Coeur sec a Bannalec - Serge Le Gall - E-Book

Coeur sec a Bannalec E-Book

Serge Le Gall

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Beschreibung

"Bannalec. Vendredi. Fin de matinée.

Emma vient de terminer ses courses au supermarché. Elle a acheté un joli rôti de bœuf. Sa fille vient déjeuner dimanche. Un homme est adossé à sa voiture. Elle serre nerveusement le guidon du caddie. Elle a compris que la journée serait difficile. Voire davantage…

Hier, Émile, son ami d’enfance, a été massacré sur son lit médical. À coups de pelle. Alors elle imagine que le rôti bardé et ficelé ne sera jamais mis au four.

Une fois encore, le commissaire divisionnaire Landowski et son équipe de choc sont de retour en Finistère. Ils auront du pain sur la planche. Et du sang. Forcément !

On espère parfois que le temps aura effacé certains souvenirs douloureux. Mais pas quand la mémoire est tenace et le pardon impossible ! C’est très dommage, mais c’est ainsi. La vengeance, elle, attend son heure. Patiemment. Elle ne meurt jamais !"

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dans la collection Pol’Art, l’auteur vous a proposé de suivre les tribulations du détective Samuel Pinkerton. Dans la collection Enquêtes et Suspense, il vous invite à découvrir ici la 38e enquête du désormais célèbre commissaire divisionnaire Landowski.

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Seitenzahl: 332

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Alice

PROLOGUE

Il y avait longtemps qu’il pensait agir.

Bien longtemps, ah ça oui !

Surtout quand il vivait des moments d’oisiveté, d’ennui même parfois. Des tranches de rêve…

Il aimait beaucoup se créer un monde, imaginer des aventures et les croire réelles. Se raconter des fadaises. On lui avait souvent dit qu’il fuyait la réalité mais il était comme ça.

Du rêve, de l’invention, des actes impossibles. Se laisser emporter par le vent de l’esprit, à se faire mal.

Mentir, mentir !

Souvent dans le sud profond, quand il fait chaud, on s’allonge à l’ombre des cannisses. On se laisse zébrer par des traits irréguliers parce que le soleil se faufile habilement. On joue de l’ombre à la lumière, et l’homme rêve de personnages féminins qui ont oublié de passer le moindre vêtement tandis que la femme observe du coin de l’œil un apollon bronzé qui s’entraîne. De l’homme à la femme, le corps lui-même a envie tout de même de vivre sa vie. La caresse des rayons du soleil parfois bien espiègle apporte son lot de sérénité et sa part de rêve.

Si l’intimité est de mise et que l’on se laisse aller, on se contemple la peau nue et on imagine celle qui s’abandonnerait à la caresser avec un doigté exceptionnel avant le geste conduisant à l’expression sublime. Ou celui qui jouerait au protecteur altruiste disponible. Du rêve…

Puis du bonheur approché parfois sans trop s’en rendre compte, on passe au côté sombre. On grimace en pensant à l’autre. On envisage la plaie ouverte et on rêve d’endosser le costume du meurtrier magnifique. Et totalement inconnu.

On extrapole, comme on dit parfois. Jusque-là, on en a bien le droit. Même si le projet est foncièrement sombre et saignant, on n’a rien fait de mal. Pas encore.

Mais le plan envisagé comme terrible n’est pas forcément celui qu’on évoque sous la douche en se tartinant délicatement la peau d’un onguent créé sous les aisselles d’une jeune nubile seule dans le désert. Une pommade mirifique, mais tout de même rapportée par un explorateur hirsute à la peau piquetée de croûtes purulentes attestant de l’authenticité originale du produit. Des conneries, quoi ! Vous le savez bien…

Et puis on rêve encore !

Et l’on vogue au milieu d’une tempête de sable qui dissimule la silhouette tout en espérant qu’on ne s’obligera pas à commettre l’acte fatal. Pour adoucir la réflexion assez morbide, on peut s’en tenir à un truc simple et basique, mais pas forcément respectable !

Trêve de rêve ! Ici et maintenant, il y a un objectif et un seul : Tuer son ennemi. Pas facile ! Mais voyons ! Est-ce bien raisonnable d’en arriver là ? Est-ce vraiment nécessaire ? N’y a-t-il pas mieux à faire que de trucider son prochain avec une satisfaction peu commune ? C’est à chacun de juger du besoin et de la nécessité.

Justement, le choix de l’acteur était fait !

Il avait un plan, une liste. Techniquement, pour cela, il fallait agir sans mollesse, avec détermination et, surtout, avec réussite à la clef ! C’est quand même le résultat positif qui, après l’adrénaline absorbée à la louche, compose les éléments du plaisir attendu depuis si longtemps. Se faire avoir finalement restait le cadet de ses soucis. S’il s’en sortait haut la main, il en jouirait. Sinon, tant pis !

C’est toujours cette sorte d’objectif qui risque de vous mener à séjourner des années durant dans une cellule de tripale grise de Fleury-Mérogis, à l’ombre des grilles écaillées et ternies, à écouter les plaintes nocturnes d’un locataire imposé et des glissements indécents de copulations interminables pour cause de plaisirs inassouvis. De là, parfois, à avoir envie de récidiver question crime pour revivre une séquence de prétoire juste pour l’éloquence d’un avocat qui sait pertinemment qu’il a déjà perdu son procès…

Eh oui ! C’est ainsi ! Quand le projet s’impose et qu’il s’affiche jusqu’au steak trop cuit négligemment posé sur de la purée froide. Pas question de tergiverser, d’abandonner en rase campagne. Pas question non plus de pardonner à l’adversaire et à ses amis. Ah ça non ! On n’a pas forcément envie de passer sous la table ! On sait cultiver sa dignité quand on a que cela à faire, non ?

Alors, il faut penser à soi, juste à soi et en finir radicalement et, pour faire simple, il faut choisir de faire table rase, d’éliminer l’ennemi ! Tant mieux, tant pis ! Mais pas sans satisfaction ! Point final !

*

« Vous êtes arrivés. C’est l’endroit précis que vous deviez atteindre avant que les dés soient jetés !

Vous êtes un brin perplexe et c’est bien naturel parce que ça bouscule un peu ! C’est sûr ! Le personnage du roman vous interpelle en direct !

Là maintenant, vous avez l’index sur la page du livre à tourner parce que vous avez un choix à faire. Une sorte de dilemme de roman. Vous pouvez encore sauver la victime – et sauver la victime à la Bayard avec moult lames fines –, ou bien lui souhaiter l’avenir le plus sombre qui soit à la méphisto. Un choix à la con, vous en conviendrez !

Allez, je pousse un peu !

Il est assez naturel parfois de penser à se venger – j’ai dit penser –, à se débarrasser des importuns, de ceux qui méprisent, négligent en jouissant de la mauvaise fortune de l’autre ou qui le croisent en ricanant d’un trottoir à l’autre ! Faut admettre que c’est quand même humain de vouloir se défendre, vous ne trouvez pas ? On peut avoir envie de faire du ménage, que diantre ! Et se venger, c’est encore plus fort ! Mais c’est un pas difficile à faire !

Bon, c’est pas très moral tout ce que je vous raconte présentement et ça peut mériter une sanction si on passe au travers…

Qu’en pensez-vous ?

N’ayez crainte ! Ensuite, si le cœur vous en dit, vous jugerez l’acteur des faits et les autres. Vous choisirez votre camp !

Ce n’est qu’un roman qui ne porte pas à conséquence ! Le parcours d’un homme que la vie n’a pas choyé !

Et si vous étiez, à l’inverse, non pas la victime consentante par obligation, celle-là même qui vous a fait de l’ombre, mais le bras séculier qui va s’abattre au pli du cou pour trancher dans le vif ?

Alors victime ou meurtrier ?

Pas facile à choisir, hein ! Chaque jour, il y a quelqu’un quelque part qui a ce choix à faire. Seulement quand on a opté pour un camp, on fait quoi ? On fait comment ? C’est pas le tout de rêver à un assassinat et au modus operandi qui s’y rattache. Le sang chaud qui coule de la lame au manche et qui goutte jusqu’à terre, c’est pas rien, que diable ! Y a de la vie qui s’en va et de la responsabilité qui se pose. Ah oui ! Ce serait si facile de s’ériger en justicier, avant de se faire un petit café bien corsé en contemplant le résultat du geste ultime ! Le sang chaud d’un cadavre a une odeur si singulière que le pardon n’est pas acceptable.

Faut dire d’abord que des glaives à la romaine, on n’en vend pas souvent au supermarché du coin ! Y a pas la place dans le coffre ! Et puis, prendre une vie, ce n’est pas si anodin quand on y pense. On peut avoir des scrupules hérités d’une éducation confessionnelle à l’ombre des soutanes, songer un temps à la famille de l’autre, au chagrin qu’on va lui imposer, refuser d’avoir du sang sur les mains, et, surtout, être déterminé et aveugle pour aller au bout de l’action. Parce que lui, là, l’adversaire au costume de condamné qui semble tellement vous narguer, il profiterait forcément d’un moment de flottement s’il en était et, de la victime attendue, il deviendrait le tueur victorieux. Et vous le cadavre, pensez-y !

Pourtant il n’y a pas vraiment d’alternative.

Sauf qu’il vaut mieux ne pas se confronter à un tel dilemme.

Mais attention, nous sommes bien là pour observer la commission d’un crime ! Que dis-je, le premier d’une série ! Enfin, si tout se passe bien ! Le destin s’en mêle parfois pour bousculer les cartes ! Si explications il y a, elles viendront plus tard sans vraiment atténuer la punition décidée par le vote populaire du jury.

Bah, la décision étant prise…

Reste à choisir l’arme efficace et le mode opératoire suffisamment intelligent pour déguiser le vil tueur en blanche colombe…

Blanche ? Faut pas non plus…

L’envie quand même de se glisser entre les mailles du filet pour se sentir au-dessus de la mêlée. La nature humaine est ainsi faite !

Miroir, mon beau miroir. »

I

Au fond de son garage, niché au bout du jardin contre une clôture solide, notre tueur potentiel, mais complètement décidé, avait installé une sorte de réduit secret. Un antre, on appelle ça parfois. Sur l’avant, le proprio laissait la végétation s’en donner à cœur joie pour faire croire à une négligence crasse au quidam perdu dans la nature, mais ce n’était qu’un leurre. Son attitude faisait partie de l’image qu’il se donnait pour apparaître comme un être banal, insignifiant. La perception qu’on aurait du personnage lui donnerait une sorte d’innocence dont il pourrait avoir besoin. La scène où on lui demanderait des comptes pour tout ce sang versé. Un parloir, un tribunal. Faut toujours anticiper et préparer ses arrières. Les gens sont méchants…

Pourtant chez lui, tout était calculé, pesé, mesuré. Il y avait bien longtemps qu’il envisageait de devenir le premier tueur en série du département. En série, entendons-nous ! Ses victimes n’atteindraient pas le moment de l’exécution par hasard. Faut avouer que le crime gratuit, ça ne le bottait pas vraiment. Il voulait avoir une bonne raison de mal agir. C’est pourquoi le parfum de vengeance lui était devenu nécessaire depuis qu’on l’avait sévèrement humilié et, avant d’officier, il leur lirait la sentence à ces victimes sans aucun avenir, afin qu’elles ne meurent pas idiotes ! Une dernière coquetterie…

La calandre de son véhicule de collection, enchâssé dans une housse grise suspendue au plafond pour limiter la poussière et les salissures du temps, frôlait un grand panneau lisse n’accrochant pas le regard, et l’homme aimait cultiver la banalité. Il espérait en user sans vergogne pour arriver à ses fins. Se fondre dans l’espace c’est tout ce qu’il faut quand le risque se pointe. L’enquêteur attend trop d’originalité pour succomber à la banalité.

C’était une porte coulissante en plusieurs pans rigides s’articulant sans bruit, dérobée et rendue quasi invisible par un empilement savant et anodin de cartons utilisés pour les ramettes de feuilles A4. De semaine en semaine, avec une régularité toute militaire, il les avait ramenés du bureau désaffecté dans un immeuble où il allait établir son camp de base. Il les avait vidés de leurs dossiers de couleurs diverses marqués au nom des employés renvoyés chez eux pour cause de faillite et, peut-être, d’abus sociaux. Il les avait disposés en quinconce, façon mur de parpaings, afin qu’ils se tiennent entre eux sans jouer à l’équilibre incertain si quelqu’un entrait brusquement dans le garage. Il ne fallait pas qu’un simple appel d’air puisse ébranler la pyramide et dévoiler ce petit local discret. C’est dans cet endroit simple au demeurant qu’il allait concocter son programme meurtrier, le fignoler puis agir en tutoyant une réussite qu’il réclamait à cor et à cri.

Tuer. Tuer et se venger vraiment.

Mais pas comme ça, pour combler une bouffée d’adrénaline. Ni par jeu ni par caprice. Non, tuer vraiment pour avoir le sentiment d’avoir fait œuvre utile. Une réelle satisfaction, quoi ! Du moins pour lui-même et, surtout, pour son histoire personnelle pas très reluisante. Même si ce n’était pas de sa faute. Des fois, on aurait préféré être ailleurs, vous le savez bien, mais le destin adore brouiller les cartes ! C’est exactement ce qu’il se disait à propos de l’épisode malencontreux qui avait fait basculer son destin de l’adolescence festive à une rancœur tenace.

L’envie le poursuivait. Elle était sur ses talons. Elle s’imposait dans le miroir de la salle de bains comme dans le rétroviseur, dans le bol de café immobile et la sauce du poulet basquaise – délicieuse au demeurant. Le démon, qui n’était pas celui de midi, sonnait l’hallali pour le pousser à la faute. Le soulagement éternel était à ce prix. N’était-ce pas son droit finalement ? La vengeance vaut bien la justice quand celle-ci est défaillante. La justice n’est-elle que le lot des autorités ?

Le moment était donc arrivé de se lancer à l’aventure, d’entendre les plaintes et les supplications des moribonds avant de trancher dans le vif. Il savait très bien à l’avance qu’il n’aurait aucune pitié. Ce jour-là et les autres, ses adversaires n’avaient pas daigné entendre ses plaintes. Ils avaient continué au plaisir des sévices agrémentés de ses plaintes sans effet. S’ils avaient écouté, peut-être qu’il aurait biffé le nom de certains sur la liste. Peut-être même qu’il aurait choisi de se suicider pour ne pas patauger dans la fange de la culpabilité. Peut-être, mais pas sûr…

Il y a un truc qu’on appelle le destin et qui semble jouir d’une liberté totale envers l’individu lambda. C’est un concept d’une force incroyable et implacable qui te broie les individus en deux coups les gros et qui réduit en poussière les forteresses espérées. Le pire, c’est qu’il n’y a pas le moyen de faire autrement. Il y a juste la porte qui ouvre sur le néant et qui ferme sur rien du tout. Super programme.

Revenons quand même à une sorte de réalité… La promenade de santé que je vous propose n’en est quand même qu’au tout début. Il faut poser le cadre, le décor avant de se jeter dans les tribulations… du crime !

Pour créer une entrée dans le réduit sans fenêtre, notre individu avait utilisé un cadre métallique à gorge pour serrer des cartons entre eux et former ainsi une sorte de mur qu’il pouvait faire glisser sur un rail laissant apparaître une porte isoplane aussi légère que possible. Il lui suffisait alors de pousser ladite porte vers l’intérieur afin de pénétrer dans son antre secret.

Il y avait là un établi propre et rangé au carré où les outils étaient soit alignés horizontalement de part et d’autre d’un poste de travail, soit accrochés verticalement à un panneau piqué de crochets en inox assez long pour que la pièce suspendue soit naturellement en applique. Sur la droite, devant une chaise haute de comptoir, il y avait une sorte de coussin pour poser l’articulation du poignet afin de réaliser avec minutie des montages ou des réparations sans créer de crampes désagréables. On aurait dit qu’un horloger prenait place à cet endroit pour s’occuper de mécanismes délicats excluant absolument l’à-peu-près ou la médiocrité du geste à accomplir.

Avant de s’intéresser précisément au réduit secret, venons-en à l’automobile qui occupait l’espace garage. Il s’agissait d’une Ford Mustang cabriolet bien connue dans les années soixante et reconditionnée depuis, un véhicule semblable à celui utilisé dans Bullitt par Steve McQueen pour poursuivre un Dodge Charger noir pendant dix bonnes minutes dans un vacarme assourdissant. La classe ! Ce modèle-ci, avec la capote amovible pour se griser du vent salé qui anime la chevelure blonde de la passagère…

Steve McQueen, quel mec entre nous soit dit ! Il aurait bien voulu lui ressembler, en tout, se faire aimer par les plus belles femmes du monde, foncer sur la plage en décapotable avec l’élue du moment et contempler le coucher de soleil en la serrant, poitrine nue, sur son torse musclé. Le rêve contente parfois…

Apparemment cette voiture, bien plus récente que l’original, était bien entretenue. Quant à son utilisation dernière, et donc la capacité à fonctionner au premier tour de clef de contact, la question restait ouverte ! Il y avait quand même matière à s’interroger puisqu’il y avait, fixé sur un socle, un kit complet de démarrage protégé par un voile en plastique transparent. Sur cette enveloppe bien tendue, il n’y avait pas un grain de poussière à traîner, signe d’utilisation du système de temps en temps pour faire tourner le moteur. Une batterie neuve dans son carton jouxtait l’ensemble. Manifestement, le propriétaire avait tout prévu soit pour un entretien régulier et la balade vespérale en compagnie d’une donzelle peu farouche aux jambes écartées, soit pour une fuite moins glorieuse sur les chapeaux de roue.

Pour accéder à l’atelier, il fallait se glisser entre mur de cartons et voiture. Peut-être y avait-il au fond du local un accès discret donnant sur l’extérieur ? Le maître des lieux pouvait très bien avoir prévu un itinéraire de fuite. Cet homme-là pouvait être reconnu comme la caricature même du traceur de plans sur la comète. C’était très mal le connaître parce qu’il était là, à ce moment précis, devant la porte des horreurs qu’il allait agréablement pousser dans un instant.

Apparemment le lieu avait été pensé pour dissuader toute visite inopportune. Quand on souhaite masquer des activités frauduleuses et jouir d’une vie quotidienne au-dessus de tout soupçon, on en prend les moyens. Parfois même, s’afficher avec ostentation et se donner des airs de collectionneur éloigne la maréchaussée ! Comme s’il était nécessaire de se faire passer pour un sacristain à la retraite pour casser des coffres-forts les nuits de pleine lune !

Et donc, il est temps de vous présenter ce protagoniste qui va avoir la main lourde tout à l’heure – et plus tard –, pour occire avec garantie de résultat quelques personnes, celles qu’il connaît pour se venger de l’avoir dédaigné et celles qu’il va choisir par affinité et forte envie d’essayer des méthodes criminelles dont il a entendu parler. Un beau spécimen pas forcément fréquentable, vous l’aurez compris !

Alors pensez-vous, pourquoi ça, hein ?

Peut-être pourriez-vous trouver l’explication au fil des pages. Il y avait forcément une raison à ce carnage à venir. Bonne ou mauvaise, c’est à voir ! Une raison inavouable, une raison qui n’en est pas une parce que tuer son prochain reste un acte impardonnable. Quel qu’en soit le motif.

Seulement ici, l’auteur des faits à venir n’avait pas l’intention de s’en passer. Pas envie. Pas du tout. C’est comme ça. C’est violent, triste, impardonnable.

Criminel.

Mais que voulez-vous ? Tout ça, c’est la réunion de la cause et de la conséquence, la somme de ce que l’individu a fait, fait et fera.

C’est son karma.

Chacun le sien.

Point final.

Le chat noir qui patrouillait devant la fenêtre fixe en pavés de verre n’en avait que faire des questionnements et des atermoiements. Il aimait bien regarder son maître user d’outils métalliques parce que les tintements lui faisaient dresser l’oreille et le sortaient de sa torpeur féline.

L’un et l’autre avaient leur histoire, animale pour l’un, bien pourrie pour l’autre. Et ils se regardaient sans miaulement pour l’un et sans mot dire pour l’autre. Comme un couple où on ne se parle plus parce que l’enfant unique est parti, parce que les errements de l’un blessent encore l’autre, parce que les corps nus si appréciés avant peinent à se caresser encore avec plaisir. Ou pas du tout. Parce que la haine dévorante a grandi et pris le dessus en bousculant l’idylle si plaisante à une époque. Et que la vengeance posée comme étant prétendument légitime ne supporte pas la contradiction. Définitivement.

II

L’homme portait en bandoulière un sac en toile grège arborant le logo coloré de l’agence de voyages qui le lui avait offert quand il avait signé son joli chèque pour partir une semaine en vacances en Thaïlande l’année précédente. Il avait tant rêvé de choses inaccessibles…

Au cours de ce séjour, il avait trouvé un semblant de réconfort sexuel qui lui manquait auprès de femmes paraissant jeunes alors qu’elles ne l’étaient peut-être pas vraiment. Les femmes asiatiques savent présenter une image fraîche et rieuse même si les ans sont passés par là. Et même s’il y avait un objectif mercantile dans les séances, il en avait profité pour rêver un peu et croire à des conneries.

Quand il en avait marre de la grisaille, il choisissait au hasard une destination ensoleillée qu’il ne connaissait pas encore et il jetait son dévolu sur le premier hôtel étoilé qui pouvait l’accueillir sans délai dans un lieu exotique ne lui imposant pas trop d’heures de vol. Il n’aimait pas cette exiguïté des places assises, la proximité avec un voisin inconnu sentant le tabac, le parfum de la grosse dondon, pourtant si aimable, assise sur le rang précédent et l’attente interminable et inexpliquée sur un tarmac humide parce que le trafic aérien enfle à la vitesse grand V.

Il s’en arrangeait quand même et il trouvait quelques centres d’intérêt pour s’occuper un peu. Une revue prise dans un présentoir de l’aéroport. Une autre achetée au kiosque avec quelques barres de chocolat à suçoter longuement.

Assis sur le siège côté allée centrale, il reluquait les mollets des hôtesses, humait leurs effluves délicats et rêvait de soirées avec l’une ou l’autre au clair de lune dans le repli d’une dune de sable fin. Le rêve inaccessible n’a jamais fait de mal à quiconque. Il n’y a que le passage à l’acte qui peut devenir répréhensible. Ce n’est pas un regard discret qui engage l’une ou l’autre.

Des compagnes, il en avait eu. Il s’était rapidement lassé. Surtout elles. Le train-train quotidien ne le passionnait pas. Elles non plus. Il ne savait que fantasmer des aventures dans la jungle et la baignade dans les cascades. En fait, c’était un homme effrayé par sa propre réalité et gavé d’imagination chevaleresque. C’est dire que la vie quotidienne était vraiment loin de lui faire plaisir.

Parfois, pour se faire peur, il rêvait d’une cartouche mortelle, d’une balle perdue, de chute sans espoir, d’hémorragie soudaine. Pourtant il n’était pas question pour lui d’en finir personnellement avec la vie. On n’en a qu’une ! Même si…

Le propriétaire de la Mustang avait délaissé celle-ci pour un autre véhicule qu’il venait de garer sur le parking du centre culturel de Rosporden. Il avait regardé l’étang, histoire de se gaver de sérénité avant de faire un paquet de conneries jubilatoires. Il avait fait quelques emplettes au marché et il venait de bifurquer sur la gauche dans la rue Nationale pour remonter la rue de Pont-Aven. Il avait acheté un exemplaire des deux quotidiens locaux publiés dans le Finistère sud à la Maison de la Presse où les deux employées étaient sympathiques, et il feuilletait négligemment l’un des deux journaux.

En fait, il n’en avait rien à faire de ces pages de politique intérieure qui tournaient en rond, tout simplement parce qu’il était en repérage des lieux. En fait, il suivait consciencieusement sa future victime pour vérifier s’il serait si facile que cela de trucider un homme sans risquer de se faire prendre comme un perdreau de l’année. Il avait bien envie d’en faire son premier cadavre si l’opportunité se présentait. D’autres suivraient si possible. Pour l’heure, il n’en était qu’au stade des repérages élémentaires parce que l’essentiel dans l’assassinat, ce n’est pas forcément de réussir son hit, mais de garantir un itinéraire de fuite et une discrétion solide pour ne pas trouver les gendarmes au portail de chez soi le lendemain matin. Dans le crime parfait, l’essentiel c’est quand même l’impunité. C’est si jubilatoire pour l’auteur des faits de voir les enquêteurs buter sur des éléments manquants pour clore l’affaire et de les saluer en passant d’un signe poli. Mais si l’occasion se présentait, il agirait sans attendre. L’opportunité est reine.

La victime désignée portait beau. Bel homme, droit, la chevelure ondulée et le grain de peau façon explorateur. Ce jour-là, le dernier de sa vie, il portait un jean noir tombant sur des mocassins marron, un blouson fin de grande marque masquant une chemise blanche. Monsieur soignait sa tenue !

Ce détail avait tout de suite fait sourire notre futur criminel. Le blanc ne le resterait pas jusqu’à midi. Une constellation carmin pourrait très bien en changer le modèle. Rouge sang ? Tant pis !

Il jouait tout du hasard sauf qu’il savait pertinemment à quelle heure sa victime passerait dans le quartier. Le visiteur ante meridiem avait une forte envie à assouvir. D’après ce que le passant anonyme avait pu apprendre en grimpant sur le balcon et en se cachant derrière les grandes plantes en pot, la jeune femme était agréable, disponible, experte et peu regardante sur les besoins originaux et les envies soudaines de son partenaire. Certes, elle avait du sentiment pour lui, mais la rémunération pour services rendus d’une façon agréable lui importait davantage.

Notre espion du matin planquait depuis deux semaines dans le secteur en changeant chaque jour de costume et d’attirail. Il avait déjà une bonne connaissance des habitudes de l’autre, que je vais appeler sa cible. C’est drôle, mais les amants ne sont pas très différents. Ceux-ci s’installent et rassurent. Quand on prend à droite, on ne se risque à gauche que si l’obligation s’impose. C’est tellement plus simple que d’avoir à faire des choix tout le temps.

La cible de notre tueur était donc un habitant de la campagne de Bannalec. Eh oui, vivons cachés, n’est-ce pas ! Pour l’heure, c’était encore un grand et bel homme qui se déplaçait à Rosporden le mardi et le jeudi matin pour retrouver chez elle une jolie femme au parfum si discret qu’elle ne le dégageait probablement qu’une fois nue, les jolies cuisses ouvertes et au rose velours très fin. Le visiteur anonyme l’avait vue sur son balcon en train de secouer une petite descente de lit colorée. Elle s’était même penchée, lui donnant droit à une jolie échancrure sans le savoir.

Lui là, la victime désignée et attendue, comment l’avait-il rencontrée cette jeune personne ? D’une manière banale. Il l’avait vue approcher, il l’avait juste croisée sur le parking et il l’avait discrètement suivie en ne cherchant pas à se cacher. Il avait alors repéré qu’il n’était pas le seul à s’y intéresser et l’idée de concourir l’avait titillé un brin. Ah, les hommes !

Le timing du visiteur qui le devançait était précis : stationnement de la voiture, remontée à pied vers le centre-ville, arrêt afin d’acheter une baguette de pain pour confectionner les sandwiches prévus pour la fin de la séquence de jambes en l’air, bifurcation vers la petite place, achat des quotidiens puis disparition dans la rue de Ruveil sur la droite.

Ensuite, la rue étant calme, il était assez facile de le suivre sans se faire remarquer. Comme il savait précisément où l’homme se rendait depuis son repérage de la veille, le pisteur fit le tour par une rue adjacente pour redescendre et revenir sur ses pas en ralentissant pour ne pas se trouver nez à nez avec sa proie puis il prit à gauche à mi-chemin. Il entra dans un petit immeuble bien discret, ma foi. En inspectant soigneusement les lieux, le suiveur avait trouvé ses entrées par le sous-sol et, profitant d’un angle mort dans le bâtiment, il avait pleine vue sur les ébats qui avaient lieu dans le salon du rez-de-chaussée, canapé en tissu déployé et literie repoussée aux extrêmes pour créer l’aire de jeux.

Faut avouer que l’imagination des deux participants étant chaque fois au rendez-vous, il promenait un regard concupiscent et espiègle sur les différentes positions que le couple affairé lui donnait à voir sans le savoir. Les chevauchements et imbrications intelligentes ponctuées de souffles et de râles mal maîtrisés jusqu’au couplet final le confortaient davantage dans l’exécution qu’il s’attendait à réaliser. Admettons que le tueur n’était pas forcément très pressé d’en finir parce que le spectacle en gros plan et en couleur qui lui était offert lui plaisait bien. Il n’avait pas ça à la maison !

Il ne fallait pourtant pas que le spectacle dure trop longtemps, la frustration lui montait à la gorge et ailleurs en progression désagréable. Comme si l’on voulait quelque part le mener par la main au crime libérateur.

Justement, il avait changé son fusil d’épaule parce que, d’une exécution directe et rapide, il pensa pouvoir s’offrir un petit supplément. Le mieux était d’éliminer l’amant, de s’allonger sur le lit des délices et de profiter sans vergogne d’une partenaire déjà préparée au coït matinal. D’essayer tout au plus… Après avoir poussé le cadavre de l’amant sous le lit comme une chose devenue totalement inutile, il demanderait à la donzelle terrorisée d’être sage et complaisante en l’assurant de la laisser vivante si elle s’abandonnait quelque peu sur le drap déjà bien froissé. Du roman tout ça. Il savait très bien que ce scénario idyllique ne serait pas joué ce matin-là…

Terrorisée, elle se plierait aux exigences, mais en serait-il satisfait ? Il mentait si bien qu’elle ne s’apercevrait de sa mauvaise fortune qu’au moment où la caresse des doigts sur son cou passerait en mode étau. Même quand il n’y a plus la moindre chance, l’espoir ne baisse pas pavillon.

Puis il la tuerait.

Le hic, c’était qu’il y aurait donc deux cadavres dans la grande pièce au lieu d’un et que ce n’était pas prévu dans le plan. En plus, il fallait s’attendre à du sang répandu sur les draps, sur la tapisserie ou sur les bibelots, les victimes n’étant pas toujours suffisamment dociles pour éviter les éclaboussures.

Pour l’instant, encore légèrement vêtue, la jeune femme affichait des allures de danseuse espagnole en allant jusqu’aux escarpins qui lui tendaient les mollets. Une fois pieds nus, elle paraissait bien plus petite et le galbe des jambes perdait de sa prestance. Assise sur le bord du lit, elle faisait glisser jupe et slip en même temps en se contorsionnant pour exciter son partenaire afin qu’il aille plus vite en besogne et elle s’étalait sur le drap déjà froissé par elle-même ou par le compagnon légitime parti aux aurores faire son taf dans une quelconque entreprise du coin. S’il existait vraiment, parce que le voyeur, en plusieurs jours d’observation, n’avait pas identifié de compagnon régulier partant tôt et revenant tard.

Sur l’heure de midi, il penserait peut-être à sa compagne sans imaginer qu’elle venait de se donner sans limite aucune au sexe d’un étranger. Il croyait peut-être encore qu’elle jouissait de ses estocades alors qu’elle ne rêvait que des élans fougueux de l’autre qui viendrait tout à l’heure de Bannalec pour la rejoindre et se répandre avec plaisir.

Les bras en l’air, elle laissait l’amant, apparemment bien décidé, libérer le buste de la lingerie devenue inutile et presser les seins arrogants comme des fruits à point mûris par les caresses savamment exécutées. Elle devait aussi avoir la main baladeuse pour saisir délicatement puis guider. Alors elle se laissait aller en arrière offrant l’image éternelle de l’origine du monde et ne rêvant que d’envolées lyriques finement orchestrées par un partenaire expert.

Le compagnon de jeu s’activait alors pour la séquence attendue puis, chose terminée par un souffle rauque, il se laissait aller sur le dos en soufflant comme un phoque le temps de retrouver sa vitesse de croisière. Du cinéma.

Dire que ça ennuyait le voyeur aurait été un peu exagéré. Il avait décidé de priver sa future victime de ses plaisirs hebdomadaires afin de le punir. De ça et d’autre chose…

Mais il pouvait attendre encore un peu, histoire d’en profiter si l’occasion devenait vraiment belle ! Après tout, c’est après le visiteur qu’il en avait. Il n’était pas contraint de tuer la partenaire si vite. Peut-être qu’il serait difficile d’obtenir son silence en voyant les pieds blêmes de l’amant occis dépasser du sommier, mais il comptait sur son envie de vivre pour qu’elle soit coopérante avant que, le corps étranger l’étouffant presque, ne l’étrangle finalement.

Son mode opératoire était bien dessiné. L’amant passait deux fois par semaine au moins. La séquence était répétée à l’identique et le plaisir parfois un peu absent vu que c’est un élément de l’acte qui ne se décrète pas. Chacun cherche et y trouve son content en fonction de l’exercice et le résultat n’intéressait pas du tout l’assassin qui se priverait de conclure dans un aller-retour bien dangereux. Ce qui l’occupait, c’était son scénario et sa manière toute à lui de le jouer. Entièrement.

Et c’est à ce moment précis qu’il ressentit une envie incoercible. Devait-il laisser un individu qu’il avait connu dans sa jeunesse, et qu’il jugeait médiocre, lutiner cette jolie jeune femme qu’il délaisserait un jour ou l’autre pour la remplacer par une autre ? N’était-il pas temps de lui faire payer ce que l’autre lui devait et de le remplacer, peut-être, tout contre cette jeune femme accorte et certainement délicieuse ?

Cet autre, il avait décidé de le tuer pour lui faire payer des choses qu’il lui reprochait depuis longtemps, surtout de lui faire mal le plus possible et de lui laisser juste le temps de comprendre qui lui ôtait la vie et pour quelle raison il agissait en justicier. Tout cela devant une maîtresse horrifiée, les jambes resserrées pour cause de coitus interruptus !

Il attendrait que les enquêteurs l’aient interrogée, qu’elle soit rentrée chez elle et, plus tard, au moment le plus propice, il lui rendrait visite pour l’informer du motif de l’exécution. Peut-être. Mais chaque chose en son temps.

Et ce serait bien plus jouissif de la savoir d’abord perturbée par le récent souvenir et, ensuite, bien inquiète de son propre avenir à elle. Avant de s’en aller il lui ferait promettre de ne rien dire et, le moment venu, il profiterait d’une belle embrassade avant de la tuer, vu qu’un témoin vivant est une épée de Damoclès qui marche et qui tranche dans le vif au plus mauvais moment !

Oui, ce plan-là lui plaisait bien. Il se sentait fort, ragaillardi même ! Il l’adapterait en fonction des circonstances afin de profiter de l’aisance dont elle avait fait preuve avec son amant décédé. Il aurait une épaule accueillante et une caresse délicate. Là, il rêvait grave !

Oui, il serait contraint de la tuer elle aussi pour qu’elle ne bave rien de très précis aux flics. Les enquêteurs n’y comprendraient plus rien et se tourneraient vers une autre piste. Peut-être même une de celles que lui, l’inconnu qui passe, aurait préparées pour eux.

Parce que celles et ceux dont les noms étaient sur la liste ne perdaient rien pour attendre. Il avait dit qu’il le ferait, qu’il ferait souffrir ses ennemis au-delà du possible et qu’il terminerait par une élimination judicieuse et cruelle. Il allait programmer leur exécution, leur trépas obligatoire sans forcément les faire trop souffrir. Les empêcher de crier, les cris lui rappelant trop de mauvais souvenirs. Ce qu’il voulait qu’ils comprennent, c’était le pourquoi de ce châtiment. Et c’est en reconnaissant le bourreau à chacun leur tour qu’ils comprendraient enfin combien leur attitude arrogante et leurs gestes déplacés les avaient amenés à payer si cher leur désinvolture crasse.

« Ah ! si j’avais su… »

Qu’est-ce qu’il est débile ce morceau de phrase parce que, en réalité, on ne sait jamais !

Dans la période post-coïtale qu’il avait étudiée afin de perpétrer ses crimes, il y avait un élément essentiel qu’il avait pointé. La femme avait tendance à remonter les draps sur elle tandis que l’homme quittait le lit comme pour fuir l’érection envolée. Celui-ci, comme d’autres, passait sur l’étroit balcon pour allumer une cigarette tandis qu’elle s’emmitouflait. Des jours d’observation en avaient fourni la preuve à l’assassin en puissance. Les quelques secondes pour aller du balcon à la porte d’entrée allaient être suffisantes. La donzelle était chez elle. Entendant frapper, le fumeur ne lâcherait pas sa cigarette mais l’amante, elle, irait entrouvrir la porte pour identifier l’importun. L’œilleton qui aurait été bien utile pour la sauver brillait par son absence.

« Et c’est comme ça que le drame, qui vous est narré, est survenu en cette belle matinée de détente sensuelle.

Quand c’est l’heure, c’est l’heure. »

Confiante et juste vêtue en vitesse d’une nuisette charmante ne cachant absolument rien, la locataire déverrouilla la porte et, bousculée soudainement par un geste vigoureux de la part du visiteur, prit celle-ci en pleine poire. Un huis en bois d’arbre d’épaisseur raisonnable, ça fait mal quand on ne s’y attend pas. Déséquilibrée, elle alla valdinguer contre la cloison qui la reçut fraîchement et resta figée un court moment alors qu’elle glissait inexorablement vers le sol en laissant une traînée sanguinolente sur le mur peint de beige granuleux, en ayant l’air d’une poupée désarticulée.

Pas un cri. Un manque d’air et des yeux d’étonnement douloureux. Une miction se laissait aller des cuisses lisses et blanches jusqu’au plancher. Du sang aussi. Un peu. De la matière cervicale aussi. Un peu.

Le concret de la mort en fait.

Mais quelques secondes avant, l’amant bousculé par l’intrusion dans son moment de retour au calme, avait jeté sa cigarette au vent et avait tenté sans réfléchir la traversée du salon devenu un désert brûlant. Et hop ! là il venait de se prendre en plein front un gros plomb d’arme de poing qui mit un terme à son geste altruiste de sauveteur magnifique. La literie se trouva constellée de taches de sang épais tandis que le corps, auparavant robuste et olympien, se mua en cadavre impersonnel atteint par la mollesse de sa nouvelle situation. On est peu de chose tout de même.

Pour le visiteur bien organisé, le final avait un peu foiré. Il y avait eu l’intervention inopinée d’un élément équipant assez souvent les appartements.

Eh oui ! Le piton métallique pour accrocher le vêtement quand on rentre chez soi, idéalement placé sur le mur, avait percé le crâne de la locataire à sa limite avec le cervelet et transformé l’amante encore tiède en légume plus vraiment très frais. Le cadavre qui tremble encore un peu, nerveusement, ne pousse pas à la consommation même si l’acte était offert pour trois francs six sous ! Voyons !

La cartouche, elle, avait tué l’amant dans son sublime envol par-dessus la literie froissée et modifié sensiblement ses traits d’amant bannalécois. Le tableau de chasse était particulièrement dispersé. On ne peut pas tout prévoir. Il faut du temps pour éviter les écueils et produire une œuvre dont on peut être satisfait.

Et puis il faut laisser le hasard agir à sa guise, non ?

Le tueur quant à lui avait profité de la porte ouverte et de l’escalier de service pour disparaître par le garage en coup de vent mauvais. L’immeuble était peu occupé au milieu de la matinée et il faut toujours un temps pour réagir aux bruits que l’on perçoit quand on passe l’aspirateur. On écoute discrètement aux portes avant de les ouvrir.

Ensuite, le balai à la main dans le couloir d’en face, on imagine difficilement que la voisine gourmande et peu avare d’extases sonores vient de se faire clouer au mur par un concours de circonstances. Un piton métallique de surcroît. On est peu de chose tout de même !

Le ronronnement du moteur électrique ayant disparu, une locataire de l’étage du dessus s’aventura quand même dans l’escalier. Des fois qu’il y aurait matière…

En découvrant la scène par la porte ouverte, elle hurla comme une bête qu’on égorge alors qu’on ne lui demandait rien et qu’elle n’était pas personnellement attendue sur la table de la morgue déjà bien encombrée.

Le tueur l’entendit de loin alors qu’il remontait déjà la rue côté ombre. Il jugea les cris un brin abusifs. La voisine en faisait des kilos pour bien se poser en témoin exclusif de la scène sanglante et s’assurer la pole position lors de l’enquête.

Lui, le tueur furtif, personne ne l’avait croisé ni vu. Du moins l’espérait-il. Grimé comme il était, il n’avait aucun risque. Il n’avait pas vraiment opéré comme il le souhaitait, mais l’homme auquel il vouait une haine tenace n’avait plus de visage et l’objectif était atteint, c’était quand même le principal. Son corps nu, ensanglanté et désarticulé, le sexe bien mollasson, gisait ente le canapé-lit et la table basse chavirée sur le tapis. L’amant magnifique avait définitivement fermé son parapluie. L’amante, elle, faisait partie des dommages collatéraux. On ne peut pas tout anticiper, n’est-ce pas ? Et puis, elle en avait bien profité avant de faire son envol…