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De Lorient à Buenos Aires, L’Orion est à la recherche de son ombre, perdue dans une ruelle à l’aube. Ses voyages de par les nuits de villes du monde seront hantés par une voix intérieure et indistincte, ainsi que sa rencontre avec des créatures, d’un phalène à d’autres félins. Comme l’ombre d’un chat noir fait autant écho à la figure littéraire de cet animal, utilisée par Poe, auteur traduit par Baudelaire en France et par Cortázar en Argentine.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur de nouvelles et de poésies,
Jean-Marie Loison-Mochon associe la musique à la lecture de ses vers libres. Avec Comme l’ombre d’un chat noir, il signe son premier livre, explorant le thème de la vulnérabilité.
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Seitenzahl: 109
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Jean-Marie Loison-Mochon
Comme l’ombre
d’un chat noir
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Marie Loison-Mochon
ISBN : 979-10-422-2150-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais.
Charles Baudelaire
Paraîtrait-il qu’on a plusieurs vies. Moi j’sais pas, j’ai la mienne déjà. Et quand j’regarde celle des autres félins, j’la dirais bien étrange. Bien différente au moins.
J’sais bien qu’y faut pas trop s’comparer, mais y’a des fois on peut pas faire autrement. Et puis, à partir de là que j’me suis comparé une fois puis deux puis vingt, j’ai bien vu, même avec le seul œil qui m’reste, que ma vie d’chat noir elle a pas grand-chose à voir avec celles des autres.
Ces autres qui souvent ont quatre pattes intactes, ces autres qui dorment leur soûl, qui vont dans le jour autant qu’des humains, dans la nuit autant qu’dans l’sommeil. Ils ont pas, eux, une griffe qui rebique et crache du sang à tout va, y z’ont pas non plus une patte en vrac, une autre brûlée, non ! Souvent les autres félins que j’croise, ils ont tout d’intact, y vont et viennent dans leur p’tit univers, y z’ont pas b’soin d’le quitter puisqu’y’a toute la douceur d’y revenir. Oui, mais moi ça, j’ai pas tout à fait connu, ou si j’l’ai connu j’m’en souviens pas. Dans une autre vie p’t-être.
Pour ça, d’aller à droite à gauche sur Terre, p’t-être aussi qu’les misères que cette vie-là m’a faites m’ont donné en retour ce p’tit pouvoir : à volonté j’peux aller et venir aussi, mais pas qu’dans un p’tit univers. Mon terrain d’chasse à moi, c’est partout où y’a la nuit, partout où y’a la lune et oui : partout sur Terre. Mais vous comprendrez.
Pour le reste, j’le vois bien qu’on est pas pareils, les autres et moi. Ça saute à nos trois yeux quand on s’croise. Y m’regardent à moitié dégoûtés, à moitié jaloux. Quoi, c’est mon poil noir ? Mes p’tites infirmités ? Ou le fait que j’n’aie pas d’ombre, peut-être. C’est vrai qu’ça, ça m’en a fait voir rebiquer des matous, friser des minous et minettes.
Si j’vous parlais d’terrain de chasse à l’instant, c’est bien pour ça : d’autant que j’me souvienne, j’ai toujours couru après mon ombre.
Croyez pas qu’comme vous, comme eux, j’ai pas essayé d’comprendre. J’ai pas d’ombre et j’sais que j’devrais en avoir une. J’le sais parce que voyager, à part de partout à sa recherche, j’l’ai aussi fait dans mes souvenirs. J’ai essayé d’aller loin, de r’monter au tout début de c’te vie-là. Et en m’creusant bien l’espace-temps, j’suis rev’nu à une époque de chaton. Et j’me revois, bien, net, intact encore, même si craintif de tout.
Au plus loin que j’me souvienne de cette vie, j’me revois tout p’tit tout entier, et l’contour apparent : j’ai une ombre.
C’est un parking en bord de rue. Y va bientôt faire jour, il a fait un froid pas possible cette nuit. Je tremble, je frissonne, de peur, car la ville commence de s’agiter à tout va autour de moi. Mille bruits, autant de pas, de grandes formes qui n’sont pas des chats. J’vous fais la traduction du chaton qu’j’étais, car depuis peu après dans c’jour-là, j’ai tout su des noms, des choses, des villes : y’avait des voitures qui miaulaient du moteur, des humains avec plein d’ombres d’eux-mêmes qui les suivaient, des voix dans tous les sens dont je n’comprenais rien encore.
De c’que j’me souviens, tout près, y’avait deux voix, deux silhouettes. Une dans un recoin d’mur où ça sent le chat ou l’homme qui a marqué mille fois son territoire. De cette silhouette-là, il monte un rythme monotone, répétitif, mais convaincu, qui me reviendra ensuite. La silhouette sent fort, très fort, et la chose orange et rouge qui fume sous ses mains, aussi. Ça m’agresse le museau, mais moins qu’tout ce bruit.
De sous une voiture, j’regarde l’autre silhouette, assise sur une autre de ces masses de tôle. 'Pis tout à coup, ça te hurle une mort à côté sur l’parking. Ça vrombit, j’ferme les yeux. Mon collier grelotte, j’sais plus d’où j’viens, j’sais plus où j’vais, j’l’ai toujours ignoré, comme où a fui mon ombre : j’suis terrorisé par ce bruit, et les silhouettes s’agitent pas loin. Elles se crêpent la moustache j’crois, mais j’en sais pas plus, car encore à c’moment-là, j’comprends rien du dialecte humain, et de t’façon, j’ferme les yeux pour attendre que ça passe. Pour attendre que le bruit passe, que le jour passe, que la nuit revienne, que le froid s’en aille. Les yeux fermés.
Si j’avais su qu’y’en a un des deux que j’rouvrirais jamais, j’aurais p’t-être profité encore un peu de lui, ne serait-ce que pour voir le danger qui arrivait. J’entends l’gravier crisser, une main cogne contre la tôle au-dessus de moi, plusieurs fois. J’bouge pas, j’ferme les yeux. T’as été bête, chaton. On m’attrape par la queue, je miaule comme un damné, mais ça encore, c’est rien. J’vais hurler dans pas longtemps. J’bouge une patte, on m’l’attrape, on m’la casse. J’en bouge une autre, on m’arrache la griffe. J’vais pour ouvrir l’œil, on me le…
En brume elle s’imprécise
La force est d’un désir, monde d’intentions
En brune elle se précise
Monde un tant soit peu prisé par la lumière
Et par la brume j’erre […]
La fumée des hommes est d’un feu invisible
Brume dense
Et danse brune
L’aube encense et parfume l’air
L’ombre entre en ce mot qui […]
Brume dense, auteur inconnu
J’aim’rais ouvrir les yeux, mais j’peux qu’avec un. C’est l’crépuscule, la douleur est atroce, les pattes… une brisée, une brûlée, petit triangle à vif sur mon membre avant, qui avec ça saigne d’une griffe amputée.
C’te patte j’l’enlève de ma caboche, car j’peux pas m’cacher l’monde de toute façon, et c’fluide noir y r’froidit si vite après s’être échappé… Autour ? Plus d’graviers, mais du béton, froid, tout est froid ! Sauf mon œil, mes pattes, mon corps. J’l’entends hurler de l’intérieur. Qui ? Pourquoi ? Pour quelle raison ? Dans c’t’œil qui m’reste, j’vois cette devanture, je lis… je lis ? Je lis ! Pavillon noir.
J’suis au pied des poubelles, mais j’vois la vitrine pleine d’instru… J’vous l’avais dit tout à l’heure : après c’qui m’est arrivé, je pouvais tout voir, tout comprendre, savoir de tout ce qui m’entoure. Et y’a pas qu’ça, vous verrez…
En tout cas, d’un œil j’vois rien que d’la douleur, de l’autre cette devanture aux guitares, basses et pianos prenant la poussière. La musique a cessé sûrement. Contrairement à ces cris que l’intérieur de moi m’fait. Ça s’accompagne d’autre chose pourtant, dans mon dos, derrière les poubelles, derrière le muret. Là où tout est arrivé, là même où j’entendais plus tôt ce même rythme dans une voix : la même.
J’suis sur le flanc, j’ai pas la force de bouger plus mon corps que d’un bout d’tête. Eh, c’est qu’on vous arrache pas un œil, une griffe tous les jours.
Et y’a pas qu’ça. Le même marmonnement, mais dans la fumée du p’tit feu d’tantôt, je distingue maintenant tous les mots. Et ça r’commence sans cesse. La fumée des hommes est d’un feu invisible… brume dense… et danse brune… l’aube encense et parfume l’air… l’ombre entre en ce mot qui me… et ça r’passe, encore ! J’ai pas la force de bouger.
Dans la rue on passe pas trop. J’regarde la lune là-haut, alors qu’j’avais jamais su qu’elle s’app’lait la lune. Y aurait même des étoiles, que j’savais pas qu’c’étaient des étoiles ces trois p’tits points brillants, qui brillent en suspension et puis… « TUTUTUTU ! Attends p’tit chat, on arrive ! TUTUTUTU ! »
Deux nouvelles silhouettes, elles me cachent presque tout l’ciel. L’une bat des ailes, le bec long comme les pattes. L’autre… mon œil a pas la force de savoir… une petite forme noire, un truc gonflé dans l’air. Un drapeau ? Du tissu. Dont un p’tit animal se sert pour planer jusqu’à moi. Et pis les deux, elles m’surplombent maintenant.
« TUTUTU ! Eh la cigogne, on avait dit qu’on prév’nait l’autre que le p’tit chat y s’réveillait !
— Arrête de faire l’excitée, l’écureuillette. J’viens à peine de m’en apercevoir. Et puis pas d’familiarités, moi c’est Madame des fontaines.
— Tutututu... » qu’font les deux silhouettes en s’posant juste au-dessus de moi.
« T’es coinços du gosier des fois la cigogne ! TUTUTUTU !
— Allez, tais-toi don’ l’rongeur des villes.
— TUTUTUTU, je… !
— Qui t’a fait ça, chaton ? » que m’cause la cigogne.
J’reste interdit, pas un mot. J’m’étonne encore qu’on m’parle, que j’comprenne le langage de ce volatile aux grands yeux bleus. Même chose pour le verbiage de c’petit écureuil dont les yeux verts s’arrêtent pas d’faire des allers-retours sur moi. De d’ssous d’drôles de jolies boucles et son tissu noir qu’elle s’est mis en châle, elle sort :
« Tututu… tu crois qu’on lui a aussi coupé la langue ?
— Sois pas bête l’écureuillette, c’est aux chats qu’on donne sa langue, pas l’inverse.
— Tutututu ! J’sais pas moi.
— Justement, tu donnes ta langue au chat. N’est-ce pas mon p’tit bonhomme ?
— Tutututu… cigogne-je-sais-tout, va… »
J’me sens pas d’leur parler. Elles ont l’air de m’vouloir du bien pourtant. Mon œil les r’garde, c’est une façon d’répondre. La nuit tombe. Les cris en moi y s’calment un peu. Parce que la nuit tombe ? J’ai plus qu’la douleur.
Un humain passe, y semble pas s’étonner de voir trois bestioles en pleine ville. Y semble même me r’garder qu’moi. Tête avachie. L’œil valide bien barbouillé d’sang, j’le ferme et fais l’mort. Je sais, ça m’a pas servi d’leçon d’les avoir gardés fermés sous la voiture tantôt. Au point où j’en suis… J’crois qu’y m’a regardé avec compassion. Avec compassion aussi, il est parti. Compassion – compte pas sur moi, y’a comme des échos.
La cigogne et l’écureuil par contre, s’demandent :
« Tutu… qui c’est qu’c’est qui lui a fait ça, tu crois ?
— Je ne sais pas, madame Tututu. Mais y s’dit dans tout Lorient que c’était pas beau à voir.
— TUTUTUTU ! J’m’appelle pas madame Tututu. Et m’parle pas d’ça la cigogne, ça m’fait frissonner d’la fourrure !
— Ouais bah c’était… moi j’suis sûre que c’sont des gens du jour. Y a que les gens du jour pour vous faire un truc pareil. »
De derrière le muret, toujours le même marmonnement… en brume elle s’imprécise… la force est d’un désir, monde d’intentions… en brume elle se précise… monde un tant soit peu prisé par la lumière… et par la brume j’erre, à courir, à songer…
Mes deux p’tites compagnies frissonnent de sous la voix, moi j’m’en fous. Qu’est-ce qui pourrait m’arriver d’pire ?
« Elle me fait peur ta voisine, l’écureuillette.
— Tututu… elle fait pas de mal. Enfin… faut p’t-être pas laisser le chat ici cette nuit, elle pourrait s’le faire cuire. »
Mon œil s’ouvre sous l’coup d’une peur nouvelle !
« Ah bah il est réveillé ! Tutututu ! J’vais l’emm’ner à mon septième gratte-ciel, la cigogne.
— Et avec quels muscles, petite chose bouclée ? Non, non. Je vais l’emmener aux fontaines. Prête-moi ton châle, j’vais l’transporter comme ça.
— Tututu ! Tu fais toujours comme qu’est-ce que c’est qu’tu veux toi… »
Elles me déplacent un peu. La douleur me fait miauler.
« Tu vois, il l’a, sa langue ! »
Et en moi on crie aussi. L’écureuil et la cigogne s’interrompent. La voix derrière le mur aussi. Elles regardent là où j’gisais, silencieuses.
« Tutututu… c’est quoi ?
— Du sang, beaucoup de sang.
— Mais c’est noir, tututu…
— C’est l’effet de la nuit ça. Par contre ces dessins…
— Tututu ! ça, je sais ! C’est des… graffitis !
— Ah ?
— Oui oui oui, tututu ! J’aime beaucoup ce mot, on pourrait l’croquer ! Grafffffiti, graaaaffiti, graffitttti, graffitiiii !
— C’est pas parce que tu l’aimes que c’en est, l’écureuillette.
— Ah ouais ? Tutu… et c’croissant dessiné, tu crois qu’c’est quoi, hein ?
— Un beau trait vert. On dirait un sourire.
— Ou la lune, tutututu…
— Un sourire vert dans une mare de sang. Moi j’ai une préférence pour les teintes chaudes. »
À deux, elles me font vaguement m’relever sur mes pattes valides. La lune nous éclaire. On voit leurs ombres s’activer sur les poubelles à côté. S’activer autour de m… La cigogne et l’écureuil ont la même vision que moi. Elles s’arrêtent, me regardent, s’arrêtent à nouveau les yeux sur les poubelles, me regardent encore. Elles bougent leurs corps, me déplacent, regardent encore. Leurs ombres s’activent, projetées sur les poubelles. Mais la mienne ? Je suis dans le châle. Elles ont l’air inquiètes.
Est-ce que je devrais l’être, moi aussi ? Je n’ai plus d’ombre.