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De Gizelle la capricieuse à Léonce l'incorrigible menteur, tous les personnages de ces courtes histoires les rendent pleines de vie, d'émotions et d'éclats de rire. Les rebondissements sont tellement nombreux et variés que toutes ces aventures sont absolument passionnantes.
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Seitenzahl: 230
Veröffentlichungsjahr: 2019
par
née Rostopchine
1. Les nouveaux contes de fées, 1857.
2. Les petites filles modèles, 1857.
3. Les malheurs de Sophie, 1858.
4. Les vacances, 1859.
5. Mémoires d’un âne, 1860.
6. Pauvre Blaise, 1862.
7. La sœur de Gribouille, 1862.
8. Les bons enfants, 1862.
9. Les deux nigauds, 1863.
10. L’auberge de l’Ange Gardien, 1863.
11. Le général Dourakine, 1863.
12. François le bossu, 1864.
13. Comédies et proverbes, 1865.
14. Un bon petit diable, 1865.
15. Jean qui grogne et Jean qui rit, 1865.
16. La fortune de Gaspard, 1866.
17. Quel amour d’enfant !, 1866.
18. Le mauvais génie, 1867.
19. Diloy le chemineau, 1868.
20. Après la pluie le beau temps, 1871.
Édition de référence :
Paris, Librairie Hachette et Cie, 1869.
Troisième édition
Chère enfant, voici un volume que je te dédie. Je désire qu’il t’amuse, et que tes amis te reconnaissent dans les bonnes petites filles que j’ai mises en scène. C’est à cause de tes bonnes et aimables qualités, que ma tendresse pour toi ne vieillit pas et qu’elle se maintiendra la même jusqu’au dernier jour de ma vie.
Ta grand-mère,
Comtesse deSégur,
née Rostopchine.
Comédie en deux actes
M. Gerville, 30 ans.
Léontine, sa femme, 23 ans.
Gizelle, leur fille, 6 ans.
Blanche, sœur de Léontine, 15 ans.
Laurence, sœur de Léontine, 13 ans.
Pierre, leur frère, 25 ans.
Louis, leur cousin, 15 ans.
Jacques, leur cousin, 13 ans.
Paul, leur cousin, 11 ans.
Pascal, domestique, 42 ans.
Julie, bonne de Gizelle, 30 ans.
Blanche et Laurence sont assises près d’une table ; elles travaillent.
Blanche. – As-tu bientôt fini ton jupon ?
Laurence. – Non, pas encore. (Elle bâille). Comme c’est ennuyeux à coudre ! l’étoffe est si épaisse ! j’ai le doigt tout abîmé !
Blanche. – Mon ouvrage, à moi, n’est pas plus agréable ! il faut piquer le corsage : c’est dur ! j’ai déjà cassé trois aiguilles.
Laurence. – Nous menons une bien triste existence depuis la mort de pauvre maman ! Toujours travailler pour la poupée de Gizelle ! toujours être à ses ordres !
Blanche. – Et Léontine ne veut pas comprendre que c’est ennuyeux pour nous ; que nous perdons notre temps ; que nous n’apprenons rien !
Laurence. – Et comme c’est amusant d’aller aux Tuileries avec Gizelle pour jouer avec des enfants de quatre à six ans !
Blanche. – Et les bonnes qui veulent toujours que nous cédions aux enfants, que nous fassions toutes leurs volontés.
Laurence. – Et tous les jours, tous les jours la même chose !... Je vais me reposer pendant que nous sommes seules ! C’est fatigant de toujours travailler ! (Elle pose son ouvrage et se met à l’aise dans un fauteuil.)
Blanche. – Je vais faire comme toi ; d’ailleurs j’ai presque fini ce corsage ! (Elle pose son corsage près de la poupée et se repose comme Laurence ; toutes deux ne tardent pas à s’endormir.)
Gizelle s’approche de ses tantes, les regarde avec étonnement et dit tout bas :
Elles dorment, les paresseuses ! C’est bon, je vais prendre le jupon et le corsage et je vais les mettre à ma poupée. (Elle prend les vêtements non achevés, et veut les mettre à la poupée ; elle se pique le doigt avec l’aiguille restée dans le corsage et se met à crier.)
Blanche et Laurence, se réveillant en sursaut. – Qu’est-ce que c’est ? Qui est-ce qui crie ? C’est toi, Gizelle ? Qu’as-tu ?
Gizelle, tapant Blanche. – Méchante ! vilaine ! tu m’as piquée ! Tu m’as fait mal ! J’ai du sang !
Blanche. – Comment, du sang ? Pourquoi ?
Gizelle, pleurant. – Parce que tu m’as piquée, méchante !
Blanche. – Moi ? je t’ai piquée ? Je ne t’ai pas touchée seulement.
Gizelle. – Si ! tu m’as piquée ! j’ai du sang !
Laurence. – Mais ce n’est pas Blanche ni moi qui t’avons piquée ! C’est toi-même !
Gizelle. – Tu es une menteuse ! et je vais le dire à maman.
Blanche. – Parce que tu espères nous faire gronder !
Gizelle. – Oui, et tant mieux ! Je serais très contente !
Laurence. – C’est méchant ce que tu dis là, Gizelle. Et pour la peine tu n’auras pas ta poupée.
Gizelle,criant. – Je veux ma poupée. (Elle cherche à la prendre.)
Laurence. – Je te dis que tu ne l’auras pas. (Gizelle saisit la poupée par la tête et tire ; Laurence retient la poupée par les jambes ; la tête se détache ; Gizelle tombe, et en tombant brise la tête de sa poupée.)
Gizelle,criant. – Maman ! maman ! au secours ! Blanche et Laurence m’ont piquée ; elles ont cassé ma poupée !
Léontine. – Qu’est-ce que tu as, mon petit trésor ? Pourquoi pleures-tu ?
Gizelle. – Blanche et Laurence m’ont fait piquer ; Laurence a cassé ma poupée.
Léontine,la prenant dans ses bras et l’embrassant. – Ne pleure pas, mon ange, mon pauvre souffre-douleur ! Tes tantes te donneront sur leur argent de poche une nouvelle poupée, bien plus jolie. Et comment t’es-tu piquée, chérie ?
Gizelle. – Elles ont mis des aiguilles dans les habits de ma poupée pour que je me pique.
Blanche. – Pas du tout, Gizelle ; tu es venue les prendre et tu t’es piquée toi-même.
Léontine,sèchement. – Mais, Blanche, si tu n’avais pas laissé ton aiguille dans l’ouvrage, la pauvre petite ne se serait pas piquée.
Blanche. – C’est vrai, ma sœur ; mais pourquoi touche-t-elle à notre ouvrage ?
Léontine. – Votre ouvrage est à elle, puisque ce sont des vêtements pour sa poupée.
Laurence. – Ah bien ! si elle veut y toucher pendant que nous y travaillons, elle se piquera, voilà tout. Seulement elle ne doit pas crier et dire que c’est notre faute.
Léontine. – C’est aimable ce que tu dis ! Vous êtes toujours à taquiner cette pauvre petite ; et quand vous l’avez bien agacée et fait pleurer, vous dites qu’elle est méchante et insupportable.
Blanche. – Si tu la voyais dans ses moments de colère et de méchanceté, tu ne la trouverais pas si gentille et si à plaindre.
Léontine. – Je suis avec elle tout aussi bien que toi, et je vois que c’est toujours vous qui la taquinez. Au reste, pour expier cette dernière scène, vous allez de suite finir la robe que vous faisiez quand la pauvre Gizelle est entrée.
Gizelle. – Et puis je veux une capeline pour ma poupée.
Léontine. – Oui, mon ange. (À ses sœurs :) Vous ferez de plus une petite capeline en taffetas blanc.
Gizelle,à Laurence. – Je veux qu’elle soit garnie de velours.
Laurence, avec humeur. – Elle sera comme on te la fera.
Léontine. – Jolie manière de répondre ! Viens, ma pauvre Gizelle, viens avec moi !
Gizelle. – Non ; je veux rester ici à les regarder travailler.
Léontine. – Elles vont encore te faire pleurer.
Gizelle. – Si elles me font pleurer, je les ferai gronder. Allez, maman, allez, je le veux. (Léontine rit, l’embrasse, et sort en lui envoyant des baisers.)
(Blanche s’assied devant la table et prend un livre dont elle tourne les pages sans les lire. Laurence s’étale dans un fauteuil.)
Gizelle,les regardant. – Hé bien ! et ma robe donc ? et ma capeline ?
Laurence. – Laisse-nous tranquilles avec ta poupée ! Dis à ta bonne de lui faire ses robes, si tu veux les avoir.
Gizelle. – Méchante ! je veux que tu fasses ma robe ! Maman te l’a ordonné !
Blanche. – Ta maman n’est pas ma maman ! Et d’ailleurs si elle savait comme tu es méchante et menteuse, elle ne t’écouterait pas comme elle fait.
Gizelle. – Si tu ne fais pas ma robe et ma capeline, je le dirai à maman.
Laurence. – Dis ce que tu voudras et laisse-moi tranquille.
(Gizelle s’approche de Blanche, lui arrache son livre, et déchire les pages. Blanche s’élance sur Gizelle, lui reprend son livre et la pousse ; Gizelle tombe sur le canapé.)
Blanche. – Tu as fait une jolie chose ! Tu as déchiré le livre de ton papa, un livre magnifique, plein d’images !
Gizelle,se relevant. – Ce n’est pas moi ! C’est ta faute !
Blanche, surprise. – Ma faute ? C’est joli, par exemple ! C’est toi qui es venue me l’arracher d’entre les mains.
Gizelle. – Pourquoi lisais-tu ? Pourquoi ne travaillais-tu pas ?
Blanche. – Ah ! tu m’ennuies à la fin ! Tiens, voilà ta robe, et va-t’en ! (Blanche lui jette à la tête la robe depoupée.)
Gizelle,se sauve en criant. – Je vais le dire à maman.
Laurence. – Elle va encore aller se plaindre à Léontine !
Blanche. – Que veux-tu, c’est trop ennuyeux aussi d’obéir à cette petite fille de cinq ans, dont nous sommes les tantes par le fait, et qui nous devrait le respect.
Laurence. – Je m’étonne que Léontine ne soit pas déjà accourue pour nous gronder et nous punir... Je crois que je l’entends.
Blanche. – Ah ! quel bonheur ! mes cousins !
Louis. – Bonjour, mes bonnes cousines ! Pourquoi êtes-vous enfermées par ce beau temps ?
Laurence. – Toujours à cause de Gizelle ; ma sœur veut que nous travaillions pour la poupée.
Jacques. – Vous êtes bien bonnes, par exemple ! Allez vous promener et laissez là Gizelle et sa poupée !
Blanche. – Et comment veux-tu que nous nous promenions ! Il n’y a qu’une bonne pour nous trois ; elle fait toutes les volontés de Gizelle pour flatter Léontine et pour en soutirer des présents.
Paul. – Et vous allez passer toute la journée enfermées ?
Blanche. – Il le faut bien, à moins que Gizelle ne veuille sortir ; alors nous sommes obligées de l’amuser avec les amies de son âge qu’elle rencontre aux Tuileries.
Louis. – Mais c’est insupportable ! Il faudrait l’envoyer promener !
Blanche. – Et ma sœur donc ? Que dirait-elle ?
Jacques. – Écoute ! j’ai une idée ! Nous voici en force maintenant ! Si nous jouions un tour à Gizelle ?
Blanche. – Ce ne serait qu’une vengeance inutile et méchante.
Jacques. – Mais non, ce serait pour la corriger.
Blanche. – Qu’est-ce que tu voudrais donc faire ?
Jacques. – Je ne sais pas encore. Nous pourrions nous consulter.
Paul. – C’est cela ! Nous pourrions nous couvrir de choses noires effrayantes et nous jeter sur elle comme des ours.
Blanche. – Non, je ne veux pas de cela, parce que cela lui ferait trop peur.
Jacques. – Eh bien, si nous nous cachions pendant qu’elle sera avec vous deux Blanche et Laurence ; vous l’agacerez un peu ; et quand elle sera méchante, nous nous jetterons sur elle et nous la fouetterons avec nos mouchoirs.
Blanche. – Non, non ! il ne faut pas lui faire mal.
Louis. – Mais alors, si tu ne veux pas qu’on lui fasse peur, si tu ne veux pas qu’on lui fasse mal, comment veux-tu la corriger ?
Blanche. – En donnant une leçon qui lui fasse comprendre que c’est vilain de nous faire gronder, de toujours se plaindre de nous, de nous forcer à faire ses volontés, de faire de nous ses esclaves enfin.
Louis. – Et tu crois qu’elle comprendra ? Une méchante petite fille gâtée ne se corrige que par les punitions. Il faut que ce soit sa maman qui la punisse et qui la gronde.
Blanche. – Ah ! par exemple ! Léontine trouve tout ce que fait Gizelle charmant et parfait ; elle croit tout ce que Gizelle lui dit ; elle veut que tout le monde lui cède. Et mon beau-frère est encore pis que Léontine.
Laurence. – Écoute ! j’ai une idée. Disons à Gizelle de demander à Léontine un bon goûter. Laissons-la manger toute seule sans s’inquiéter que nous n’ayons rien, nous autres. Elle sera honteuse, et ce sera une leçon qui lui profitera.
Louis. – Je ne demande pas mieux ; seulement, je crois qu’elle n’en sera que plus méchante.
Jacques. – Et puis, ce qui est très ennuyeux, c’est qu’elle mangera tout et ne nous laissera rien.
Paul. – Et puis, sa bonne et sa maman ne la laisseront pas trop manger, de peur qu’elle ne se rende malade.
Laurence. – Oh ! quant à cela, je te réponds qu’elle mangera tout ce qu’elle voudra et tant qu’elle voudra. Pour nous autres, je demanderai à Pascal de nous réserver en cachette notre part du goûter ; il servira devant Gizelle de quoi faire de très petites parts à chacun ; Gizelle les mangera toutes et c’est ce qui fera la leçon.
Louis. – Je ne crois pas que ce soit une très bonne leçon, mais nous pouvons toujours l’essayer.
Jacques. – Oui, très bien ! Maintenant que nous sommes sûrs d’avoir notre part du goûter par Pascal, nous ne risquons rien de laisser Gizelle dévorer tout ce qu’il servira.
Laurence. – Chut ! Je l’entends ! Soyons tous charmants, pour la maintenir de bonne humeur.
(Elle entre doucement pour voir ce qu’on fait ; elle aperçoit ses cousins et s’arrête. Paul, Jacques et Louis courent à elle.)
Paul,l’embrassant. – Bonjour, ma petite Gizelle ; nous sommes venus te voir.
Jacques,l’embrassant. – Ma petite Gizelle, nous avons bien faim ; veux-tu nous faire donner à goûter ?
Louis,l’embrassant. – Ma petite Gizelle, tu nous feras donner de bonnes choses, n’est-ce pas ? Des cerises ! des abricots ! des pêches !
1Jacques. –De la crème !
Paul. – Des gâteaux !
Louis. – Des compotes !
Gizelle. – Oui, oui, vous aurez tout ; je vais le dire à Pascal.
Blanche. – Mais si tu demandais la permission à ta maman ?
Gizelle. – Ah bah ! ce n’est pas la peine ! Maman me laisse faire ce que je veux.
Laurence. – Veux-tu que je dise à Pascal qu’il vienne te parler, ma petite chérie ?
Gizelle. – Non, je ne veux pas ; je veux sonner moi-même.
(Elle sonne.)
Pascal. – Vous avez sonné, Mesdemoiselles ?
Gizelle. – C’est moi ! Je veux que vous m’apportiez à goûter. Beaucoup de choses.
Pascal,mécontent. – Ce n’était pas la peine de me déranger, Mademoiselle Gizelle ; votre bonne aurait pu venir chercher ce qu’il vous faut.
Gizelle. – Je veux beaucoup de choses : des gâteaux ! des cerises ! des abricots ! de la crème ! des compotes !
Pascal. – Oh ! Oh ! Mademoiselle Gizelle, vous êtes trop ambitieuse ! Je ne vous donnerai pas tout cela. Du pain et des cerises, ce sera bien assez.
Gizelle. – Je veux tout ! Je le veux, ou je le dirai à maman.
(Laurence parle bas à Pascal, qui sourit et secoue la tête.)
Pascal. – Je crois que cela va faire une mauvaise affaire. Mais... je veux bien, moi ! Du moment que tout le monde est d’accord ! (Il sort. Jacques le suit).
(Pascal va et vient en apportant ce qu’on a demandé ; Jacques rentre avec lui, s’approche de Louis et de Paul et leur parle bas.)
Gizelle. – Qu’est-ce que vous dites là ? Je veux que vous veniez près de moi.
Louis. – Oui, certainement, charmante. Nous voici tous.
(Ils l’entourent.)
Gizelle. – Jouons à la main chaude.
Jacques. – Oui, ma charmante, jouons.
Gizelle. – C’est moi qui le serai !
Paul. – Oui, ma charmante. C’est toi ! (Gizelle se baisse en mettant la main derrière le dos. Les trois garçons tapent tous très fort.)
Gizelle,se relève rouge, en colère, et se frotte la main. Méchantes ! c’est vous !
Louis. – Qui, vous ?
Gizelle. – Blanche et Laurence.
Jacques. – Non, ce n’est pas elles ! Recommence. (Gizelle se remet la main derrière le dos ; Louis lui donne une claque épouvantable ; elle se relève en colère.)
Gizelle,pleurant. – Méchants ! vilains ! Je ne veux plus jouer !
Louis,riant. – Pourquoi, ma charmante ?
Gizelle. – Parce que vous m’avez fait mal.
Jacques. – Qui t’a frappée ?
Gizelle. – C’est Blanche. J’en suis sûre.
Jacques. – Non, je t’assure que ce n’est pas elle.
Pascal. – Le goûter est servi, Mesdemoiselles et Messieurs.
Gizelle. – Tant mieux, nous ne jouerons plus. (Pascal sert des cerises à Gizelle ; elle prend toute l’assiette : la part est très petite.)
Pascal. – Et ces Demoiselles et ces Messieurs ? Vous ne leur laissez rien, Mademoiselle ?
Gizelle. – Ils mangeront autre chose : il y en a trop peu. (Les enfants se regardent et rient ; Gizelle mange de chaque plat que lui sert Pascal ; elle mange tout, et chaque fois Pascal lui représente que les autres n’auront rien. Gizelle répond :) Cela ne fait rien ! Ils mangeront autre chose : il y en a trop peu. (Quand tout est fini, tous se lèvent de table ets’approchent de Gizelle.)
Louis,saluant. – Gizelle, tu es une gourmande : tu as tout mangé sans penser à nous. Je te laisse. (Il sort.)
Jacques,saluant. – Gizelle, tu es une égoïste : tu as tout mangé, sans penser à nous. Je te laisse. (Il sort..)
Paul,saluant. – Gizelle, tu es une méchante : tu as tout mangé, sans penser que nous aussi nous avions faim. Je te laisse. (Il sort.)
Blanche,saluant. – Gizelle, tu es une méchante fille : tu ne penses qu’à toi. Je te laisse. {Elle sort.)
Laurence,saluant. – Gizelle, tu me fais toujours gronder ; je ne t’aime pas. Je te laisse. (Elle sort.)
Pascal. – Mademoiselle Gizelle, vous n’avez pas écouté ce que je vous disais. Vous voilà abandonnée de tous. Je vous laisse. Que le bon Dieu vous pardonne ! (Il sort.)
(Elle est tout étonnée de les voir tous partir.)
Gizelle. – Ils sont méchants ! Ils me laissent seule ! Je ne veux pas être seule, moi ! Pascal ! Blanche ! Laurence ! Je le dirai à maman ! Pascal ! (Elle court à laporte et cherche en vain à l’ouvrir. Elle pleure.) Blanche ! Laurence ! Méchantes ! Je vais leur abîmer leurs affaires ! (Elle prend leurs paniers à ouvrage et jette tout par terre, piétine les paniers et tout ce qu’ils contenaient ; elle pousse un cri et tombe par terre ; Pascal entre.)
Pascal. – Qu’est-ce que c’est, Mademoiselle Gizelle ? De la colère ? hé ?...
Gizelle,criant. – Mon pied ! mon pied ! Elles m’ont fait mal au pied ! (Pascal regarde le pied que Gizelle tient en l’air ; il retire une grosse aiguille entrée dans lasemelle du soulier.)
Pascal. – Voilà, Mademoiselle ! Ce ne sera rien ! C’était une aiguille qui vous piquait. Pourquoi, aussi, avez-vous tout jeté et écrasé ? C’est le bon Dieu qui vous punit.
Gizelle, pleurant. – Je ne veux pas que le bon Dieu me punisse.
Pascal. – Ah ! Mademoiselle, il faut pourtant bien que vous preniez sa punition. Il n’y a pas à dire. Ce que le bon Dieu veut, vous ne pouvez pas l’empêcher : il faut que ça arrive.
Gizelle. – Pourquoi ça ? Je ne veux pas, moi !
Pascal. – Que vous le vouliez ou non, ça ne fait rien à la chose, Mademoiselle ; le bon Dieu ne vous demandera pas la permission, allez.
Gizelle. – Ça me fait mal, ça me fait mal.
Pascal. – Oh que non ! vous ne souffrez pas beaucoup. Une piqûre d’aiguille, ce n’est rien du tout ! J’en ai eu bien d’autres, moi, quand j’étais à l’armée.
Gizelle. – Qu’est-ce que vous avez eu ?
Pascal. – J’ai eu un coup de sabre qui m’a coupé le front et la joue.
Gizelle. – Ce n’est pas vrai ! Vous avez votre front et votre joue.
Pascal. – Parce qu’il y a des os que le sabre n’a pu couper.
Gizelle. – Ça m’est bien égal, vos os ! J’ai bien plus mal que vous.
Pascal. – Ah ! mes os ne vous font rien, Mademoiselle ! Vous n’avez pas de cœur ; c’est pourquoi le bon Dieu vous punit. Je vais vous envoyer votre bonne, et vous vous arrangerez avec elle comme vous voudrez.
Gizelle. – Je ne veux pas ma bonne ; je veux maman.
Pascal. – Votre maman est sortie. (Il sort.)
Julie. – Qu’est-ce qui vous arrive, ma pauvre Gizelle ? Pascal me dit que vous êtes blessée !
Gizelle,faisant semblant de pleurer. – J’ai mal ! très mal ! Mon pied est percé.
Julie, effrayée. – Percé ! Comment ? Par qui ? par quoi ?
Gizelle,pleurnichant. – C’est Blanche et Laurence ! avec une grosse aiguille.
Julie,étonnée. – Blanche et Laurence ! Avec une aiguille ? C’est impossible ? Pourquoi vous êtes-vous laissé faire ?
Gizelle,pleurnichant. – Parce que je ne savais pas.
Julie. – Quoi ? Qu’est-ce que vous ne saviez pas ?
Gizelle,changeant de ton. – Laisse-moi tranquille ! Tu m’ennuies, et je le dirai à maman.
Julie. – Qu’est-ce que vous direz ? Je ne comprends rien à ce que vous me dites.
Gizelle. – Je te dis que tu m’ennuies, que je dirai à maman de ne pas te donner la robe que tu veux avoir, et que je ne te ferai plus rien donner par maman ni papa.
Julie,câlinant Gizelle. – Oh ! Gizelle ! ma petite Gizelle ! ne faites pas ça ! Comment auriez-vous le cœur de chagriner votre pauvre Julie qui vous aime tant ! Voyons, dites-moi ce que vous voulez, ce que vous désirez. Dites-le, je ferai tout ce que vous me commanderez de faire.
Gizelle. – Je veux que tu dises comme moi à maman.
Julie. – Je ne demande pas mieux, mon pauvre ange. Mais que direz-vous, et que faut-il que je dise ?
Gizelle. – Tu diras comme moi que c’est Blanche et Laurence qui m’ont percé le pied.
Julie. – Oui, mon trésor. Soyez tranquille. Seulement vous m’expliquerez.
Gizelle. – Maman, maman ! Blanche et Laurence m’ont percé le pied.
Léontine,poussant un cri. – Percé le pied ! À toi ! pauvre enfant ! Avec quoi ? Pourquoi ?
Gizelle. – Avec une grosse aiguille.
Léontine. – Mais comment ont-elles fait ? Je ne comprends pas. Est-ce vrai, Julie ?
Julie. – Oui, Madame, très vrai. (À part.) Cette méchante enfant me fait mentir que j’en suis honteuse !
Léontine. – Expliquez-moi comment c’est arrivé. Je ne puis comprendre.
Julie, bas à Gizelle. – Dites vous-même, vite, ma petite chérie. Je n’y étais pas, vous savez. (Gizelle se tait et sourit d’un air de triomphe.)
Léontine, à Julie. – Eh bien, Julie, répondez donc ! Comment et avec quoi Blanche et Laurence ont-elles percé le pied de ma pauvre petite ?
Julie. – Ma foi, Madame, je n’en sais rien. Je ne puis rien dire à Madame.
Léontine. – Vous ne pouvez rien dire ! Et pourquoi me dites-vous que c’est très vrai, comme si vous y étiez ?
Gizelle. – Maman, c’est qu’elle m’a laissée toute seule avec Blanche, Laurence et mes trois cousins, et qu’elle a peur que vous ne la grondiez et que vous ne lui donniez pas la robe que je vous ai demandée pour elle.
Julie,à part. – Méchante petite fille ! Si je peux la démasquer, je le ferai certainement.
Léontine. – Mais, ma pauvre enfant, as-tu essayé de marcher ? Peux-tu appuyer ton pied par terre ?
Gizelle. – Je ne sais pas, maman. Je n’ai pas encore essayé. (Elle se relève, fait semblant de ne pas pouvoir se tenir, et tombe dans les bras de sa maman.)
Léontine,désolée. – Pauvre enfant ! Et ces vilaines filles, où sont-elles ? Julie, allez me les chercher et envoyez-moi Pascal.
(Julie sort.)
(Léontine couche Gizelle sur un canapé, lui ôte son brodequin et veut lui ôter son bas.)
Gizelle,se débattant. – Je ne veux pas qu’on ôte mon bas ; je ne veux pas qu’on me touche.
Léontine. – Mais, mon ange, c’est pour voir ta plaie et mettre quelque chose dessus. (Gizelle continue à se débattre et Léontine à vouloir la déchausser. Pascal entre ; après avoir regardé un instant d’un air un peu moqueur, il dit :)
Pascal. – Madame m’a demandé ?
Léontine. – Oui, Pascal ; courez vite chercher le médecin !
Pascal,souriant. – Est-ce que Madame est malade ?
Léontine. – Pas moi, Pascal, mais ma pauvre petite, qui a une blessure au pied. Vite, vite, Pascal. Allez, courez.
Pascal,souriant. – Madame a-t-elle vu la blessure de Mademoiselle ? Je demande bien pardon si je n’obéis pas à Madame, mais je crois que Mlle Gizelle n’a rien du tout et qu’un médecin n’aura rien à y faire en bon.
Léontine,vivement. – Comment, rien du tout ? Vous appelez le pied percé rien du tout !
Pascal,avec calme. – Que Madame soit tranquille ! J’étais là. Ce n’est rien ! C’est moi qui ai retiré l’aiguille que Mademoiselle s’était enfoncée dans le pied en piétinant sur les affaires de ces demoiselles, et j’ai bien vu, en retirant l’aiguille, qu’il n’y avait pas grand mal.
Léontine,très surprise. – Je ne comprends pas ! Gizelle m’a dit que c’était Blanche et Laurence qui lui avaient percé le pied.
Pascal. – Non, Madame, c’est faux ! Ces demoiselles n’étaient même pas dans la chambre ; elles étaient sorties avec leurs cousins. J’étais ici à côté, et j’entendais ce que disait et faisait Mlle Gizelle. Je suis entré quand elle a poussé un cri, et j’ai tout de suite retiré l’aiguille.
Léontine. – Vous voyez bien qu’elle s’est fait mal. Et pourquoi l’a-t-on laissée seule, la pauvre petite ? toute seule ? Mes sœurs sont si méchantes pour elle, que je ne sais qu’y faire, en vérité.
Pascal. – Pardon, Madame, si je rétablis les faits. C’est Mlle Gizelle qui est rageuse et... pas trop bonne, ces demoiselles sont bien complaisantes pour elle, bien aimables ; mais Mlle Gizelle n’est pas facile à contenter ; elle les bouscule et les tarabuste. Parfois même elle les frappe ; et ces pauvres demoiselles sont bien douces ; jamais elles ne lui rendent les claques et les mauvaises paroles qu’elles reçoivent.
Léontine. – Vous trouvez peut-être que c’est bon et aimable à elles d’avoir laissé ma pauvre Gizelle toute seule ?
Pascal. – Pardon, Madame, c’était de bonne guerre. Mlle Gizelle venait de manger à elle seule le goûter que j’avais servi pour tous ; ils n’ont pas été contents, comme de juste, et ils sont partis pour aller manger à leur tour.
Gizelle,pâle et d’une voix faible. – Maman, je suis malade !
Léontine. – Malade, mon enfant ! ma chérie ! Allez vite, Pascal, chercher un médecin. (Voyant que Pascal veut parler.) Et je vous prie de garder vos raisonnements pour vous. ( Pascal sort en levant les épaules.)
(Gizelle devient de plus en plus pâle et glacée.)
Léontine,effrayée, désolée, court à la porte, à la fenêtre ouverte, en criant. – Julie ! Blanche ! Laurence ! (La bonne arrive et emporte Gizelle au moment où Blanche, Laurenceet leurs cousins arrivent au salon.)
Laurence,effrayée. – Qu’y a-t-il donc ? Pourquoi Julie emporte-t-elle Gizelle ?
Léontine, hors d’elle. – Il y a, Mesdemoiselles, que c’est votre méchante et horrible conduite qui fera mourir mon enfant, ma Gizelle chérie, ma douce et bonne Gizelle, votre victime de tous les jours.
Blanche. – Ma pauvre sœur, la douleur t’aveugle ! De quelle horrible conduite veux-tu parler ? De quelle victime ? Je n’y comprends rien ?
Léontine, de même. – Joignez l’ironie et l’hypocrisie à la cruauté, Mesdemoiselles. Mais sachez que ma patience se lasse et s’épuise à la longue ; et que, maîtresse de votre destinée, je saurai vous punir comme vous le méritez. (Elle sort, tous les enfants restent ébahis.)
Louis. – Ah ça mais ! que veut dire tout cela ? Léontine est folle ! Qu’arrive-t-il donc à Gizelle ?
Jacques. – Il arrive que Gizelle aura probablement été punie de sa gloutonnerie ; que son énorme goûter lui aura tourné sur le cœur, et qu’elle est en train de rendre ce qu’elle nous a enlevé injustement et méchamment.
Paul. – Et c’est bien fait ! Ce n’est pas moi qui la plaindrai.
Laurence. – Je crains d’avoir eu une mauvaise idée et qu’elle ne soit réellement très malade.
Louis. – Ah bah ! ce ne sera rien ! Une indigestion, voilà tout ! Ce que je crains, moi, c’est que la leçon ne lui profite pas.
Jacques. – Et qu’elle ne soit plus méchante qu’auparavant.
Blanche. – Nous ne sommes pas heureuses ! Que sera-ce si Gizelle devient plus méchante ?
Louis. – Écoute donc, si vous êtes malheureuses, il faut vous plaindre à votre beau-frère, le mari de Léontine.
Blanche. – Mon beau-frère ! il est pis que Léontine pour Gizelle. Je crois, en vérité, que si Gizelle lui disait de nous chasser et de nous jeter dans la rue, il le ferait.
Paul. – Mais pourquoi n’écririez-vous pas à votre frère Pierre, qui vous aime tant ?
Blanche. – Pierre vient de se marier, tu sais bien ! Il est chez les parents de sa femme, et nous ne voulons pas le troubler par nos plaintes.
Laurence. – Et puis, ma belle-sœur Noémi est si jeune ! Que veux-tu qu’elle fasse pour nous ?
Louis. – Elle est très jeune, je le sais bien, mais elle est votre amie depuis longtemps ; elle fera tout ce qu’elle pourra pour vous aider à sortir de chez Léontine ; Pierre, d’ailleurs, a de l’autorité sur vous comme frère aîné. Je t’assure que tu feras bien de lui écrire.
Blanche. – Si tu savais comme il me répugne de me plaindre de Léontine et de son mari !
Jacques. – Plains-toi de Gizelle, ce sera plus facile !
Blanche. – Oui, mais Gizelle n’est méchante pour nous et ne nous rend malheureuses que parce qu’on la gâte horriblement ; les méchancetés de Gizelle retombent donc sur Léontine.
Jacques,bas à Louis et à Paul. – Ne leur dis plus rien ; écrivons nous-mêmes à Pierre. Nous signerons la lettre tous les trois, et nous raconterons ce que nous avons vu et entendu depuis six mois.
Paul,bas à Louis et à Jacques. – Tu as raison, c’est plus sûr ! C’est toi, Louis, qui écriras la lettre, et nous la signerons avec toi.
Laurence. – Que dites-vous, là-bas ? Si vous complotez quelque chose, dites-le-nous, pour ne pas rendre notre position plus mauvaise et plus triste en voulant l’améliorer.
Louis. – Non, non, soyez tranquilles, pauvres cousines, nous ne ferons rien qui puisse vous nuire.
Pascal. – Je viens de ramener le médecin que Madame a demandé ; mais je crois qu’il sera venu pour rien, car Mlle Gizelle n’a qu’une indigestion.
Laurence. – Mon Dieu ! que je suis fâchée de l’avoir laissée tout manger ! C’est ma faute ! Léontine a raison de m’en vouloir.
Jacques. – Ce n’est pas toi qui l’as forcée à manger, ma pauvre Laurence, c’est sa gourmandise.
Louis. – Tu pourrais même dire sa gloutonnerie.
Pascal. – Le bon Dieu la punit, Mesdemoiselles et Messieurs, et, croyez-moi, le bon Dieu fait bien. Savez-vous ce qu’elle m’a dit tantôt, quand je lui ai parlé de mon terrible coup de sabre ? (Il imite Gizelle.) « Ça m’est bien égal, vos os ! » C’est-il méchant, ça ? Et comment voulez-vous que le bon Dieu souffre des choses pareilles sans les punir ?
Les précédents, Léontine, échevelée, en larmes, accourt et se jette sur un canapé.
Léontine. – Ma fille ! Mon enfant ! Ma Gizelle bien-aimée ! Elle va mourir ! Je vais la perdre ! Mon enfant ! Mon enfant ! (Elle s’affaisse sur les coussins.)
Blanche,la soutenant dans ses bras. – Léontine ! Ma sœur ! Ne t’effraye pas ! Une indigestion ne fait pas mourir !
Léontine,