Combien de fois dois-je mourir - Yani Lascano - E-Book

Combien de fois dois-je mourir E-Book

Yani Lascano

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Beschreibung

Parfois, d'un chaos infini et sans signification, une figure émerge, superbe par ses courbes familières et sa beauté intuitive, sa résonance prégnante: un Attracteur étrange. Ce ordre jailli du désordre pour nous, c'est la destinée, Ananké, celle qui fait converger des êtres dans un magma de vies perdues pour mettre en scène la tragédie et nous proposer l'héroïsme. Nous assumons ce tragique, car il fait naître les héros et nous aimons l'héroïsme, simplement parce qu'il résonne en nous, nous attend. Tout était il déjà programmé dans les conditions initiales de notre incompréhensible existant, ce déprimant chaos déterministe? Cet Attracteur étrange nous propose-t-il, au contraire de refuser toute soumission aux dieux, aux rois, à la dictature de l'inexorable, pour que Ananké, notre destinée, lueur dans la nuit, cet appel enfin dans le silence, s'impose à cette détestable fatalité? Juste un roman où, emportés par ce qu'ils n'ont pas choisi d'être, les personnages transgressent toute loi collective, et où la justice, poussée à son paroxysme par une conviction individuelle, nous terrifie et nous séduit tout à la fois. Ici, ils sont déjà tragiques, parce qu'ils ont leur histoire, avant même que leurs routes ne se croisent, avant même que cela ne leur fasse prendre conscience qu'ils ne peuvent refuser un combat qui les fait exister enfin parce qu'il les légitime. Des êtres dans leur quête de réconciliation avec leur passé et de réappropriation de leur destinée pour qui nous avons une affection discutable mais inévitable et qui nous renvoient à nos propres cicatrices.

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Parfois, d’un chaos infini et sans signification, une figure émerge, superbe par ses courbes familières, sa beauté intuitive, sa résonance prégnante : un Attracteur étrange.

Cet ordre jailli du désordre, pour nous, c’est la destinée – Ananké – celle qui fait converger des êtres dans un magma de vies perdues pour mettre en scène la tragédie et nous proposer l’héroïsme.

Le tragique, c’est Sophocle et son Antigone qui se révolte et oppose sa justice individuelle aux dieux, aux rois et à la loi de la cité. Socrate, célèbre pour son « connais-toi toi-même et laisse le monde aux dieux », traduisez : « crains les dieux et soumets-toi à tes maîtres », nous propose au contraire sa paralysante sagesse. Nietzsche concluait que Socrate avait tué Sophocle !

Soit… Mais nous ne sommes pas tous des philosophes. Y en a-t-il encore d’ailleurs ? La vie nous montre, au contraire, que, même sans dieux et sans roi, l’homme libre est tragique. Nous assumons ce tragique, car il fait naître les héros et nous aimons l’héroïsme, simplement parce qu’il résonne en nous, nous attend.

Tout était-il déjà programmé dans les conditions initiales de notre incompréhensible existant, ce déprimant chaos déterministe ? Cet Attracteur étrange nous propose-t-il au contraire de refuser toute soumission aux dieux, aux rois, à la dictature de l’inexorable, pour qu’Ananké, notre destinée, lueur dans la nuit, cet appel enfin dans le silence, s’impose à cette détestable fatalité ?

Les Dieux, le Destin, ou le hasard – si vous ne voulez pas entendre parler de ces croyances – jette un individu asservi par sa naissance et par l’ignorance de ses possibilités, dans un affrontement impossible. Lui qui avait déjà du mal à s’en sortir dans sa vie pitoyable, se révolte alors, accepte ce combat et, à la grande joie du lecteur, le personnage transparent émerge de sa chrysalide et le héros remet l’histoire dans l’ordre que l’on s’impatientait de retrouver.

Bon… Sauf que le hasard ne s’amuserait pas à fâcher les statistiques avec les probabilités en montant des coïncidences peu crédibles : si c’était lui dans le coup, tout serait dans la moyenne ou la médiane, je ne sais plus, et il ne se passerait rien de très passionnant dans cette histoire. C’est pourtant ce que l’on attend d’un roman. Alors j’ai été contraint de mettre le Destin derrière tout ça : lui, rien ne l’arrête, surtout pas des contingences rationnelles. Aussi, je l’avoue, parce que je le soupçonne de m’avoir pourri la vie un certain nombre de fois. Bien entendu, comme d’habitude, il s’est fait un petit plaisir en montrant que, même habillés en héros, nous restons nous-mêmes et je reconnais avoir été obligé de tricher avec lui pour qu’au moins quelques-uns de mes personnages ne se révoltent pour reprendre en main leur futur. En revanche, le Destin est resté intransigeant en ce qui concerne l’humanité qu’il a du mal à imaginer pouvoir cesser de le décevoir.

Et les dieux ? Impossible de les contacter : ils doivent jouer aux dés avec Einstein, j’imagine.

Bref… Juste un roman où, emportés par ce qu’ils n’ont pas choisi d’être, les personnages transgressent toute loi collective, et où la justice, poussée à son paroxysme par une conviction individuelle, nous terrifie et nous séduit tout à la fois. Ici, ils sont déjà tragiques, parce qu’ils ont leur histoire, avant même que leurs routes ne se croisent, avant même que cela ne leur fasse prendre conscience qu’ils ne peuvent refuser un combat qui les fait exister enfin parce qu’il les légitime.

Des êtres dans leur quête de réconciliation avec leur passé et de réappropriation de leur destinée pour qui nous avons une affection discutable mais inévitable et qui nous renvoient à nos propres cicatrices.

Sommaire

LE PREMIER JOUR

Monte Carlo

Sallanches

JOUR J + 1

Sallanches

JOUR J + 2

Sallanches

JOUR J+3

Vence

Genève

Vence

JOUR J + 4

Lac Léman

JOUR J + 5

Sallanches

Chambéry Vence

Lyon

Bangkok

JOUR J + 6

Lyon Genève

Genève

JOUR J + 7

Lac Léman

Genève

Vence

JOUR J + 8

Bangkok

Vence

Bangkok

JOUR J + 9

Bangkok

JOUR J + 10

Hong Kong

Vence

JOUR J + 11

Manille

JOUR J + 12

Thaïlande Sud-est

JOUR J + 13

Nord de la Thaïlande

JOUR J + 14

Nord du Laos

JOUR J + 15

Thaïlande Sud-est

Koh Chang

JOUR J + 15

Thaïlande, Montagnes du nord.

QUELQUES JOURS DE PLUS

Lac Léman

LE PREMIER JOUR

Monte Carlo

— Monsieur !… Monsieur !

Cette voix me semble naître de la nuit…

— Vous vous sentez mieux ?

L’obscurité se dissipe progressivement, je distingue des gens penchés sur moi. J’ai du mal à respirer, j’ai envie de les repousser. Je découvre le visage d’une femme, des enfants me regardent, accrochés à elle. Il faut que je dise quelque chose, je ne sais pas quoi… je n’arrive pas à réaliser ce que je fais là !

— Écartez-vous, laissez-lui de l’air !

Des mains puissantes me relèvent. J’arrive à tenir debout. Tout s’éclaire : je suis sur un trottoir, il y a beaucoup de lumière, du soleil. Je regarde autour de moi : c’est une grande place. Au bout, il y a un château avec des oriflammes. Cela me dit vaguement quelque-chose… où ai-je déjà vu cet endroit ? Je me retourne : derrière moi, des fleurs partout, on dirait un jardin botanique descendant à pic jusqu’à un muret qui domine, tout en bas, la mer bleu foncé. Je trouve cela très beau, et une onde de sérénité m’envahit progressivement. Je respire profondément, je me dis qu’il faut que je remercie tous ces gens :

— Cela va mieux… Merci !

J’ai honte de leur demander où je suis :

— Encore merci… Je vais continuer !

On me tend un sac à dos, je reconnais le mien ! Je glisse une bretelle sur mon épaule, réussis à leur faire un sourire et m’éloigne directement devant moi vers l’extrémité de la place en longeant le muret qui borde le jardin.

Peut-être ai-je fait une chute ? Ce n’est pas la première fois que je perds connaissance et que je me réveille ainsi avec une amnésie quelques fois de plusieurs jours. Généralement tout remonte progressivement mais pas toujours. Le dernier souvenir qui me revient, cette fois, c’est cette altercation avec mon employeur dans son bureau. Je revois la scène et cela m’indiffère : un travail sans intérêt, des supérieurs hiérarchiques stupides et odieux. Je savais que tôt ou tard cela se terminerait de la sorte. Après… je me vois marcher sans but dans Paris et ça s’arrête là, tout s’estompe. Bon, cela me reviendra !

Devant moi des marches qui descendent à des commerces, à des restaurants et à un parking qui semble avoir une sortie en bas, au niveau de la mer. Sans trop savoir comment, je suis en train de descendre dans l’étroit escalier du parking. Je me demande pourquoi, mais finalement pourquoi pas ? Puisque je ne sais pas comment je suis là et que rien de logique ne m’est proposé. Paradoxalement, cette absence de passé m’ouvre le futur, comme une liberté naissante ! J’ai dû prendre mon sac à dos et partir pour me changer les idées, vers le sud. La méditerranée visiblement. Ce bleu intense, ce n’est pas l’océan.

L’escalier étroit, même éclairé automatiquement, m’étouffe et je sors au premier niveau qui se présente. Je me retourne machinalement : au-dessus de l’ascenseur à côté de l’escalier, il est marqué : « Niveau 3 ». Étrangement, ce parking a des ouvertures sur un côté vers l’extérieur. Entre les poteaux de béton, on voit le ciel, plus loin la mer et en contrebas le port. Attiré, je vais m’accouder au mur extérieur entre les voitures pour regarder et respirer quelques minutes d’oxygène. Le port, la mer, l’horizon, le ciel… On dirait bien Monte-Carlo. Mais je ne peux rester là éternellement, et, avec regret, je fais demi-tour et je dois, pour revenir, me glisser devant la carrosserie d’une voiture de sport. À l’avant, un simple sigle argenté, trois ondes entrelacées : la dernière née des Fractale ! Malgré moi, je m’attarde, j’en fais le tour. Sous la roue avant gauche, un reflet métallique attire mon attention. Je me penche et ramasse un disque épais, comme une grosse pièce de monnaie ovoïde. En relief doré sur le métal blanc, la marque et les trois ondes. Je le retourne pour voir l’autre face et soudain, une note claire, les feux qui clignotent et la lumière s’allume à l’intérieur ! J’ai dû, je ne sais trop comment, appuyer quelque part. Quelle idée de laisser la télécommande d’une voiture sous une roue ! Comme si on devait pouvoir la récupérer en toutes circonstances ! À moins qu’elle ne soit tombée ? Exactement sous la roue ? Ou alors, je rêve, je suis encore dans le coma ? Non, tout cela est bien réel, c’est encore le destin qui s’amuse ! Cette idée s’impose à moi, comme souvent. Fatalisme ou désintérêt pour tout ? Je ne sais pas pourquoi je suis là, je n’ai envie d’aller nulle part et, curieusement, je n’ai pas peur. J’ouvre la portière et monte. Cuirs blancs, luxe des placages rares sur de la fibre de carbone. Une impression de sérénité et de liberté plus que de puissance ou de richesse. Après quelques secondes d’émerveillement, j’ouvre la grande boite à gants, curieux. À l’intérieur, un automatique noir, impressionnant ! Au fond de la boite, je découvre un trousseau de clés avec une étiquette « Villa clair de lune Vence ». À côté, les documents de la voiture, mais aussi une petite sacoche. Je l’ouvre : une carte gold et son code écrit sur le rabat en cuir ! De l’argent, des gros billets, beaucoup ! Je regarde la carte de crédit plus en détail : le nom est « Julien Courtaud ». Qui est ce Julien Courtaud ? Pourquoi cette arme, cet argent, cette carte de crédit, son code, comme pour quelqu’un de démuni, en fuite, poursuivi peut-être ?

La vue de l’arme m’a refroidi, mais j’hésite à redescendre et à remettre la télécommande sous la roue. Même, de seulement l’envisager me rebute : qu’est-ce que j’ai à perdre ? Moi aussi, aucun passé ne m’attache, moi aussi je suis en fuite ! Pourquoi ne pas me glisser dans la peau de ce Julien Courtaud ? Et si j’avais tout oublié ? Si c’était moi ?

Je pose la télécommande dans la cavité de peau satinée au pied du levier de la boite automatique et cherche comment démarrer le moteur : il n’y a qu’un anneau argenté incrusté sur la planche de bord en carbone à droite du volant. Je l’effleure : une impulsion et un ronronnement chaud et puissant répond, à peine audible à l’intérieur. Sans que je le demande l’écran s’allume sur un GPS. Le temps d’essayer de comprendre la carte et le trajet qui s’est affiché et une voix féminine suave murmure :

— Villa Clair-de-lune ?

Je reste sans réaction, indécis, regardant l’écran et, devant mon mutisme, la voix semble décider à ma place !

— Votre destination : villa Clair-de-lune… Sortez du parking…

Je passe la boite automatique sur marche arrière.

Sallanches

« Les Coquelicots ». On voit encore, à l’entrée du chemin, à demi illisible, le petit écriteau rouillé sur son poteau de bois que le temps a penché. Patrick Deprez lève les yeux : un peu plus haut le chalet est toujours là. Cela le surprend, mais à bien y réfléchir, comment aurait-il pu disparaître ? En fait, c’est de le voir vraiment qui lui semble irréel après tant d’années pendant les-quelles son image a hanté ses souvenirs.

Début mai. Il fait enfin plus doux le matin et les premiers contreforts de la montagne s’éclairent de champs de fleurs. Il a laissé l’Audi dans le chemin de terre où les coquelicots le disputent aux herbes folles et aux épis sauvages et il s’approche. De plus près, le chalet apparaît plus délabré, quelques planches du bardage sont déboîtées et tombent en oblique et les lasures de protection ont disparu en écailles. Mais la toiture semble encore en état. C’est terrible pour lui de s’approcher. Plus de quinze ans après. Mais il a pris sa décision : maintenant qu’il a décidé de disparaître, tout cela ne peut plus lui appartenir. Tout cela doit être oublié. C’est aussi un acte de courage pour tourner la page. Un dernier adieu.

La porte d’entrée est simplement tirée, coincée à demi ouverte par le plancher gonflé à cet endroit, serrure défoncée. Les squatters ont dû se succéder. Devant lui, l’escalier en bois qui montait à sa chambre et, à droite, la grande salle de séjour avec sa cheminée en pierres du pays. Quelques meubles délabrés qu’on n’a pas emportés.

Et là, sur le plancher de bois noirci de sang séché, là, il y avait ses parents, allongés tous les deux côte à côte. Égorgés ! Il avait dix ans.

Ses tempes sont serrées, son cerveau vide, la douleur est grande et serre sa poitrine. Il ne peut cesser de fixer l’emplacement et c’est en reculant qu’il s’oblige à sortir. Dehors, il respire un peu, jette un dernier regard circulaire. À mi-chemin de la route, il y a cette petite grange où il jouait si souvent dans la paille avec son chien. Et, à la pensée de son compagnon, couché, silencieux, à côté de ses parents morts, lorsqu’il était entré dans le chalet au retour de l’école, des larmes coulent sur ses joues, sur le coin de ses lèvres, gorge bloquée, mais il ne s’en rend pas compte, il marche vers la grange, fait glisser la porte coulissante et entre. Les yeux doivent s’habituer à l’obscurité et puis progressivement, il voit. Il voit la silhouette sur le sol de béton. Effaré, il se force à avancer. Le corps d’une jeune fille est allongé, sur le dos, dans une large tache de sang séché noir. Égorgée.

Il lui faut longtemps avant de vraiment réaliser qu’il ne fait pas un cauchemar de plus, mais le courage qu’il a appris à cultiver le pousse en avant et il se penche, un genou au sol près du corps. Une jeune fille d’une quinzaine d’années peut-être. Il n’est pas spécialiste de ce genre de chose, mais cela lui semble récent. Il va pour se relever et, dans ce mouvement, il voit la marque. Un doigt de sang noir a essayé d’écrire quelque chose dans la poussière. Il y a les deux premières lettres écrites en majuscules : « AX ». Pas de confusion possible « A » et « X » ! Après, le doigt s’est relâché, la main a basculé et s’est ouverte vers le ciel.

Tout tourne dans sa tête : la similitude avec le meurtre de ses parents dix-huit années auparavant est évidente. On avait dit à l’époque que c’était un rôdeur de passage, un vagabond. L’enquête n’avait pas donné grand-chose. Tout devient lentement évident pour lui : ce n’était pas un vagabond de passage, c’était quelqu’un de la région ! Et il est encore là !

Une haine oubliée l’envahit, lui serre la nuque.

Il sort. Au loin, de l’autre côté de la vallée, pardessus Sallanches recouverte d’une brume basse, la silhouette du mont Blanc se dresse, enneigée, immuable, accompagnée des massifs qui le gardent, mais il ne les voit pas.

Il doit changer tous ses plans. Cela ne lui plaît pas du tout : tout était programmé à l’heure près. Il devait disparaître aujourd’hui même. On n’aurait pas retrouvé son corps dans le lac Léman à côté de sa voiture déchiquetée par les rochers, après un saut de plus de cinquante mètres. Ensuite il avait prévu de compléter sa nouvelle identité et enfin de passer à l’action.

Le destin qu’il a si souvent maudit semble lui offrir, cette fois, comment disparaître sans laisser derrière lui une vengeance inassouvie. Les priorités ont changé : maintenant il va retrouver cet homme, le faire avouer, et l’exécuter. Ensuite poursuivre son plan.

Patrick est chez lui, dans son studio à Genève. Ses doigts volent sur le clavier de son ordinateur. Il est entré sur tous les fichiers des cadastres et des mairies dans un rayon de vingt kilomètres autour du chalet.

Également les journaux, la poste, les banques, les associations et même les gendarmeries.

L’informatique, c’est son métier. Il pénètre tous les fichiers qu’il veut, mais il ne trouve aucun nom crédible commençant par AX. Il ne comprend pas. La jeune fille assassinée n’était pas de la région : il a trouvé dans un journal national une disparition récente du côté de Nancy qui pouvait correspondre, mais il pense prématuré de prévenir les parents. Probablement qu’ils sont encore pleins d’espoir et cela ne le tente pas du tout de les priver de ces derniers instants, de leur asséner cette terrible réalité.

Peut-être que ce n’était pas le nom d’une personne, mais un lieu, ou autre chose… et le prénom ?… Le prénom, après réflexion, c’est possible : si l’assassin s’est nommé à un moment, c’est peut-être le prénom qu’il a donné. Ses doigts travaillent rapidement.

Une heure après, il a une liste de dix noms de famille avec un prénom commençant par « AX » par chance peu nombreux. Après tri par sexe et âge, il recherche plutôt un homme entre quarante et quarante-cinq ans, en estimant que l’assassin pouvait avoir autour de vingt ans au moment du meurtre de ses parents. Il lui en reste quatre.

Maintenant il étudie chaque cas, un par un. Deux célibataires fixent son attention. Il regarde sa montre : deux heures de l’après midi. Faire vite !

La Peugeot de location est arrêtée dans le parking du supermarché de Sallanches sur la route de Chamonix. Patrick a son ordinateur portable sur les genoux et son androïd en partage de connexion. Tout s’est bien passé : aucun contrôle. Il est clair qu’au moindre doute il devra encore changer ses plans. Il vient d’éliminer un des deux Axel de sa liste : après quelques recherches et coups de téléphone, l’homme apparaît comme étant un célibataire qui se débrouille assez bien avec les filles, rarement seul dans la vie. Mais rien n’est impossible : il y reviendra plus tard si nécessaire. Il lui reste Axel Lemur, un clerc de notaire qui travaille dans la même étude depuis vingt ans et qui vit toujours chez sa mère, veuve. Sans jouer au psychologue profiler, spécialiste des tueurs en série, cela ne lui semble pas incompatible. Il sort et va à la cabine téléphonique du supermarché, une des dernières probablement : tout le monde a un smartphone maintenant. Mais c’est préférable. Il ne doit plus laisser de trace, jamais trop de précautions. Il appelle l’étude :

— Bonjour, je cherche Axel Lemur, il est présent ?

— Oui il est là, ça fait plus de huit jours qu’il est rentré ! Je vous le passe…

Il coupe calmement. Mais son cœur tape et sa mâchoire se crispe. Cela correspond : le clerc était bien absent, en vacances probablement : c’était nécessaire pour aller chercher sa proie dans l’Est. Et cela correspond à un intervalle de temps qui semble compatible également !

Patrick a garé son véhicule en retrait dans une rue transversale, mais s’est arrangé pour que le domicile de la mère d’Axel Lemur reste visible. Il attend. Un peu après dix-sept heures, une Honda pas très récente tourne, entre dans l’allée du petit pavillon, stoppe devant la porte du garage et le clerc descend. Patrick a pris de puissantes jumelles et il l’observe. Sa surprise est grande : l’homme a sa taille, plutôt bel homme et ne ressemble pas à l’image qu’il s’en faisait : celle du clerc réservé et introverti à moitié chauve. Quelque part cela le gène : cet homme lui paraît sans problème, il est peut-être en train de perdre son temps ! Il chasse ce préjugé, de toute façon il doit vérifier de près, trouver des preuves convaincantes avant de passer aux étapes suivantes. Il connaît les horaires de sa cible. Restent les va-et-vient de sa mère. Demain, jeudi, elle va probablement se rendre au marché franc sur la place entre les deux ponts.

JOUR J + 1

Sallanches

La vieille dame s’est faite attendre. Il est plus de dix heures quand elle sort avec son petit cabas à roulettes en tissus à carreaux et ferme soigneusement la porte avant de s’éloigner en boitillant. Il faut faire vite. Cet Axel rentre peut-être à midi. Patrick fait le tour du pavillon. Derrière, une simple haie le sépare d’une maison mitoyenne apparemment inoccupée, peut-être en location seulement en haute saison. Il est devant la porte-fenêtre de la cuisine sans poignée côté extérieur et se demande toujours comment on fait pour rentrer du jardin avec ce type de porte-fenêtre : pas pratique. En tout cas pour lui, pas de différence. Avec une pierre, main gantée, il casse le carreau à côté de la poignée intérieure, entre, pose la pierre en évidence devant la porte et commence ses recherches. Au rez-de-chaussée, la chambre de la mère, il ne s’y attarde pas. L’escalier le mène à deux chambres qu’il fouille en vain. L’ordinateur et son disque dur sont analysés en détail et il connaît la musique : rien, à part quelques sites pornographiques pas même pédophiles. Dans un tiroir un passeport. Quelques voyages : Croatie, Indonésie, Thaïlande. Il descend, dépité en réfléchissant.

Devant lui, entre la cuisine et l’entrée, la porte intérieure du garage. Le garage ! Un coin où la vieille dame ne doit pas se rendre souvent. Il ouvre, allume, descend les quelques marches. Son regard circulaire avise une série d’étagères et la plus haute lui parait parfaite. Il y a un escabeau qu’il tire. Des boites en plastique avec des clous, des vis et, derrière, une large boite métallique. C’est peut-être là : son cœur tape avec la montée d’adrénaline. Il l’ouvre. À l’intérieur : un grand couteau de boucherie qui glace son sang et des coupures de journaux ! Il trie et soudain son propre nom, la photo d’un gamin défait et les titres en gras. Il ne veut même pas lire et voir les autres coupures. La certitude est là comme un terrible soulagement. Il remet tout en place et sort par le même chemin, assommé.

Déjà un nouveau plan s’est constitué : cet homme va mourir à sa place. Dans son subconscient, il sait que c’est mieux encore. Mieux que la vengeance qui a brûlé le petit garçon qu’il était : la justice qui va le réconcilier avec son passé !

JOUR J + 2

Sallanches

La Honda s’arrête devant le pavillon et Axel Lemur s’attarde à écouter la fin d’un morceau de musique avant de couper le moteur. La portière du passager s’ouvre sans précipitation et un homme souriant monte, prend place à côté de lui et referme sa porte calmement. Lemur, surpris, n’a pas le temps de réagir.

— Bonjour ! Une petite marche arrière, nous allons faire une promenade ! Nous avons besoin de parler !

Le ton est tranquille et Axel Lemur fixe, ébahi, l’arme posée sur les genoux de son passager. La voix l’encourage :

— Allons Axel ! En route. C’est seulement si vous n’obéissez pas que vous allez me contrarier !

L’automatique s’est relevé et l’orifice noir le fixe. La voiture recule un peu brutalement.

— On se calme, tout va bien… nous avons à parler !

Un peu rassuré, le conducteur passe en marche avant et prend la direction que d’un doigt rapide on lui indique. Il arrive à parler :

— Et… où allons-nous ?

— Prenez la route de Chamonix… vous connaissez…

Axel Lemur est parcouru par un frisson glacé : pourquoi cette route ? Est-ce qu’il y a un rapport ? L’homme garde le silence et se contente de regarder le paysage le plus naturellement du monde. La voiture quitte Sallanches vers Chamonix. Cinq minutes après, sans même sans rendre compte, Axel Lemur lève le pied. Le passager, souriant, se tourne vers lui :

— C’est bien ça : on tourne ici et on monte vers Combloux ! Bien… Je vous laisse faire, vous savez où on va, on dirait…

Dix minutes de montée et, après une bifurcation, le chalet est là au bout de son chemin empierré.

— Arrêtez la voiture ici : on va finir à pied !

Ils descendent.

— Marchez devant. La grange d’abord !

Lemur est maintenant terrifié : ce type sait. Pourquoi la grange d’abord ? Ensuite ça va être le chalet ?

L’homme a des gants et le fait passer devant. Il hésite devant la grande porte de bois coulissante. Une légère poussée sur son épaule, et Axel Lemur écarte le battant et entre dans la pénombre.

Le corps de la jeune fille est toujours là. Il a du mal à regarder. Quand il va tuer, quand il tue, c’est une euphorie qui l’envahit, mais après, après, toujours, il ne pense qu’à s’éloigner. L’autre le laisse debout quelques minutes en l’observant. Et enfin :

— Vous en avez tués beaucoup comme cela ?

Il ne sait plus. Il ne sait plus rien, il a un voile noir devant les yeux et reste muet. L’homme n’insiste pas. On dirait qu’il sait tout, exécute un plan sans état d’âme.

— Bon, le chalet !

Ils reculent et l’homme referme le battant et le pousse dans la montée. Ils font les dernières dizaines de mètres et, cette fois, on lui ouvre la porte devant lui. Il est terrifié et cherche du regard les corps !

— Non, non, les corps ne sont plus là ! La reconstitution n’a pas eu lieu. Vous en aviez peur, rappelez-vous, mais la police n’a pas su remonter jusqu’à vous !

Cet homme le terrifie. Il a tout compris. Il le connaît ! Il arrive enfin à dire quelques mots :

— Qui êtes-vous ?

— Je suis leur fils… La photo sur le journal dans la boite qui est dans votre garage !

Sa tête se vide lentement : Axel Lemur sait qu’il va mourir.

La pioche d’acier le frappe à la tempe gauche. Il s’effondre sur lui-même sourdement.

Patrick Deprez sort et observe attentivement les traces de pneus tout le long de la courte montée et en particulier sur le bas côté. Ce sont ceux de sa propre voiture, la veille. Il les efface avec application. Les empreintes de son précèdent passage avec l’Audi doivent disparaître. Satisfait, il va chercher la Honda et la monte jusqu’au chalet. La tête de Lemur est entourée avec un sac-poubelle récupéré sous l’évier de la cuisine. Le sang ne doit pas marquer sa voiture. Il essuie le sol avec une vieille serpillière, mais les traces sur le plancher poussiéreux restent visibles et il secoue le paillasson au-dessus. Ce n’est pas parfait, mais il voulait donner la mort à cet assassin là où il avait trouvé ses parents ! Il pense que c’est surtout dans la grange que les enquêteurs vont vouloir s’attarder. La pioche retourne dans le petit cabanon de jardin derrière le chalet, parfaitement nettoyée.

Il a chargé le cadavre dans le coffre en repliant une des banquettes arrière, pose la serpillière dessus. Il fait demi-tour sans se soucier cette fois des traces de la voiture. Tout s’est passé correctement. Il croyait être soulagé, mais il a le cœur lourd et la gorge serrée. Tout n’est pas fini, mais il sait que l’action est toujours la solution. Il respire en se forçant à vérifier qu’il n’a pas commis d’erreur.

JOUR J+3

Vence

— Ce morceau se joue plus vite !

Je parviens à ne pas sursauter, mais mes mains se sont levées du clavier. Je pivote sur le large tabouret en cuir shesterfield noir pour faire face à la porte du salon : une jeune fille est adossée au mur, près de l’entrée, un sac en cuir noir à longue sangle pend sur sa hanche. Elle est perchée sur un pied, l’autre croisé sur la pointe. Je tente de répondre d’un air détaché :

— De toute façon même à ma vitesse je passe à côté de tout ce que je voudrais y mettre !

Je suis conscient que ma réponse est empruntée et un peu pontifiante. Elle a un demi-sourire, pose son sac sur le meuble bas à sa droite. La longue courroie tombe en se déroulant sur le carrelage de marbre blanc. Elle avance d’une démarche dansante, jupe aux genoux, tennis à talons courts. Sans gêne apparente, elle s’assied à ma droite. Je pivote à nouveau en m’éloignant d’elle, agressé par cette proximité. Elle allonge ses doigts sur le piano et arpège des accords sur quelques octaves. Ça va vite, c’est précis, délié : impressionnant, à froid comme cela, pas même assise au milieu et à la bonne hauteur. Le piano prolonge les harmonies en résonnant doucement dans le silence. Elle a posé ses longs doigts sur sa jupe.

— Les Steinway sont parfaits, mais ce Bösendorfer est magique !

Elle a dit ça d’un ton pensif. En même temps je réalise que nous conversons tranquillement comme deux vieux amis. Agacé, je me lève et je vais vers la grande baie vitrée, plus pour m’éloigner d’elle et je me force à regarder dehors. Sur la terrasse, les fers forgés noir-mat de la tonnelle sont dorés par le soleil, mais cette vision ne sait masquer l’inquiétude qui m’envahit. Cette fois c’est elle qui semble surprise par mon mouvement et elle se décide à entrer dans les présentations :

— Monsieur Julien Courtaud ?

Je ne sais pas trop si je dois acquiescer et je fais un léger signe sans tourner la tête.

— Ou devrais-je dire Monsieur Philippe Lacage ?

Le froid me remonte le long de la colonne vertébrale et percute dans ma nuque. Comment a-t-on pu arriver jusqu’à moi ? Je pense immédiatement que c’est un piège que l’on m’a tendu depuis le début. Je vois mal comment ils ont pu faire. Peut-être m’ont-ils suivi après ma perte de connaissance quand j’ai volé la Fractale ? Elle poursuit tranquillement avec une civilité mesurée :

— Mais je ne me suis pas présentée…

Elle a un sourire qui se veut ironique :

— Je suis Ariane Perlon…

Le nom de famille me dit vaguement quelque chose.

— Mais j’aurais pu aussi bien m’appeler Ariane Lacage…

Un silence. Elle m’observe pendant que je tourne à vide, et achève :

— Vous pouvez même m’appeler Ariane : je suis votre fille, père !

Cette fois sa décontraction a sonné vraiment faux. Un reste inattendu de lucidité me laisse le noter fugitivement. Je me souviens clairement maintenant : c’était il y a longtemps, plus de vingt ans ! Je ne pense même pas feindre de ne pas comprendre, elle semble si sûre d’elle, mais je ne peux m’empêcher de me justifier :

— J’ignorais cela…

Et j’ajoute, en regrettant aussitôt la lâcheté de ma remarque :

— Encore faut-il que cela soit le cas…

— Bien sûr, bien sûr…

Son ton est soudain plein de lassitude.

— C’est votre mère qui m’a quitté un jour, je ne sais pourquoi !

Elle me regarde froidement, refoulant sa colère :

— Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre : elle vous aimait vous ne l’aimiez plus : elle vous a rendu votre liberté : c’est ça, l’amour d’une femme !

De nouveau un long silence insupportable. Je ne songe même pas à enregistrer la leçon : je suis toujours comme anesthésié et je me force véritablement à la regarder, cherchant une sortie :

— Et comment m’avez-vous retrouvé ?

Elle ne répond pas sur le moment et c’est vrai que c’est sans grande importance. Je renonce à lui demander quel est le but de sa démarche : je sais depuis longtemps que la réponse sera toujours la même. Mais elle répond pourtant comme dans un monologue :

— En fait le destin m’a beaucoup aidé… À quelques heures près je perdais complètement votre trace. Chaque fois, j’ai été remise sur la bonne piste, comme si… comme si je ne pouvais y échapper !

Je me demande ce qu’elle a, elle aussi, avec le destin. Quelle est cette fixation ? Moi qui me pose sans cesse cette question. Est-ce pour tout le monde comme cela ? Pour avoir l’air de me contrôler, je demande :

— Qu’est-ce que le destin vient faire la-dedans ?

Elle se tourne vers moi, étonnée que sa remarque ait pu avoir une signification pour quelqu’un d’autre qu’elle :