en entrant. Biden était, sous une apparence sympathique, un grand prédateur. Il n’irait pas cultiver son jardin en janvier 2029, terme ultime de son mandat.
Norman avait-il cependant une intuition suffisamment aiguë pour comprendre la partie qu’il engageait en présentant, deux jours plus tard, un homme à lunettes, d’aspect encore juvénile mais dont les yeux pétillaient d’intelligence, au président ?
Ce fut ma première rencontre avec le président des États-Unis. Il paraissait simple, direct et aimable. Je m’en méfiais aussitôt, car ces qualités ne vous portent pas vers cette fonction.
Notre conversation reste gravée mot pour mot dans ma mémoire.
— Bonjour, je suis honoré de vous recevoir. J’ai enfin la chance, en tant que président des États-Unis, de concurrencer votre notoriété.
Aïe ! Cela commençait mal : vous êtes connu, mais je suis le président. Je peux vous casser, en langage décrypté. Il fallait répondre comme un parfait imbécile.
— C’est l’informatique qui a acquis cette notoriété. J’en ai seulement profité.
Je sus, par la question suivante, que c’était gagné. À ses yeux, j’étais idiot.
— Pouvez-vous me rendre, rendre au pays, un grand service ?
— Je suis à votre entière disposition.
C’est alors qu’il m’expliqua une histoire oiseuse, où il voulait surveiller treize jeunes qui allaient poursuivre leurs études à l’étranger, pour pouvoir l’éclairer dans ses décisions de politique extérieure.
— C’est techniquement réalisable, M. le Président. Je vais, si vous le voulez bien, régler les modalités pratiques, dans les prochains jours, avec M. Mayer.
Quand nous sortîmes, Norman et moi, je compris toute sa finesse, car, contrairement à Biden, il avait perçu mes doutes.
— Le président ne vous a pas tout dit, vous l’avez senti. Cela vaut mieux. C’est une affaire terrible, dont je crois nécessaire de le protéger, à son insu bien entendu. Pouvez-vous m’assurer de la totale fiabilité de votre système ?
Il était décidément très fin, mais également tortueux. Pour qui jouait-il cette partie ?
— Tous les échanges transiteront évidemment par Internet. Ils seront cryptés. Le code changera automatiquement chaque jour. C’est totalement impossible à pirater, sauf pour ceux qui conçoivent le système. Seul l’appareil de la Maison-Blanche sera automatiquement destinataire de toutes les communications.
— Faudra-t-il quelqu’un en permanence ?
— Non, enregistrement automatique.
— Très bien, cela me convient, faites-le.
Et je le fis. Mais je n’aimais pas, sûrement par orgueil, qu’on fasse appel à moi en me racontant n’importe quoi. La Maison-Blanche ne fut donc pas seule à avoir connaissance des communications. Moi aussi, je saurais.
Voilà les éléments les plus marquants que j’ai pu reconstituer de cette histoire avant d’en devenir, involontairement, puis volontairement, un acteur. C’est là que ma vie dérapa, en fait, mais je n’en savais rien à l’époque.
Bush père et fils et Clinton ne s’étaient intéressés que modérément à l’expérience, même si ce dernier avait tenté sa chance. L’expérience ne devait être connue qu’après leur départ, ce qui n’est pas de nature à passionner un homme politique.
10 avril 2021, Washington
— Où en est le programme, Norman ?
Président des États-Unis depuis trois mois seulement, on voyait que la seule chose qui occupait vraiment son esprit était ce qu’il appelait LE programme. Même plus besoin de préciser « Clinton », Norman Mayer savait ce dont il s’agissait. Il ne pensait même plus au golf ! Ce n’était pas plus mal pensaient les bunkers.
— Pas de problèmes particuliers, c’est bientôt la fin de leur année scolaire, les points de chute sont prêts.
— Et l’autre ?
L’autre, c’était Jim Share, le clone de Gordon. Norman aurait voulu l’intégrer dans le secret, ou tout au moins l’informer de la partie de vérité connue des autres clones, pour s’assurer de son silence, d’autant que Marc Blunstein devait aller étudier en Allemagne. Mais Biden pensait qu’ils étaient déjà suffisamment nombreux à être dans la confidence.
Et Jim Share ne pouvait le servir. Il n’était pas le clone d’un homme célèbre !
— Il a une bourse en Indiana, il étudie la biologie.
— Pas de risque qu’il soit reconnu par quelqu’un de l’époque de Gordon ?
— Il y a trop longtemps, nous nous en sommes assurés.
— Et pour les autres ?
— Les Américains vont à Yale, Columbia et Syracuse, comme vous. L’Anglais à Oxford, le Français à L’Institut d’Études Politiques à Paris, Blunstein à Berlin, l’Italien à Rome.
— Arrêtez, Norman, je peux trouver moi-même, le Russe va à Moscou, le Chinois à Pékin, l’hindoue à Calcutta et l’Arabe à la Mecque.
— Non, l’hindoue est à Bangalore, l’Arabe au Caire, répondit Norman, visiblement irrité.
— Le noir et le barbu ?
Toujours ces questions délicatement posées, surtout à un noir ! Cela énervait de plus en plus Norman. Il entrait trop vite dans son habit de maître du monde, à qui tous devaient une totale allégeance, n’étant déjà plus celui par qui Norman avait été séduit.
— Ce fut plus complexe. Pour faire des études poussées à l’heure actuelle sur le continent noir, il n’y a que l’Afrique du Sud. Cependant, la position de mes frères de couleur, dit-il, non sans aigreur, n’y est pas encore vraiment satisfaisante dans les universités huppées. Nous compenserons par beaucoup d’argent de poche.
Cependant, sa vision de l’Afrique risque d’en être faussée.
— Le Cap, ce n’est pas Brazzaville ! C’est peu représentatif de la réalité africaine.
— Aucune importance. Représentatif est un mot idiot. On est toujours représentatif de soi-même, de rien d’autre.
En clair, rien à faire du noir, pensa Norman.
— Pour le Sud-Américain, il va à Buenos Aires, l’Argentine étant à mon avis la plus… représentative des nations du continent, car la plus proche de nos conceptions. Il aurait été risqué de lui montrer d’autres régimes politiques de près.
— Il faudra pourtant des contradicteurs dans ce Conseil, des esprits libres.
— Je me suis penché sur la vie de leurs modèles, vous en aurez peut-être trop, savez-vous ?
— S’il y en a trop, nous en réduirons le nombre. Au fait, où en est leur surveillance ?
— Elle débutera dès qu’ils seront séparés. Nous saurons alors tout de leurs communications par Internet.
— Le système est-il totalement sûr ?
— Oui, j’ai fait vérifier le dossier technique et la méthode de cryptage par nos services spécialisés du Pentagone. Ils n’ont pu la craquer.
— Pourquoi ne pas les avoir chargés directement du projet ?
— Ils seraient restés à l’écoute. Les présidents passent, les services de renseignements demeurent. Quant à la CIA, elle a été impliquée pour les prélèvements, on ne pouvait courir le risque qu’ils recoupent les faits.
— D’accord, y a-t-il autre chose ?
— Je me demande s’il ne faudrait pas leur dire qu’ils sont des clones. Trump a eu tort, à mon avis.
— Il vous manquera toujours la finesse politique qui fait les présidents, Norman. Ils auraient évidemment cherché sans cesse leur identité, puis évolué, Dieu sait comment, en fonction de celle-ci. Trump a eu raison.
— Oui, bien sûr, le point de vue se défend.
Norman sortit, plein de haine. Il l’avait toujours aidé, il avait contribué à son ascension. Peut-être même qu’il l’avait fait ! Et il subissait maintenant des cours de stratégie politique !
Décidément, ce programme ne lui plaisait pas ! Trop brillant, trop parfait, mais n’accordant aux noirs, tout comme Biden, qu’un strapontin.
Je mis en place le site Web protégé en septembre 2021. J’aurais été plus inspiré de me protéger de moi-même. Ils commencèrent à s’échanger des impressions, ou des faits sans importance que, consciencieusement, Norman Mayer et moi, chacun de notre côté, examinions chaque soir. Certaines choses, pourtant, m’étonnaient.
La qualité de leurs analyses et la hauteur de vue, qu’ils paraissaient détenir en commun, me laissaient sceptique. Il était statistiquement difficile que des jeunes gens pris au hasard aient ces capacités. Mais je croyais alors que les donneurs avaient été soigneusement sélectionnés.
Des journaux maintenaient que j’étais l’un des hommes d’affaires les plus riches du monde. L’argent a toujours été une arme politique mineure. Il sert à corrompre, pas à se faire élire. Ross Perot en avait fait la triste expérience, pour avoir cru le contraire.
Néanmoins, j’allais devoir être discret. Mes faits et gestes seraient rapidement décortiqués. Je décidais alors de rester le plus souvent possible dans ma résidence pharaonique, ce qui détournerait l’attention. En fait, je n’ai détourné que l’attention du public. Je l’ai su trop tard.
Noël 2021, Camp David
Norman Mayer accueillit les clones, qui allaient passer le réveillon avec Biden. Il fit le point avec chacun d’entre eux sur leur nouvelle existence. Tout allait bien, apparemment, mais Norman savait déjà, grâce aux tuteurs qu’il leur avait affectés, qu’ils divergeaient dans leur façon de vivre et d’appréhender les choses, trois mois seulement après avoir été séparés.
Comme il s’y attendait, le Russe et le Chinois avaient quelques récriminations à formuler sur l’écart entre leur mode de vie antérieur et les conditions actuelles. Quant au noir, il ressentait fortement son isolement au milieu d’une communauté blanche, où seule sa nationalité américaine lui permettait d’être toléré. Les esprits sont plus longs à faire évoluer qu’une Constitution.
Globalement, pas de problème grave, se dit Norman.
Pour le réveillon, Biden fit asseoir l’hindoue à sa droite, avant de prendre la parole :
— Il me tardait de vous connaître. Vous êtes le symbole de la primauté de la science américaine. Le président Clinton a encouragé votre naissance. Il a aussi prévu pour vous un rôle fondamental. J’adhère à ce choix. Vous serez mes conseillers en l’an 2029. Cependant, au risque de vous lasser, il me faut réitérer les instructions du président Clinton : apprendre, uniquement apprendre. Pas d’action dans les pays où vous vous trouvez. J’exige un secret absolu sur tout ceci. Un destin exceptionnel vous est réservé. À vous d’en être dignes.
Difficile d’être plus nul, ce n’est décidément pas mon registre, pensa-t-il !
— Pourquoi ce destin exceptionnel ?
Ça y est, le noir ! Les autres acquiesçaient déjà à cette question sans réponse plausible !
— Les États-Unis sont souvent soupçonnés de vouloir imposer leur culture, leur modèle au reste du monde. Clinton a pensé qu’un Conseil composé de sensibilités diverses pourrait mettre fin à cette opinion non fondée. Les présidents qui se sont succédé depuis ont partagé cet avis. Nous avons donné au monde la « Voix de l’Amérique », vous, vous serez la « Voix du Monde ».
Il devenait meilleur, il le sentait. Il était toujours meilleur en improvisant, même s’il bégayait depuis toujours. Alors, il continua.
— C’est un cadeau que je trouve en prenant la présidence, savez-vous ? Je compte sur vous, j’ai besoin de vous. Vous pourrez m’aider dans mes choix, vous prendrez une part essentielle à la marche pacifique de la planète. Tous les conflits naissent d’incompréhensions. Vous ferez de moi un homme plus éclairé.
J’espère avoir répondu à vos questions – vieux truc, il n’y en avait eu qu’une seule –. C’est un destin à la fois exceptionnel et nécessaire. Vous êtes chargés de transformer cette tour de Babel qu’est la politique mondiale en arche de Noé, afin d’échapper au déluge.
Où allait-il chercher tout cela ? Mais c’était son registre, le domaine dans lequel il s’était toujours montré virtuose.