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Paris, Grand Siècle. Dans l’ombre des ors du pouvoir, un pacte inavouable se scelle. Jean-Baptiste Colbert, fidèle ministre de Louis XIV, reçoit une mission impensable : fabriquer un miroir sous l’ordre d’un commanditaire hors du commun… Lucifer lui-même. De la galerie des Glaces aux couloirs de la couronne, les complots se nouent, les destins s’affrontent, et la grande Histoire se dessine à travers mille récits méconnus. Chaque décision peut faire trembler le trône, chaque reflet contenir une menace insoupçonnée : une seule question demeure… qui tire réellement les ficelles ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
S’appuyant sur des fondements historiques qui confèrent à sa narration une dimension érudite,
Rémi Monréal déploie une écriture savante. Après La Taverne de Platon et son atelier d’écriture publié chez Edilivre en 2022, il entraîne ses lecteurs dans les arcanes du pouvoir sous Louis XIV, incarnant Jean-Baptiste Colbert au cœur des intrigues de la cour.
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Seitenzahl: 220
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Rémi Monréal
Colbert et Lucifer
L’émeraude qui devint pierre
Roman
© Lys Bleu Éditions – Rémi Monréal
ISBN : 979-10-422-6515-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Car l’homme seul peut encore jouer avec le passé, le faire revivre à nos yeux et le ressusciter par l’art ; « L’avenir est à Dieu, mais le passé est à l’histoire. »
Jean d’Ormesson – La gloire de l’Empire
Il vola la famine et s’en fit une assiette qui devint son miroir et sa propre déroute.
René Char – Le masque funèbre
Au commencement, la main de Dieu avait séparé la lumière des ténèbres. Le premier serviteur de Dieu, Lucifer, était un ange de lumière, de bonté. Il était le plus beau, le premier des anges.
Lucifer, le fils de l’aurore, se perdit dans le reflet du miroir de Dieu. On le lui avait seulement prêté, et il en prit possession.
Son éclat dans la glace l’aveugla, l’orgueil l’éloigna de la sagesse, il voulut un royaume plus haut que les étoiles du Grand Architecte.
Le serviteur s’admirait dans son reflet en oubliant le Maître.
Dieu intervint en envoyant l’archange Gabriel pour le combattre. Lucifer perdit lors d’un mémorable combat face au messager et, dans sa chute, l’émeraude sacrée qu’il avait au milieu du front se brisa sur terre. C’était son troisième œil et il plongea au fond de l’abîme.
L’ange déchu avait connu la lumière, il rampait comme un serpent maintenant, à la recherche de l’âme faible. Mais au fond de lui-même, une frêle étincelle subsistait.
Lucifer devint Satan, mais en Satan restait l’autre reflet de Lucifer, presque assoupi. L’ange banni espérait peut-être la rédemption.
Satan se méfiait de la milice céleste et veillait.
1644
Au lendemain de la bataille de Gravelines, le 29 juillet 1644, le gouverneur espagnol Fernando de Solio agenouillé devant Monsieur, Gaston d’Orléans, reçoit des louanges pour la défense de la ville.
Peu après cet évènement, le commissaire Colbert arrive dans son carrosse de voyage pour procéder à une revue de garnison et surveiller la remise en état des fortifications.
À vingt-quatre ans, le commissaire impressionne. Sa taille avantageuse lui confère une autorité certaine. Une chevelure souple et naturelle, noire comme ses épais sourcils, encadre son visage. Ses yeux sont de la même couleur de jais. Sa face est adoucie par des lèvres sensuelles couronnées par une fine moustache. Les traits altiers correspondent bien à la fonction.
Il doit organiser aussi le ravitaillement, traquer les fraudeurs pour le paiement des soldes en vérifiant les effectifs. Il est sur tous les fronts, c’est le cas de le dire, car le Commissaire circule de place forte en place forte, sur les chemins, les routes de France, dans l’inconfort le plus total. À vingt-quatre ans, la tâche est valorisante, mais ingrate.
Après sa mission, le jeune Colbert rentre en août à Paris. Il fait très chaud en cet été 1644. Une vague de chaleur impitoyable pour les hommes et les bêtes s’est abattue sur le nord du royaume.
À petite vitesse, cahin-caha, notre commissaire se dirige vers la capitale en rageant. Déjà quatre ans qu’il sillonne la France dévastée par la guerre, la famine et les maladies. Il faut quatre jours pour aller de Paris à Lille, voire plus s’il n’y a pas de chevaux frais dans les relais, dix à onze jours pour aller à Lyon. L’homme est fatigué, pense à ses conditions de vie qu’il voudrait bien améliorer.
Des cris le surprennent dans ses réflexions. Des hommes sortent des sous-bois et stoppent l’équipage à la bifurcation de l’abbaye de Watten.
La porte s’ouvre et la chaleur soudainement baisse dans l’habitacle. Un courant d’air froid envahit l’espace de Colbert, intrigué et inquiet.
Un homme tout de noir vêtu, à la silhouette élégante, les cheveux longs sur les épaules, les yeux mi-clos et sombres, entre et s’assoit en face de notre voyageur.
L’homme scrute le visage du passager et ne dit rien.
N’en pouvant plus, Colbert intervient :
— Qu’est-ce donc ? Que voulez-vous à la fin ? Ma bourse, manant ?
— Chut, ici, c’est moi qui parle.
— Qui parle ? Qui êtes-vous ?
— Vous êtes bien impatient, Monsieur…
— Colbert, au service de l’État et du Roi.
— Je sais, Jean-Baptiste Colbert.
— Mais comment savez-vous ?
— Je sais tout, aussi bien ici en haut qu’en bas, d’où je viens. Du plus profond, on observe les âmes.
— Que de sottises ! Qui êtes-vous, à la fin ? Nous avons assez perdu de temps.
— Je suis Lucifer, Prince des ténèbres. Regarde cette canne à côté de toi, c’est un serpent qui s’agite maintenant.
Effrayé, Jean-Baptiste voit en effet un serpent bleu.
— Tu vois, Colbert, ton nom « coluber » en latin signifie couleuvre. Ta canne est devenue un serpent bleu, preuve que l’on peut être en affaires. Le serpent saute dans la main de l’homme habillé de noir pour se transformer en plume de feu.
— Ah mais c’est de la magie, de la véritable sorcellerie !
Le pauvre Colbert est maintenant terrorisé.
— Tais-toi et écoute.
Sidéré, le commissaire aux armées ne bouge plus.
— Je suis ici pour te proposer un pacte. Grâce à moi, tu peux devenir un grand de ce royaume. Je te donnerai le pouvoir des très grands, la richesse, la science de la politique et de l’organisation, une puissance de travail qui étonnera ton entourage. Un jour, le Roi de France fera appel à toi, et tu deviendras indispensable au monarque. Tu seras celui qui gouverne en suggérant au Roi les décisions à prendre. Ta gloire sera éternelle. Je peux t’offrir tout cela.
— En échange de quoi ?
— Tu chercheras pour moi un morceau d’émeraude gravé de deux traits, puis tu feras fabriquer un miroir de la hauteur d’un homme avec la formule que je te donnerai. Quand tu auras fait tout cela, tu auras respecté alors la moitié du marché.
— Et l’autre partie du pacte ?
— Ta descendance profitera de ton action, mais ton âme restera en ma possession.
Jean-Baptiste Colbert frissonne et jauge le démon.
— Tu signes ce pacte en paraphant ce parchemin pour choisir ainsi ta future vie. Sinon, je pars sans regarder en arrière, et les spadassins dehors ne négocieront pas comme moi. Dépêche-toi, j’ai d’autres âmes à glaner.
Colbert signe d’une goutte de sang qui tombe ; c’est le sceau de son engagement maudit.
— Arrivé à Paris, procure-toi une émeraude, peu importe la grosseur, et lorsque tu voudras me voir, mets-la sur ta langue et j’apparaîtrai sur l’heure.
Tétanisé par le froid, Colbert revoit sa canne dans sa main.
— Tu vas devenir important, riche, car il faut de l’argent pour conquérir le pouvoir, mais attention, on ne trahit pas Lucifer. Ta mort sera terrible, car pleine de souffrances si tu me tournes le dos.
En un instant, la porte se referme, la chaleur monte, notre jeune commissaire est maintenant en sueur. Colineau, le cocher, fouette ses deux chevaux comme si le diable était à ses trousses.
Lucifer avait enfin trouvé l’homme qui allait fabriquer son miroir. Sa quête remontait à loin.
La fameuse visite du Fils de Dieu l’avait surpris.
En ce temps-là, les hommes cultivaient le péché dans l’insouciance, et cela devait cesser pour le créateur. Le Père envoya son Fils pour le pardon de tous et remettre sur le bon chemin les âmes égarées.
Le Christ, à la fin de son martyre, entre sa mort et sa résurrection, descendit aux enfers où séjournaient les morts pour ramener les justes captifs. Le temps céleste et le temps des enfers n’ont pas d’emprise sur les jours et les heures. L’homme de la croix voulait, avant de rejoindre son Père, prêcher la bonne parole à ceux qui étaient morts avant sa venue sur Terre.
Le rédempteur n’oublia pas l’ange déchu, l’ange de bonté, l’ange de lumière, et dans sa grande miséricorde, le Messie pensa à Lucifer, qu’il détourna de Satan un instant. Le fautif pouvait peut-être se racheter. Alors, le Christ proposa à l’ancien serviteur un marché. Il lui demanda de retrouver un morceau d’émeraude avec une croix gravée de deux coups d’épée par l’archange Gabriel pendant le fameux combat.
Lucifer devait ensuite réaliser le miroir de Dieu avec un peu de poudre de l’émeraude retrouvée. Ce miroir céleste devait le réfléchir en entier afin de voir la gloire de Dieu s’y refléter. Ce miroir avait aussi le pouvoir de révéler l’âme de celui qui s’y contemplait. Après 666 jours de silence, Lucifer devait se mirer pour prendre conscience de ses turpitudes et comprendre le chemin à suivre. Le miroir par lequel il avait péché pouvait devenir l’instrument de sa rédemption. « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », disait la Table de L’Émeraude. Ainsi, Lucifer porterait une nouvelle lumière et, en gage de bienvenue, offrirait le nouveau miroir à Dieu.
C’était la seule condition pour monter aux cieux et redevenir un chérubin protecteur.
Depuis cette rencontre dans l’ombre de Satan, Lucifer a cherché tous les moyens pour la fabrication de ce miroir.
En attendant la création de l’objet, Lucifer a continué de travailler au service de Satan avec sa plume de feu, signant des pactes avec les hommes afin d’offrir des âmes à son maître.
Les recherches du prince des ténèbres étaient vaines. Le reflet de l’eau calme n’était pas la solution, le bronze, l’argent poli et l’or se ternissaient rapidement, il fallait attendre.
C’est du côté de Venise, à Murano, que Lucifer entrevit la solution pour le reflet rédempteur.
Et ce pacte signé, pour son compte, dans ce carrosse, était le début de sa rédemption.
1645-1648
Un an après…
L’aube accompagne une nouvelle fois Jean-Baptiste Colbert pour débuter une journée de labeur de plus de quinze heures. L’aurore ouvre son esprit, et Lucifer, que la Bible appelle volontiers « le fils de l’aurore », plane autour de ses pensées.
Son ascension rapide sur des routes audacieuses, ténébreuses, a satisfait son ambition démesurée, qui l’a fait basculer de l’autre côté du miroir.
La rencontre avec l’ange du mal a été la cause de sa bonne fortune. Si le pacte le rend mal à l’aise, il se dit, pour se rassurer, qu’il croit toujours en Dieu. Après tout, il n’y a pas grand-chose de démoniaque à fabriquer un miroir.
C’est d’abord son cousin, Saint-Pouange, qui le recommande à Michel Le Tellier, son beau-frère, alors Secrétaire d’État à la Guerre. À vingt-cinq ans, il devient le commis du Secrétaire d’État à la Guerre. C’est un marchepied pour la gloire et le pouvoir, car Monsieur Le Tellier va l’entraîner dans son sillage vers une folle destinée.
N’étant plus sur les routes de France, désormais, Colbert habite dans les bureaux installés à la résidence personnelle du ministre, dans l’hôtel Le Tellier, rue Plâtrière, non loin de Saint-Eustache, lieu important pour la suite de l’histoire.
C’est le temps où la régence rencontre des difficultés. La reine se bat avec les parlementaires. Le 9 mars 1646, Mazarin est nommé surintendant de l’éducation du Roi et de celle de son frère, le duc d’Anjou. Le jeune prince tombe malade, et les médecins donnent peu d’espoir de guérison.
Colbert, de son bureau, entend les rumeurs. Il s’inquiète des conséquences. Le désordre n’est pas bon pour les affaires.
L’ancien petit commissaire des revues a gardé des contacts. En voyageant, il a vu défiler, par la fenêtre de son carrosse, les malheurs des provinces de France et a su créer des réseaux.
Le 22 novembre 1647 au matin, son ancien cocher, Colineau, devenu son âme damnée pour les basses besognes, lui donne un renseignement de la plus haute importance. La veille au soir, lors d’un souper donné par l’abbé de La Rivière, on aurait ostensiblement bu à la santé du duc d’Orléans, qui hériterait du trône si le futur Roi mourait.
Dans le délire arrosé des convives, le duc est déjà sur le trône, tandis que le jeune Roi repose trois pieds sous terre. Les vapeurs du vin ont égaré ces hommes et révélé des intentions hostiles. Ce n’est pas un complot, certes, mais le manque de bienveillance témoigne d’une certaine agitation malsaine envers ce jeune Roi, qui n’est pas encore monté sur le trône.
L’homme de confiance de Colbert détient cette information de source sûre. Le frère de Colineau est un familier de l’abbé.
Le jeune prince est effectivement au plus mal. Il est vrai qu’après beaucoup de potions de « bonnes femmes » à base de plantes et autres produits suspects, le futur Roi semble condamné. Les remèdes sont plus dangereux que la maladie. Les médecins ont multiplié les saignées et le malade se vide de son sang bleu. Son visage est devenu blanc. Les saignées sont le remède de l’époque. La doctrine veut qu’en vertu des principes des « humeurs », le corps, pour se défendre de la maladie, doit évacuer ses « humeurs vagabondes », qui provoquent la fièvre. Les médecins, tant moqués par Molière, reconnaissent quatre humeurs : le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire, qui correspondent aux quatre éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu. Ainsi on préconise la saignée, la diète, la purge et le vomitif pour rétablir l’équilibre. Les médecins sont de grands saigneurs, ils saignent pour tout. Une percée dentaire d’un bébé ? On saigne. Un accouchement ? On saigne. On se sent mal ? On saigne. On saigne du nez ? On saigne. On saigne tout le temps et les malades s’affaiblissent. Tous les quinze jours, le Roi sera saigné !
L’analyse de la soirée par Colbert le convainc que la situation pourrait être dangereuse, et il voit là une manière d’être remarqué. Aussitôt, il transmet à Le Tellier le contenu des toasts du repas, et son mentor s’empresse de prévenir Mazarin. Le Cardinal n’aime pas les relations du duc d’Orléans, il prend la chose au sérieux. L’héritier du trône fréquente les Habsbourg, ce qui déplaît à Son Éminence. Mazarin se rapproche séance tenante du Prince de Condé, le prince qui a été écarté de la régence malgré les vœux de Louis XIII, qui lui avait confié la tutelle de la régence d’Anne d’Autriche. Le plus grand capitaine français, vainqueur à Lens et à Rocroi, Louis II de Bourbon Condé, répond à Mazarin pour protéger la royauté.
Le 29 novembre, Mazarin annonce le rétablissement miraculeux du prince, qui en fait avait la petite vérole. Il n’y a rien de divin, les médecins ont incisé les pustules, qui se sont vidées du pus en guérissant le jeune malade. La doctrine est respectée : la bile jaune est sortie.
Le 1er janvier, Louis laisse voir sur son visage les stigmates de la petite vérole. La cour peut ainsi voir le visage rouge du prince de neuf ans, rassurant tout le monde, avec toutefois des mouchoirs sur le nez, imbibés de fleur d’oranger.
Le renseignement de Jean-Baptiste Colbert a été utile et a montré son efficacité. Condé, grâce à lui, reprend du service. Les convives d’un repas arrosé en ont été quittes pour payer une addition amère. Reconnu, Colbert sort des coulisses pour donner la réplique aux grands du royaume, en quittant une farce pour une pièce plus sérieuse. Maître Patelin laisse la scène au futur Maître du jeu.
1648-1649-1650
1648 est une année désastreuse, après d’autres, certes, mais la colère gronde dans le royaume. Plusieurs conflits ont ruiné le pays et accru la pression fiscale. Le peuple ne peut plus financer la guerre. Entre 1630 et 1635, l’impôt a déjà triplé.
Colbert observe ce fort bouillonnement, qui était prévisible tant la régence mijote dans un chaudron. Le couvercle peut sauter, car aucun cuisinier n’a l’âme d’un chef pour réduire le bouillon. Chacun a le nez dans son assiette et ne regarde pas les affamés.
La régence d’Anne d’Autriche avait mal commencé. En effet, contrairement à tous les usages, Louis XIII avait enregistré devant le parlement ses dernières volontés de créer « un conseil souverain de régence ».
Tout a commencé pour Louis XIV avec un lit de justice où la régente s’installe en cassant le testament de son mari, avec la bonne volonté du parlement et les réticences des princes. Le lit de justice est une séance solennelle d’un Parlement, souvent à Paris. Le Parlement juge au nom du Roi et, avec son droit de remontrance, peut critiquer une loi ou une ordonnance. Mais avec la présence du Roi, les parlementaires ne jugent plus au nom du Roi, ils enregistrent. Le Roi ordonne d’enregistrer les édits et ordonnances.
La régence est une période de transition fragile pour le pouvoir royal. Anne d’Autriche, infante d’Espagne et du Portugal, archiduchesse d’Autriche, princesse de Bourgogne et princesse des Pays-Bas, a pris la régence en tant qu’épouse de Louis XIII, en cassant le testament de son mari.
La potion est amère pour ceux qui devaient avoir une responsabilité au sein des décisions royales. Un Roi ne peut décider pour son successeur.
Cette étrangère, aux yeux de certains, accapare le pouvoir et a eu l’outrecuidance de nommer Mazarin Premier ministre. Les rumeurs les plus déshonorantes parlent d’un mariage secret entre la régente et Mazarin.
Les princes écartés des responsabilités politiques et les gens aisés, pressés fiscalement, sont agacés. La révolte couve depuis Henri IV. Louis XIII et Richelieu ont rajouté de l’insatisfaction avec le renforcement du pouvoir royal. La recherche incessante de nouvelles recettes en élargissant l’assiette des impôts révolte les plus riches. La minorité du Roi est le moment idéal pour cristalliser toutes les révoltes et démarrer une Fronde.
Les parlements s’agitent.
Les parlementaires de Paris se révoltent en réunissant les quatre chambres en une nouvelle chambre : la chambre Saint-Louis, du nom de leur lieu de réunion. Les hommes de loi veulent une réforme de l’État, exprimée en vingt-sept articles, dont la révocation des intendants, la diminution de la taille, le consentement du parlement pour de nouveaux impôts, la révocation des fermes d’impôts et l’interdiction d’emprisonner un sujet du Roi plus d’un jour sans voir un juge.
Ce n’est plus de l’agitation ou des remontrances comme autrefois. C’est une véritable rébellion.
Colbert constate d’ailleurs que la situation n’est pas meilleure dans les provinces ou dans les royaumes environnants. Les révoltes se sont multipliées à cause des injustices et d’un climat désastreux, nuisible aux récoltes, entraînant des disettes.
Charles 1er d’Angleterre attend son sort emprisonné par ses parlementaires dans le palais Saint James à Londres. C’est la première fois qu’un Roi est emprisonné par ses sujets.
À la cour, devant l’embrasement inquiétant, Anne d’Autriche s’exclame : « C’est une espèce de république dans la monarchie ! » Le cardinal tergiverse, et le prince de l’Église cède sur presque tout pour sauver l’essentiel, la couronne, et gagner du temps. Il doit garder à tout prix la maîtrise du destin du royaume.
Le Tellier et Colbert sont d’une fidélité au Roi à toute épreuve. Ce choix peut être particulièrement fructueux si la Fronde se termine au profit de la couronne. Ils comptent bien tous les deux toucher des dividendes. Mais Colbert est de toute façon un homme de devoir et ne connaît que la stabilité.
Le nouveau conseiller du Roi est rassuré aussi par la prophétie diabolique de son Maître. Il sait qu’il peut avoir confiance dans l’avenir puisqu’il est arrangé en sa faveur. Quand les dés sont pipés, la fortune est au rendez-vous des tricheurs, mais il convient de rester un tricheur honnête pour ne pas se faire prendre. La modération doit être la stratégie pour conduire la partie. On ne jette les dés qu’au bon moment. Colbert, qui ne fréquente pas les tables de jeu, est au courant des usages et des règles.
La gesticulation des parlementaires prend une forme qui ne lui plaît guère. Début janvier 1649, le parlement déclare Mazarin ennemi du Roi, de l’État et perturbateur du repos public.
Le pouvoir royal subit la révolte intérieure et l’agitation extérieure.
La conjoncture à Paris est périlleuse. Le jeune Roi de dix ans quitte la capitale avec sa famille. En catimini, par un froid glacial, la petite troupe royale et les fidèles se dirigent vers Saint-Germain.
Le maréchal de Turenne rejoint la Fronde. Il est mécontent et s’allie avec l’Espagne, ennemie du royaume. Lui, qui a gagné toutes les batailles au service du Roi de France, n’aime plus Mazarin, qui a pris tous les pouvoirs. Le grand conquérant, vaincu par la beauté d’une femme, la sœur du Grand Condé, adversaire de son frère et du Roi, retourne ses armes contre la Régence. Mais un banquier du cardinal, Barthélémy Hervard, sauve la situation et s’en va au-devant des troupes du maréchal Turenne payer l’arriéré des soldes des soldats. Le maréchal perd la moitié de ses effectifs. Turenne part en exil, défait, et songe déjà à mettre son épée au service du jeune Roi.
Quant à Mazarin, il dépense plus d’un million et demi de livres tournois pour garder cette armée, prouvant qu’il sait aussi dépenser son argent pour sauver son Roi et son pouvoir.
Dans cette atmosphère dramatique, la Seine en profite pour se rebeller, elle aussi. L’île Saint-Louis est submergée ainsi que le quartier du Marais, Paris déborde et la nature se lie à ce débordement des hommes. On prie dans les chaumières, et on évoque aussi le diable, sûrement de la partie. Le froid et la disette sévissent. La crue exceptionnelle de la Seine favorise la stratégie royale en amplifiant les conséquences du blocus.
Les deux belligérants finissent par envisager la paix. Les magistrats et la cour prennent peur, tout en s’inquiétant pour des raisons différentes. Les parlementaires n’aiment pas les accointances de certains princes avec des pays étrangers et craignent les conséquences des émeutes de la faim. Quant à la Cour, l’exécution, le 30 janvier 1649, du Roi d’Angleterre décidée par le Parlement hante et inquiète la régente.
C’est alors que Colbert, avec l’aide de Condé et de Monsieur, organise fort discrètement des médiations. Les adversaires se rencontrent. Les pourparlers s’engagent, et un compromis est signé le 4 mars 1649. C’est la paix de Rueil qui est actée, suivie par la paix de Saint-Germain le 1er avril 1649. Tous les fauteurs de troubles sont pardonnés, y compris Turenne.
C’est la fin de la Fronde parlementaire. Les magistrats renoncent à limiter le pouvoir royal.
À la cour, on s’observe, des clans discrets se forment. Les mesquineries abondent, et les jeux de bons mots cruels ne manquent pas. C’est le seul endroit où le jeune Roi est respecté, et l’étiquette forme un bien faible rempart. La régente offre des tabourets avec parcimonie. Le présent est un privilège accordé à la cour de France : s’asseoir près d’Anne d’Autriche devient un enjeu, voire un nouveau titre. C’est une faveur et ainsi, certains assoient leurs ambitions. Un tabouret pour préserver un trône, le troc est intéressant et fait bien rire Colbert entre deux lectures de rapport. Pour une fois que la royauté fait des économies : offrir un tabouret est un investissement qui ne coûte rien et asservit les grandes familles.
Colbert devient officiellement conseiller d’État le 29 mai 1649. En six ans, malgré la période troublée, l’homme a franchi les marches du pouvoir au pas de course. Les attendus du brevet signé par le Roi stipulent : « sa capacité, expérience des affaires, prudence, bonne conduite, fidélité et affection ». Le Tellier, devenu important, n’a pas oublié son protégé. La reconnaissance du pouvoir chèrement acquis en livrant son âme au royaume noir du démon a porté ses fruits.
Mais les ambitions satisfaites des uns créent des jalousies chez les autres. Le Grand Condé, sauveur du Roi en bloquant Paris, est ambitieux et réclame à la régente et à Mazarin plus de compensations financières pour services rendus et surtout des responsabilités politiques que la monarchie ne veut pas donner. Le pouvoir royal doit reposer sur la reine, qui assure la régence de son fils, et sur un Premier ministre Mazarin. Condé a permis la paix de Rueil, certes, mais il devient gênant. Les Princes sont fragiles, et leurs costumes se déchirent souvent devant trop d’ego à satisfaire. C’est au tour de Condé de se fâcher avec Anne d’Autriche et Mazarin. Le Prince est arrêté en plein conseil en janvier 1650 avec son frère et son beau-frère. Ils sont enfermés au château de Vincennes. Les provinces fidèles se soulèvent. La Fronde des Princes a commencé.
Le Roi, la régente et Mazarin partent à la rencontre des provinces et des esprits pour éviter que la France ne s’enflamme. Colbert les suit et rend compte à Le Tellier, resté à Paris, et chaque jour, il s’occupe de l’intendance pour la troupe royale : il faut du pain, des vivres, des armes et des munitions.
Le commis de Le Tellier observe et note tout, met en fiches, sous forme de courts rapports, les informations qu’il reçoit et prend coutume d’enregistrer les confidences des proches du pouvoir en un langage codé dans un cahier déjà fort épais. Il attend le retour au calme pour intervenir. Le temps est aux hommes providentiels, et il veut faire partie de la troupe du mélodrame qui se joue en France.
Colbert a su se rendre indispensable en ces temps de trouble. La Fronde a eu le mérite de le révéler aux yeux du Roi et des puissants.