Comme fanent les roses - Suzie Jane - E-Book

Comme fanent les roses E-Book

Suzie Jane

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Beschreibung

Émilie, avocate et jeune maman, vit à un rythme effréné. Le cœur partagé entre ses accomplissements professionnels et ses aspirations profondes, elle assiste parfois, en spectatrice, au défilement de sa propre existence. Un album photo offert par ses proches à l’occasion de ses trente-trois ans ravive des souvenirs enfouis et lui permet de revivre des instants clés de son existence, parsemée de roses et d’épines. Enveloppée d’un subtil mélange d’amour, de mélancolie, de regrets et de doutes, cet album l’aidera à réaliser que l’instant présent est sa plus grande richesse… à moins qu’il ne soit déjà trop tard.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Suzie Jane, à travers "Comme fanent les roses", son premier ouvrage, nous entraîne dans un voyage intime, universel, où chaque page nous murmure l’importance de savourer l’instant présent. Car au-delà des illusions de réussite, des possessions et des apparences, une vérité demeure : le temps est notre bien le plus précieux.

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Seitenzahl: 200

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Suzie Jane

Comme fanent les roses

© Lys Bleu Éditions – Suzie Jane

ISBN : 979-10-422-7139-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Pablo,

À Liah,

À Bastien,

Et à tous les miens.

À propos de l’auteure

En étudiant le cycle cardiaque, j’ai appris qu’une seconde, c’est moins que le temps qu’il faut au battement du cœur pour terminer son cycle.

En grandissant, j’ai compris qu’il en faut à peine plus à la vie pour achever le sien.

Mais si rien n’est plus éphémère qu’une rose coupée, le souvenir de ce qu’elle évoque a quant à lui le pouvoir de l’immortalité.

Et tout commença

Vingt-quatre novembre deux mille dix-neuf, c’est le jour où je suis devenue « Maman ».

De tous les mots que je connaisse, aucun ne m’a jamais fait autant d’effet.

Je me demande souvent pourquoi avoir référencé, dans le Larousse, les mots « séisme » ou « cataclysme », puisqu’il existait déjà celui de « maternité ».

Vendredi, 2 h du matin. Après avoir déjà affiché plus de 50 h de travail au compteur de ma semaine, et enchaîné les heures normales que chaque parent connaît à partir du merveilleux premier cri du nourrisson – et qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter ensuite – à savoir : voiture – crèche ou école – goûter – devoirs – préparation du repas – bain – repas – pyjama – lavage des dents – histoire du soir – on peut lire une autre histoire, maman, s’il te plaît ? – maman, zai soif – maman, zai peur du monstre – série Netflix – réveil en sursaut sur le canapé… je dors désormais à poings fermés.

Le réveil ne devant sonner que dans 4 h 30, j’ai encore de beaux rêves endiablés devant moi. Un tremblement de terre, une explosion, un marteau-piqueur sous ma fenêtre… j’ai ce super pouvoir-là : je rêve profondément, chaque nuit, et rien ne peut me sortir de mon sommeil à part la sonnerie de mon réveil.

Enfin, ça, c’était avant. Avant qu’un petit être ne soit capable de dire « MAMAN ».

En une fraction de seconde, une main sur mes lunettes, l’autre sur le téléphone en mode lampe torche, me voici sur mes deux pieds, prête à voler au secours de cette petite personne qui ne semble dépendre que de moi… pour venir à bout du vilain monstre caché dans l’armoire.

6 h 30. Lorsque même le jour a la flemme de se lever, mes yeux dans le vague, affalée sur la table de ma cuisine, mon café noir vissé entre les mains, les cheveux dressés sur mon crâne comme s’ils n’avaient jamais été coiffés de toute une vie, le crayon noir que je n’ai pas eu la force de démaquiller avant de me jeter sous la couette la veille au soir dégoulinant désormais sous mes yeux… seul le mot « maman » a le pouvoir de me faire émerger de mon semi-coma et de me tirer de mes pensées les plus lointaines.

— Maman, zai faim.

Un câlin, un bol de lait, une tartine… mon corps passe en mode pilotage automatique, avec son petit sourire pour seul carburant.

Maman, c’est aussi le seul mot qui a eu le pouvoir de faire couler mes larmes, la première fois qu’il m’a été adressé.

Durant des jours et d’interminables tentatives, je répétais avec un air niais : MA-MAN. Tu dis ? MA-MAN.

Alors, lorsque le premier mot qui sortit de sa bouche en réponse fut celui de PA-PA, j’eus l’impression que mon monde s’écroulait. L’impression que, voilà, je le savais… c’était bien fait pour moi. Si je l’avais allaité, peut-être qu’il me serait plus attaché. Et peut-être que si je n’étais pas arrivée en retard chez la nounou la veille au soir, il ne m’en voudrait pas autant. Et peut-être que si je n’étais pas une mauvaise mère, il ne préférerait pas son père.

Voilà, mon cœur allait s’arrêter de battre, ma vie pouvait prendre fin, j’allais mourir assise sur mon canapé, en tenant dans mes bras ce petit être ingrat aux yeux bleus…

« Gagagaga MA-MAN gagaga. »

À croire qu’il suffisait finalement de ne pas le demander. J’essuyai mes larmes de joie, remis la fin de mes jours à plus tard, saisis mon téléphone, composai le seul numéro appris par cœur depuis tant d’années, quand, après deux sonneries :

— Allô, chérie ?

— Maman ! Devine quoi !

Ce jour-là, j’appris le premier synonyme du mot « Maman » : à savoir « inquiétude », suivi de très près par son acolyte « culpabilité ».

Avec le temps, l’extase des premières fois engourdie, ce mot a désormais également le don de me hérisser les poils, et de susciter mes grognements chaque fois où je suis occupée et qu’un « maman » automatique me force à interrompre mes activités… alors que celui de « papa » aurait tout aussi bien pu être prononcé.

— MAMAN ! Ze trouve pas doudou.

Le couteau dans la main droite, la courgette dans la main gauche, occupée à passer en revue dans ma tête mon agenda chargé du lendemain, je regarde d’un coin de l’œil l’horloge affichant – mon Dieu, déjà – 20 h (!). Je mets en pause ma popote, pour partir à la recherche de cette satanée peluche, à coup sûr planquée au fond d’une caisse de jouets ou sous un oreiller.

Maman, c’est le mot magique, capable de faire s’arrêter le monde de tourner.

Et c’est aussi, visiblement, le seul mot qu’un petit être, durant ses premières années, est capable de répéter 10 fois, 100 fois s’il le faut, tant qu’il n’a pas été satisfait. Le mot directeur sans lequel aucune phrase ne semble pouvoir commencer.

« Maman, ze ne trouve pas mon pyzama.

Maman, zai soif.

Maman, zai faim.

Maman, zai envie d’un câlin.

Maman, ze peux faire un dessin ?

Maman, ze t’aime. »

Mais « Maman », c’est plus qu’un mot.

Je dois l’avouer, ces deux syllabes ont aussi marqué le premier jour du reste de ma vie, celui à partir duquel tout a pris sens.

Maman, zai cueilli pour toi

Toute fraissssse éclose

Cette belle rose

Que ze t’offre tendrement

Bonne fête, maman.

Je me souviens encore que cette première rose rouge, enfermée dans son papier transparent, si fièrement tendue lors de cette réelle première fête des mamans, avait fait couler de mes yeux des larmes en torrent.

Maman, c’est le rôle de ma vie, celui que je ne pensais jamais jouer, et qui m’est finalement apparu comme une évidence.

Maman, c’est le titre qui est venu s’ajouter à tous les autres, et notamment à celui de petite fille, de fille, de sœur, d’amie, d’épouse, de belle-sœur, de tata, de marraine, de cheffe d’entreprise, et de belle-mère, qui me collaient déjà à la peau.

Maman, c’est à coup sûr la seule et l’unique casquette que je suis certaine de porter jusqu’à ma mort… et bien après encore.

1

Vendredi 1er décembre 2023

Vendredi soir. Fin de semaine. J’éteins le moteur de la grosse berline neuve que je n’aurais jamais pensé être capable de me payer il y a encore quelques années.

J’abaisse le pare-soleil et ouvre le cache du miroir.

Je contemple mes yeux cernés, fatigués, noircis par le crayon noir dégoulinant légèrement, au coin desquels je peux désormais apercevoir la naissance de mes premières rides.

D’un geste machinal, je tends la main droite pour attraper à tâtons mon sac à main, duquel je sors l’un des multiples rouges à lèvres qui s’y trouvent. Je recouvre mes lèvres d’un rouge que certains qualifieraient de coquelicot, mais qui n’est autre, pour la juriste que je suis, qu’un « rouge Dalloz ». Je passe ensuite les doigts dans mes cheveux, tentant de les démêler du mieux que je peux.

Un coup de parfum avant de rabattre le pare-soleil. Ça ira, on f’ra avec !

Je ne suis pas coquette pour deux sous. À l’école déjà, j’étais le serpent à lunettes en surpoids qui surveillait la porte des toilettes pour ses copines, afin de leur permettre de rouler des pelles aux garçons à l’abri du regard des pions et de la CPE.

Plus tard, j’étais celle à qui l’on venait marchander la copie de ses prises de notes sur une clé USB à la sortie de l’amphithéâtre du cours de droit des contrats, parce que tu comprends, je suis sortie avec les potes hier soir à la fête de Sophie, d’ailleurs, tu devrais venir un de ces quatre ! Je suis rentrée tard, mon réveil n’a pas sonné… Merci, t’es vraiment chouette comme nana.

Puis je suis devenue celle qui a réussi, qu’on n’appelle plus jamais Émilie, mais Maître Caille, et que l’on ne regarde pas – par respect ou par principe – invisible et sévère, de toute façon toujours camouflée sous sa (trop) grande robe noire d’avocate.

Mais ce soir, c’est différent. Nous sommes le premier décembre deux mille vingt-trois, et j’ai 33 ans.

Je saisis mon sac à main, descends de ma voiture, claque la portière, puis emprunte les quelques marches de l’escalier extérieur menant à mon petit, mais rassurant chez moi.

Avant d’avoir le temps d’introduire ma clé dans la serrure, la porte d’entrée s’ouvre brusquement.

— JOYEUX ANNIVERSAIRE !

Tant bien que mal, je feins l’étonnement.

Toute la journée, au bureau, je l’avais vu s’agiter. Courir dans tous les sens, aussi discrètement qu’il en est capable. S’éloigner pour décrocher son téléphone. Revenir. Repartir téléphoner dans le bureau d’à côté. Chuchoter quelque chose à l’oreille de Christine, notre secrétaire, avant de quitter le Cabinet au moins deux heures plus tôt qu’à son habitude, prétextant, dans le plus mauvais jeu d’acteur que l’histoire d’Hollywood ait jamais connu, un rendez-vous client important.

Antoine est un mari aimant. Bien plus que je n’aurais pu l’espérer. À la différence de moi, il ne laisse jamais passer aucune date. Il ne loupe jamais aucun anniversaire. Le mien, bien entendu. Mais aussi celui de notre rencontre. Celui de notre premier baiser. Celui de notre mariage. Toute excuse est bonne à prendre. Chaque jour passé ensemble est, à ses yeux, une occasion à célébrer.

Grand fut son malheur lorsque le Covid-19 et son confinement nous avaient contraints, trois ans auparavant, à rester seuls et enfermés le jour de mes 30 ans.

Cela n’avait pour moi aucune importance. Une pizza devant la télé, blottie dans ses bras au creux de mon canapé, était pour moi la soirée rêvée. J’avais tenté de le lui rappeler, indiquant que le premier décembre reviendrait l’an prochain, et l’année d’après, ainsi que toutes les années de notre vie à venir. En vain. J’avais lu dans ses yeux le désespoir inconsolable de dire adieu à une occasion de fêter quelque chose de moi, qui ne reviendrait plus jamais.

Alors, pour son plaisir, bien plus que pour le mien, face à ses yeux brillants et son énorme bouquet de roses rouges, j’ouvre de grands yeux, j’arbore le plus surpris des sourires, et – les clés à la main – je rentre dans cette maison qui est nôtre depuis plusieurs années déjà.

Des ballons au plafond, des confettis sur le sol, de la musique bien trop forte dans l’enceinte du salon : nous voilà partis pour une belle soirée.

J’ouvre un placard, attrape l’un de mes plus grands vases, y dissous dans de l’eau le sachet de conservateurs, auquel je doute toujours de la réelle efficacité, et y plonge mon nouveau bouquet.

Je jette un œil furtif à mon vaisselier. En haut de celui-ci, le défilé des dernières dates à ne pas oublier. Le bouquet de roses blanches, séchées depuis des mois, en souvenir de notre anniversaire de mariage. Le bouquet de roses roses, séchées depuis plusieurs semaines, en souvenir de notre dernière dispute ou plutôt de notre sensuelle réconciliation. Et enfin, la rose jaune, fanée depuis un temps indéterminé, en souvenir d’un jour sans occasion, lors duquel il était passé par hasard devant un magasin de fleurs.

Je n’ai jamais su jeter les bouquets. En particulier ceux de roses, offerts avec l’amour débordant de ses yeux. Mais je n’ai jamais su les entretenir non plus. Alors je les glisse dans un vase, dont je ne change jamais l’eau. Puis un jour, interpellée par l’odeur d’eau croupie ou par un moucheron dans la cuisine, je lève la tête en direction du précieux présent, désormais devenu souvenir, et constate, non sans dégoût, leur flétrissement. Ne pouvant me résoudre à les jeter, je vide alors l’eau dans l’évier de la cuisine en me pinçant le nez d’une main, je rince les tiges de leurs moisissures, et place mon nouveau trophée séché en haut du vaisselier, sans jamais me promettre de faire mieux la prochaine fois.

La musique hurlant « joyeux anniversaire » à tue-tête, je parcours des yeux mon salon. À côté du vase, sans surprise, mais non sans plaisir, comme chaque premier décembre que l’histoire ait connu depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, un gâteau au chocolat trône majestueusement au centre de la table. Mon gâteau préféré, composé d’une base en gaufrettes, recouverte d’une mousse au chocolat noir, et d’un nappage trois chocolats.

Merde, je vais encore devoir trouver un bobard à sortir à ma diététicienne jeudi prochain. Tant pis, une année de plus sans réussir à raisonner ma consommation de chocolat. On réessaiera l’an prochain.

Aux côtés d’Antoine, ils sont tous là.

Ou presque.

Léo et Marie, mon petit frère et ma petite sœur. Anne, ma meilleure amie. Julie, une proche voisine. Mon entourage est faible en quantité, mais de grande qualité. Sans que je ne m’en aperçoive réellement – ou peut-être un peu – le nombre de ceux qui me sont proches diminue au fil du temps.

Je me suis fait la réflexion il y a quelques semaines. Est-ce dû à un certain égoïsme ? Au fait que je fasse passer ma famille avant les autres ? Aux nombreux refus accordés aux récentes invitations, dus aux innombrables heures passées au bureau ? Ou peut-être à ma tendance casanière grandissante ? Je n’avais su réellement en identifier la cause.

Antoine m’avait aussitôt rassurée :

— Ceux qui s’éloignent pour si peu ne nous méritent finalement pas !

C’est un pan de sa personnalité qui fait qu’on l’adore ou qu’on le déteste. Il ne laisse personne indifférent. Il est entier, ne fait, ni ne dit jamais rien à moitié.

Lorsqu’il a faim, il dévalise sans mesure le supermarché et est capable de passer la porte de la maison, les bras chargés de dizaines de paquets de glaces, à en faire vomir le congélateur.

Lorsqu’il se met à la guitare, il creuse un trou dans son compte en banque pour acheter l’instrument digne d’un Johnny Hallyday à l’apogée de sa carrière, et se rend chaque soir à son cours particulier pendant des mois.

Lorsqu’il entre dans une période geek, il peut jouer chaque nuit pendant plusieurs semaines à sa superbe PlayStation 5 jusqu’à 4 heures du matin sans flancher.

Lorsqu’il est fâché, il peut l’être pendant des jours.

Lorsqu’il est triste, il pleure sans fierté mal placée.

Lorsqu’il aime, il aime à l’infini, pour l’éternité.

C’est ce qui m’a immédiatement plu chez lui. La certitude qu’il n’abandonnerait pas, jamais. Sa capacité à se donner à fond dans chacune de ses décisions, à accueillir chaque évènement comme il se présente, sans jamais regarder derrière. Même si cela a aussi pour conséquence d’être également capable de se passer à tout jamais de toute personne qu’il jugerait néfaste pour lui ou les siens. Pour ne pas citer l’épineux cas de son paternel.

Dans la richesse comme dans la pauvreté. Dans la santé, comme dans la maladie. Aujourd’hui et pour l’éternité. Il fait partie de ceux qui ne rêvassaient pas lors du prononcé de ces mots, et qui – tel un pacte avec le diable – avaient signé au pied du contrat avec la sérieuse et réelle intention de s’engager.

Ils sont tous là.

Ou presque.

Cette année encore, papa et maman manquent à l’appel. Les mois, et maintenant les années, passent sans que nous ne nous soyons revus ni appelés.

Ma fierté et mon ego ont – il me semble – peu à peu remplacé ma colère, de sorte que je ne me rappelle désormais plus ce qui nous a réellement éloignés.

Maman a cessé de m’appeler la première – comme lors de chacune de nos rares disputes (je tiens d’elle mon caractère de feu et mon entêtement), puis papa a – à ma grande surprise – arrêté d’insister (toute ma vie, il a été l’acteur de l’ombre des chamailleries familiales, tentant de ménager la chèvre et le chou et de réconcilier les petites querelles sans importance).

Puis la spirale du quotidien m’a happée, et le temps a passé.

Mais les parents ne sont pas éternels, alors j’irai les voir bientôt. Quand je trouverai le temps… et la force.

La soirée avance. C’est une fête d’anniversaire surprise que seul lui a le secret. La surprise qui, à force d’être répétée chaque année, ne parvient plus à en être une, mais que l’on feint mutuellement malgré tout, juste par amour du bonheur simple.

J’ai appris avec le temps que les surprises ne sont pas les plus grandes preuves des sentiments. Constater chaque jour, par des gestes simples et répétés, qu’il me connaît mieux que personne, remarquer quotidiennement qu’il trouve son bonheur en faisant le mien. C’est mon plaisir à moi, que je savoure secrètement.

Ce soir encore, en l’observant du coin de l’œil, prévisible au possible, fraîchement rasé, un verre à la main, un chapeau triangulaire ridicule sur la tête, parlant à nos invités, le sourire aux lèvres, fier comme un gérant de bar-tabac, je sais que je suis à ma place dans ce monde, exactement là où je dois être dans l’univers.

Ils sont tous là.

Mais pas elle.

J’avais eu plusieurs mois pour me préparer à son départ. Puis j’avais eu plusieurs mois pour m’habituer à son absence. Mais c’était plus fort que moi. À chaque évènement où l’occasion de célébrer l’amour se présente, son absence résonne en moi d’une telle force que je sens subitement mon souffle se couper, et mes larmes monter.

— MAMAN

Sa petite voix me sort – comme toujours – de mes pensées.

— C’est quand qu’on nouvre les cadeaux ? … Ze pourrais t’aider ?

Lucas a tout juste 4 ans. Et il ne peut visiblement contenir plus longtemps son envie d’arracher le papier cadeau de mes paquets, espérant secrètement y trouver finalement un à son attention.

Je souris. Je me reconnais tellement en lui.

— Va d’abord demander à papa, mon chéri.

J’ai 33 ans. L’âge tant redouté. Celui du Christ, m’a-t-on dit. Celui de Daniel Balavoine aussi. Et surtout, plus récemment, celui de ma cousine Adèle, 2 ans auparavant. Foutu cancer du sein. Stade 4 lorsque le verdict était tombé. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir. En autant de temps qu’il n’en fallait à mes fleurs fanées sur mon buffet, elle n’était plus qu’un souvenir du passé.

J’ai 33 ans. Et j’ai la trouille. Je développe secrètement une hypocondrie irréfrénée. Mais comme je suis également adepte de la procrastination, je remets constamment à plus tard mes résolutions de consulter un gynécologue, un médecin, ainsi que le dermatologue qu’il m’a été recommandé de voir il y a trois mois déjà au sujet de ce vilain grain de beauté sur le genou.

Alors, combinant habilement ma phobie du temps qui passe et mon habitude de tout remettre au lendemain, je me contente de me flageller intérieurement à chaque occasion, à coups de : Et si c’était la dernière fois ?

Les baisers trop rapides à Antoine avant de prendre la route, les grognements du matin sur Lucas qui tarde à mettre ses chaussures avant son départ pour l’école, les appels écourtés avec ma sœur Marie au profit d’un rendez-vous professionnel, sont ainsi tous systématiquement sanctionnés d’un et si c’était ça la dernière fois !? intérieur.

J’ai 33 ans et j’ai peur de la mort. Peur du temps. Peur de ne pas avoir assez profité. Peur d’oublier ces instants précieux qui ne reviendront jamais.

Ses premières bouillies, ses premiers pas.

Ses premières bêtises, ses premières dents.

Son premier…

— Maman ! C’est moi qui t’ai fait ce cadeau pour ton naniversaire avec papa. C’est pour. C’est pour…

Lucas a visiblement obtenu de son père l’autorisation de procéder à la tant attendue ouverture des cadeaux. Il scrute le paquet serré entre ses bras sans parvenir à finir. Antoine pose sa main sur l’épaule de Lucas, comme pour l’encourager à poursuivre.

— C’est pour se souvenir.

Ma jolie petite tête blonde et ses grands yeux bleus me tendent alors un paquet dont le papier a préalablement été recouvert de chocolat par ses petits doigts potelés. Ça aussi, il le tient de moi. Je crois n’avoir jamais été douée pour combiner propreté et chocolat. Et à en juger par l’état de mon chemisier, c’est encore le cas.

Je le laisse savourer l’ultime bonheur de l’arrachage du papier cadeau. Mes mains tremblent. J’ai eu beau parcourir les relevés de compte des dernières semaines, aucun indice ne m’a permis d’anticiper l’origine de ce paquet.

Maladroitement, ou peut-être déstabilisée par la précipitation de mon fils, aussi patient que moi, le paquet tombe sur le sol.

Comme pour tout ce qui m’échappe souvent ces derniers temps, Antoine se penche précipitamment pour le ramasser et le remettre entre mes mains. Il est si prévenant, je le remarque vraiment depuis quelque temps.

Le cadeau est un livre à la couverture blanche cartonnée et à la reliure spirale métallique noire, semblable à celle que nous utilisons au bureau pour assembler nos travaux.

Sur cette couverture, en guise de titre, je reconnais l’écriture tremblotante, non assurée, mais tout de même appliquée de mon mari :

Le souvenir, c’est la présence invisible.

Victor Hugo

J’ouvre le manuscrit artisanal, et le parcours machinalement, à la vitesse de l’éclair (ou plutôt, comme le dirait Lucas, « à la vitesse de Cars », sa voiture superhéros préférée du moment). Je tourne les pages aussi rapidement que mes yeux embués me le permettent, puis le referme en un claquement, sous le regard de mes spectateurs désormais muets.

En plein dans le mille. Touchée, coulée. Mes yeux se remplissent de larmes que je ne parviens pas à ravaler. L’une d’elles vient rouler sur mon nez, mes lèvres goût chocolat, mon menton, et avant que je n’aie le temps de la capturer en vol, vient s’écraser sur l’encre noire du feutre avec lequel Antoine avait écrit ces quelques mots, marquant ainsi à jamais la page par un effet buvard.

Il m’a surprise. Une nouvelle fois. Après tant d’années partagées, d’épreuves traversées, de cadeaux échangés, il réussit encore à me surprendre.

Ce livre est en réalité un album photos, épais de plusieurs dizaines de pages, sur lesquelles sont imprimées, pêle-mêle, des photos de mes 32 années passées.

À l’intérieur du livre, sur la deuxième de couverture, une citation de Lacordaire : « Le souvenir, c’est la présence dans l’absence, c’est la parole dans le silence, c’est le retour sans fin d’un bonheur passé, auquel le cœur donne l’immortalité. »

Hors de question de partager avec quiconque le plaisir de ma découverte. Je promets à mon frère Léo de le lui montrer dans quelques jours. Mais avant, je veux prendre le temps égoïste de m’y plonger et de le déguster.

J’ai 33 ans et quelques heures maintenant.

J’ai toujours peur de mourir, mais je n’ai désormais plus peur d’oublier.