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2034 : les algorithmes gouvernent quotidiennement nos vies, la France est en faillite, nous faisons face à un tournant décisif ; les femmes viennent de prendre le pouvoir en politique. Dans ce chaos, Simon, Sarah, Rachel, Liam et Pierre évoluent, chacun dans son domaine, et nous entraînent au cœur de leurs pérégrinations. Parviendront-ils à vivre de leurs passions ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
La lecture, la musique, les voyages et la peinture ont nourri Christian Boudal durant toute sa vie. Autodidacte, il trouve apaisement et plaisir dans l’écriture. Inspiré par son vécu, Cœurs en faillite est son troisième livre.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Christian Boudal
Cœurs en faillite
Roman
© Lys Bleu Éditions – Christian Boudal
ISBN : 979-10-377-8574-9
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L’air est doux en ce premier jour de printemps, le silence de la rue pouvait paraître oppressant pour qui n’y était pas habitué. En cette année 2034, Paris reste comme endormi, en léthargie, c’est pourtant le lot quotidien des Parisiens et de Simon. Depuis maintenant cinq ans, seuls les véhicules électriques ont l’autorisation de circuler dans la ville ; la maire écologiste a fait construire d’immenses parkings à chaque porte d’entrée de la ville, des robots prennent en charge chaque voiture thermique afin de les garer les unes sur les autres, pour les récupérer, il suffit de présenter son smartphone au robot et en une minute, le véhicule est restitué à son propriétaire ; les travailleurs des banlieues n’ont pas d’autre choix, afin de rejoindre leurs lieux de travail, que de prendre le métro, les bus à hydrogène, les vélos-taxis ou les bateaux sur la Seine. Pour l’approvisionnement des magasins, d’immenses entrepôts ont été construits en périphérie de la ville et ce sont des drones électriques qui livrent les colis, mais aussi des vélos par milliers, munis d’une plate-forme sur laquelle sont chargés les cartons qui sillonnent les rues de Paris.
Cela me rappelle un voyage en Inde au siècle dernier où d’innombrables Tutuk et Rikshows transportaient clients et marchandises aux quatre coins de la ville de Bombay, le bruit et la pollution en moins. Aujourd’hui, l’atmosphère de Paris est beaucoup plus pure qu’à la campagne. Le ballet de drones et de vélos est impressionnant, les drones ressemblent à d’énormes coléoptères dont le bruit sourd des pales me fait penser à un vol de bourdons. Les vélos semblent glisser sur l’asphalte des rues, ils sont guidés par GPS avec des systèmes anticollision. On ne sait pas vraiment si ce sont les vélos qui avancent seuls, ou si les cyclistes perchés sur leurs engins pédalent pour les faire avancer tout en regardant l’écran fixé sur le guidon. Les boulevards sont très calmes, comme enveloppés dans une ouate cotonneuse, on pourrait se croire dans un film muet du début du 20e siècle. Seuls les camions à propulsion hydrogène ayant fait une demande d’autorisation de pénétrer dans la ville, 48 heures à l’avance, peuvent livrer les marchandises dont les volumes sont trop imposants pour les drones et les vélos.
Sur la Seine, des dizaines de bateaux électriques transportent les employés de bureau de la banlieue est jusqu’aux buildings des sociétés implantées dans la banlieue ouest ; c’est le chemin le plus court pour traverser Paris en douceur et sans retard ; ils sont si nombreux qu’ils sont pilotés par l’intelligence artificielle, les capitaines ne sont présents que pour pallier une éventuelle défaillance des systèmes, ce qui à ma connaissance n’est jamais arrivé.
L’Intelligence Artificielle (IA) dicte maintenant une grande part de notre vie de tous les jours. Les transports : métro, tramway, véhicule électrique, drone sont pilotés par un système expert. Les logements individuels ou collectifs sont envahis par la domotique : de la porte d’entrée jusqu’au fond de son lit, de la cuisine au séjour, les systèmes intelligents pénètrent chaque recoin de nos habitations. Les rendez-vous chez le médecin, le coiffeur, les services de l’État sont tous gérés par l’IA, même les rendez-vous amoureux avec les sites de rencontres qui permettent en quelques clics de trouver l’âme sœur pour une soirée, une nuit ou plus sont gérés par des cerveaux électroniques. L’IA s’est insinuée dans tous les actes de la vie quotidienne, il est alors difficile d’y résister ; je fais partie de ces résistants qui abhorrent toutes les nouvelles technologies qui sont pour moi un asservissement comparable à l’esclavage des siècles derniers.
Ainsi, je peux déguster chaque matin mon café, préalablement moulu par mes soins avec un vieux moulin de la marque Peugeot qui doit avoir une centaine d’années. Les effluves qui se dégagent de la mouture me rappellent mon enfance, ensuite je filtre le café obtenu dans une vieille chaussette avec de l’eau bouillante comme au temps de mon arrière-grand-mère ; seule concession faite à la modernité, c’est mon radio-réveil qui, par les ondes, me diffuse une douce musique de Vivaldi ou un concerto pour piano de Chopin. Toutes les deux minutes, le métro qui circule en bas sur le pont métallique de Bir-Hakeim trouble légèrement ma quiétude.
C’est Sarah, mon ancienne compagne, agent immobilier de son métier, qui m’a fait acheter ces deux chambres de bonne, au dernier étage d’un immeuble Haussmannien dans le 16e arrondissement de Paris. Elles ont la particularité d’être côte à côte, ce qui m’a permis, en cassant le mur mitoyen, de les réunir et d’en faire un studio aménagé avec un coin cuisine, une douche, une toilette et meublé d’un canapé-lit, d’une table et deux chaises. L’atout de ces chambres c’est qu’elles avaient chacune une terrasse de 2 m² qui, réunies, me permettent d’admirer la Seine coulant au pied de l’immeuble, avec presque en face, à environ 500 mètres, la tour Eiffel, emblème de la ville, que je vois scintiller chaque soir, cette vue sans vis-à-vis est exceptionnelle.
L’agencement de mon studio est réduit à son minimum, aucun appareil électronique n’a franchi la porte d’entrée, le téléphone date du siècle dernier, relié à l’antenne du toit de l’immeuble par un fil, il n’y a pas de connexion internet, même mon tourne-disque est une platine vieille de 70 ans qui diffuse de la musique avec des disques vinyle. Les ondes sont persona non grata dans ma grotte, comme je nomme mon studio. Seules les ondes de mon radio-réveil sont admises.
Lorsque Sarah m’a proposé cet achat, nous avions pris la décision de nous séparer, elle venait de signer un mandat de vente, la veille au soir, elle savait qu’en 24 heures les deux chambres seraient vendues au prix de 100 000 euros chacune. Elle m’avait donné une matinée afin de prendre ma décision ; immédiatement, je suis allé voir mon banquier afin de lui demander un prêt de 150 000 euros, les taux de crédit étaient alors proches de 0 %, une aberration ! Mais j’en ai profité et avec un petit héritage, mon budget était bouclé. Aujourd’hui, aucun regret, dans deux ans, le prêt sera terminé et chaque semaine, on me propose de racheter mon studio au prix faramineux de 500 000 euros.
Mais pour rien au monde, je ne veux le vendre ; célibataire, je n’ai pas besoin d’un appartement plus grand, et lorsqu’il m’arrive de recevoir une copine, il est inutile de faire de grands discours, elle tombe littéralement sous le charme du lieu, et en même temps dans mon canapé-lit.
Certaines seraient volontiers restées, elles se voyaient me préparer des petits plats, ou me réchauffer mon lit, lorsque je rentre tard de mon travail. Mais j’aime bien ce célibat et cette solitude me permet d’écrire à toute heure du jour ou de la nuit. Et bien que Sarah et moi étions séparés depuis 13 ans maintenant, je suis encore amoureux d’elle, comment dire ? C’est plus qu’une amie, c’est mon double au féminin, ma confidente ; je peux tout lui dire, de temps en temps, je l’invite au studio et nous finissons toujours par faire l’amour, comme autrefois. Mais Sarah a une attirance pour les femmes et ça, je n’y peux rien !
Lorsque je l’ai connue, j’avais trente-cinq ans et elle 12 ans de moins que moi ; elle sortait de l’université avec une licence en économie et gestion en poche. Cela a été un coup de foudre, brune aux cheveux courts, elle n’était pas un canon de beauté, mais il se dégageait d’elle une telle envie de croquer la vie, avec son sourire radieux, ses yeux marron qui brillaient, cette petite fossette au coin des lèvres, j’ai tout de suite été séduit. Je l’ai invitée au restaurant, nous nous sommes beaucoup parlé, et le soir même nous avons fait l’amour.
Intelligente, elle voulait se mettre à son compte, et après un passage de deux ans dans une agence immobilière, elle avait obtenu sa carte grise qui lui permettait d’ouvrir sa propre agence, rue d’Alésia dans le 14e arrondissement de Paris.
Nous avons rapidement emménagé dans un deux-pièces à Montparnasse, juste à côté de la Coupole, célèbre brasserie art déco qui, avec le Dôme, la Rotonde et la Closerie des Lilas, avait été le centre des années folles au siècle dernier. Aujourd’hui encore, un certain charme émane de ce lieu, même si kiki de Montparnasse ne danse plus à moitié nue sur les tables de la Rotonde, comme cela avait été le cas dans les années 1920-1930. Les traces de Cocteau, Giacometti, Braque, Picasso, Aragon, Chagall, Piaf, Hemingway transpirent encore dans ces lieux et vous transportent en 1920, au milieu de tous ces artistes et intellectuels. Man Ray, célèbre photographe, l’amant de Kiki, l’a immortalisée avec ses photos encore accrochées aux murs de certaines brasseries.
Avec Sarah, nous menions une vie débridée, on enchaînait les sorties au cinéma, au restaurant, au théâtre, les clubs de jazz nous ouvraient leurs portes chaque vendredi et samedi soir, le Slow Club, rue de Rivoli, le New Morning et surtout le Caveau de la Huchette, dans le 5e arrondissement, nous faisaient danser le rock et le bebop, jusque tard dans la nuit, et nous terminions souvent à l’aube un peu éméchés au Procope, célèbre restaurant, le plus ancien de Paris, qui nous servait leur fameuse soupe à l’oignon, avant d’aller se coucher.
Sarah avait une vitalité qui lui permettait d’être souriante dès 10 heures du matin, afin d’ouvrir son agence et d’enchaîner les visites d’appartements que lui imposait son métier. En ce qui me concerne, il me fallait actionner mon radar automatique afin de me présenter à 10 h 30 à mon poste de travail.
Lorsque l’on me demande mon métier, je marque toujours un temps d’arrêt avant de répondre ; en effet, en fonction de la personne qui me pose la question, je réponds écrivain ou chef de rang dans une brasserie.
Cela fait douze ans maintenant que j’écris, des nouvelles, des essais, des pamphlets, aujourd’hui je me lance dans l’écriture d’un roman, projet ô combien ambitieux. Mais dès que l’on demande combien de livres ont été édités et que je réponds aucun, l’étonnement puis la déception se peignent sur le visage de mon interlocuteur ou mon interlocutrice et la conversation s’arrête nette.
Aussi, je préfère répondre le plus souvent, serveur ou chef de rang, chez Lipp, la brasserie de Saint-Germain-des-Prés ; et là, tout de suite, les visages s’éclairent et les questions fusent.
— Quelle chance ! Tu dois voir du beau monde : des artistes, des chanteurs, des acteurs de cinéma, des hommes et des femmes connues, raconte-nous ! me demande-t-il.
C’est effectivement le cas, mais discrétion oblige, je raconte plein d’histoires, toutes inventées, et cela me permet parfois de draguer quelques minettes qui ont besoin de rêver.
Lipp, c’est une institution, une brasserie incontournable, classée monument historique. Elle accueille chaque jour le gratin de la vie parisienne ; s’y côtoient acteurs, hommes politiques, écrivains, philosophes, tous ont leur rond de serviette et leur table réservée. En arrivant dans cette brasserie, j’ai tout d’abord été affecté au service du premier étage, cette salle est susnommée « l’enfer », les touristes de passage étaient systématiquement envoyés dans cette salle, le rez-de-chaussée étant réservés aux habitués ou aux personnes connus. Mais même là il y avait deux salles, le « Purgatoire » c’était la salle au fond où j’ai officié quelques années avant d’aller au « Paradis », la salle de devant, où l’on pouvait voir et être vu, les tables étant systématiquement destinés aux gens célèbres, vedettes de la politique, du théâtre, du cinéma et aussi quelques habitués qui venaient presque chaque semaine.
En face de la brasserie, de l’autre côté du boulevard Saint-Germain se trouve le café littéraire des Deux Magots, ainsi que le café de Flore, où se réunissent les intellectuels et les artistes, comme autrefois se réunissaient Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre, mais aussi Elsa Triolet, André Gide, Jean Giraudoux, Picasso, Fernand Leger, Raymond Queneau qui ont animé ce quartier de Saint-Germain-Des-Prés au XXe siècle.