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Laure se sait différente depuis son plus jeune âge. Grâce à un simple contact physique, elle est capable de visualiser, dans son esprit, un évènement de la vie des personnes qui l’entourent. Pourtant, ses certitudes s’effondrent lorsque l’amour croise son chemin. À trop vouloir comprendre les autres, n’a-t-elle pas perdu de vue le plus important qui est de se connaître elle-même ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Avocate de profession,
Aurélie Laversa s’éloigne de la rédaction de ses actes juridiques pour s'ouvrir aux mots qui font vibrer, sourire et pleurer. Son envie impérieuse de comprendre les gens, le monde qui l’entoure ainsi qu’elle-même l’amène à libérer sa plume dans
Comme un flocon.
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Seitenzahl: 173
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Aurélie Laversa
Comme un flocon
Roman
© Lys Bleu Éditions – Aurélie Laversa
ISBN : 979-10-377-7679-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toi, Myriam.
Mes yeux se sont ouverts lorsque les tiens se sont fermés.
La première fois, je venais d’avoir 12 ans. Nous étions sorties avec maman acheter « deux bricoles » comme elle disait, et nous revenions chargées comme si nous ne ressortirions plus jamais. Nous étions dans le métro ligne 8, station Dugommier. Nous aurions pu faire le chemin du retour à pied mais les sacs nous coupaient les doigts, il faisait chaud, alors presque sans y penser, nous nous dirigions vers les escaliers du métropolitain d’un pas enjoué, ragaillardies par la seule idée de s’asseoir. Une dernière once de vigueur, un dernier effort avant le repos bien mérité d’un strapontin noirci par la saleté. Nos espoirs furent de courte durée.
La rame était bondée et nos jambes durent encore supporter nos corps moites. Maigre consolation, nous posions nos sacs à même le sol. Oubliées les règles d’hygiène élémentaires, nos doigts ne laissèrent pas à nos esprits le temps de se perdre dans le monde de l’infiniment petit, qui, en l’occurrence, se confondait sensiblement avec le monde de l’infiniment sale.
Station Daumesnil. La plupart des passagers quittent le navire mais presque tous les chanceux occupants de strapontins restent cloués à leurs sièges. À l’époque, je trouvais la situation presque mystique. Est-ce vraiment un hasard si la rame, pourtant presque vide, reste occupée uniquement de ses passagers assis ? Les années passant par-là, quelques années d’études de mathématiques et quelques cours de probabilités et de statistiques ont eu raison de ma naïveté. Les usagers qui ont les plus longs trajets mettent plus de rigueur dans la recherche d’une place assise. CQFD.
Chose étonnante, l’esprit cartésien dont je suis dotée aujourd’hui ne trouve toujours pas de réponse à ce qui se passa ce jour-là pour la première fois.
Le train ralentit. Une femme range rapidement son livre dans son sac. Elle oublie d’y insérer le marque-page qu’elle utilisait pour s’éventer. Elle s’en rend compte et réouvre son bouquin en cherchant sa page. Elle lève la tête, la station Bizot s’approche. Elle rebaisse la tête. La page est introuvable, elle relève la tête et renonce bien malgré elle à sa quête. Ses jambes affûtées dans un short léger se fléchissent, une légère impulsion, et hop, la voilà hors de son siège qui se redresse déjà derrière elle. Je balaie du regard les alentours. Aucune concurrence sérieuse. Pas de femmes au ventre arrondi qui nécessiterait de trancher sur la question « enceinte ou non » ni de personnes suffisamment âgées et dont la priorité ne serait pas une outrageante politesse. Personne à part maman, qui, me voyant baver littéralement sur ce siège, me confirme, d’un signe de tête et d’un petit sourire, le privilège d’être sa fille adorée.
Je me jette de tout mon long sur cette place, oubliant totalement la précédente occupante qui n’avait pas tout à fait libéré l’espace. Mon bras heurte son épaule. Tout à coup une image emplit mon esprit : une jeune enfant pédalant gaiement dans un grand parc jusqu’à ce qu’un vélo qui circule à vive allure la renverse. Son petit corps est projeté sur le bas-côté, la fillette hurle en se tenant la jambe.
Puis, plus rien.
Je m’assis, chamboulée par ce flash que je mis sur le compte de la fatigue et de la chaleur étouffante de ce wagon. La réaction étonnante d’un corps un peu malmené.
Je pris conscience assez rapidement qu’il ne s’agissait pas d’un symptôme anecdotique. Les faits se reproduisirent à plusieurs reprises. Après avoir tenté vainement plusieurs mots-clés dans la barre Google, je devais me rendre à l’évidence, il ne s’agissait pas d’une maladie rare.
J’étais finalement juste un peu différente. Un peu comme tout le monde car jamais je n’avais rencontré deux personnes identiques…
Le réveil sonna déjà trois fois. Il était temps de se lever. Une dernière alarme et ce serait le silence. Je le savais, si je laissais ce silence s’installer, un nouveau cycle de sommeil commencerait et le cours de TD du mercredi matin se déroulerait sans moi.
Soudain, je réagis. Comme si mes deux neurones venaient de se connecter. Mercredi 9 heures. Cours de TD de « maths discrètes ». Il serait là, habillé, comme toujours, de son costume sombre, faussement décontracté. Ses cheveux grisonnants soigneusement coiffés en totale opposition avec cette barbe de trois jours équitablement parsemée de poils blancs et gris. Son regard profond, tellement profond qu’on en oublierait de définir la couleur de ses yeux. Ses lunettes rectangulaires qu’il plaçait sur son nez lorsque sa vue lui faisait défaut… Quel âge pouvait-il avoir ? Et puis, peu importe, il était tellement séduisant.
Dès le premier jour, il m’avait fait cet effet. C’était inexpliqué. Si intense. Plus le semestre passait et plus j’attendais avec impatience le cours suivant. Parfois, lorsqu’un temps assez important s’écoulait entre deux entrevues, je me disais que cette passade serait terminée. Qu’il devait s’agir d’un vieil Œdipe mal soigné. D’une certaine alchimie biologique, un mélange de phéromones et d’hormones qui me faisait perdre toute contenance pour cet homme que je ne connaissais finalement pas. Et puis, un nouveau cours arrivait et le désir se faisait plus intense, plus prégnant.
Je pensais à lui tout le temps, espérais le rencontrer au hasard d’un trajet en métro ou au rayon du supermarché mais jamais je ne le croisais. À croire qu’il n’existait qu’au sein de cette université, entre les murs ternis de cette salle de TD. Une fois, je l’avais vu partir et l’avais suivi du regard dans le parking des profs, l’avais espionné comme si je touchais là une bribe de son intimité. Il se mit au volant de sa voiture noire, posa sa sacoche sur le siège passager, démarra et s’en alla. Je fus déçue. Je ne savais pas ce que j’aurais pu raisonnablement espérer découvrir de plus sur lui en le voyant quitter l’établissement.
Ni une ni deux, je sautai du lit. N’ayant pas le temps de manger et de me préparer, le choix fut vite fait. En me lavant les dents, je passais au crible les tenues que j’avais déjà exhibées. Il fallait être jolie mais sans avoir l’air d’en faire trop : séduisante, mature, mais aussi décontractée que lui. J’eus du mal à me rappeler les tenues des fois dernières, cette idée me rassura. Si moi-même ne me souvenais pas comment j’étais habillée, comment lui pouvait-il l’avoir noté ? À moins que lui aussi… Très rapidement, je dissipai cette folie de mon esprit. C’était mon mot d’ordre et m’y tenais à la lettre. Ce coup de cœur n’avait rien de réciproque. C’était mon fantasme, mon « truc à moi ». Et c’était aussi une très bonne motivation pour cette matière qui ne me passionnait pas. Bref, que du bonheur ! Ne rien attendre de plus.
Au fur et à mesure que la station de la fac approchait, mon pas se faisait plus énergique, mes palpitations plus régulières et mon sourire plus radieux. David m’attendait devant la machine à café, une pièce à la main. À peine arrivée, il fit un geste pour attirer mon attention, accompagné d’un puissant : « Un café ? ». Je répondis presque malgré moi : « Oui ». Je ne résistais jamais à l’appel du café. Je savais que je lui plaisais. Et objectivement parlant, il avait également tout pour me plaire… Mais pourquoi n’y avait-il pas ce truc ?
Je regardais ma montre en buvant une gorgée de café. Comme souvent quand j’étais fatiguée, je me rendis compte que ce geste mécanique ne m’avait pas vraiment servi à lire l’heure qu’il était. Je me résolus à réitérer le geste. 8 h 50. Parfait. Encore cinq minutes à attendre et on monterait à l’étage. La salle serait ouverte et nous pourrions directement nous installer à notre place habituelle. J’installerais tranquillement mes affaires et choisirais le moment idéal pour lever la tête et croiser son regard. Je ferais alors un sourire timide et murmurerais un « bonjour » du bout des lèvres. Il me répondrait de la même manière. Puis le cours commencerait et je m’efforcerais de ne pas laisser mon esprit divaguer à de tendres rêveries.
8 h 55. Je gravis les marches avec hâte. La porte était ouverte, je le cherchai du regard, mais occupé à de studieuses explications en face du tableau noir, je ne vis que sa nuque. Je frissonnai et m’amusai toute seule de cette sensation. Qu’est-ce que je pouvais être bête, ce n’était qu’un cou.
Je m’assis. Le silence emplit la pièce et la jeune étudiante en cours particulier alla rejoindre sa place. Il se retourna, ses yeux croisèrent les miens, je lui souris et fis un geste poli de la tête. Il fit de même. Un sourire tendre et appuyé. Et si seulement…
J’armais deux fois mon porte-mine et recopiais la formule inscrite sur le tableau. Concentration, me répétais-je en moi-même, concentration. Puis à titre de récompense, quand l’effort fourni me paraissait suffisant, je m’octroyais un bref moment de récréation où je le dévorais des yeux et m’autorisais à laisser libre court à mon imagination.
Cette formule était incompréhensible. Comment pouvait-il arriver à ce résultat ? Ma feuille était noircie par mes réflexions qui s’interrompaient nettes à la première difficulté. Je gribouillais frénétiquement ces échecs successifs. Ma feuille ressemblait à un de ces dessins dont on ne comprend le sens qu’au dernier coup de crayon. Oui, à bien y regarder, on pouvait y voir un chat, assis, qui s’amusait avec un… oh ! Et puis non, ça ne ressemblait à rien. Aucun trait de génie ne figurait sur ce brouillon ni artistique ni scientifique. J’appelais alors à l’aide le professeur. Celui-ci, attablé à son bureau, paraissait tuer le temps en parcourant un manuel. Il vit immédiatement ma main se lever et se dirigea à mes côtés. Il identifia mon problème et entreprit une longue explication. Je m’efforçai de suivre son raisonnement. Attentif à mes réactions, il ralentissait aux mordillements de stylo, reprenait à chaque froncement de sourcils et enchaînait à chaque hochement de tête. Nos interactions étaient d’une efficacité vertigineuse.
Une fois la démonstration achevée, il toucha du bout des doigts mon dernier griffonnage en me lançant un enjoué : « C’était presque ça ». Je lui rendis son sourire. Les yeux dans les yeux, j’en perdis mon stylo qui se mit à rouler dangereusement jusqu’au bord du bureau. D’un geste rapide, nous nous lançâmes simultanément à sa poursuite. Nos deux mains y parvenant dans le même temps, le fuyard était désormais emprisonné de nos doigts entrelacés. Le contact de nos deux peaux sembla arrêter le temps. Plus rien ne comptait hormis ces quelques centimètres d’épidermes qui nous reliaient dans une alchimie envoûtante. La salle était pleine mais plongée dans un profond silence nous étions seuls au monde. Mon cœur tambourinait au plus profond de mes entrailles. Cette sensation m’envoûtait. Un bruit sourd m’arracha à mes rêveries.
C’était Lucie qui avait fait tomber sa trousse. Accroupie par terre, elle ramassait son contenu qui s’était éparpillé sur le sol. Je la regardais sans la voir et repensais à mes fantasmes d’adolescente qui n’auraient même pas figuré dans la préface de « Cinquante Nuances de Grey’s ». Cette idée me fit sourire. Toujours affairée, Lucie, croyant que ce sourire lui était destiné, m’en adressa un en retour. Je la rejoignis pour l’aider quand mon épaule effleura la sienne.
C’est alors que je la vis, elle, sur le bord de Seine, les yeux mouillés de larmes. Cet endroit, je le connaissais, je l’y croisais souvent à la sortie des cours dans les bras de son copain, amoureux comme jamais, à partager un sandwich, un mouchoir ou un baiser. À les voir ainsi, ils apparaissaient comme fusionnés en un seul être, ne gardant leur enveloppe corporelle que pour donner le change autour d’eux. D’ailleurs, l’un sans l’autre, ils semblaient comme égarés à la recherche de leur moitié. L’autre avait gardé une partie d’eux-mêmes. Ce n’était qu’une fois leur « tout » reconstitué qu’ils pouvaient contribuer au quotidien, discuter avec leurs amis, manger et rire. Ils avaient matérialisé cette dépendance par un pendentif en forme de cœur brisé dont chacun était le gardien de son ventricule. Cette relation, je la regardais d’un œil extérieur, critique et envieux.
L’image qui se figea dans mon esprit était tout autre. Tout était fini. Je ressentis brutalement cette sensation au fond de moi.
Mon don, au cours des années, s’était perfectionné. Une sorte d’évolution à la « Pokémon ». Mon moi plus jeune captait les souffrances physiques, mon moi actuel ressentait aussi les émotions. Ainsi, à seulement 26 ans, j’avais vécu déjà des multitudes de chutes, plusieurs accouchements, d’innombrables décès, ruptures et autres douleurs. Ces « sursauts de vie », comme il me plaisait de les nommer, me projetaient dans une autre réalité. Cette vie n’était pas la mienne, c’était celle des personnes que je croisais et côtoyais. Je la vivais pourtant pendant quelques secondes avec la même intensité que s’il s’agissait de ma vie, de mes émotions. Habituée à ces plongées soudaines, je n’y voyais que des intermèdes, une pause impromptue dans ma vie, pour vivre, juste un instant, celle des autres.
Ces immersions étaient apparues soudainement et ne m’avaient plus quittée depuis. Elles m’avaient fait grandir un peu plus vite que les autres, contrainte de traverser des épreuves qu’à un si jeune âge la vie nous épargne en principe. Certains de ces événements m’avaient profondément marquée, m’avaient laissé des traces indélébiles comme des accidents de la vie ou des deuils. Ces images et souffrances n’étaient pas les miennes, mais m’appartenaient pourtant subrepticement. Au départ, j’avais beaucoup de mal à m’en défaire. Les images revenaient sans cesse avec les sensations et les émotions. Elles refaisaient battre mon cœur à la chamade, me coupaient le souffle, me serraient la gorge. C’est ainsi qu’après avoir vu ma mère choquée par la chute de mon frère du deuxième étage de notre immeuble, j’avais perdu le sommeil pendant plusieurs jours. Pourtant, je n’avais pas assisté à l’accident. Ce jour-là, j’étais à mon cours de gymnastique, ma mère devait venir me chercher à 17 heures. À l’heure dite, personne n’était là. Ça ne lui ressemblait pas d’être en retard. Une heure d’avance, ça oui, mais une seconde de retard ne prédisait rien de bon. Quand elle arriva enfin, le cours suivant avait commencé depuis déjà 25 minutes et mon angoisse n’avait fait qu’amplifier. Le teint livide qui traversa la porte n’avait rien de rassurant. Ses mains tremblaient, tout comme sa voix qui semblait grésiller, ses mots étaient décousus, elle s’excusait platement auprès de ma professeure, lui expliquant les circonstances exceptionnelles qui justifiaient ce retard. Je saisis quelques bribes de son explication. Je me positionnai tout près d’elle, mon corps dans le prolongement du sien. Je vis soudainement l’image de mon frère s’écraser sur le sol, comme une poupée de chiffon ; complètement désarticulée, et ce bruit, un bruit sourd et effrayant, puis un silence vertigineux. Un silence de mort.
Tout à coup, je crus sentir le sol s’effondrer sous mes pieds, je ne comprenais pas. Mon frère avait eu un accident, il était tombé, une effroyable chute. Il aurait pu mourir, il aurait pu être paralysé, mais il n’avait eu qu’un bras cassé. Tout allait finalement bien, on avait échappé au pire. Pourquoi mon cœur était si fortement serré, pourquoi je peinais à parler, pourquoi mes mains se mettaient à trembler, au diapason avec celles de ma mère ? L’émotion était si grande que mes larmes se mirent à couler sans même que je ne m’en rende compte. Déglutir me demandait un effort considérable. Je m’étranglais comme si une force invisible avait entrepris de serrer de ses deux mains mon cou. J’essayais de me raisonner, ma mère était là et mon frère était vivant. Rien de grave n’était arrivé, on en reparlerait sûrement aux prochains repas de famille comme l’anecdote du moment. J’aurais voulu crier pour libérer de mon corps cette vague de détresse qui m’envahissait. Je n’y parvenais pas. J’étais devenue cette poupée de chiffon désarticulée à mon tour. Ma mère se tourna vers moi et je vis dans ses yeux l’étonnement de me voir dans un tel état. Elle s’agenouilla pour mettre son visage contre le mien, me posa ses mains sur mes oreilles, fort, comme pour me ramener dans une réalité qui m’avait échappée. Elle me dit calmement : « Tout va bien, ne t’inquiète pas, tout va bien ». Essayait-elle de se convaincre ou ces mots m’étaient-ils destinés ? Qu’importe, la douceur de ses paroles eut un effet bénéfique pour nous deux et la masse qui grossissait dans mon thorax commença à disparaître jusqu’à s’envoler complètement. Mes yeux rougis, mon nez dégoulinant et mes joues trempées de larmes n’étaient plus que les stigmates d’une douleur passée. Elle me prit la main et nous partîmes voir mon frère à l’hôpital. Dans la chambre où il attendait le passage du médecin, l’ambiance était tout autre. La peur et les douleurs de ces blessures avaient déjà laissé place à l’euphorie du plâtre qu’il pourrait arborer dignement au collège, en racontant fièrement ses exploits.
Comment un même événement pouvait-il générer des émotions aussi paradoxales ? La vie n’avait-elle pas de couleurs, à part celles que l’on voulait bien lui donner ?
Je n’en avais parlé qu’une fois et je n’avais jamais retenté l’expérience tant elle avait été décevante. J’avais partagé ce secret avec la seule qui était capable de me croire, celle en qui j’avais une confiance absolue.
Nous nous étions rencontrées le premier jour du collège et nous avions tout de suite sympathisé. Ensuite nous avions parcouru ensemble chaque étape de nos études, l’une avec l’autre. Ce n’est qu’à la fac que nos scolarités s’étaient séparées, je m’étais engagée dans la voie des mathématiques, elle avait préféré la médecine. Sur de nombreux points, nous partagions la même vision des choses. D’ailleurs, jamais je ne pus lui en vouloir de ne pas m’avoir crue ce jour-là. Moi-même, en pareille situation, je n’aurais pas réagi autrement.
Ce jour-là, j’avais eu une mauvaise note. Enfin, une note décevante au regard du travail fourni. Des critères de satisfaction d’une sévérité telle qu’ils m’avaient rapidement cataloguée par tous ceux qui me connaissaient comme « l’intello de service ». J’essayais de digérer cette « épreuve », distinguant méthodiquement les facteurs liés à la précipitation et ceux liés à un manque de concentration. Le tout laissant la part belle à l’injustice car même si le raisonnement n’était pas parfait, la notation me paraissait hasardeuse.
La cloche sonna, c’était l’heure de déjeuner. Mon emploi du temps me laissait deux heures. émilie n’était pas dans ma classe cette année et avait cours jusqu’à 13 heures. Je me résolus à ne pas l’attendre car il faisait froid et l’idée d’accompagner mon groupe de camarades de classe dans la chaleur du réfectoire me réconfortait.
« Quelle belle amitié », me diriez-vous ! « Pas sûr qu’elle survive dans le temps, même si nous n’entrons pas dans une nouvelle ère glaciaire ! » Pourtant c’était tout le contraire. Je savais qu’elle comprendrait, une mauvaise note, le froid, la faim, je n’avais pas le courage d’errer seule pendant une heure dans cette cour de récréation aussi hostile qu’un terrain miné. À cet âge, tout est jugement. Dans d’autres circonstances, j’aurais assumé. Une bonne note et un grand soleil auraient pu me faire patienter comme je le faisais parfois. Un passage dans cette bande pour savoir si le week-end s’était bien passé, pour rebondir ensuite vers un duo de copines où j’étais toujours la bienvenue et finir l’heure avec ce groupe de potes qui, repu, parlait du nouveau hit à la mode. Non, c’était une mauvaise journée, je me réfugiais sous l’abri, dans la queue pour la cantine. Emilie ne serait pas seule, elle ne l’était jamais.
Le réconfort ne fut que de courte durée car derrière nous dans la file se trouvaient Sylvain et sa nouvelle copine. Sylvain c’était le garçon dont j’étais amoureuse depuis la 6e